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CHAPITRE VII.
CONVERSATION

Causons un peu.

GOETHE.

On l'a dit, – la figure de Marcel était plus sombre que de coutume; – il posa sa carabine sur le lit de Crâo et se jeta sur un fauteuil.

– Bonjour monsieur Marcel… Vous n'êtes donc pas à la chasse avec tout le monde… demanda le bossu.

– Non…

– Vous aimez pourtant bien la chasse, monsieur Marcel.

– Oui, mais il y a des gens avec lesquels je ne l'aime pas…

– Pourtant madame de Lussan est bien bonne pour vous, monsieur Marcel.

– Je le sais…

– M. de Cérigny… et ces autres messieurs aussi… M. Georges de Verneuil aussi… – Et le bossu appuya sur ces derniers mots.

– Marcel fit un mouvement… Celui-là… Je ne puis le souffrir… dit-il avec vivacité.

– Oh! ni moi non plus, monsieur Marcel.

– Pourquoi cela, Crâo?..

– Parce que… je ne sais… moi… mais il a l'air si fat, si impertinent… si vain!

– C'est bien vrai, Crâo… un air évaporé, des manières de femme… Ce n'est pas un homme cela… dit vaniteusement Marcel, et regardant ses mains nerveuses, qu'il comparait mentalement aux mains blanches et effilées de Georges.

– Je suis sûr qu'il met un corset, monsieur Marcel.

– Pas possible! Et après l'affirmation du bossu, Marcel partit d'un long éclat de rire que celui-ci partagea.

– Après un moment de silence, Crâo reprit d'un air mystérieux… Toutes ces fadaises-là, voyez-vous, monsieur Marcel, n'en imposent pas aux femmes;… elles aiment un homme qui soit homme… qui enfin ait l'air – d'un homme… et Crâo accentua longuement ces mots.

– Tu te trompes, Crâo, – elles admirent un air efféminé, et ces sottes recherches de parure…

– Pas toutes, monsieur Marcel.

– Ma foi, le plus grand nombre. – Mais il me semble, au contraire, que si j'étais femme, je voudrais pour mari ou pour amant un homme… qui… il hésita…

– Comme je vous l'ai dit, un homme qui ait l'air d'un homme, monsieur Marcel, dit le bossu, en l'interrompant, un homme robuste, basané, brun…

– Un homme qui ait un bras pour la porter ou la défendre, Crâo…

– Un homme qui ne chasse pas comme les femmelettes, mais comme vous, monsieur Marcel, qui lasseriez un sanglier à la course.

– Tu me flattes, Crâo.

– Non, monsieur Marcel, si j'étais femme,., je voudrais un amant comme vous…

– Toi, je le crois bien; mais que le diable m'emporte si je voudrais d'une femme comme toi…

– Un éclair imperceptible brilla dans les yeux de Crâo; mais il continua sans sourciller.

– Oh! monsieur Marcel, je dis moi, moralement s'entend; car je sais bien que physiquement, je suis laid et repoussant, ajouta-t-il avec tristesse et humilité.

– Allons, j'ai eu tort, dit Marcel, j'ai eu tort, Crâo, ne m'en veux pas de t'avoir dit cela;… mais je suis d'une humeur…

– Vous, monsieur Marcel?

– Tiens, il faut te le dire; j'aurais plus de plaisir à mettre une balle dans cet habit rouge, que dans l'épaule d'un daim…

– Et moi, je vous dis que c'est très mal, et que c'est plutôt lui qui devrait avoir cette pensée à votre égard.

– Et pourquoi? n'est-il pas heureux?.. n'est-il pas…

– Ici Marcel se tut.

– Il est, – il est, – car je devine votre pensée, et je puis vous le dire entre nous; il est l'amant d'une femme que vous aimez, eh bien! ce n'est pas vrai. – Il n'en est rien… je vous le jure… moi…

– Tais-toi, Crâo… tais-toi… dit violemment Marcel.

