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L'Anticléricalisme

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Et si l'on nous dit qu'Orgon a cependant quelques belles qualités, que ce dévot a été et est resté un bon citoyen et que, sauf son engouement, il est encore sur le pied d'homme sage; si l'on attire notre attention sur cette dualité du caractère et du rôle d'Orgon; nous répondrons, comme il est facile de le prévoir et comme sans doute on s'y attend, que c'est précisément là qu'on saisit le fond de la pensée de Molière et son dessein très net et très précis.

Qu'aurait-il prouvé s'il avait fait d'Orgon un simple imbécile? Que les imbéciles sont facilement et volontiers dévots. C'était quelque chose, et, du reste, Tartuffe ne laisse pas de diriger vers cette conclusion (rôle de Mme Pernelle). Mais il a voulu prouver bien plus. Il a voulu prouver que d'hommes intelligents, sages, droits et généreux la monomanie religieuse fait des imbéciles, des dupes, des niais, des benêts et des figures à nasardes.

Ne voyez-vous pas qu'il s'adresse à ces bourgeois du parterre ou des loges et qu'il leur dit: «Remarquez qu'Orgon, c'est vous, hommes de mérite, hommes de valeur, hommes de grand poids, et observez ce que devient un homme tel par monomanie religieuse. Et nunc intelligite et erudimini.» Voilà ce que dit Molière aux bourgeois de Paris. Voilà sa leçon.

Il est clair qu'il ne leur conseille pas de ne point être des Tartuffes; c'est fort inutile; il leur conseille de n'être pas des Orgons. Et le vrai moyen c'est de commencer par n'avoir aucun commerce avec l'Église. Tartuffe est une pièce contre Orgon et non contre Tartuffe, puisque c'est Orgon qui est ridicule, tandis que Tartuffe n'est qu'odieux.

Nous dira-t-on qu'ils sont ridicules tous les deux et que, par conséquent, la pièce peut passer pour être à la fois contre Orgon et contre Tartuffe? D'abord Tartuffe est surtout odieux; ensuite, si Tartuffe est ridicule, c'est d'abord de par ce souci qu'a toujours eu Molière, et dont il faut le louer, de ne jamais quitter le ton de la comédie, qu'il eût quitté s'il avait fait de Tartuffe un simple coquin habile; c'est ensuite, peut-être bien, pour montrer à quel point la monomanie religieuse, l'imbécillité religieuse a de la puissance sur les hommes et est dangereuse, puisque la contagion en peut venir à un homme comme Orgon par le canal d'un homme comme Tartuffe.

Est-ce que Molière ne semble pas dire encore: «Et non seulement un homme de forte tête peut être assoté par le commerce avec les hommes d'Église; mais il ne faut pas un Bossuet ou un Bourdaloue pour l'abêtir. Fréquentez les hommes d'église. Vous les trouverez sots, grossiers, gourmands, vulgaires, plats, gueux, et ne vous en défierez point. Prenez garde! Ils ont en eux une telle puissance, malgré tout, à cause de ce au nom de quoi ils parlent et par ce qu'ils vous disent, relativement à certaine «méchante affaire», que, si vous avez la foi, ce qui est leur prise sur vous, vous serez bientôt entre leurs mains comme de tout petits garçons qu'on fouette.»

N'est-ce pas là ce que dit le Tartuffe aux bourgeois de Paris qui l'écoutent? Et n'est-ce point une invitation suffisante, par la mise en jeu de l'amour-propre, à l'irréligion et l'incrédulité? Par tous ses aspects, par toutes ses tendances, par tout ce qu'il donne à entendre, sans qu'on sollicite les textes, le Tartuffe est la pièce antireligieuse, tout au moins la pièce anticléricale par excellence.

Le réquisitoire est fort, je ne puis le nier. J'ai cherché moi-même à le réfuter, au moins partiellement. J'ai dit, avec raison, je crois: oui, c'est surtout d'Orgon que Molière se moque dans le Tartuffe; mais cela tient à ce que l'office de l'auteur comique est de se moquer, non des coquins, mais des honnêtes gens.

