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Histoire de la Guerre de Trente Ans

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Ce plan devait flatter d'autant plus l'amour-propre de Jean-Georges, qu'il lui était également insupportable de tomber sous la dépendance de la Suède ou de rester plus longtemps sous la tyrannie de l'empereur. Il ne pouvait voir avec indifférence qu'un prince étranger lui enlevât la direction des affaires d'Allemagne, et, tout incapable qu'il était de jouer le premier rôle, sa vanité ne pouvait se contenter du second. Il résolut donc de faire tourner, autant qu'il pourrait, à l'avantage de sa situation particulière, les progrès du monarque suédois, mais de suivre, en demeurant indépendant de lui, son propre plan. Dans cette vue, il eut une conférence avec l'électeur de Brandebourg, qui avait des raisons semblables d'être irrité contre l'empereur et de se défier de la Suède. Après s'être assuré, dans une diète convoquée à Torgau, de l'assentiment des états de Saxe, qui lui était indispensable pour l'exécution de son plan, il invita tous les membres évangéliques de l'Empire à une assemblée générale, qui devait s'ouvrir à Leipzig le 6 février 1631. Brandebourg, Hesse-Cassel, plusieurs princes, des comtes, d'autres membres de l'Empire, des évêques protestants, parurent en personne ou se firent représenter dans cette assemblée, que le prédicateur de la cour de Saxe, le docteur Hoe de Hohenegg, ouvrit par un sermon véhément. L'empereur avait fait d'inutiles efforts pour empêcher cette conférence, qui se réunissait de son autorité privée, dont l'objet était visiblement la défense personnelle, et que la présence des Suédois en Allemagne rendait fort dangereuse. Les princes assemblés, animés par les progrès de Gustave-Adolphe, maintinrent leurs droits, et ils se séparèrent, au bout de deux mois, après une décision remarquable, qui jeta Ferdinand dans un grand embarras. Elle portait que l'empereur serait énergiquement requis, dans un écrit rédigé au nom de tous, d'abolir l'édit de restitution, de retirer ses troupes de leurs résidences et places fortes, de cesser les exécutions, de réformer tous les anciens abus. En attendant, on mettrait sur pied une armée de quarante mille hommes, pour se faire justice soi-même, en cas d'un refus de l'empereur.

Une nouvelle circonstance se présenta, qui ne contribua pas peu à fortifier les princes protestants dans leurs résolutions. Le roi de Suède avait enfin surmonté les scrupules qui l'avaient détourné jusque-là d'une liaison plus étroite avec la France, et, le 13 janvier 1631, il avait conclu avec cette couronne une formelle alliance. Après avoir très-vivement débattu la manière dont seraient traités les princes catholiques de l'Empire, que la France prenait sous sa protection, et envers lesquels Gustave voulait user du droit de représailles; après une contestation, moins importante, sur le titre de Majesté, que l'orgueil français refusait à la fierté suédoise, Richelieu céda enfin sur le second point, Gustave-Adolphe sur le premier, et le traité d'alliance fut signé à Beerwald, dans la Nouvelle-Marche. Les deux puissances s'y engagèrent à se soutenir mutuellement et à main armée, à défendre leurs amis communs, à aider à rentrer dans leurs États les princes de l'Empire dépossédés, et à rétablir toutes choses, aux frontières et dans l'intérieur de l'Allemagne, comme elles étaient avant que la guerre éclatât. Dans cette vue, la Suède devait entretenir à ses frais en Allemagne une armée de trente mille hommes, et la France fournir aux Suédois quatre cent mille écus de subsides annuels. Si la fortune favorisait les armes de Gustave, il devait respecter dans les places conquises la religion catholique et les lois de l'Empire, et ne rien entreprendre contre elles; l'accès de l'alliance était ouvert à tous les membres de l'Empire et aux princes, même catholiques, en Allemagne comme au dehors; une partie ne pouvait conclure, sans la connaissance et le consentement de l'autre, une paix séparée avec l'ennemi; l'alliance devait durer cinq ans.

