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Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 5

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– A votre tour, M. de Pontalès!.. dit froidement le nabab.

Pontalès échangea un regard avec ses deux témoins.

– Un duel semblable me paraît contre toutes les règles… murmura-t-il, et je ne sais si je dois…

Pendant qu'il parlait, Vincent avait ramassé l'épée.

– Moi, je ne connais pas les règles… prononça-t-il rudement; cet homme m'a donné rendez-vous… voici des armes… cela suffit.

– A la bonne heure! s'écria Montalt en riant, celui-là est un vrai gentilhomme breton… crinière de lion et cœur de loup!

– Celui-là sait tenir une épée!.. répondit Vincent; si vous n'avez pas le poignet libre et la tête froide, ne vous battez pas contre lui.

Pour toute réponse, le nabab reprit, pour la troisième fois, sa garde élégante et fière; mais il fut obligé tout de suite de serrer son jeu et de se tenir ferme à la parade, car Vincent était un adversaire redoutable.

Le combat dura plusieurs minutes, au bout desquelles la fatale tache de sang se montra sur la poitrine du jeune homme, juste à la même place que les deux autres.

Le foulard des Indes joua son rôle, et Vincent, la tête basse, se retira auprès d'Étienne et de Roger.

– A votre tour, M. de Pontalès! répéta le nabab.

Pontalès s'avança, suivi de ses deux témoins.

Tandis qu'il ôtait son habit sans faire de nouvelles objections, Montalt le considérait, et son visage prenait une expression de tristesse.

– Vous êtes jeune, dit-il enfin, et peut-être êtes-vous un homme de cœur… Il est temps encore de vous retirer, M. de Pontalès… Mais si vous vous mettez là, devant moi, je vous préviens que mon épée ne s'arrêtera point en touchant votre poitrine… J'avais peut-être mes raisons pour épargner ces trois enfants… et peut-être en ai-je au contraire pour ne point vous épargner, vous!

Il n'y avait plus ni raillerie ni fanfaronnade dans ses paroles.

– Vous êtes habile, monsieur… répondit Pontalès; on fera ce qu'on pourra.

Dès les premières passes, il prouva que lui-même était singulièrement expert en fait d'escrime. Mais, au-devant de la poitrine nue de Montalt, il y avait comme un mur d'acier…

Ce n'était plus le même homme. Toute nonchalance avait disparu de sa pose. Ses yeux avaient un rayonnement sombre, et des rides se creusaient entre ses sourcils froncés.

Il rompit tout à coup, en un certain moment, et appuya la pointe de son épée contre le sol.

– Écoutez!.. murmura-t-il de manière à n'être entendu que de Pontalès, ma tête s'échauffe… Je vous l'ai dit hier: vous avez le visage de votre père… et je vais oublier que vous ne m'avez jamais fait de mal!

– Ah! s'écria Pontalès emporté lui-même par la chaleur du combat, vous ne riez plus, milord… Si vous êtes las, on vous donnera trêve…

– Vous l'aurez voulu!.. dit Montalt dont les yeux lancèrent un éclair. Je ne vois plus en vous que le fils de votre père, monsieur… et je me venge!

Les deux épées grincèrent en se touchant de nouveau; Pontalès tomba percé à la même place que les trois autres.

Mais, cette fois, le foulard des Indes essuya quatre pouces de fer sanglant.

Le nabab croisa ses bras sur sa poitrine, et sa tête se pencha.

Les témoins de Pontalès l'emportaient, à bras, vers sa voiture.

Étienne, Roger et Vincent s'éloignaient déjà de la place du quadruple duel, lorsqu'un bruit de pas se fit dans le fourré.

On n'avait point entendu de voiture rouler sur le sable de l'allée.

Les trois jeunes gens poussèrent ensemble un cri de surprise.

– Mon père!.. dit Vincent.

– M. Jean!.. ajoutèrent Étienne et Roger.

Montalt tressaillit légèrement, mais ses traits ne trahirent aucune émotion.

Seulement sa paupière se releva comme malgré lui, et son regard glissa sur les trois jeunes gens, parce qu'il se disait:

– Son fils!.. et ceux-ci le connaissent? Qui sont donc Cyprienne et Diane?..