– Et bien mieux. – Je vous dirai, moi, qu'il ne tiendrait qu'à vous de…

– Crâo… ne raillez pas… dit Marcel avec colère…

– J'ai des preuves, articula rapidement Crâo.

– Des preuves, des preuves, répéta Marcel, en se levant de toute sa hauteur et attirant le pygmée près de lui et le regardant bien en face: – Des preuves, Crâo;… ne répète pas une pareille parole sans montrer tes preuves, ou je te tue…

– Je ne puis pas vous les montrer… mais vous les dire… monsieur Marcel;… mais lâchez-moi.

– Mensonges… dit le géant, en repoussant Crâo avec dédain.

– Mensonges… mensonges… répétait le bossu avec un air d'intime conviction… Mensonges, à la bonne heure… comme si je ne l'avais pas vue vingt fois dans les premiers jours de son arrivée au château, vous suivre du regard, comme si elle ne vous soutenait pas toujours contre les autres, quand ils se moquaient de vous… comme si elle n'était pas toujours la première à vous appeler dans le salon.

– C'est vrai, Crâo, dans le commencement;… mais c'était pour me tourmenter et rire à mes dépens…

– Sans doute, monsieur Marcel, elle rit à vos dépens, maintenant peut-être, parce que vous n'avez pas su la comprendre. – Elle rit à vos dépens, parce que vous ne concevez pas qu'un homme comme vous plaît toujours, lors même que ce ne serait que par singularité… – Elle rit à vos dépens, parce que vous ne voyez pas que son M. Georges l'ennuie à périr avec ses prévenances et ses attentions, parce qu'après tout, qu'a-t-il pour plaire? Une figure de fille, des cheveux frisés, un jargon, des fadeurs… Au lieu que vous, monsieur Marcel, – vous, vous êtes bien plus beau de cette beauté mâle et forte dont nous parlions; si vous lui racontiez vos chasses dans les Pyrénées, comme vous me les racontez à moi, elle ne cesserait pas de vous entendre… Vous pouvez me croire, moi, qu'est-ce que cela me fait, à moi, de vous dire tout cela; moi, toujours seul, isolé, méprisé, laid, repoussant, aussi loin de la beauté de M. Georges que de la vôtre. – Je n'ai aucun intérêt à vous donner la préférence… n'est-ce pas… je dis ce que je sens et ce que je sais… voilà tout.

– Ce que tu sais… Crâo…! dit Marcel, – cette fois d'un air seulement dubitatif.

– Mais, monsieur Marcel, résumons, n'est-il pas vrai, que dans les premiers temps elle vous recherchait, vous engageait à venir au salon, au lieu de rester dans les bois…

– C'est vrai.

– N'est-il pas vrai qu'après cela, elle a été froide et réservée avec vous, et qu'elle ne vous parlait plus que de loin en loin?..

– C'est encore vrai.

– Et enfin, que maintenant, elle a l'air de ne pouvoir pas vous supporter… elle vous évite autant qu'elle le peut?

– C'est encore vrai, dit Marcel avec un soupir.

– Eh bien! n'est-ce pas clair, – vous lui avez plu, elle vous l'a laissé voir, vous n'avez pas voulu la comprendre, et elle est furieuse… elle qui était si bien disposée pour vous, qu'un jour… mais je me tais… vous diriez… mensonge…

– Non, non… dis, Crâo, dis…

– Non, vous ne me croyez pas…

– Crâo!

– Eh bien donc un jour, madame de Cérigny, en me rappelant la peur que je lui avais faite un soir qu'elle était venue au bal, à l'hôtel, – elle me dit, je l'entends encore; – que veux-tu, mon pauvre Crâo, je suis fâchée de ce premier mouvement, qui t'aura blessé, mais tu sais bien que tu n'es pas beau, que tu n'as pas la taille de monsieur Marcel…

– Elle a dit cela… vrai… vrai… Crâo!