Sans aucun doute. On ne se moque pas des coquins; on les dénonce et on les flétrit, et si la comédie se mêlait de poursuivre les coquins, elle deviendrait autre chose que ce qu'elle est. Elle deviendrait la satire ou l'éloquence judiciaire. Et c'est bien pour cela, précisément, que telles tirades du Tartuffe, celles qui sont contre Tartuffe, ont le caractère de la satire ou de l'éloquence de ministère public ou de tribun.

Mais la comédie en elle-même, à ne pas sortir de son domaine, de sa définition et de son office, la comédie en elle-même se moque des travers des honnêtes gens pour les corriger. Elle se moque de la parcimonie, de la vanité du bourgeois gentilhomme, de la manie du bel esprit, des chimères et folles terreurs du malade imaginaire. Voilà son domaine véritable.

Remarquez l'axiome antique: Castigat ridendo… vitia? point du tout: mores. Elle corrige non les vices, incorrigibles; mais les mœurs moyennes en ce qu'elles ont de mauvais; c'est-à-dire qu'elle corrige, non les vices, mais les travers.

Et surtout (du reste encore pour corriger ces mêmes travers), elle avertit les honnêtes gens des périls où ces travers les engagent, des ennemis, par exemple, qui se rendront maîtres des honnêtes gens en exploitant habilement leurs défauts. Voilà le point. Elle se moque de Philaminte, surtout pour l'avertir que sa manie du bel esprit peut la mettre aux mains d'un écornifleur qui flattera cette manie; de Jourdain, surtout pour lui montrer que ses prétentions au bel air le livreront pieds et poings liés aux professeurs de belles manières et de beaux-arts et aux chevaliers d'industrie et aux comtesses de contrebande; de Dandin surtout pour lui montrer que d'épouser une fille de famille où le ventre anoblit fait du paysan gentilhomme ce qu'il n'est pas besoin de dire; d'Arnolphe, surtout pour lui montrer que de vouloir à quarante ans épouser une fille de seize met un homme en fâcheuse posture; d'Harpagon, même, pour lui montrer qu'il se trouvera tel intendant flattant sa manie avaricieuse et poursuivant sa pointe et ses secrets desseins dans la maison, sous ce couvert.

Non, ce n'est point les vices que la comédie poursuit, c'est les défauts, et elle met surtout en lumière ceci que par leurs défauts les honnêtes gens ou demi-honnêtes gens sont à la merci et tombent sous la prise des criminels ou des intrigants. Et ce qu'elle fait partout, elle l'a fait dans le Tartuffe et elle n'a pas fait autre chose.

Voilà une défense de Molière que naturellement je n'ai aucune raison de trouver mauvaise; mais encore on pourra toujours dire: «Sans doute; mais pourquoi Molière a-t-il choisi, avec quelque prédilection, on l'avouera, ce genre de travers qui est la monomanie religieuse; beaucoup moins grave (ne l'avouera-t-on point?) que ceux qu'il a attaqués d'ordinaire; plus respectable aussi; et pourquoi a-t-il rendu un homme qui se trompe sur le choix d'un directeur, car il n y a que cela, aussi ridicule et de temps en temps aussi odieux et plus odieux que l'avare, le bourgeois gentilhomme et autres? Et pourquoi l'a-t-il fait tomber dans des malheurs ou l'a-t-il amené au seuil de malheurs plus grands que ceux où tombent ou que ceux dont approchent tous les autres?»

«Il y a bien dans le Tartuffe un Molière plus irrité et plus cruel qu'ailleurs, et n'est-ce point qu'il se sent en face, soit du crime qu'il déteste le plus, voilà pour Tartuffe; soit du défaut, du travers ou de la stupidité qu'il a le plus en horreur, voilà pour Orgon; et peu importe qui soit celui des deux à qui particulièrement il en veut, pour ce qui est de la chose qu'il attaque et qu'il bafoue.»