Le vieux Jean de Penhoël venait d'entrer dans la clairière. Il arrivait juste à l'heure, bien qu'il fût venu à pied depuis la rue Sainte-Marguerite, où il avait passé la nuit, tout seul, dans le pauvre grenier, abandonné par Madame et par René.

Sa tête nue ruisselait de sueur. Il portait, comme toujours, ses sabots emplis de paille et sa veste de futaine grise, sur laquelle brillait, ce matin, sa croix de Saint-Louis.

– Si je suis en retard, dit-il en se hâtant vers le centre de la clairière, excusez-moi… je viens de loin, et je n'ai plus mes jambes de quinze ans.

En arrivant sur le lieu du combat, il reconnut à la fois les trois jeunes gens que ses yeux, affaiblis par l'âge, n'avaient point distingués d'abord.

Ceux-ci parlaient tout bas et semblaient se consulter.

L'oncle Jean s'avança vers eux et leur tendit la main tour à tour.

– Bonjour, Vincent, mon fils… dit-il; tu m'apprendras tantôt pourquoi tu as laissé le service du roi où je t'avais mis… En attendant, sois le bienvenu, et puisses-tu être plus heureux que nous!.. Bonjour, Roger!.. Bonjour, Étienne!.. Je me disais tout le long du chemin: «Je ne trouverai pas dans ce Paris un seul ami pour m'assister…» Je me trompais, ma foi!.. Milord Montalt, ajouta-t-il en se tournant vers le nabab, j'ai des témoins à revendre, comme vous voyez… Et vous n'aurez à me prêter qu'une épée.

Il disait tout cela de sa voix douce et bonne, mais l'expression de ses traits n'avait plus cette humilité que nous lui avons vue. Il redressait la tête; ses grands yeux bleus brillaient, et son regard avait une belle fierté. Les trois jeunes gens regardaient avec respect et tristesse ce noble front de vieillard avec sa couronne de cheveux blancs comme la neige.

Montalt aussi le regardait, mais c'était à la dérobée; il détournait les yeux et affectait de ne rien voir. Sa figure, où ne se montrait nulle fatigue, peignait un mépris dur et froid.

Il ne parlait point, et semblait attendre.

L'oncle Jean vint se placer en face de lui.

– Donnez une arme à monsieur, dit Montalt en s'adressant à son majordome.

L'oncle Jean se baissait déjà pour ramasser l'épée.

– Oh! oh!.. fit-il avec surprise; il y a sur la terre des gouttes de sang… Est-ce que je ne suis pas le premier?

Les trois jeunes gens, qui étaient restés jusqu'alors indécis et sombres, s'ébranlèrent à la fois. Vincent se mit entre son père et le nabab.

– Milord, dit-il à voix basse, ce combat est impossible!

– Vous êtes le cinquième, M. Jean… murmurait pendant cela Étienne; moi d'abord… Roger ensuite… votre fils après… enfin M. Alain de Pontalès que ses témoins emportent mourant… Nous avons été tous vaincus, ici, à cette même place.

Les yeux bleus de l'oncle Jean brillèrent davantage.

– Il est donc bien fort?.. dit-il en faisant plier sa lame.

– C'est un démon… répliqua Roger; contre lui l'adresse et le sang-froid ne servent à rien… On dirait qu'il possède un charme.

– Morbleu! voilà qui est bon à savoir!.. s'écria l'oncle Jean dont le visage s'animait; rangez-vous, mes enfants! nous avons bonne cause et bon bras… Dieu est juste… rangez-vous!

Les deux jeunes gens ne bougeaient pas.

– Je ne sais pas si votre querelle est semblable à la mienne, reprit le vieillard en les écartant d'autorité; dans un quart d'heure, nous pourrons causer de cela.

Entre lui et son adversaire, il ne restait plus que Vincent, qui parlait bas au nabab avec vivacité.

Montalt détournait la tête et ne répondait point.

– Range-toi, Vincent, reprit le vieux Penhoël; je ne te dis pas de te retirer, parce que tu es soldat et fils de soldat; mais pas de faiblesse, enfant!.. Nous sommes ici pour l'honneur de Penhoël.

Vincent hésitait encore; un geste impérieux du vieillard le fit reculer de quelques pas.