– Et bien d'autres choses, ma foi…

– Tiens, tais-toi… je m'en vais, car tu me rendrais fou, dit Marcel en sortant précipitamment…

– Crâo le regarda d'un air satisfait, et laissa échapper cette seule exclamation: ah, – ah, – mais le son était si guttural, si rauque, si fauve, qu'on eût dit le rire d'une hyène… Puis il ajouta en frottant ses mains maigres et jaunes l'une contre l'autre: j'aime beaucoup le bossu Rigaudin de la Maison en loterie, je veux faire à peu près comme lui, – et mieux, – si je puis.

CHAPITRE VIII.
RÉFLEXIONS

Je te vois bien, toi, avec ton bonnet rouge.

BURKE, la Femme folle.

Marcel fut tout d'un trait jusqu'au plus épais d'un fourré; là il s'assit, pour rêver à tout ce que venait de lui dire Crâo… puis ne pouvant garder la même position, il se leva et se prit à marcher à grands pas, tant son esprit était violemment agité.

Le malheureux repassait dans sa tête les moindres occasions où il s'était trouvé avec Hortense, – et sa mémoire les lui retraçait avec une lucidité merveilleuse. Il se souvenait du moindre mot, du moindre geste, du moindre regard… Aussi, tantôt il s'abandonnait aux élans d'une folle joie, – tantôt accablé, la tête penchée il sentait son cœur se gonfler.

La conduite d'Hortense à son égard avait été pourtant toute naturelle. – Au château de Lussan, habitué qu'on était de traiter Marcel comme un enfant, il était tout-à-fait sans conséquence à cause de son âge et de son caractère. – Comme tous ceux qui ne le connaissaient pas, Hortense s'en était amusée – de loin si l'on peut s'exprimer ainsi, comme une jeune fille s'amuserait avec un loup enchaîné, puis après, l'indifférence avait succédé à la curiosité, et presque le dédain à l'indifférence; – car Hortense, habituée qu'elle était aux manières polies, distinguées, aux recherches de toilette les plus minutieuses des hommes de la société, devait plus que personne éprouver une antipathie pour ce jeune homme rude et grossier.

Une femme moins frivole et moins légère, eût peut-être cédé au désir de lire dans ce cœur si jeune et si neuf, et d'y voir éclore des sensations fortes et naïves; – mais de telles femmes sont rares, et il faut l'avouer, des amants comme Marcel offrent peu d'attraits; enfin Hortense était peut-être la femme qui dût sentir l'éloignement le plus prononcé pour Marcel.

Et pourtant Crâo avait interprété sa conduite avec une malice infernale, en changeant en un sentiment tendre, – l'accès de curiosité que le caractère singulier de Marcel avait un instant fait naître chez Hortense, et en démontrant à ce malheureux que l'indifférence et le dégoût qui avaient suivi, n'étaient autre chose que le dépit qu'éprouvait madame de Cérigny de voir ses avances rejetées.

 

Le premier espoir d'être aimé mettait Marcel hors de lui; sans positivement croire ce que le bossu lui avait dit, il ne pouvait se refuser à l'évidence des faits. – Ce maudit bossu avait encore tiré le meilleur parti possible de la beauté de Marcel, dans le portrait qu'il en avait fait. – L'amour-propre, – l'ignorance du monde, les désirs, le sentiment vague de supériorité qu'il ressentait parfois, finirent sinon par persuader Marcel que madame de Cérigny s'occupait de lui, au moins à ne pas lui faire envisager un tel amour comme chimérique. Avec un caractère comme celui de Marcel, c'était déjà un pas immense… Toutefois toujours défiant, – il se promit d'attendre et de ne pas livrer son secret avant d'avoir de nouvelles preuves.

CHAPITRE IX.
THÉATRE

L'homme est ainsi fait, qu'à force de lui dire qu'il est un sot, il le croit.

Pensées de Pascal, XLVIII.