Et surtout on pourra toujours dire: «Laissons de côté Molière lui-même et ses intentions et desseins et pensées de derrière la tête et les haines que l'on peut supposer qu'il ait eues. L'effet produit n'a pu être qu'un mouvement de pitié pour les hommes qui ont commerce avec les gens d'Église et un mouvement d'horreur contre les hypocrites de religion; et la conclusion de gros bon sens, la conclusion un peu vulgaire, mais très naturelle, la conclusion bourgeoise de ce public bourgeois, n'a pu être que celle-ci: «Tout compte fait, il y a beaucoup d'hypocrites, d'imposteurs et d'écornifleurs dans le monde religieux, et ceux qui s'entêtent de religion sont des bêtes, ou, ce qui est pire, le deviennent. Le plus sûr est donc de n'avoir point commerce avec les gens d'Église et de n'avoir qu'une religion très tempérée, un minimum de religion, la religion de Valère qui «ne hante point les églises». – Voilà très certainement la conclusion que tirera du Tartuffe le public de Molière; car enfin si la conclusion des Femmes savantes est bien clairement: «Fermez votre porte aux gens de lettres», il faut bien que celle du Tartuffe soit: «Ne l'ouvrez pas aux gens d'Église.»

Et certainement, pour ce qui est de l'effet produit, ce qui précède est peu contestable.

On peut donc dire que la vogue prodigieuse de Molière doit être comptée dès le XVIIe siècle comme influence anticléricale.

Donc l'anticléricalisme au XVIIe siècle a existé, surtout dans le premier tiers de ce siècle et dans le troisième. Mais il a été extrêmement faible. La masse de la nation, l'immense majorité de la nation n'en a pas été touchée. Cela se voit à la grande popularité des livres religieux, à la grande popularité des prédicateurs, aussi à la religion très fervente des esprits les plus disposés par leurs inclinations naturelles à l'indépendance, à l'irrévérence et au sarcasme.

La Bruyère est très bon chrétien; il fait un chapitre contre les esprits forts. Voyez-vous La Bruyère naissant trente ans plus tard; est-ce que vous le vous figurez très chrétien? Est-ce que vous le vous figurez autre que libre penseur ou tout au moins très détaché, à la manière des Lettres persanes? Que La Bruyère soit très chrétien, c'est une preuve que tout le monde l'était alors et jusqu'aux esprits naturellement satiriques et impertinents.

Songez encore que toute la bourgeoisie et tout le peuple, sauf les protestants, ont applaudi, tous jusqu'à un innocent païen comme La Fontaine, à l'exécrable révocation de l'Édit de Nantes. Il n'y a pas de signe plus frappant que celui-ci. La France de 1685 est profondément religieuse et profondément catholique. On n'a pas besoin de me prier pour me faire dire qu'elle l'est beaucoup trop.

 

Que ceci soit donc retenu. L'anticléricalisme existe au XVIIe siècle. Il est très faible. On peut aller jusqu'à dire qu'il est imperceptible, parce qu'il est encore latent.

Seulement aucun siècle plus que le XVIIe siècle n'a préparé merveilleusement et comme couvé l'anticléricalisme. Voici pourquoi et voici comment.

Au XVIIe siècle, tout au moins à partir de Louis XIV, le protestantisme est définitivement vaincu. Il n'est plus un péril; il n'est plus même une opposition gênante; il est absolument inoffensif. C'est le moment, bien entendu, que l'on prend et que l'on saisit pour le combattre avec sauvagerie et férocité. C'est d'ordre commun, particulièrement en France. Avoir vaincu cela ne donne que l'envie d'écraser. Plus on est sûrement maître, plus on veut être tyran. Car, je vous le demande, à quoi servirait-il d'être maître?

De même de nos jours, le catholicisme n'ayant plus ni ongles ni dents, que reste-t-il? A le tuer. Et c'est ce qu'on fait avec allégresse.

Donc, au XVIIe siècle, le protestantisme étant vaincu, on le combattit, et l'on fit le ferme propos de l'exterminer.

On y parvint à très peu près, dans toute la mesure du possible. La France en fut affaiblie; mais pour un parti il ne s'agit jamais de la France; et Louis XIV, en cette affaire, chose honteuse pour un roi, ne fut pas autre chose qu'un chef de parti. Il eut tout juste la largeur d'esprit et la portée d'intelligence d'un Combes. Il est honorable pour M. Combes de ressembler à Louis XIV; il est moins honorable pour Louis XIV de ressembler à M. Combes.

Donc on persécuta avec acharnement le protestantisme désarmé et inoffensif.