– Mon père! murmura-t-il pourtant, je vous en supplie…

– Silence!.. interrompit l'oncle en sabots; tu vois bien que milord nous attend!

Montalt consultait en effet sa montre.

– Nous avons perdu cinq minutes, dit-il.

– Nous allons les regagner!.. s'écria l'oncle Jean qui jeta ses gros sabots et mit ses pieds nus sur le gazon.

Il avait dépouillé sa veste de paysan et montrait maintenant le chanvre gris de sa chemise.

Étienne, la pâleur sur le front, disait à Roger:

– Te souviens-tu?.. Milord a dit que sa vengeance la plus terrible tomberait sur le cinquième… et c'est Jean de Penhoël qui est le cinquième!

Roger courba le front sans répondre.

Tous deux avaient le même désir que Vincent: mettre obstacle à ce duel inégal; mais il y avait, à ce moment, sur le visage du vieux Penhoël une résolution si grave et si fière que leurs volontés dominées se taisaient.

Le vieillard prit place à l'endroit même où ses quatre devanciers avaient combattu. Il examina soigneusement la garde de l'épée et l'angle de la monture.

Puis il fit le salut des armes, suivant la rigueur des anciennes coutumes.

Sa haute taille se développait robuste et hautaine.

Quatre hommes forts et jeunes avaient passé par là, et pourtant on pouvait pressentir que, cette fois seulement, Montalt allait trouver à qui parler.

Il rendit le salut et donna son épée.

– A vous!.. dit l'oncle Jean.

– A vous!.. répliqua Montalt.

Le pied nu de l'oncle Jean frappa deux brusques appels, et son épée, manœuvrant avec une rapidité prestigieuse, chercha le défaut de cette impénétrable cuirasse qui était au-devant de la poitrine du nabab.

Il n'était plus temps d'en prendre à son aise. Montalt avait maintenant l'œil au guet, le jarret tendu, la main leste. On voyait qu'il dépensait toute sa vigueur et toute son adresse pour parer les coups précipités que lui portait le vieillard.

Il fut obligé de rompre par trois fois.

Étienne, Vincent et Roger suivaient l'attaque d'un œil avide. Ils ne respiraient plus.

Nehemiah Jones, roide comme un piquet et portant sur son grave visage la tranquillité la plus heureuse, représentait bien dignement le flegme britannique au milieu de toutes ces émotions.

 

Le combat se poursuivait depuis cinq minutes, pour le moins, sans désemparer, et les minutes sont longues pour ceux qui voient deux hommes l'épée à la main! L'oncle Jean avait gagné du terrain, mais on voyait de larges gouttes de sueur rouler sur sa joue enflammée, et son souffle sortait maintenant pénible de sa poitrine.

Le nabab, au contraire, gardait toujours la dureté froide et calme de sa physionomie; sa respiration était égale comme au premier instant. Il parait avec une précision mathématique, et ne ripostait point.

L'oncle Jean, qui avait tenté en vain tous les coups d'armes, passa brusquement l'épée dans la main gauche, et se fendit sur un dégagé terrible.

Montalt para sur place, jetant de côté la pointe de l'arme, qui était à une ligne de sa poitrine.

Puis il se mit d'un bond hors de portée.

– M. Jean de Penhoël, dit-il froidement, ceci est le côté du cœur… reprenez haleine.

Le vieillard s'arrêta; sa poitrine battait, révoltée.

– Je croyais qu'il n'y avait qu'un homme au monde, murmura-t-il, pour soutenir un assaut comme celui-là!

Derrière cette rudesse que Montalt retenait de force sur son visage, il y eut comme un vague sourire.

Et, depuis le commencement du combat, ceux qui eussent pu l'observer de près auraient découvert, sous son masque de dureté impitoyable, une émotion cachée.

Mais si cette émotion existait réellement, il la refoulait avec toute l'énergie de sa forte nature. Une pensée de vengeance était en lui, comme il l'avait dit; il s'y cramponnait obstinément. Cette vengeance inattendue devait être terrible…

Les trois jeunes gens tournaient vers lui leurs regards suppliants. Il ne voulait point les voir.

Jean de Penhoël avait piqué son épée en terre.

