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L'Anticléricalisme

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Voilà ce qui me fait appeler la liberté une mesure de salut public. Il est très vrai que la diversité de pensée peut aller jusqu'à rompre le faisceau national; mais il est aussi vrai que «l'unité morale» imposée pousse tout simplement les pensées indépendantes à devenir antipatriotiques et rompt le faisceau national bien plus complètement. La liberté est consolidatrice du patriotisme; le despotisme est destructeur de l'idée de patrie. En un mot, la seule unité morale qu'il faille désirer et à quoi il faille tenir, c'est l'unité patriotique; et cette unité morale, celle-ci, la liberté ne la détruit pas; elle la confirme. Voilà pour moi la vérité absolue.

Or – revenons – les «deux Frances» que la liberté d'enseignement était prétendue avoir créées étaient-elles véritablement deux Frances ennemies l'une de l'autre? L'une des deux était-elle «étrangère» ou amie de l'étranger, ou cosmopolite? La diversité des pensées allait-elle jusqu'à seulement détendre et relâcher le lien national? Pas le moins du monde et d'abord pour la raison que j'ai dite. Les Français catholiques, élevés très librement dans des maisons catholiques, n'avaient aucune raison d'être froids à l'égard d'un pays qui ne violentait ni ne contrariait leurs idées et sentiments et qui ne leur demandait que de rester Français. J'ai connu beaucoup de jeunes gens élevés dans ces maisons. Ils étaient les meilleurs Français du monde; et c'est depuis les violences de la République autoritaire qu'ils le sont moins, ce que, sans l'approuver, je ne puis m'empêcher de comprendre et de trouver assez naturel.

Je n'ai pas besoin de rappeler ce qui a été reconnu par tous et proclamé par tous, à savoir qu'il n'y a eu aucune différence entre le patriotisme des anciens élèves des maisons religieuses et celui des anciens élèves de l'État pendant la guerre de 1870; et je ne sache pas qu'à l'heure où j'écris les antipatriotes soient d'anciens élèves ou d'anciens professeurs des maisons religieuses.

Remarquez de plus que les enfants et jeunes gens qui étaient confiés aux éducateurs religieux appartenaient en majorité à ce qu'on appelle plus ou moins exactement les hautes classes. Or tout le monde, certes, a intérêt à être patriote, mais particulièrement les citoyens appartenant aux classes hautes; par la très bonne raison, qu'il ne leur est pas difficile de comprendre ou de sentir, qu'en cas de conquête de la patrie, ce sont eux qui seraient remplacés comme dirigeants et comme personnages considérables par des citoyens du peuple vainqueur. Ce n'est pas, par exemple, à un futur saint-cyrien ou polytechnicien, ou à son père, qu'il faudrait venir dire que France ou Allemagne c'est indifférent et que l'on doit avoir des objets de préoccupation plus considérables. Les hautes classes d'une nation sont, comme les pays frontières, non pas plus patriotes, mais patriotes avec plus d'inquiétude, comme premières proies de l'invasion. Si tout se réglait par l'intérêt, les hautes classes seraient très patriotes et le peuple le serait peu. Comme tout se règle par l'intérêt et le sentiment mêlés, ce n'est pas ainsi que vont les choses; mais il reste encore que les hautes classes sont patriotes plus sûrement, parce qu'elles le sont forcément.

Ce n'est donc pas aux enfants des classes dites supérieures que des professeurs, religieux ou autres, pourraient, le voulussent-ils, enseigner l'antipatriotisme ou un patriotisme très tempéré. Aussi ne l'ont-ils pas fait et ne le feront-ils jamais. Les deux Frances, au point de vue de «l'unité patriotique», n'ont donc jamais existé.

