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La coucaratcha. II

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CHAPITRE II

La souffrance! quoi si jeune! – oui la souffrance, – car il sait ce que c'est qu'un

remords

.



Un remords, ce souvenir fatal de chaque minute de votre vie, – qui s'accouple à vos rêves, qui vous éveille en sursaut… qui comme la main fatale du festin de Balthazar, s'écrit partout au sein du luxe et des fêtes, et s'accroupissant au fond le plus intime de votre âme, précipite ou suspend à son gré les battements de votre cœur.



Le remords, enfin, qui n'est pas un vain mot, Albert le sait bien.



Le remords! – Mais encore quel crime a-t-il commis, – ce pauvre enfant, si candide, si croyant aux nobles choses, si aimant et si doux, – si gracieux et si beau, – car la laideur de l'âme naît souvent des conséquences de la laideur du visage.



Encore une fois, quel crime Albert peut-il avoir commis, – lui élevé par une mère si tendre et si éclairée, qui par une incroyable puissance d'amour maternel s'était pour ainsi dire faite de son âge, de son sexe, pour deviner ses goûts, ses penchants et les diriger ou les combattre…



Oh! Albert commit une de ces fautes qu'on se reproche toute la vie, et sur lesquelles on ne peut pas plus étendre le voile épais de l'oubli, que l'on ne peut regagner un jour passé.



Une de ces fautes irréparables dont le souvenir au lieu de s'effacer avec l'âge s'envenime de plus en plus, et finit par devenir incurable.



Une de ces fautes contre lesquelles les lois n'ont pas de cours, parce que le coupable étant à la fois criminel, juge et bourreau, est encore abandonné aux mépris du monde, punition plus sanglante que la hache de l'échafaud.



Mais ne prenez pas ceci pour un paradoxe au moins! écoutez plutôt ce qu'il advint à Albert.



CHAPITRE III

Il y avait bientôt un an de cela.



Une amie de la mère d'Albert étant venue passer l'été au château, avait amené avec elle sa fille, – Emma, – blonde, blanche et rose, avec de grands yeux noirs bien tendres, un pied furtif et une taille d'abeille, vive et folle comme un oiseau, parce qu'elle avait dix-sept ans, mais parfois rêveuse parce qu'elle allait en avoir dix-huit.



Et puis Emma avait été élevée dans un pensionnat à la mode, et puis sa mère qui ne l'aimait pas, allant beaucoup dans le monde, l'avait confiée aux soins d'une gouvernante.



Et puis encore Emma était de ces jeunes filles précoces, qui les yeux humides et voilés, font quelquefois à leurs amies de pension, d'amoureuses confidences à propos d'un rêve… d'un souvenir, et toutes troublées leur demandent, – et toi?



Et puis enfin, Emma avait souvent lu, le soir, la nuit en cachette, de ces livres dangereux qui brûlent et enflamment des sens jeunes, par je ne sais quel parfum de volupté vive et pénétrante. – Pauvre, pauvre Emma, elle était née un siècle trop tard; – avec son caractère, sa naissance et sa figure… elle eut gouverné des royaumes.



On laissa la plus entière liberté aux deux enfants, c'est comme cela qu'on appelait Albert et Emma.



Était-ce imprudence ou calcul, ou connaissance intime du caractère d'Albert? je ne sais; mais ce qui devait arriver, arriva: – ils s'aimèrent.



Albert avec toute la foi, toute la candeur respectueuse de son âme pure; – Emma avec toute la curiosité inquiète d'une imagination vive et ardente.



Cette pauvre enfant, dévorée du désir de savoir, aurait en vérité fait une

Ève

 bien commode, car elle eût commencé, je crois, par lutiner le Tentateur, – à en juger du moins par les agaceries enfantines qu'elle se permettait envers Albert, qui n'était pas un serpent.



Non, Albert n'était pas un serpent, car Albert élevé par une tendre mère dans des principes rigides, n'avait pas quitté le château depuis son enfance.