On persécuta plus inoffensif et plus désarmé encore, puisqu'on persécuta des gens qui, non seulement n'avaient plus d'armes, mais qui n'en avaient jamais eu. On traqua et l'on chassa à courre le janséniste, on sait avec quelle vigueur et avec quelle persévérance. C'est ici que se voit bien, peut-être, la pensée maîtresse du gouvernement de cette époque. Que l'on combatte à mort un parti qui a été puissant, cela se comprend encore. Ce peut être une illusion. Il se peut qu'on le croie encore vivant. Mais que l'on combatte une opinion qui comme parti n'a jamais existé, cela montre bien que c'est l'opinion que l'on combat, la manière de voir et rien de plus, et que l'on a pour principe que personne dans tout le pays n'a le droit de penser autrement que vous, et que tout homme dans le pays a le devoir strict de penser exactement comme vous pensez.

Je m'étonne que Louis XIV ait pu dire que Boileau s'entendait en vers mieux que lui. Au fond, je n'en crois pas un mot. Ou, s'il est vrai, on voit assez à quel point cela a stupéfié les contemporains, puisqu'ils ont rapporté cela comme un trait de libéralisme absolument extraordinaire.

En tout cas Louis XIV n'admettait pas que quelqu'un s'entendît en théologie mieux que lui, ni que quelqu'un s'y entendît d'une autre façon que la sienne.

Il est possible et même probable qu'il y eût autre chose encore dans la pensée ou dans l'arrière-pensée du gouvernement d'alors. Pour le gouvernement de Louis XIV, les protestants étaient des républicains et les jansénistes étaient des demi-protestants, et la guerre aux protestants et aux jansénistes c'était le royalisme qui se défendait, et les persécutions contre les protestants et contre les jansénistes c'était une expédition de Hollande à l'intérieur.

Tout n'était pas faux dans cette arrière-pensée du gouvernement; mais ceci est caractéristique d'une autre manie, très analogue du reste à la précédente, des gouvernements despotiques. Ils ont la manie de se chercher des ennemis et de tellement les chercher qu'ils en créent pour en trouver. Les gouvernements despotiques sont des femmes jalouses. Celles-ci veulent absolument que leurs maris les trompent; je veux dire qu'elles en ont tant peur qu'elles se figurent toujours que la chose est, et qu'elles semblent vouloir qu'elle soit, et qu'à force de la redouter il semble qu'elles la désirent.

Le gouvernement despotique veut avoir des ennemis; et il les suppose pour en avoir; et il en arrive ainsi, par procès de tendances à très longue trajectoire, à considérer comme républicains des gens qui le sont en puissance, c'est-à-dire qui pourraient l'être; et des gens aussi qui ne le sont point du tout, mais qui ressemblent un peu, à d'autres égards, à ceux qui pourraient le devenir. Le procès de tendances consiste à poursuivre des personnes, pour opinions, d'abord, et ensuite pour des opinions qu'elles n'ont pas, mais qu'il ne serait pas impossible qu'elles eussent si elles en avaient d'autres que celles qu'elles ont.

Tel est l'état d'esprit des gouvernements despotiques. Et c'est-à-dire, comme l'a démontré Platon dans une jolie page, que ce ne sont pas des gouvernements, mais des «factions». Ce sont des partis qui ont besoin d'avoir des ennemis; ce qui est précisément le propre des partis; et qui sentent continuellement ce besoin comme une condition et comme une nécessité de leur existence; et qui ont besoin d'opprimer quelqu'un pour se prouver à eux-mêmes qu'ils existent et qui, par conséquent, inventent des ennemis pour pouvoir se battre et des oppressibles pour pouvoir être oppresseurs.

Ce ne sont donc pas des gouvernements, puisqu'ils ne gouvernent pas à proprement parler, mais mènent les citoyens à la bataille les uns contre les autres; ce sont des factions au pouvoir. Louis XIV, pendant toute une partie de son règne, a été un factieux.

Quoi qu'il en soit, tel a été le XVIIe siècle au point de vue religieux. Il a été persécuteur de gens désarmés et conculcateur de gens à terre. Or un tel siècle prépare mieux à l'irréligion qu'un siècle de guerres civiles proprement dites.