Qu'elles aient existé au point de vue de la fameuse «unité morale», je ne le nie point. On n'enseignait pas dans les écoles religieuses l'amour de la Révolution et on l'enseignait dans les écoles de l'État. C'est incontestable. Les professeurs des lycées, ou étaient secrètement républicains, ou appartenaient à ce bonapartisme anticlérical dont j'ai parlé plus haut. Par contrepartie, les professeurs des maisons religieuses ou étaient légitimistes, ou appartenaient à ce bonapartisme clérical que j'ai indiqué plus haut également. Je demandais, en Bretagne, vers 1858, à un élève de petit séminaire: «Êtes-vous d'accord en politique?

– Non! Il y a deux camps, les blancs et les bleus.

– Qu'est-ce qu'ils sont, les blancs?

– Ils sont pour Henri V.

– Et les bleus?

– Ils sont pour l'empereur.

– Et des républicains?

– Il n'y en a pas.»

Républicains et bonapartistes anticléricaux, c'était la population des lycées; légitimistes et bonapartistes cléricaux, c'était la population des maisons ecclésiastiques. Voilà, au vrai, les «deux Frances» de 1850 à 1870.

Voilà ce qui exaspérait les partis «avancés». Et il n'y a pas de quoi s'exaspérer. D'abord parce que, comme on l'a bien vu, cela n'empêchait pas tous ces jeunes gens d'être de très bons Français, ce que j'avoue qui me suffit; ensuite parce que le péril est, précisément, comme je l'ai dit, de faire de mauvais Français en tracassant les gens; enfin parce que, non seulement la concurrence matérielle, pour ainsi parler, est une bonne chose, et quand il y a deux enseignements dans un pays ils sont bons tous deux; mais encore et enfin parce que la concurrence morale, si je puis dire ainsi, est excellente.

Ces jeunes gens, tous bons Français, tous patriotes, ayant ainsi un lien commun, nécessaire et suffisant, ayant ainsi une «unité» nécessaire et suffisante, se rencontraient dans la vie, discutaient, remuaient des idées et se faisaient, par la discussion, des idées personnelles, et il n'y a que les idées personnelles qui soient des «idées-forces», et des idées fortes, et des idées fécondes.

Supposez, par impossible du reste, du moins dans le monde vraiment civilisé, un peuple à qui des éducateurs n'ayant qu'une manière de penser inculqueraient indéfiniment cette conception générale; et qui du reste n'aurait pas une force intellectuelle suffisante pour réagir; c'est le peuple que semblent rêver les partisans de l'unité morale, et ce peuple, je n'en pense qu'une chose, c'est qu'il deviendrait promptement idiot.

Tels furent, avec leurs inconvénients peut-être, avec celui surtout d'être désagréables à ceux qui veulent mener la France comme un éternel enfant, tels furent, beaucoup meilleurs à mon avis que mauvais, les effets de la liberté de l'enseignement en France sous le second Empire.

La politique générale de la fin du second empire fut ce que l'on sait trop. Au point de vue des choses religieuses, il y a un point assez important à éclaircir. Les anticléricaux, croyant ou feignant de croire que tous les maux et toutes les catastrophes viennent du catholicisme et ne peuvent venir d'autre source, ont assuré que les désastres de 1870 sont imputables aux catholiques. Ils ne pouvaient y manquer. Quand on lit dans un ouvrage de M. Edme Champion: «La pente qui éloigne de Voltaire aboutit à Sedan», on ne comprend pas très bien, parce que c'est une sorte de résumé de philosophie historique plutôt qu'un réquisitoire précis. Mais les journalistes et les historiens du parti sont entrés dans le détail de cette considération et l'ont exposée minutieusement.

Voici comment ils raisonnent, je puis dire tous; car j'ai retrouvé l'argumentation un peu partout presque dans les mêmes termes.