Le lendemain de la partie de chasse, – les hôtes de Lussan étaient rassemblés dans un charmant pavillon situé au milieu d'un étang immense, et le majestueux rideau de verdure que formaient les arbres du parc, se détachait noir sur le ciel encore doré par les dernières lueurs du soleil, couché depuis quelque temps.

Il faisait une fraîcheur ravissante, les piqueurs de M. de Lussan, exécutaient au fond du bois de mélodieuses fanfares dont l'harmonie lointaine était répétée à l'infini par les échos.

– Que cette fanfare de Guillaume Tell fait ainsi un admirable effet, dit Georges, abandonnant sa glace pour écouter avec plus d'attention.

– C'est à M. de Cérigny que nous devons pourtant cette idée merveilleuse de faire tous les soirs donner de la trompe dans la forêt, dit madame de Lussan.

– Il n'en fait jamais d'autres… répondit Hortense.

Et pourtant reprit Georges, j'ai moi une idée qui vaut au moins toutes celles de M. de Cérigny…

– Voilà de la présomption, monsieur de Verneuil, dit Hortense…

– Voyons, Georges, repartit M. de Cérigny… voyons votre idée… je ne cède pas d'avance mes avantages.

– Eh bien, Madame, dit Georges en s'adressant à madame de Lussan, vous avez ici une charmante salle de spectacle… et il est affreux que personne… pas même Cérigny, n'ait pensé à y jouer la comédie…

– Bravo, bravo, l'idée est parfaite, répéta-t-on en cœur, c'est délicieux; – cela vaut bien mieux que les fanfares de M. de Cérigny. – Quand – jouons-nous? – que jouons-nous? – l'opéra? – le drame? – le vaudeville? – ce sera charmant? – je n'oserai jamais? – et des costumes? —

Telles furent les approbations, les interjections et les questions que suggéra le projet de Georges.

– C'est arrêté, nous jouons la comédie, – dit madame de Lussan. – Crâo copiera les rôles et servira de souffleur, ma femme de compagnie tiendra le piano, le régisseur aura son violon, – le maître d'hôtel sa flûte, et un de nos gens qui donne du cor d'harmonie complétera l'orchestre. – Ce sera délicieux… Approuvé… approuvé… Seulement que jouerons-nous, demanda M. de Mersac, – jouons Hernani? – Oh bien, oui, c'est romantique ça —hoc turpissimum est, s'écria le fils de M. de Mersac, lycéen de 16 ans, qui ne pouvait dire une phrase sans la finir en latin, depuis qu'il était en vacance, – pure contrariété. Le misérable au collége avait ses humanités en horreur.

– Comment vous parlez encore votre vilain latin… Jules, dit en minaudant madame d'Alby, qui avait promis à la mère de Jules de ne rien lui passer d'inconvenant…

– Nous ne serons pas assez, objecta M. d'Alby.

– Mais les voisins de terre qui nous arrivent demain?.. pensez donc, quel renfort… reprit madame de Lussan… seulement Hernani… pour commencer… ce n'est pas aisé.

– Et puis au fait, c'est romantique, dit madame d'Alby qui paraissait partager les opinions littéraires du lycéen.

– Pourquoi pas jouer Faust de Goëthe tout de suite? reprit M. de Mersac…

– Vous croyez rire… dit M. de Cérigny… eh bien j'y pensais…

– Le fait est, reprit madame de Lussan, que ce serait piquant… si nous en essayions?..

– Ce sera bien ennuyeux, dit l'un…

– Aimez-vous mieux Athalie, reprit un autre.

– Je préférerais cela!

– Par exemple…

– Mais quels vers!

– Votre Goëthe est un fou…

– Votre Racine est si froid…

Et cette malencontreuse question littéraire allait encore être débattue, si madame de Lussan n'eût assuré que le frais du soir commençait à gagner. La discussion ne fut pas abandonnée; – on monta en bateau, et on était arrivé dans le salon du château, qu'elle n'était pas résolue; – seulement il fut arrêté qu'on jouerait: – mais quoi?