Autant le roi de Suède avait répugné à recevoir une solde de la France et à sacrifier l'avantage de conduire la guerre avec une entière liberté, autant cette alliance fut décisive pour ses affaires en Allemagne. Alors seulement, les membres de l'Empire germanique, le voyant soutenu par la puissance la plus considérable de l'Europe, commencèrent à prendre confiance dans son entreprise, dont le succès leur avait donné jusqu'alors de justes alarmes. Alors seulement, il devint redoutable à l'empereur. De ce moment, les princes catholiques eux-mêmes, qui désiraient l'humiliation de l'Autriche, virent avec moins de défiance les progrès de Gustave en Allemagne, parce que son alliance avec une puissance catholique lui imposait des ménagements envers l'Église. De même que l'apparition de Gustave-Adolphe protégeait la religion évangélique et la liberté allemande contre la prépondérance de l'empereur, de même l'intervention de la France pouvait maintenant protéger la religion catholique et la liberté allemande contre Gustave-Adolphe, si l'ivresse du succès devait l'entraîner au delà des bornes de la modération.

Le roi de Suède ne tarda point à notifier ce traité conclu avec la France aux princes qui avaient formé l'alliance de Leipzig, et les invita en même temps à s'unir avec lui plus étroitement. La France appuya cette invitation et n'épargna aucun argument pour décider l'électeur de Saxe. Gustave-Adolphe offrait de se contenter d'un appui secret, si les princes jugeaient encore téméraire de se déclarer ouvertement pour lui. Plusieurs lui firent espérer leur adhésion, aussitôt qu'ils verraient jour à se déclarer. Jean-Georges, toujours défiant et jaloux du roi de Suède, toujours fidèle à sa politique intéressée, ne put se résoudre à se déclarer bien nettement.

La résolution de la conférence de Leipzig et le traité entre la France et la Suède étaient deux nouvelles également fâcheuses pour l'empereur. Contre la décision des princes, il eut recours aux foudres de sa toute-puissance impériale. Pour faire sentir à la France tout son mécontentement du traité, il ne lui manquait qu'une armée. Tous les membres de l'Union de Leipzig reçurent des lettres de remontrances, qui leur interdisaient, dans les termes les plus forts, toute levée de troupes. Ils répondirent par de violentes récriminations, justifièrent leur conduite par le droit naturel, et continuèrent leurs préparatifs de guerre.

Cependant, les généraux de l'empereur se voyaient réduits, par le défaut de troupes et d'argent, à la fâcheuse alternative de perdre de vue le roi de Suède ou les princes allemands, ne se trouvant pas en état de leur tenir tête en même temps avec leurs forces divisées. Les mouvements des protestants attiraient leur attention vers l'intérieur de l'Empire; les progrès du roi dans la marche de Brandebourg, qui menaçaient déjà de près les États héréditaires de Ferdinand, exigeaient impérieusement qu'ils tournassent leurs armes de ce côté. Après la prise de Francfort, Gustave avait marché contre Landsberg sur la Wartha, et Tilly, après avoir essayé trop tard de sauver cette place, retourna vers Magdebourg, pour continuer avec vigueur le siége commencé.

Le riche archevêché, dont Magdebourg était la résidence, avait longtemps appartenu à des princes évangéliques de la maison de Brandebourg, qui y établirent leur religion. Christian-Guillaume, le dernier administrateur, avait été mis au ban de l'Empire, à cause de ses liaisons avec le Danemark, et le chapitre, pour ne pas attirer sur l'archevêché la vengeance impériale, s'était cru obligé de le dépouiller formellement de sa dignité. A sa place, il proposa le prince Jean-Auguste, deuxième fils de l'électeur de Saxe; mais Ferdinand le rejeta, pour conférer l'archevêché à son propre fils Léopold. Là-dessus, l'électeur adressa de vaines plaintes à la cour impériale. Christian-Guillaume de Brandebourg prit des mesures plus efficaces. Assuré de l'attachement du peuple et des magistrats de Magdebourg, et enflammé par des espérances chimériques, il se crut en état de vaincre tous les obstacles que la sentence du chapitre, la concurrence de deux puissants rivaux et l'édit de restitution opposaient à son rétablissement. Il fit un voyage en Suède et tâcha de s'assurer, par la promesse d'une importante diversion en Allemagne, le secours de Gustave. Le roi ne le renvoya point sans lui faire espérer un vigoureux appui, mais il lui recommanda en même temps d'agir avec prudence.