L'Empire s'est obstiné jusqu'au bout à maintenir et soutenir le pape à Rome, à défendre les restes du pouvoir temporel, à refuser Rome aux Italiens. Aux approches de la guerre de 1870, l'Empire chercha des alliés. Il en trouva un, c'est à savoir l'Autriche; mais l'Autriche ne voulait entrer en campagne contre la Prusse qu'avec le concours de l'Italie, pour n'être pas attaquée par celle-ci, une dixième fois, pendant qu'elle serait occupée ailleurs. Mais l'Italie ne voulait entrer dans cette triple alliance que si on lui laissait Rome. L'alliance franco-autrichienne dépendait donc de l'agrément de l'Italie, et l'agrément de l'Italie dépendait de l'abandon de Rome aux Italiens.

Jusqu'au dernier moment, Napoléon III tergiversa, recula. A la veille de l'entrée en campagne, ne s'agissant plus d'alliance austro-française, mais seulement d'alliance italienne, il hésita encore à abandonner le Saint-Père par un engagement formel: l'alliance n'eut pas lieu. La France fut vaincue. «C'est ainsi, dit éloquemment M. Debidour, que, conduit à Sedan par la justice immanente des choses, Napoléon III paya, au bout de plus de vingt ans, le tort de s'être abandonné à l'Église par ambition et fit, du même coup, payer à la France la faiblesse qu'elle avait eue de s'abandonner à lui. Son alliance avec le pape l'avait élevé au trône; elle contribuait maintenant à l'en faire descendre. Quant à la France, elle lui avait valu dix-huit ans de servitude, elle lui valait maintenant d'être envahie en attendant d'être démembrée.»

Cette argumentation et ces conclusions sont assez douteuses. Laissons de côté la servitude intérieure: la France a été asservie à l'Empire, non pas à cause de l'alliance de l'Empire avec le catholicisme, mais parce qu'elle a voulu l'être, depuis 1849; il n'y a pas d'exemple d'asservissement volontaire plus net et plus éclatant; la France de 1849 à 1870 était bonapartiste, et cela suffit pour qu'on soit asservi à un Bonaparte.

Quant aux alliances in extremis, je crois qu'on n'aurait jamais eu l'alliance ni de l'Autriche ni de l'Italie, même en livrant Rome aux Italiens, et que jamais ces deux puissances n'ont été sérieusement disposées à soutenir la France. L'Autriche l'a montré précisément si elle a dit: «J'en serai si l'Italie en est», ce qui est un atermoiement et même une défaite.

Quant à l'Italie, qui ne voit que son intérêt en tout état de cause était d'attendre, pour se mettre ensuite du côté du vainqueur? Qu'avait-elle à gagner à entrer dans une guerre où elle ne pouvait que très peu secourir la France, où la France avait autant de chances d'être vaincue avec le concours de l'Italie que sans ce concours, et où la France vaincue, l'Italie se fût trouvée compromise du côté du victorieux? L'Italie, possesseur de Rome, qu'a-t-elle à gagner à entrer en guerre contre la Prusse en notre faveur? Je ne le vois pas. Je ne le vois d'aucun côté. Je dirai presque au contraire; car l'Italie étant possesseur de Rome, c'est du côté du Trentin, de Trieste, etc., que son ambition tourne les yeux. Au point de vue de cette ambition, ce qu'il lui faut, c'est une Autriche affaiblie; or la Prusse victorieuse fait une Autriche faible. Une fois détentrice de Rome, c'est plutôt de la Prusse que de la France que l'Italie doit désirer le succès. Cela pourrait se soutenir et n'est point du tout déraisonnable.

 

Contentons-nous de dire, sans vouloir trop prouver, que, possédant Rome ou ne le possédant pas, l'intérêt de l'Italie était certainement d'attendre et de voir venir les événements. Une guerre engagée par l'Italie en faveur de la France eût été une guerre purement sentimentale, ce dont l'Italie a peu l'habitude.

L'Autriche, elle, avait certainement un intérêt à nous soutenir pour empêcher que la Prusse n'absorbât tous les pays allemands et ne relevât à son profit l'empire d'Allemagne; mais il faut songer que l'Autriche est en partie pays allemand elle-même, et que faire marcher des Allemands contre des Allemands en faveur des Français est chose très difficile, sinon impossible. Les Allemands peuvent se battre les uns contre les autres; c'est ce qu'ils ont fait à Sadowa; mais mener des Allemands contre des Allemands pour des Français, ce serait presque une folie que de le vouloir entreprendre.