Albert pleurait en lisant

Plutarque

, – croyait à la vertu, – rougissait quand on lui demandait devant une femme, fût-ce sa mère, si une fois marié il désirerait des filles ou des garçons, – et s'étonnait parfois que les hommes fussent injustement privés, lors de leur union, du symbolique bouquet de fleurs d'oranger!..



On conçoit qu'avec cette pensée chaste et vierge, Albert ne comprenait pas d'autre bonheur que celui de regarder Emma, – d'entendre sa voix, – de marcher dans son ombre, – d'aimer la fleur qu'elle aimait, – et tout cela en silence de peur

d'offenser

 Emma, tout cela en se maudissant, car ces deux mots toujours si distincts,

amour

 et

mariage

 n'en faisaient qu'un, selon l'admirable croyance de ce précieux jeune homme.



Or sa mère l'ayant prévenu qu'il ne se marierait qu'à vingt-cinq ans révolus, Albert se trouvait le plus grand misérable du monde d'oser aimer avant

l'heure

, et c'était un crime qu'il se fût bien gardé d'avouer à Emma, car il en rougissait trop lui-même.



Et qu'on ne vienne pas m'objecter que ce caractère si primitif, que cette organisation si candide soient exagérés!



Il est permis, je crois, au poète d'essayer de créer le type du beau, du parfait. – Il me semble louable d'imiter (hélas de bien loin), d'imiter Praxitèle, et de faire pour le moral ce que ce grand statuaire faisait pour le physique. —



De chercher avec acharnement dans notre égout social, çà et là, une vertu de l'âge d'or, une conscience limpide, un cœur tout débordant de belles croyances et de composer de tant de rares perfections un être à part, – un homme d'une pureté d'ange, – une manière d'Appollon moral, puis de le poser comme exemple, comme point de comparaison à tous les hommes corrompus ou égarés.



CHAPITRE IV

Si Albert n'eût pas été si beau, si doux, si aimable, malgré ses scrupules, – certainement Emma eût cessé d'effaroucher sa candeur de jeune homme par ses œillades agaçantes… – Mais Albert avait toutes ces qualités… et puis il aimait tant sa mère… il était si pieux… il savait si bien le grec… le latin… et puis…



Et puis il était seul.



Aussi Emma jura dans sa jolie petite tête qu'Albert serait forcé de lui avouer l'amour qu'il ressentait pour elle; – car quelle jeune fille, – quelle femme a jamais eu le courage de ne pas s'apercevoir qu'elle était adorée.



Un soir donc, après avoir chanté une délicieuse romance qu'Albert avait accompagnée, – Emma se trouvait seule avec lui dans le salon, le soleil était couché depuis longtemps, et l'obscurité commençait à envahir cette pièce.



Albert était resté au piano, – écoutant encore la voix ravissante d'Emma, quoiqu'elle ne chantât plus, et se laissant aller à une tendre et profonde rêverie.



Les femmes comme Emma aiment bien que leur amant rêve, – mais quand elles ne sont pas là. – Au bal, – dans le monde, – au milieu d'un cercle de jolies personnes coquettes et légères, – oh qu'il rêve alors… rien de mieux… mais en tête-à-tête – c'est à n'y pas tenir. – Aussi le pur Albert fut-il arraché à sa méditation par la pression d'une petite main qui s'appuya sur son épaule et par le son d'une jolie voix qui lui dit:



– A quoi pensez-vous donc… Albert?



Par une de ces anomalies psychologiques, par une de ces contradictions du cœur, par un de ces bizarres caprices de l'âme que l'homme n'expliquera jamais, Albert jusque là si timide répondit, sans doute emporté par une exaltation passionnée.



« – Je pense à vous, Emma!!!