– D'abord avons-nous ici des pièces de théâtre, dit M. de Cérigny à madame de Lussan.

– Je le crois. Il faudrait demander cela à Crâo qui est chargé de la bibliothèque.

– S'il y en avait, ce serait bien mieux, on éviterait ainsi l'ennui d'écrire à Paris, l'attente de recevoir la réponse; – ce serait au moins huit jours de gagnés; – sans cela, le temps de faire des costumes, d'apprendre les rôles; – bah! – ce serait remis à trop loin.

– Sans doute, répéta tout le monde avec cette impatience de gens heureux, qui, une fois un plaisir convenu, donneraient tout au monde pour en jouir à l'instant même.

– Cela est bien simple, dit Georges, je vais faire demander Crâo à la bibliothèque, et savoir au juste quelles sont nos richesses.

Quand Georges arriva dans la bibliothèque, il y trouva Crâo qui le salua respectueusement.

– Je suis aux ordres de monsieur le comte.

– Dites-moi, Crâo, nous voulons jouer la comédie, avez-vous ici des pièces de théâtre?

– Je ne crois pas, monsieur le comte. – Je vais consulter mon catalogue… Puis, feuilletant un lourd registre… – Monsieur le comte, nous n'avons ici qu'un théâtre étranger, et encore c'est une traduction de Shakespear…

– Voilà tout?

– Voilà tout, monsieur le comte;… Ah! j'oubliais. J'ai, moi, un vaudeville;… c'est ma pièce favorite…

– Quel est-il?..

– La Maison en loterie, monsieur le comte.

– Vous n'y mettez pas d'amour-propre au moins?

– Que voulez-vous, monsieur le comte… Le rôle de Rigaudin m'a toujours séduit.

– Mais, c'est un fort vilain rôle…

– Il est amusant, monsieur le comte.

– A la bonne heure dans l'étude du notaire… mais ici, mon pauvre Crâo, vous auriez bien du mal à brouiller quelqu'un…

– Oh, ce n'est pas comme cela que je l'entends, monsieur le comte, je parle du rôle d'observateur…

– Bon Dieu!.. et qu'observe donc monsieur Crâo, dit Georges, que cette conversation amusait.

– Oh! bien des choses… Une entre autres qui divertirait bien monsieur le comte, s'il la savait.

– Voyons…

– Mais j'ose recommander le secret à monsieur le comte.

– Parlez, Crâo.

– C'est que M. Marcel de Launay est depuis quelque temps sujet à de singulières distractions, et que…

– Qui ça, notre Nemrod, notre ours… Eh bien! que fait-il?.. Il prend un sanglier pour un loup?..

– Il en serait bien capable, monsieur le comte, car les amoureux sont capables de tout.

– Marcel est amoureux!.. Si tu peux me prouver cela, Crâo, tu n'en seras pas fâché… Voilà qui nous divertirait… ce serait à n'y pas tenir… Voyons, voyons; parle, parle donc.

– Je n'ose, monsieur le comte.

– Crâo, je le veux.

– Monsieur le comte se formalisera.

– Du tout… qu'est-ce que ça peut me faire à moi; je le veux, voyons, dis…

– Puisque Monsieur le comte l'exige… je puis lui affirmer que M. Marcel est amoureux de…

– Finiras-tu?

– De madame la marquise de Cérigny.

Ici Georges partit d'un éclat de rire si fou, si bruyant, si prolongé, qu'il stupéfia Crâo; et sans songer davantage aux pièces de théâtre, ce jeune homme courut comme un écervelé rejoindre la société du salon…

– Il rit, – à la bonne heure, dit Crâo… – Puis remettant son registre à sa place, éteignant sa lumière, il alla, dans l'obscurité, coller son oreille à une petite porte de dégagement, qui communiquait au salon d'été où l'on était rassemblé.

– Retenant son souffle, il écouta.

– C'est impossible… disait Hortense en riant aux éclats…

– C'est pourtant comme cela, Madame, reprit Georges.