A peine Christian-Guillaume eut-il appris le débarquement de son protecteur en Poméranie, qu'il se glissa dans Magdebourg, à la faveur d'un déguisement. Il parut soudain dans le conseil de la ville, rappela aux magistrats tous les maux que les troupes impériales avaient fait souffrir à la ville et au territoire, les pernicieux desseins de Ferdinand, le péril de l'Église évangélique. Après ce début, il leur annonça que le moment de leur délivrance était arrivé, et que Gustave-Adolphe leur offrait son alliance et ses secours. Magdebourg, une des plus riches cités de l'Allemagne, jouissait, sous le gouvernement de ses magistrats, d'une liberté républicaine, qui inspirait aux citoyens une audace héroïque. Ils en avaient déjà donné des preuves glorieuses dans leur conduite envers Wallenstein, qui, attiré par leurs richesses, leur avait adressé des réquisitions exorbitantes, et, par une courageuse résistance, ils avaient maintenu leurs droits. Tout leur territoire éprouva, il est vrai, la fureur dévastatrice de ses troupes, mais Magdebourg même échappa à sa vengeance. Il ne fut donc pas difficile à l'administrateur de gagner des esprits encore émus par le récent souvenir de ces mauvais traitements. Une alliance fut conclue entre la ville et le roi de Suède: Magdebourg accordait au roi le libre passage dans la ville et le pays, avec le droit de recrutement sur le territoire de l'archevêché, et recevait, en retour, l'assurance que sa religion et ses priviléges seraient loyalement protégés.

Aussitôt l'administrateur leva des troupes et commença prématurément les hostilités, avant que Gustave fût assez près pour le soutenir avec son armée. Il réussit à enlever quelques détachements impériaux dans le voisinage, à faire de petites conquêtes, et même à surprendre la ville de Halle; mais l'approche d'une armée autrichienne l'obligea bientôt de reprendre en toute hâte et non sans perte le chemin de Magdebourg. Gustave-Adolphe, quoique mécontent de sa précipitation, lui envoya un officier expérimenté, Dietrich de Falkenberg, pour diriger les opérations militaires et assister l'administrateur de ses conseils. Falkenberg fut nommé, par les magistrats, commandant de la ville, pour toute la durée de la guerre. Chaque jour, il arrivait des villes voisines de nouveaux renforts à l'armée du prince; elle remporta plusieurs avantages sur les régiments impériaux envoyés contre elle, et put soutenir, pendant plusieurs mois, une guerre avec beaucoup de bonheur.

 

Enfin le comte de Pappenheim s'approcha de la ville, après son expédition contre le duc de Saxe-Lauenbourg. Il délogea, en peu de temps, de toutes les redoutes environnantes, les troupes de l'administrateur, lui coupa ainsi toute communication avec la Saxe, et entreprit sérieusement le siége de la ville. Tilly survint bientôt après; il somma l'administrateur, dans un écrit menaçant, de ne pas résister plus longtemps à l'édit de restitution, de se soumettre aux ordres de l'empereur, et de rendre Magdebourg. La réponse du prince fut vive et hardie, et décida le général impérial à lui faire éprouver la force de ses armes.

Cependant, le siége fut encore retardé quelque temps, à cause des progrès de Gustave-Adolphe, qui appelèrent d'un autre côté le général de l'empereur, et la jalousie des généraux, qui commandaient en son absence, laissa à la ville un répit de quelques mois. Enfin, le 30 mars 1631, Tilly reparut, et, dès ce moment, le siége fut poussé avec vigueur.

Tous les ouvrages extérieurs furent emportés en peu de temps. Falkenberg avait lui-même retiré les postes inutilement exposés et fait rompre le pont de l'Elbe. Comme on n'avait pas assez de troupes pour défendre une si vaste place avec ses faubourgs, on abandonna ceux de Sudenbourg et de Neustadt à l'ennemi, qui aussitôt les réduisit en cendres. Pappenheim se sépara de Tilly et passa l'Elbe, près de Schœnebeck, pour attaquer la ville de l'autre côté.