Il me paraît donc certain qu'il n'y a eu, de 1868 à 1870, aucune espèce de bonne intention, même conditionnelle, à notre égard, ni de la part de l'Autriche ni de la part de l'Italie, et qu'il n'y en aurait eu ni plus ni moins si nous avions abandonné Rome aux Italiens. Il y a eu des sollicitations de la part des Tuileries auprès des cours de Vienne et de Florence. Ces sollicitations ont été reçues avec politesse; ces politesses, mêlées de considérations diverses et de prétextes allégués, ont pu être prises pour des promesses conditionnelles; mais il me semble bien qu'il n'y a pas eu autre chose et que l'intention ferme de l'Autriche et de l'Italie a été, quoi qu'il arrivât du côté de Rome, de ne pas secourir la France.

Pour les raisons que j'ai dites plus haut, la triplice, la triple alliance prusso-italo-autrichienne est naturelle et, pour ces raisons, on peut dire qu'elle existait en 1869-1870 à l'état latent. Elle ne dépendait pas du tout de la question romaine et ne s'y rattachait point. Si nous avons échoué en 1869-1870 à trouver un allié, c'est que nous nous sommes heurtés déjà contre la triple alliance. Abandonner Rome, ce que du reste je crois qu'on aurait dû faire beaucoup plus tôt, aurait été à cette époque, au moment où nous étions en posture de solliciteurs, un manque de dignité très inutile.

En tout cas, la question romaine n'a pesé d'aucun poids dans les événements de cette époque. Pie IX et le parti clérical responsables de Sedan est quelque chose que l'on doit considérer comme une légende anticléricale sans aucun caractère scientifique. Nous avons été vaincus en 1870 parce que notre organisation militaire était la plus faible, parce que nous n'étions pas prêts, ce que je crois que nous sommes destinés à n'être jamais, et parce que nous ne pouvions pas, quelque sacrifice que nous consentissions, avoir d'alliés: voilà le vrai.

– Mais peut-on concevoir un malheur de la France qui ne vienne pas des Jésuites, le peut-on?

– Je reconnais que pour beaucoup de Français cette conception est absolument impossible.

CHAPITRE IX
L'ANTICLÉRICALISME SOUS LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE JUSQU'EN 1904

Les élections de 1871 furent une troisième victoire pour le cléricalisme. Après les désastres de 1870, une Assemblée, la plus remarquable du reste, comme réunion de talents et de lumières, que nous ayons jamais eue, avait été nommée, uniquement, dans la pensée des électeurs, pour faire la paix et pourvoir aux nécessités urgentes. Elle voulut, de plus, faire une constitution et des lois générales. C'était son droit absolu; car il est évident qu'après une révolution la première Assemblée qui est nommée par la nation a tous les droits politiques et est constituante et législative par le fait même de sa nomination. Il n'y a personne qui ait qualité pour lui contester ces droits et pour limiter sa souveraineté. Mais peut-être l'Assemblée de 1871 eût-elle bien fait de se limiter elle-même et, la paix conclue, d'appeler la nation à de nouvelles élections qui eussent été faites sur une nouvelle plateforme, sur des questions constitutionnelles et sur des questions politiques.

Elle ne le voulut point, à tort ou à raison, et elle fit des lois (et plus tard une constitution), comme si elle avait été nommée pour en faire et comme si, en la nommant, la nation avait eu en son esprit la considération de ces lois. Ce fut une faute, à mon avis, parce que, étant monarchique, quand la nation, comme le prouvèrent tout de suite les élections complémentaires de juillet 1871, tendait à devenir républicaine, toutes les lois de l'Assemblée de 1871 devaient plus tard prendre dans l'opinion un caractère monarchique et comme une mauvaise odeur monarchique et devenir suspectes à la nation.