Ses yeux étaient fixés sur le nabab, et une étrange hésitation semblait envahir son visage.

– Je ne sais pas si ma pauvre tête se perd… murmura-t-il; Vincent, toi qui as de bons yeux, regarde donc… mais tu étais un tout petit enfant lorsqu'il nous quitta… Mon Dieu! mon Dieu! est-ce que je rêve?

Sa voix tremblait. Il fit un pas en avant.

Le nabab semblait ne point entendre.

– Laissez-moi vous regarder, monsieur… reprit le vieillard dont l'émotion allait croissant; vous me tourniez le dos hier quand je vous ai provoqué… et mes yeux sont trop faibles désormais pour distinguer comme il faut le visage d'un homme à la longueur de deux épées…

Il était tout près de Montalt, qui baissait les yeux en fronçant le sourcil.

– Oh!.. fit le vieillard d'une voix brisée, il y a vingt ans de cela, et je me trompe peut-être!.. Regardez-moi, monsieur… Ne me reconnaissez-vous pas?

– Non… répondit Montalt.

L'oncle Jean se couvrit le visage de ses mains.

– Non? répéta-t-il; oh! c'est que je me trompe alors… car Louis de Penhoël n'aurait pas renié le vieil ami de son père!..

La figure de Montalt resta impassible et froide, mais sa main serra convulsivement la garde de son épée.

– Allons!.. dit-il durement, vous devez être reposé…

L'oncle Jean courba la tête, et regagna sa place.

Les trois jeunes gens, qui n'avaient point entendu ces dernières paroles, ne comprenaient rien à cette scène.

Ils avaient espéré un instant sans savoir pourquoi, et leur espérance s'en allait…

Jean de Penhoël, avant de reprendre son épée, tira de sa poche son mouchoir de grosse toile pour essuyer ses yeux, qui étaient inondés de larmes.

– Je vous demande une minute encore… monsieur, dit-il, car il faut voir clair pour se défendre contre vous… Les vieillards sont comme les enfants; ils pleurent… Oh!.. Dieu aurait dû m'épargner cette espérance trompée!.. c'était mon fils!.. Je ne sais pas si j'aime mon pauvre Vincent autant que je l'aimais!..

Les sourcils du nabab se froncèrent davantage. Un rouge vif remplaça, pour un instant, la pâleur de sa joue.

– Allons!.. répéta-t-il d'une voix changée.

L'oncle Jean reprit son arme.

– Et lui aussi!.. dit-il encore; il m'aimait… Oh! le noble enfant! le cher cœur!.. que Dieu le protége!

Il se remit en garde.

Mais nulle épée ne choqua la sienne.

Les trois jeunes gens avaient poussé ensemble un cri de stupeur.

Le combat le plus terrible qu'avait soutenu ce matin Berry Montalt était contre lui-même, et son cœur l'avait vaincu…

Il était là, devant le vieil oncle Jean, les bras tout grands ouverts, et deux grosses larmes roulaient sur ses joues.

– Mon vieil ami!.. balbutia-t-il, mon vieux père!..

Jean de Penhoël se laissa tomber sur sa poitrine, et Montalt baisa ses cheveux blancs.

XXV
LA PETITE SERRURE

Ce matin, le nabab avait quitté l'hôtel un peu avant le jour.

Au moment où sa voiture partait, un homme qui était en observation devant la porte cochère fit le tour des jardins en courant, et gagna la ruelle située sur les derrières de l'hôtel.

La nuit était encore assez noire.

– Êtes-vous là? murmura-t-il.

Deux hommes sortirent d'un enfoncement de la muraille.

C'étaient MM. le chevalier de las Matas et le comte de Manteïra, en costume d'aventures.

– Eh bien?.. demandèrent-ils.

– Disparu!.. répliqua le noble baron Bibander; je viens de le voir partir avec le grand sec de majordome et les deux nègres.

Les deux bougies que Nawn avait allumées à la dernière fenêtre de l'aile gauche n'avaient brillé qu'un seul instant.

– Et le signal?.. demanda Bibandier à son tour.

– Tout va bien!.. répondit Robert; et puisque milord a emmené ses deux chiens de garde, nous n'aurons guère à enfoncer que des portes ouvertes… Voyons, y sommes-nous?