– Ma chère amie, voilà une conquête qui me donne de l'ombrage, ajouta M. de Cérigny avec un sérieux affecté…

– Mais le pauvre Marcel va devenir très-amusant, dit madame de Lussan, et ce qui serait charmant, c'est qu'Hortense l'encourageât un peu.

– Ah! il est trop laid, il a l'air trop brutal, et puis il me fait une peur affreuse.

– Que vous êtes folle, Hortense! dit madame de Lussan, Marcel est mon parent, un enfant presque, – un jeune homme sans conséquence… Vous profiteriez de cela pour nous l'amener; vous useriez de votre influence pour lui faire faire les choses du monde les plus divertissantes; les soirées commencent à être longues, voyons, Hortense, pas d'égoïsme; mon Dieu, s'il m'avait honoré de son goût, je vous donnerais l'exemple, moi…

– Allons, vous le voulez, cela vous amusera peut-être, j'y consens; mais moi je me sacrifie… dit madame de Cérigny, vaincue par tant d'instances…

Puis, comme Crâo entendit un léger bruit, il se retira vite, et dit en regagnant sa tourelle. – Mais cela prend une excellente tournure… – Nous rirons bien.

CHAPITRE X.
UN PREMIER AMOUR

– Te souviens-tu de ce jour, où tu me disais: – je t'enverrai un anneau comme gage de mon amour? En vain j'ai attendu l'anneau, – je l'attends encore; – peut-être, m'as-tu oublié, et tu penses qu'il n'est plus besoin de gage pour un amour passé?

JEHAN POL, Oubli et Consolation.

Huit jours après cette belle coalition, il eût été impossible de reconnaître Marcel, tant il était changé, – avant il était laid; mais au moins ses manières ne contrastaient pas avec cette laideur, – il y avait même dans son ensemble, je ne sais quoi de rude et d'original, qui ne manquait pas de caractère et d'énergie.

Mais depuis que cédant aux folles exigences de ses amis, Hortense parut faire quelqu'attention à Marcel, et encourager son amour. – Ce malheureux, croyant voir se réaliser les espérances que Crâo lui avait si méchamment données, et écoutant les perfides conseils du bossu, avait changé pour plaire à Hortense, ses habits de chasse qu'il ne quittait jamais, et dans lesquels au moins son allure était libre et franche, pour des vêtements à la mode qui le mettaient au supplice; il s'était fait friser, avait emprisonné son cou dans une énorme cravate empesée; enfin affublé de la sorte, il était impossible de rien voir au monde de plus grotesque, de plus amusant et de plus ridicule.

Aussi, on en riait aux larmes dans le château, Hortense elle-même s'en amusait beaucoup, et commençait à jouir des fruits de son sacrifice, – comme on l'appelait.

Et ceci n'était rien, il fallait entendre et voir Marcel au milieu d'une foule de jeux, de proverbes, qui demandaient autant de légèreté d'esprit, que d'élégance et de souplesse de corps, – il fallait voir Marcel lourd, gauche, embarrassé, s'évertuant pour paraître aimable et ne pouvant dire ni répondre un mot à propos; – mais ravi, mais joyeux, et ne comprenant pas les quolibets, les épigrammes dont on l'accablait à l'envi, parce qu'Hortense le regardait quelquefois; et lui disait en étouffant un éclat de rire: – à la bonne heure, monsieur Marcel, vous êtes aimable maintenant, surtout continuez…

Comment voulez-vous qu'après cela, – Marcel ne se crût pas beau, séduisant par excellence. Georges prenait avec lui les airs de sécheresse, et de morgue, d'un rival évincé. Madame de Lussan lui faisait des compliments sur les bonnes façons qu'il gagnait chaque jour. – Le lycéen lui conjuguait amo sur toutes les formes; – enfin le bossu, lui traduisant avec méchanceté jusqu'au moindre sourire d'Hortense, était le premier à entretenir ce misérable jeune homme dans l'illusion menteuse dont on le berçait.