« – Vrai… oh! si vous saviez quel plaisir vous me faites en me disant cela… Albert, répondit-elle d'une voix émue…»



Et je ne sais non plus comment la main de la jeune fille descendit de l'épaule, pour s'arrêter sur la main d'Albert, qui frissonnant de tout son corps sentant l'impression électrique de cette peau douce et fraîche, s'écria…



« – Pardonnez-moi, Emma… je sais que je suis bien coupable…»



– Le fat, – pensait Emma en disant pourtant: « – je vous pardonne… Albert… mais répétez que vous pensez souvent à moi…»



– Et, comme elle avait, par pudeur, dit ces mots à voix basse, sa figure était tout proche de celle d'Albert, quand il s'écria de nouveau… – «J'y pense toujours à vous, Emma, malheureusement et malgré moi… toujours!..



Je ne sais encore par quel nouveau hasard la bouche d'Emma se trouvait si près de la bouche d'Albert, quand il prononça ces derniers mots; – mais ce fut entre deux baisers qu'elle demanda: « – Albert, vous m'aimez donc… et qu'il répondit: « – Emma, pour la vie…»



Après quoi se levant brusquement, égaré, pâle, tremblant comme s'il venait de commettre un crime, – il se précipita hors du salon, – y laissant Emma radieuse, rose, animée, qui après un long soupir… murmura ce mot avec un accent de reconnaissance et d'espoir ineffable.



– Enfin!!!



CHAPITRE V

Une fois seul dans sa chambre Albert se prit à penser à tout ce que sa conduite avait d'infâme, de déloyal, de lâche; il se reprocha vingt fois d'avoir

séduit

 une jeune fille qu'il ne pouvait pas épouser de si long-temps, d'avoir abusé du droit sacré de l'hospitalité – pour faire sa déclaration bien avant le temps marqué pour que son notaire fît la sienne au notaire de sa future, – de s'être exposé enfin au mépris d'Emma; – car, combien Emma ne devait-elle pas mépriser un homme assez peu maître de ses passions pour oser insulter une innocente jeune fille par l'aveu d'un amour déshonnête…



Aussi, Albert ayant passé la nuit la plus affreuse, se décida à prendre un parti violent qu'il exécuta le lendemain.



Au point du jour il partit, après avoir demandé à sa mère la permission d'aller visiter un de ses grands oncles qui demeurait à la ville voisine, – promettant de revenir le soir même…



Le matin, Emma ignorant ce cruel départ, – Emma qui s'était endormie bercée par un doux rêve, – Emma se leva, plus heureuse, plus souriante que jamais, – tant elle comptait sur l'influence de ce baiser qu'elle avait presque ravi au chaste Albert.



Oh! qu'il y avait de joie puissante et intime épanouie dans l'âme de cette jeune fille qui aimait et qui se savait aimée; – comme elle grandissait à ses yeux, – comme elle méprisait ses compagnes qui n'en étaient peut-être encore qu'à l'amour filial, – comme elle répétait avec fierté ces jolis mots: – mon amant! – comme elle était plus belle.

 



Oui plus belle… Si vous l'aviez vue Emma, – comme elle embellissait sa toilette, – comme ses cheveux semblaient plus luisants, ses yeux plus vifs, sa taille plus souple, ses pas plus légers.



Si vous l'aviez vue, qu'elle était belle lorsqu'effleurant le gazon tout trempé d'une rosée odorante, elle marchait sans autre but que de marcher, de jouir du soleil, des fleurs, du Ciel, des arbres, que de respirer l'air du matin, que d'entendre les oiseaux bruire sous le feuillage – que de se sentir vivre, en un mot, tant la sève de cette jeune et ardente organisation était animée par cette pensée: – j'ai un amant.



Si vous l'aviez entendue fredonnant, je ne sais quel air improvisé sans doute, tant il était bizarrement coupé, là par des roulades brillantes… ici par des accents de voluptueuse langueur.



Si vous l'aviez entendue, elle ne disait pas de paroles sur cet air singulier, et pourtant sa voix fraîche et sonore vibrait si éclatante que ces sons confus et sans suite paraissaient renfermer un sens… On eût dit un chant d'amour tout étincelant d'espoir, d'ardeur et de jeunesse.