– Présent!.. répliqua Bibandier, sans peur et sans reproche…

– Moi, dit Blaise, ça me va énormément cette petite partie fine!.. Mais convenons un peu de nos faits… Si nous emportons le gros lot, allons-nous toujours à Penhoël?

– Toujours!.. répliqua Robert; René a bu de l'eau-de-vie toute la journée, et m'aime comme la prunelle de ses yeux… Nous rachetons le manoir et tout ce qui s'ensuit… nous donnons un coup de bas au vieux Pontalès, et nous sommes les seigneurs suzerains de la contrée!..

– Et cette fois, dit Blaise, M. Robert ne fera pas de mauvaise plaisanterie?

– Nous n'aurons pas l'ombre d'une discussion, mon brave! Entre millionnaires, on emploie les formes. Qui est-ce qui saute le premier?

– Moi! dit Blaise, ça me rappelle mon bon temps, et je me sens tout gaillard… En avant, mes petits, et qui m'aime me suive!

Entre la ruelle et la maison, il y avait la muraille du jardin, qui était fort basse en cet endroit.

Blaise l'escalada le premier, et ce ne fut pas long, car il n'avait point perdu ses anciens mérites.

L'Américain et Bibandier sautèrent bientôt à leur tour sur le sol gras des plates-bandes.

Ce n'était pas le côté du grand jardin couvert. Il n'y avait là qu'un étroit banc de gazon et quelques arbres au feuillage desséché.

Robert fit entendre un petit coup de sifflet, auquel on répondit de la fenêtre où brillaient naguère les deux bougies.

Un cordon se déroula et vint tomber aux pieds de nos trois gentilshommes. Robert y attacha l'extrémité d'une échelle de soie, et le cordon remonta. L'instant d'après, ils faisaient tous les trois, par la fenêtre, leur rentrée à l'hôtel du nabab.

– La petite dame est accouchée… dit Nawn qui ne tremblait point trop fort.

– Bah!.. fit Robert; on ne pourra donc pas l'emmener?

– Elle est bien faible!..

– Américain, dit Bibandier, je demande à être le parrain de l'enfant; cela resserrera les liens d'estime et d'affection qui nous unissent.

Ils étaient gais comme des pinsons, les trois excellents camarades!

– Ah çà! reprit Robert en s'adressant à Nawn, tu as fait ta besogne, toi?

Nawn secoua lentement sa tête cuivrée.

– J'avais dans un petit flacon, répondit-elle, un mélange des quatre meilleurs poisons de mon pays…

– Où il y a tant d'excellents poisons! interrompit Bibandier.

– Avec cela, reprit Nawn, j'aurais envoyé dans l'autre monde une douzaine de gentlemen bien portants comme vous l'êtes… Les pauvres enfants ont bu la moitié de ma fiole, à elles toutes seules!

Bibandier essaya encore de rire pour se faire un mérite d'esprit fort auprès de ses collègues; mais il ne pouvait plus.

– Et puis?.. dirent en même temps Robert et Blaise.

– Ça dure cinq minutes… répliqua Nawn, quelquefois un quart d'heure… Après cela, tout est fini.

– Et tu es bien sûre?..

– A l'heure où je vous parle, elles sont mortes… repartit Nawn qui baissa ses yeux noirs et brûlants.

Une fois déjà Robert avait entendu ces mots: «Elles sont mortes.» On l'avait trompé. Il doutait.

– Peux-tu nous les montrer? demanda-t-il.

– Suivez-moi… répliqua Nawn sans hésiter.

Robert fit un pas en avant. L'Endormeur et Bibandier restèrent immobiles.

– Je vais vous mener jusqu'à leur chambre… dit Nawn, mais vous entrerez tout seul… car je ne voudrais pas revoir leur visage!

Le jour se faisait bien lentement, et les ténèbres étaient encore épaisses. On entendit au fond du corridor où était située la chambre des deux jeunes filles une voix faible qui criait:

– Diane!.. Cyprienne!..

Un frisson parcourut le corps de Robert.

– Écoutez!.. dit Nawn; elles ne répondront pas!