Pauvre Marcel! comme il était heureux, comme il méprisait maintenant le Marcel d'autrefois, – le Marcel rude et sauvage chasseur, ne connaissant que l'émotion des coups de fusil, et le silence des forêts… – Une seule idée le tourmentait souvent. – Comment allait-il faire pour retourner dans les Pyrénées qu'il aimait tant autrefois? dans ce vieux château auquel étaient attachés tant de souvenirs d'enfance? que ces montagnes, dont il connaissait le moindre sentier, vont maintenant lui paraître tristes et vides! – encore une fois, comment fera-t-il;… – mais cette pensée ne se présentait pas souvent à lui, et d'ailleurs, comme tous les gens heureux d'un bonheur inespéré, il ne songeait qu'au présent, se laissait entraîner à cet amour et fuyait autant qu'il le pouvait, toute réflexion qui pouvait assombrir l'avenir.

 

Pour un observateur, c'était un curieux spectacle que cet homme à sentiments profonds, à formes rudes, à caractère entier, jeté au milieu de cette société insouciante et frivole, à laquelle il servait de risée, car ces gens heureux et superficiels, n'ayant éprouvé de leur vie aucune passion forte, ne pouvaient concevoir leur violence, chez les autres, – ils ne songeaient pas au terrible avenir qu'ils amassaient, en se jouant, sur cet homme énergique, et sur cette jolie femme si légère et si gaie, – ils ne songeaient pas que ce qui était une bouffonnerie pour eux, était la vie de chaque minute, de chaque seconde du malheureux qu'ils trompaient, – car ce malheureux aimait avec tout l'abandon, toute la confiance d'un esprit étroit?

Hortense non plus n'avait pas un instant réfléchi à ce qu'il y avait de cruel dans sa conduite.

L'influence despotique qu'elle exerçait sur cet être jusque-là si sauvage, satisfaisant son amour-propre de femme, elle n'avait pas songé qu'il faudrait que tout cela eût pourtant un terme… – que Marcel était à son premier amour, qu'il aimait d'instinct, que cette passion qu'elle lui avait jetée au cœur, devait être maintenant ineffaçable, et qu'un jour, effrayée peut-être des développements que cet amour prendrait dans une âme aussi ardente et aussi jeune, elle serait forcée de lui dire, – ce n'était qu'un jeu… voyez-vous, Marcel, un jeu de folâtre et joyeuse femme, qui a voulu s'amuser un moment d'un ours apprivoisé. Or, Marcel, vous nous avez amusé; – que la plaisanterie ne devienne pas sérieuse, – restons-en là; – vous avez été très-drôle, Marcel – et ne l'est pas qui veut.

Et Marcel, lui que fera-t-il alors? concevez-vous, ce pauvre jeune homme qui a quitté ses habitudes si chères, ses goûts, sa passion unique à lui, qui au lieu d'étouffer un penchant naissant, s'y est laissé emporter, parce qu'on lui disait, – espère! lui qui s'est habitué à cette douce vie d'amant aimé, – lui qui croit maintenant savoir ce que c'est qu'un regard, qu'un sourire, et combien est brûlant l'air qu'on respire auprès de la femme qu'on aime. – Il lui faudra oublier tout cela, parce que c'était une moquerie, – lui dira-t-on. Une moquerie! – concevez-vous? une moquerie! Non-seulement, on ne l'aimait pas; – mais il servait de jouet… de passe-temps.

Que fera-t-il?.. – un homme d'esprit saurait se taire ou se venger avec une politesse infernale, avec une exquise cruauté, – mais il n'a pas d'esprit, – Marcel, – s'il est furieux, et s'il veut se venger – sa fureur et sa vengeance seront comme lui, – sauvages et brutales?

– En vérité, je ne sais ce que tout ceci deviendra; mais Dieu est grand et l'avenir est voilé: – ainsi que disent les Orientaux et devraient dire les poètes, les romanciers et surtout les lecteurs.