La réaction anticléricale de la troisième république a pour un de ses fondements le souvenir de l'Assemblée monarchique de 1871 et le souvenir des tentatives monarchiques du 24 mai 1873 et du 16 mai 1877.

Quoi qu'il en soit, l'Assemblée de 1871 élabora une nouvelle loi de liberté de l'enseignement. La seconde République avait établi la liberté de l'enseignement primaire et la liberté de l'enseignement secondaire. Elle n'avait rien fait à l'égard de l'enseignement supérieur. L'Assemblée de 1871 établit et organisa la liberté de l'enseignement supérieur. Le droit fut reconnu aux particuliers ou aux associations de donner l'enseignement supérieur à qui voudrait le recevoir d'eux. La liberté d'enseignement était enfin établie en France à tous les degrés (17 juin 1875).

Les effets, excellents à mon avis, de cette nouveauté, ne se firent pas attendre. L'enseignement supérieur tel qu'il existait à l'état de monopole, depuis le premier Empire jusqu'en 1875, était une des hontes de la France. Il végétait. Il était inactif et presque amorphe. Professeurs fatigués ou nonchalants, public rare et endormi, d'étudiants point. Sous l'aiguillon de la concurrence, l'enseignement supérieur français, qui a rencontré du reste des directeurs intelligents, zélés et hardis dans l'innovation, est devenu le plus actif, le plus laborieux et le plus illustre peut-être de l'Europe entière. Je ne puis pas m'empêcher de croire que la loi de 1875 soit une des causes au moins de cet heureux changement.

Mais l'anticléricalisme veillait, et vigilante aussi restait cette pensée de Louis XIV que l'on trouve dans toutes les pièces relatives à la révocation de l'Édit de Nantes et qui est le Credo même de tout le parti démocratique: «Un seul troupeau sous un seul pasteur.» Le parti démocratique et anticlérical français ne peut pas concevoir la France autrement que comme un troupeau.

Aussi, dès 1880, cinq ans après la loi de liberté de l'enseignement, Jules Ferry lançait, très inopinément du reste, son projet de loi sur l'enseignement supérieur contenant le fameux article VII. L'article VII, c'était l'expulsion des Jésuites et des congrégations enseignantes non autorisées. L'article VII n'ayant pas été adopté par le Sénat, le gouvernement, en vertu d'anciennes lois remontant au XVIIIe siècle, décréta contre les congrégations non autorisées et exécuta violemment les décrets, de juin à novembre 1880.

Rien de plus légal, puisqu'on peut toujours exécuter une loi qui n'a pas été abrogée; mais, d'une part, c'était montrer quelque désinvolture à l'égard du Parlement que de substituer une loi désuète à une loi qu'on lui avait présentée et dont il n'avait pas voulu, pour arriver à un but qu'on tenait à atteindre et qu'il avait suffisamment indiqué qu'il ne voulait pas qu'on poursuivît; et en ce sens c'était un véritable coup d'État; – d'autre part, c'était une première atteinte à la liberté d'enseignement, le principe de la liberté d'enseignement étant que tout Français a le droit d'enseigner, s'il est honnête homme, si son enseignement n'est pas immoral, si son enseignement n'est pas dirigé contre les lois.

La campagne Ferry fit, du reste, beaucoup plus de bruit qu'elle n'eut de grands effets. Jésuites et congréganistes ne furent expulsés ou inquiétés que pour la forme et restèrent, à très peu près, plus ou moins ouvertement, sur leurs positions. Les temps n'étaient pas venus. La France était peu convaincue de l'immensité du péril catholique. M. Jules Ferry lui-même n'avait mené cette campagne que pour se faire une popularité et eut dans la suite à s'occuper de beaucoup d'autres choses qui, du reste, la lui firent perdre.

Jusqu'en 1900, il n'y a rien à relever de très important pour ce qui est de l'histoire de l'anticléricalisme en France.