Nos trois compagnons prêtèrent attentivement l'oreille, et nul son ne répondit en effet à la voix de Blanche.

– Elles ne répondront pas!.. répéta Nawn; la jeune dame qui les appelle ne peut pas les apercevoir dans l'ombre… mais moi, je sais bien qu'elles sont couchées sur le tapis… toutes deux côte à côte… les yeux mornes… les lèvres livides… Oh! ajouta-t-elle en baissant la voix tout à coup, elles s'aimaient bien!.. elles étaient belles comme les anges… Je ne sais pas si je recommencerais!..

– Diane!.. Cyprienne!.. dit encore la voix de Blanche.

– Elles ne répondront pas!.. murmura Nawn.

Blaise et Robert, bien qu'ils fussent des coquins sans cœur, se sentaient du froid dans les veines. Quant à Bibandier, une sueur glacée mouillait ses tempes.

Il avait vu déjà une fois les deux jeunes filles, côte à côte, couchées sur le bord de leur tombe.

La parole de Nawn évoquait pour lui deux pâles fantômes.

– Oh! oui!.. balbutia-t-il sans savoir qu'il parlait, elles étaient belles!.. et ceux qui les ont tuées n'auront plus jamais de sommeil tranquille!..

– Diane!.. Cyprienne!.. prononça pour la troisième fois la voix toujours plus faible de l'Ange.

Et point de réponse encore.

– Eh bien!.. dit Nawn à Robert qui restait immobile, le corridor est court et la porte est ouverte… ne voulez-vous plus aller voir les mortes?

Robert se retourna brusquement.

– Tu seras payée!.. dit-il. Conduis-nous à la chambre de Montalt.

Nawn obéit.

L'appartement du nabab était situé, comme nous l'avons dit, à l'autre extrémité de l'hôtel.

Nos trois gentilshommes et leur guide traversèrent avec précaution les longues galeries. La porte extérieure de la chambre à coucher était fermée. Blaise, qui portait sous son manteau une pince et divers instruments de serrurerie, fut chargé d'ouvrir. Cela prit du temps, soit que la serrure eût des combinaisons difficiles, soit que Blaise eût oublié son adresse d'autrefois.

Quand on put entrer enfin, il faisait jour dans le corridor.

Mais nos trois compagnons retrouvèrent les ténèbres à l'intérieur de la chambre, dont les contrevents étaient soigneusement fermés.

Comme Robert regardait derrière lui avec inquiétude, Nawn lui dit:

– Personne ne viendra vous surprendre… Les valets dans cette maison suivent l'exemple du maître… on veille la nuit, on dort le jour… Les plus vigilants ne se lèvent guère qu'à dix heures.

Elle tendit la main.

– J'ai fait ce que j'avais promis… ajouta-t-elle; payez-moi, car il faut que je quitte cet hôtel.

Robert lui donna une bourse pleine d'or. Nawn s'éloigna lentement et la tête baissée.

Nos trois gentilshommes étaient seuls, et maîtres du terrain.

La porte fut fermée; on alluma une lampe.

Robert fouilla d'abord les tiroirs du secrétaire pour trouver la clef du petit meuble où la boîte de diamants devait être serrée.

Au lieu de la clef absente, il rencontra çà et là quelques billets de banque dont il fit son profit.

Sur la tablette du secrétaire, une lettre commencée attira son attention.

– Pardieu! dit-il en parcourant les premières lignes, je puis bien lire sans être indiscret, car cette lettre est à mon adresse… Savez-vous bien, messieurs, que ce pauvre lord menaçait de devenir maniaque?.. Trois lettres hier, deux cette nuit! cela commençait sur le pied de trente-cinq à quarante messages par semaine!.. Et le tout pour me prier à genoux de lui vendre un chiffon de papier griffonné par une femme!..

 

– Voyons! interrompit Blaise; tu ne trouves pas la clef?

L'Américain frappa gaiement sur la poche de sa redingote.

– Certes, ceci est un détail; mais je suis flatté d'avoir là, dans mon portefeuille, un crédit de cent cinquante mille francs… peut-être davantage… car chaque lettre nouvelle de milord m'offre deux mille louis de plus!

Il s'arrêta, et son regard exprima une subite inquiétude.