Mais n'allez par maudire Emma. – Pauvre enfant, avait-elle jamais eu le cœur d'une mère pour cacher sa rougeur, ou répandre ces larmes amères que toute jeune fille pleure à quinze ans en demandant: pourquoi pleurai-je?..



Non, sa mère ne l'aimait pas, c'étaient des âmes de valets qui avaient reçu les chastes confidences de ses premières émotions; – c'étaient des mains mercenaires qui lui avaient donné les livres corrupteurs dont le poison la brûlait, cette pauvre Emma…



Ne la maudissez pas, c'était par chagrin qu'elle cherchait quelqu'un à aimer. Seulement, des principes froids et sévères n'avaient pu engourdir et glacer les sens neufs et irritables qu'elle avait reçus de la nature.



C'était au milieu de nos mœurs mystérieusement corrompues, une folle jeune fille qui agissait tout haut, au lieu d'agir tout bas comme les autres… Une adorable fille d'Otahity livrée à tout l'instinct de ses désirs, et ne connaissant pas de raisonnements capables d'empêcher son cœur de battre – quand il battait, – ni sa pensée – d'errer – quand elle errait.



C'était une de ces femmes nées pour régner au sérail, et se baigner sous les sycomores de Stamboul, amoureuse, impressionnable, colère, nerveuse, aimant la musique, mais faible et éloignée, aimant encore la molle paresse du Divan, la rêverie dans l'ombre;… fuyant le grand jour, et s'énivrant avec délices des parfums les plus forts;… mangeant à peine, aimant le bal à la fureur… et bonne et secourable aux malheureux.



Encore une fois, ne maudissez pas Emma. – Telle que vous la savez… n'est-elle pas assez à plaindre d'aimer Albert.



CHAPITRE VI

Aussi, qui pourrait exprimer ce que ressentit Emma lorsque le matin, elle, si heureuse, – elle apprit le départ d'Albert!



Elle bouda, pleura et maudit cette journée qu'elle s'était promise si belle.



Enfin, le soir, Albert revint, mais non pas seul, car le grand-oncle l'accompagnait. En vain Emma se plaça sur son passage, en vain Emma chercha son regard… elle n'obtint rien de lui qu'un froid salut, – qu'une marque de politesse glaciale…



Seulement, après une longue conférence qui dura près de deux heures, – et qui se passa entre Albert, sa mère et le grand-oncle; le digne jeune homme, le Bayard, le Scipion, s'approcha furtivement d'Emma qui, toute rêveuse, assise devant la fenêtre du salon, sa tête appuyée sur sa main, regardait les étoiles briller. – Le Bayard donc s'approcha d'Emma sans rien dire, lui glissa, ma foi, un billet sur les genoux, et s'échappa…



Son mouvement surprit Emma qui, baissant la tête, vit le bienheureux billet un peu grand il est vrai, – ployé à peu près comme une lettre de

faire part

;… mais pour Emma qu'importait la forme, je vous le demande… la jeune fille plia, replia, surplia vingt fois cette énorme missive qui, écrite sur un papier épais s'ouvrait toujours, rebelle aux plissements que tâchaient de lui imprimer les doigts effilés d'Emma… Enfin elle parvint à grand'peine à glisser cette lettre colossale dans son sein palpitant.



Misérable Albert… au lieu d'écrire sur un tout petit papier mince, soyeux, parfumé… d'écrire d'une écriture si fine, si fine, qu'Emma eût été forcée de baiser sa lettre en la lisant.



Misérable Albert, il écrit en jambages qu'un vieillard déchiffrerait à vingt pas sans lunettes… il écrit sur un papier rude qui va peut-être écorcher par son grossier contact cette jolie gorge si rose et si blanche, ce frais et mystérieux asile où une femme dépose son secret le plus cher, – où elle enferme la pensée d'un amant, comme pour dire, – repose là, – pensée chérie, – billet adoré, – les battements précipités de mon cœur te diront si je pense à toi, pour toi et par toi…



Misérable, encore trois fois misérable Albert!