En 1900 la campagne anticléricale recommença avec vigueur, et ce qui prouve, chose du reste qu'il est naïf de faire remarquer, que cette guerre n'est inspirée que par des intérêts électoraux, ce fut à propos d'ingérence du monde religieux dans les élections que les hostilités reprirent. Les moines assomptionnistes s'étaient mêlés des élections de 1898. Il était difficile de leur pardonner cela. Ils furent poursuivis pour violation de l'article du Code pénal interdisant les réunions de plus de vingt personnes. – Comme sous l'Empire? – Naturellement, comme sous l'Empire.

Mais ce que le procureur impérial leur reprocha, ce ne fut pas d'être plus de vingt, mais d'avoir favorisé des candidats, du reste républicains pour la plupart, mais d'un républicanisme qui n'agréait pas au gouvernement. Le procureur Bulot cita dans son réquisitoire les noms de trente et un députés qu'il affirmait qui avaient dû leur élection à l'influence des Pères de l'Assomption. Les députés crièrent et les Assomptionnistes furent condamnés et leur congrégation dissoute comme illicite.

Ce fut le premier coup de cloche.

L'année suivante, le gouvernement (ministère Waldeck-Rousseau) apporta un projet de loi sur les associations. Ce projet était très confus et n'a jamais été très complètement élucidé. Au fond, M. Waldeck-Rousseau voulait régulariser la situation des congrégations en France. Il voulait que les congrégations d'ores et déjà autorisées restassent dans la situation où elles étaient; que les congrégations non autorisées montrassent leurs statuts, demandassent l'autorisation, fussent autorisées par une loi ou ne le fussent pas; que celles qui seraient autorisées subsistassent et que celles qui ne le seraient pas disparussent. Il voulait, semble-t-il, faire ce qu'on a spirituellement appelé un «concordat congréganiste».

Mais ce qui était à prévoir, c'était que le parti antireligieux profitât précisément de cette occasion pour refuser toute autorisation aux congrégations, surtout aux congrégations enseignantes, et admît la proposition d'un «concordat congréganiste», précisément pour ne pas le faire, pour le rejeter, et du même coup pour supprimer par mesure légale toute liberté de congrégation.

Il le pouvait d'autant plus qu'il lui était loisible, pour ainsi agir, de s'appuyer sur le texte même du projet du gouvernement. Ce projet commençait par déclarer «illicites» toutes les congrégations religieuses possibles, sous prétexte: que les membres de ces associations vivent en commun, qu'ils font vœu de chasteté, de célibat et de pauvreté, et que l'article 1118 du Code civil déclare que «seules les choses qui sont dans le commerce peuvent faire l'objet d'une convention» et que la communauté, la chasteté, la pauvreté et le célibat ne sont pas choses qui sont dans le commerce.

Cette argumentation était comme fourmillante de sophismes. D'abord elle transportait dans le Code pénal une disposition du Code civil et elle faisait un crime de ce qui n'est qu'une incapacité judiciaire: le contractant qui a fait un contrat sur une chose qui n'est pas dans le commerce ne peut exiger judiciairement l'exécution de ce contrat si son co-contractant s'y refuse, et voilà tout ce que signifie l'article 1118, et il n'y a aucune pénalité contre un homme qui a fait un contrat non conforme à l'article 1118 du Code civil.

A raisonner ainsi, le mariage serait illicite; car il est une convention d'obéissance, de protection et de fidélité entre deux personnes, et ni l'obéissance, ni la protection, ni la fidélité ne sont choses qui sont dans le commerce, et donc le mariage est contraire à l'article 1118 du Code civil.

 

Mais est illicite aussi toute convention qui est contraire aux bonnes mœurs. Sans doute; mais il est difficile de considérer comme contraire aux bonnes mœurs le fait de vivre en commun, le fait de s'engager à la pauvreté, au célibat et à la chasteté.