– La chose est si étrange, poursuivit-il en baissant la voix, que j'aurais presque peur, si notre homme n'avait affaire ce matin à forte partie!..

– Peur de quoi?.. demanda Blaise.

– Mais il y a juste cinq à parier contre un, poursuivit Robert au lieu de répondre, que milord ne nous gênera plus désormais!.. A la besogne, l'Endormeur, mon ami!.. A défaut de clefs, essayons un peu de tes ustensiles!..

Bibandier n'avait point pris part à ce court entretien, mais si sa langue chômait, ses mains ne restaient pas oisives. Le noble baron furetait de meuble en meuble, et faisait main basse sur tout ce qu'il trouvait à sa convenance.

Si les fauteuils n'eussent point été trop gros, il les eût fourrés dans les vastes poches de sa redingote.

Le petit meuble indiqué par Lola était à demi caché derrière les rideaux de brocart, dont les draperies, larges et lourdes, tombaient autour du lit de Montalt.

C'était une espèce de coffre, supporté par quatre pieds contournés, et couvert, du haut en bas, d'incrustations artistement variées; au milieu de ce renflement, en forme de ventre, qui distingue les bahuts du temps de Louis XV, on voyait une petite serrure mignonne, délicate, microscopique, qui semblait bien facile à forcer.

A défaut d'adresse, d'ailleurs, on pourrait employer la force, car ces meubles si coquets sont fragiles, et le moindre coup, vigoureusement appliqué, peut disjoindre leurs planchettes légères.

Nos trois gentilshommes bénissaient in petto le caprice du nabab, qui avait choisi, pour renfermer son trésor, cette gentille armoire, au lieu d'une laide caisse de fer.

L'Endormeur se mit à genoux sur le tapis, et commença son office de serrurier.

Autrefois, à l'époque où il avait mérité son surnom, on n'aurait point pu compter les serrures habilement crochetées par lui; il ne possédait peut-être pas aussi parfaitement que l'Américain, son frère d'armes, le côté intellectuel de l'art du voleur; mais sa main était preste, et on pouvait citer de lui des exploits vraiment notables.

Fallait-il que cette vieille gloire vînt se briser contre un jouet d'enfant?

Le malheureux Blaise travaillait comme un nègre, suait à grosses gouttes, et faussait l'un après l'autre tous ses instruments. On eût dit que la petite serrure était fée.

Le temps passait. Robert et Bibandier suivaient la vaine besogne de leur compagnon avec une impatience croissante.

– Donne-moi cela!.. s'écria enfin l'Américain en repoussant Blaise qui s'essuya le front sans mot dire; tu n'es plus bon à rien.

Il saisit l'une des tiges d'acier recourbées, et sonda la serrure à son tour.

Même résultat! La tige d'acier se tordit, et la serrure demeura inattaquable.

Robert se releva; Bibandier voulut essayer à son tour, et ce fut avec aussi peu de succès.

– Le diable est dans cette serrure!.. grommela-t-il.

Nos trois gentilshommes étaient debout, la tête basse et regardant d'un œil piteux ce charmant petit meuble qui semblait si facile à ouvrir…

Ils ne s'étaient pas découragés trop vite, et un temps considérable s'était écoulé déjà depuis leur entrée à l'hôtel.

– C'est infernal!.. murmura l'Américain. Échouer au port! Je parierais ma tête que les diamants sont dans ce coffre!..

– Ça me paraît clair!.. appuya tristement Bibandier. Une si bonne petite serrure doit servir à quelque chose!..

Blaise tourna la tête par hasard, et ses yeux tombèrent sur l'une des fenêtres.

– Regardez, dit-il d'un ton de frayeur.

Les regards de Blaise et de Robert suivirent sa main étendue.

Malgré la lumière de la lampe, on apercevait aux fentes des contrevents fermés deux ou trois de ces points étincelants qui annoncent le grand soleil.

– Il faut en finir!.. dit Robert.

Il se recula jusqu'à l'autre bout de la chambre et, prenant son élan, il vint donner de toute sa force contre le petit meuble. Le choc de son talon produisit un son sec et faible. Ce fut tout.

Le ventre du bahut n'avait même pas fléchi.