Un homme naissant après le XVIe siècle, en France, peut se dire: «On s'est battu. On s'est battu pour cause de religion et sous prétexte de religion. On s'est battu pour que la messe fût dite en français et pour conquérir le pouvoir. C'est épouvantable. On ne devrait être que Français. Mais encore, on se battait à armes égales ou qui semblaient l'être, rendant coups pour coups et ne frappant que par souvenir d'avoir été frappé ou crainte de l'être. C'était la guerre. Que les religions soient cause de cela ou mêlées très intimement à cela, c'est très regrettable; mais encore ce n'est pas une raison pour détester toute religion ou se tenir éloigné de toute religion. La preuve n'est pas faite que les religions soient éternellement et indéfiniment persécutrices. Pour ce qu'elles ont de bon, on peut les garder, chacun la sienne et, tout compte fait, je garde celle dans laquelle on m'a élevé.»

Oui, un homme naissant après le XVIe siècle, en France, pouvait raisonner à peu près de cette façon.

Mais un homme de la fin du XVIIe siècle était frappé de ceci que les discordes religieuses survivaient à leurs grandes causes, à leurs grandes causes morales, nationales, ethniques et politiques; qu'elles se continuaient et prolongeaient comme par elles-mêmes; qu'elles se multipliaient, du reste, en se subdivisant; qu'il ne suffisait plus que protestants et catholiques se combattissent d'un bout de l'Europe à l'autre; mais qu'il fallait que les catholiques se partageassent en jansénistes et ultramontains et les protestants en orthodoxes et en libéraux, et que c'était d'une part l'Église de France proscrivant les jansénistes et que c'était d'autre part Jurieu poursuivant Bayle d'une haine implacable et le dénonçant furieusement à tous les tribunaux comme athée et comme criminel, si bien que Bayle écrivait à un protestant de France: «Si vous voulez rester fidèle à votre religion, vivez dans le pays où elle est persécutée, et Dieu vous garde de vivre dans celui où, étant maîtresse, elle est persécutrice.»

Devant ce spectacle, l'homme de la fin du XVIIe siècle en venait à se dire que la cause des querelles et des violences entre les hommes était la religion elle-même, quelle qu'elle fût, et qu'il fallait détruire toute religion.

Surtout l'intervention du pouvoir civil dans les querelles religieuses, alors que le pouvoir civil n'était menacé en rien et n'avait nullement affaire, sous la secte religieuse, à un parti politique, surtout cela amenait comme naturellement un homme d'esprit moyen à se dire que les religions étaient les mauvais démons des pouvoirs civils et leur donnaient de détestables inspirations, et c'était droit au mauvais démon qu'il poussait, et le mauvais démon qu'il dénonçait et voulait détruire.

Il ne savait pas dire aux gouvernements: «Ne vous mêlez jamais d'affaires religieuses et laissez les religions se quereller par la parole et se disputer les populations par la parole; et n'intervenez que comme chef de police quand elles déchaînent la guerre civile, et alors avec une parfaite impartialité; et, en d'autres termes, soyez neutres tant qu'on parle; et, quand on agit, n'intervenez que pour qu'on cesse d'agir: et réprimez la guerre civile, ne la faites pas.»

Il ne savait pas dire cela aux gouvernements; mais sachant, non sans raison historique, que les gouvernements intervenaient toujours, soit pour une religion, soit pour une autre, il se disait plutôt: «Ce qu'il faudrait, c'est qu'il n'y eût plus de religion du tout; ce qu'il faudrait, c'est que la cause pour laquelle les gouvernements font des guerres à l'intérieur disparût.»

A se déchirer les unes les autres, les religions ont fait souhaiter que toutes disparussent; à soutenir les sectes religieuses les unes contre les autres, les gouvernements ont fait souhaiter que toutes les religions cessassent d'être.

Quand on proscrit, sans la moindre utilité démontrée, successivement protestants, jansénistes et quiétistes, en définitive, ce sont des athées que l'on fait.

La prodigieuse rapidité avec laquelle, sinon la France, du moins la classe dite éclairée, en France, est devenue irréligieuse, ou indifférente en matière de religion, ou sarcastique à l'égard des religions, dès le commencement du XVIIIe siècle, s'explique, à mon avis, par ce qu'il y avait de prodigieusement inutile, de prodigieusement dénué de raison et même de prétexte et de prodigieusement stupide dans les longues persécutions religieuses du XVIIe siècle.

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