Et enfin il y avait dans cette position de la question une confusion volontaire entre la convention et le vœu. Un vœu n'est pas un contrat, c'est une résolution que l'on prend et dans laquelle on persiste. D'aucune façon, l'article 1118 du Code civil n'a rien à voir dans la question des associations et congrégations.

Voilà par où commençait le projet de loi; mais il continuait en affirmant que, – nonobstant le caractère illicite de toute association religieuse si énergiquement proclamé plus haut, – les associations religieuses pourraient exister et subsister si elles obtenaient l'autorisation de l'État par une loi. C'était dire: «Les associations religieuses sont par elles-mêmes illégales et criminelles. Mais vous pouvez autoriser à vivre ces associations qui sont criminelles et illégales par le seul fait d'exister. Elles sont, toutes, contraires aux lois; mais vous pouvez permettre à certaines d'entre elles de vivre contrairement aux lois et en insurrection contre les lois.» C'était une nouveauté juridique un peu étrange.

C'était surtout, en même temps qu'on invitait le pouvoir législatif à autoriser certaines congrégations, lui fournir des arguments détestables à la vérité, mais lui fournir des arguments, pour les proscrire toutes; c'était, en même temps qu'on établissait les bases d'un concordat congréganiste, inciter par des considérations générales le pouvoir législatif à repousser tout concordat et toute concorde et à frapper les congréganistes comme des criminels; c'était, en même temps qu'on affichait l'intention de faire entrer régulièrement les congréganistes dans la société, crier du haut de sa tête qu'ils étaient des ennemis sociaux.

Incohérence involontaire, ou incohérence volontaire? Inadvertance ou perfidie? M. Waldeck-Rousseau «le faisait-il exprès» ou le faisait-il par mégarde? On ne sait; car rien jamais ne fut plus lucide que la parole de M. Waldeck-Rousseau et ne fut plus obscur et plus difficile à comprendre que sa conduite.

Mais ce qui est clair, c'est que rien n'était plus facile que de repousser la seconde partie de son projet en s'appuyant sur la première, et de conclure logiquement de la première partie de son projet à une condamnation absolue de la seconde.

On n'y manqua point. Le parti antireligieux ne voulut voir en M. Waldeck-Rousseau que l'homme qui mettait tous les congréganistes hors la loi en les considérant comme y étant et le salua comme l'ennemi acharné de tous les congréganistes, ce qu'il n'était pas et ce que, bon gré mal gré, il se donnait comme étant.

Quant à la partie antireligieuse de la Chambre et du Sénat, elle saisit avec empressement l'occasion de recommencer l'œuvre traditionnelle, l'œuvre de la déchristianisation de la France. Elle limitait encore la portée de ses desseins et de ses espérances. Elle restait, en général, sur le terrain napoléonien. Elle prétendait n'en vouloir qu'à l'Église latérale, qu'à l'Église irrégulière, c'est-à-dire à l'Église «régulière». Elle restait concordataire. Tout le monde en ce temps-là se prétendait concordataire et s'appuyait sur le Concordat et s'enfermait dans le Concordat comme dans un fort pour tirer sur les «réguliers». M. Waldeck-Rousseau, le premier, se réclamait du Concordat, il prenait la défense du clergé paroissial contre le clergé monastique, et de «l'église contre la chapelle»; mais en même temps il montrait les congrégations comme l'armée de la contre-Révolution et conviait à voter son projet tous ceux qui voulaient assurer «la paix et le développement régulier de la Révolution française».

Et c'était toujours la même duplicité volontaire ou inconsciente: n'attaquer que les uns, mais avec des arguments qui peuvent s'appliquer à tous et qui peuvent être invoqués pour proscrire tous. Dire que les congrégations sont l'armée de la contre-Révolution et que l'existence des congrégations est incompatible avec le développement pacifique et régulier de la Révolution, c'est placer la question en dehors de toute considération juridique et de toute considération de justice; c'est dire: «frappez tous ceux qui vous paraîtront contre-révolutionnaires»; en langage pratique, c'est dire: «frappez tous vos adversaires électoraux»; et des paroles de M. Waldeck-Rousseau on pouvait tirer une raison suffisante de proscrire toute l'Église séculière comme toute l'Église régulière, quelque attaché au Concordat que M. Waldeck-Rousseau prétendît être.