– Il y a du fer sous le bois!.. murmura-t-il en laissant retomber ses deux mains.

Nos trois gentilshommes, au comble de l'embarras, se regardèrent en silence pendant une bonne minute.

– Messieurs, dit enfin Robert, il faut jouer le tout pour le tout!.. Les gens de la maison vont s'éveiller, s'ils ne le sont pas déjà… En cavant au mieux, nous n'avons plus que quelques instants… Ne les perdons pas en efforts inutiles!.. Je me souviens d'avoir vu une hache dans la chambre où Nawn nous a introduits d'abord… A l'aide de cette hache, nous aurons bien raison de la doublure de fer!

– Je vais la chercher!.. s'écria Blaise.

– Allons tous les deux!.. ajouta Bibandier.

Ils se faisaient ce raisonnement que la fuite serait plus aisée, en cas de danger, s'ils étaient une fois hors de cette chambre.

Ils sortirent ensemble.

Nawn ne les avait point trompés. Malgré l'heure avancée, aucun bruit ne se faisait encore dans l'hôtel.

Resté seul, Robert prit la lampe et l'approcha de la serrure pour l'examiner mieux. Il y avait autour des ornements d'or guilloché, figurant une arabesque extrêmement légère.

Au milieu des lignes enchevêtrées du dessin, Robert distingua un petit bouton d'argent.

Son cœur battit comme s'il avait eu déjà en sa possession la fameuse boîte aux diamants. Et tout de suite, il eut l'excellente idée de s'adjuger le trésor à lui tout seul.

La moins tordue des tiges d'acier fut introduite de nouveau dans la serrure, et Robert la fit jouer en même temps qu'il pressait le bouton.

Le couvercle du petit meuble s'ouvrit et bascula de lui-même.

Robert poussa un cri de joie folle à la vue des diamants qui renvoyèrent, en gerbes étincelantes, la lumière de la lampe.

Il saisit la boîte et s'élança vers la porte.

Mais, au lieu de franchir le seuil, il s'arrêta comme frappé de la foudre, et la boîte s'échappa de sa main tremblante…

Il y avait devant lui deux fantômes: Diane et Cyprienne de Penhoël, qui tenaient à la main les pistolets du nabab, et qui, droites et fermes au-devant du seuil, dirigeaient les deux canons contre la poitrine de Robert.

Celui-ci toucha son front, qui se mouillait d'une sueur froide.

– Encore!.. encore!.. murmura-t-il d'une voix étouffée.

La signification de ce mot dut échapper aux deux jeunes filles, qui ne se doutaient même pas du danger récent qu'elles avaient couru par le fait de Nawn.

Pendant que cette dernière, en effet, après avoir versé le poison dans la bouilloire, s'éloignait précipitamment pour jeter au dehors le flacon accusateur, Séid était entré sans bruit dans la chambre de Blanche. Il avait renversé dans les cendres la liqueur empoisonnée, et rempli de nouveau la bouilloire avec de l'eau pure.

De sorte que Nawn, au lieu de son poison malais, avait servi d'excellent thé aux deux jeunes filles.

Celles-ci veillaient dans leur chambre, attendant le retour du nabab. Blanche dormait auprès de son enfant. Diane et Cyprienne sortaient, de temps à autre, dans le corridor, pour prêter l'oreille.

Au moindre bruit, annonçant le retour espéré de Montalt, elles voulaient s'élancer au-devant de lui, le supplier de vivre et vaincre sa résolution fatale à force de caresses.

Un bruit se fit, c'était le coup de pied de Robert, essayant de forcer le petit meuble.

Cyprienne et Diane traversèrent aussitôt le corridor. En un clin d'œil elles furent à la porte de Montalt.

Cette entrée dont nous parlons, et qui communiquait avec l'appartement donné à Blanche, était située à la tête du lit. Au moment où les deux jeunes filles y arrivaient, l'Endormeur et Bibandier sortaient par l'autre porte pour aller chercher la hache.

Robert ne pouvait voir entrer les deux sœurs, qui étaient masquées pour lui par le brocart épais des rideaux.

Quand elles s'avancèrent dans la chambre et qu'il eût pu les apercevoir, la découverte du secret l'absorbait déjà.

Il était tout entier à sa besogne.