Mais après tout, il me semble que j'ai tort d'invectiver Albert… est-il donc moins vertueux, – moins sage, moins délicat, moins homme de mœurs, – moins chaste, – moins vierge, – moins à genoux devant l'honneur des dames, – parce qu'il écrit en grosses lettres sur du gros papier.



Sa grande lettre aurait-elle fait plus de plaisir à Emma si elle eût été moins vaste, – non sans doute, à en juger par l'impatience qui agita la jeune fille jusqu'au moment où seule, retirée dans sa chambre, elle put ouvrir le délicieux billet.



Mais que pouvait contenir le billet?



CHAPITRE VII

Quand Emma eut renvoyé ses femmes tout étonnées qu'elle voulût se coiffer et se délacer elle-même… la jeune fille tira peu à peu de son corset la lettre d'Albert et se mit à la déplier.



Puis soit qu'elle pensât qu'un tel travail serait bien long, soit qu'elle voulût mieux savourer le plaisir en le retardant… elle posa le gros vilain papier sous les dentelles de son oreiller et se déshabilla lentement.



Il y eut un instant où ses joues devinrent pourpres, ce fut au moment où debout devant sa glace, demi nue, elle élevait au-dessus de sa tête ses beaux bras blancs et arrondis, pour soutenir son épaisse et longue chevelure blonde.



Ainsi placée, éclairée à demi par la lueur des bougies placées derrière elle, qui trahissaient par un reflet doré les délicieux contours de ce corps charmant à travers les plis diaphanes de la batiste… Ainsi placée, Emma ne pouvant s'empêcher de se trouver belle, adorable, ne put pas non plus s'empêcher de rougir de plaisir et d'orgueil, ou peut-être même de modestie.



Et puis aussi il lui sembla qu'elle en aimait deux fois plus Albert; car il y a quelquefois dans le cœur des femmes de ces moments d'abnégation entière; – ils sont rares – où elles aiment leur amant en raison du bonheur et de l'ivresse dont elles peuvent le combler.



Emma se coucha donc, prit une bougie près d'elle et après avoir vingt fois approché ses jolies lèvres du rude papier, elle le déplia lentement, soupirant à de longs intervalles… souriant… s'arrêtant pour réfléchir une seconde et après continuer son travail avec ce soin minutieux, cette attention dévorante que met l'antiquaire à dérouler un précieux papyrus Syrien…



Enfin la lettre se déploya tout entière, et Emma lut bien facilement ce qui suit.



CHAPITRE VIII

MADEMOISELLE,



«Je ne me serais jamais permis de vous écrire, si le motif qui me décide n'était licite et honorable, – pour vous donner toute confiance, pour vous engager à lire cette lettre en entier, Mademoiselle, je me hâte de vous dire que ma mère, que mon grand-oncle l'ont approuvée…



Emma s'arrêta, et eut bien envie de ne pas continuer; mais le dépit, – mais la curiosité, – la colère l'emportant, elle lut encore.



«J'ai été sur le point d'être bien coupable, Mademoiselle, mais heureusement que les principes solides que ma mère m'a donnés – m'ont arrêté à temps. – J'ai senti que j'allais vous aimer, que je vous aimais… j'ai même poussé l'audace jusqu'à vous l'avouer… avant de vous dire que mes vues étaient légitimes… avant de vous avouer que d'après les ordres de ma mère, je ne pouvais penser à me marier qu'à l'âge de vingt-cinq ans… – mais pardonnez ces détails à un malheureux égaré un instant et qui fuit loin de vous.



«Oui, Mademoiselle, – je pars, – je vais tâcher de vous oublier, – l'honneur et la vertu le commandent et je réussirai, j'en suis sûr; – plus tard je vous reverrai peut-être, assez fort pour ne rien craindre, – assez heureux pour vous rappeler le moment qui a failli nous être si fatal, et qui n'a au contraire servi qu'à faire sortir notre vertu plus pure et plus brillante de cette dangereuse épreuve.