De même qu'en prétendant ne toucher qu'aux moines factieux, M. Waldeck-Rousseau instituait une théorie qui frappait tout moine quel qu'il fût comme étant hors la loi et contre la loi; de même, en affectant de ne suspecter que les congréganistes, il donnait un argument aux termes duquel tous les ecclésiastiques et même tous les catholiques étaient déclarés suspects.

En attendant, il s'affirmait concordataire.

Concordataire aussi était M. Camille Pelletan, qui raisonnait ainsi: Nous sommes profondément attachés au Concordat. Or il n'y a rien dans le Concordat qui concerne les moines. Donc c'est être conformes au Concordat que de proscrire les moines, et ce serait violer le Concordat que de les tolérer. «La suppression des ordres religieux est la contre-partie des garanties accordées à l'Eglise.» Si, donc, on rétablissait les ordres religieux, le Concordat n'existerait plus. – D'où il faudrait conclure à l'heure où nous sommes que, le Concordat n'existant plus, on doit rétablir les ordres religieux. J'ignore si cette conclusion, qui s'impose en bonne logique, est acceptée à l'heure où nous sommes par M. Camille Pelletan.

Au milieu de tous ces sophismes, je n'ai pas besoin de dire que le groupe libéral, surtout par l'éloquent organe de M. Ribot, posa les vrais principes: l'association religieuse est une association comme une autre, les hommes ayant le droit de vivre en commun, d'être pauvres, d'être célibataires et d'être chastes; il ne faut que limiter l'accumulation des biens de mainmorte dans les associations religieuses comme dans les autres associations; il faut surveiller les biens et laisser tranquilles les personnes.

La loi fut votée à peu près telle que M. Waldeck-Rousseau l'avait présentée. Toutes les congrégations non autorisées devaient demander l'autorisation d'exister, ou disparaître. Par disposition législative, les congrégations seraient autorisées à exister ou ne le seraient point.

Certaines congrégations (Jésuites, Bénédictins, etc.) ne jugèrent pas expédient de demander l'autorisation et se dispersèrent tout de suite. D'autres prirent leurs dispositions pour demander à être autorisées. On verra plus loin ce qu'il en advint.

Subsidiairement la loi sur les congrégations avait porté une grave atteinte à la liberté de l'enseignement. Dans le projet primitif il n'y avait rien de spécial pour ou contre cette liberté; il n'y avait que ceci, implicitement, à savoir qu'une congrégation enseignante, si elle n'était pas autorisée, n'enseignerait plus, naturellement, puisqu'elle aurait cessé d'être. Mais la gauche avait exigé davantage. Elle avait voulu qu'il fût interdit d'enseigner à toute personne appartenant à une congrégation même dissoute, c'est-à-dire à toute personne ayant appartenu à une congrégation, c'est-à-dire à tout congréganiste, même qui ne le serait plus. Autrement dit, cet article nouveau, très nouveau en effet, proclamait la perpétuité des vœux, alors que la loi ne reconnaît pas de vœux perpétuels. Il disait: «La loi ne reconnaît pas de vœux perpétuels, mais moi, non seulement je les reconnais, mais je les impose. Vous avez été congréganiste; vous prétendez ne plus l'être, vous voulez ne plus l'être; mais moi je veux que vous le soyez. Du reste, j'ai dissous votre congrégation; mais quand il s'agit de vous, je la tiens pour existant encore, afin que vous en soyez, et je vous défends d'être professeur parce que vous en êtes.» Cela devenait absolument fou. Ce fut dénoncé comme tel, en même temps que comme tyrannique, et ce fut cinglé très vigoureusement par plusieurs orateurs du centre, notamment par M. Aynard.

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