«Adieu, Mademoiselle, j'emporte avec moi la conscience d'un noble sacrifice, d'une action honorable, – cette conviction consolante adoucira, je n'en doute pas, les regrets que j'éprouverai d'être éloigné de vous, et ma raison, et ma vertu les calmeront tout-à-fait.



«Agréez, Mademoiselle, l'assurance des sentiments respectueux avec lesquels j'ai l'honneur d'être,



«ALBERT DE NÉRIS.»

La pauvre Emma lut cette lettre, – en entier, – sans passer un mot, – une virgule, – avec l'attention désespérante qu'on met à lire une chose curieuse, – inusitée, singulière, originale.



Puis pâlissant de colère, elle froissa le papier dans ses petites mains, le jeta loin d'elle disant en pleurant: – Mon Dieu! comment se fait-il que j'aie aimé un pareil imbécile… que je l'aie aimé sans arrière-pensée, que je l'aime peut-être encore… Mon Dieu! comme je suis malheureuse…



Le lendemain matin Albert partit sans voir Emma, pour se rendre chez son oncle, – au grand contentement de madame de Néris qui avait d'autres vues sur Albert, et qui trouvait d'ailleurs Emma beaucoup trop coquette pour ce fils chéri.



CHAPITRE IX

L'été, l'automne, l'hiver se passèrent.



Albert ne revint chez sa mère que huit mois après son départ. – Emma, comme on le pense bien, n'était plus au château, elle l'avait quitté avec sa mère trois mois après la vertueuse fuite du Scipion – à la fin de l'automne.



Comme toute première passion, – l'amour d'abord s'était fortement enraciné dans le cœur d'Albert, – et pendant les deux premiers mois de sa séparation avec Emma, il se trouva si malheureux, – que pour le distraire, le bon oncle le mena à Paris.



Albert n'ayant pas encore fait son

académie

, comme disait son vieux gentilhomme d'oncle, selon l'antique usage de nos pères. – Il l'envoya au manége, à la salle d'armes, au tir.



Là et dans quelques salons, Albert vit le monde, se forma, s'éclaira, se grisa même parfois, et enfin, poussé par je ne sais quel Méphistophélitique ami, il séduisit, – mais tout-à-fait et bien positivement, – il séduisit la maîtresse de son bon vieil oncle, qui s'était occupé d'une fort jolie figurante de l'Opéra. —

Coin du roi

– comme disait encore le vieux gentilhomme.



Entre nous, c'est le dépit du bon oncle qui causa, je crois, le retour un peu subit d'Albert, qui quitta Paris avec le regret que vous pouvez concevoir.



Quand sa bonne et sa tendre mère le revit, – elle le trouva changé, et commença par gémir comme mère; – mais comme femme elle ne put s'empêcher de dire: – il est bien mieux maintenant.



En effet Albert avait perdu cet heureux et mol embonpoint de l'adolescence élevée sous l'aile maternelle, – ces fraîches et vigoureuses couleurs qui dénotent une santé généreuse, une âme engourdie par une existence régulière et monotone.



Albert n'avait plus tout cela, – il était pâle maintenant, sa tournure était amincie, partant plus svelte, plus élégante, – ses joues un peu amaigries n'avaient plus cette rondeur couleur de rose qui le faisait ressembler à un chérubin, ses yeux avaient plus d'éclat, son sourire plus de malice.



Et puis il avait ramené deux beaux et vigoureux chevaux anglais, – pour remplacer le bon vieux poney pacifique sur lequel il s'aventurait parfois, – tremblant de tous ses membres…



Et maintenant il faisait frémir sa pauvre mère à chaque saut, à chaque bond qu'il exigeait audacieusement de sa monture, et dont il profitait avec une grâce parfaite. – Enfin Albert était parti candide comme… la comparaison est difficile… candide comme… une jeune fille… oh! non, – j'y suis, – candide comme un vieux savant, et il revenait hardi et expérimenté comme un page de cour.



J'oserais même certifier au besoin que le changement était si grand chez Albert, que passan