La garnison, affaiblie par les combats livrés précédemment dans les ouvrages extérieurs, ne s'élevait pas à plus de deux mille fantassins et quelques centaines de cavaliers, nombre bien faible pour une place si étendue, et qui de plus était irrégulière. Pour suppléer à ce manque de défenseurs, on arma les bourgeois: ressource désespérée, qui fit plus de mal que de bien. Les bourgeois, déjà par eux-mêmes très-médiocres soldats, perdirent la ville par leur désunion. Le pauvre voyait avec peine qu'on rejetât sur lui seul toutes les charges, qu'on l'exposât seul à toutes les fatigues, à tous les dangers, tandis que le riche envoyait ses valets et se donnait du bon temps dans sa maison. Le mécontentement éclata enfin en murmures universels; l'indifférence prit la place du zèle; le dégoût et la négligence dans le service, celle de l'attention vigilante. La division des esprits, jointe aux progrès de la disette, donna lieu insensiblement à des réflexions décourageantes; plusieurs commencèrent à s'effrayer de leur entreprise téméraire, à trembler devant la toute-puissance de Ferdinand, contre qui l'on avait engagé la lutte. Mais le fanatisme religieux, l'ardent amour de la liberté, une répugnance invincible pour le nom de l'empereur, l'espoir vraisemblable d'une délivrance prochaine, écartèrent toute idée de capitulation; et, si divisé que l'on fût sur tout le reste, on était unanime pour se défendre jusqu'à la dernière extrémité.

L'espérance des assiégés de se voir délivrés se fondait sur les plus grandes probabilités. Ils connaissaient l'armement de l'Union de Leipzig; ils connaissaient l'approche de Gustave-Adolphe. Les princes et le roi de Suède étaient également intéressés au salut de Magdebourg, et quelques jours de marche pouvaient amener ce dernier devant leurs murs. Le comte Tilly n'ignorait rien de tout cela, et voilà pourquoi il s'efforçait tant de s'emparer de la ville, par quelque moyen que ce fût. Déjà il avait envoyé, pour la sommer de se rendre, un trompette avec diverses dépêches à l'administrateur, au commandant et aux magistrats; mais on lui avait répondu qu'on mourrait plutôt que de se rendre. Une vigoureuse sortie des bourgeois lui prouva que le courage des assiégés n'était rien moins que refroidi; et l'arrivée du roi à Potsdam, les courses des Suédois jusqu'aux murs de Zerbst, devaient inspirer des alarmes à Tilly et les plus belles espérances aux habitants de Magdebourg. Un deuxième trompette, qu'il leur envoya, et le ton plus mesuré de son style, affermirent encore leur confiance, mais pour les plonger dans une incurie d'autant plus profonde.

Cependant, les assiégeants avaient poussé leurs approches jusqu'aux fossés de la ville, et les batteries qu'ils avaient dressées foudroyaient les remparts et les tours. Une tour s'écroula entièrement, mais sans donner plus de facilité pour l'attaque, parce qu'elle ne tomba point dans le fossé et se coucha de côté sur le rempart. Malgré le bombardement continuel, les murs avaient peu souffert, et l'effet des boulets rouges, qui devaient incendier la ville, était rendu nul par des dispositions excellentes. Mais la provision de poudre des assiégés s'épuisait, et l'artillerie de la place cessa peu à peu de répondre au feu des assiégeants. Avant qu'on eût eu le temps de préparer de nouvelle poudre, Magdebourg devait être nécessairement délivré ou perdu. Jamais les habitants n'avaient eu tant d'espoir: tous les regards se tournaient avec une ardente impatience vers le point de l'horizon où devaient flotter les drapeaux suédois. Gustave-Adolphe était assez proche pour arriver en trois jours devant la ville. La sécurité augmente avec la confiance, et tout contribue à la fortifier. Le 9 mai, la canonnade ennemie cesse tout à coup; plusieurs batteries sont dégarnies de leurs pièces. Un silence de mort règne dans le camp des Impériaux. Tout persuade aux assiégés que leur délivrance approche. La plupart des bourgeois et des soldats de garde sur le rempart abandonnent leur poste de grand matin, pour se livrer une fois enfin, après un long travail, aux douceurs du sommeil: mais ce sommeil leur coûta cher, et le réveil fut affreux!

Tilly avait enfin renoncé à l'espérance d'emporter la place, avant l'arrivée des Suédois, en suivant toujours le même plan d'attaque. Il résolut donc de lever son camp, mais de tenter encore auparavant un assaut général. Les difficultés étaient grandes: il n'y avait point de brèche praticable, et les ouvrages étaient à peine endommagés. Mais le conseil de guerre, que Tilly rassembla, se déclara pour l'assaut, en s'appuyant sur l'exemple de Maëstricht, qu'on avait emporté par escalade, au point du jour, tandis que les bourgeois et les soldats étaient livrés au sommeil. L'assaut fut résolu, et l'on décida d'attaquer sur quatre points à la fois. La nuit du 9 au 10 fut consacrée entièrement aux préparatifs nécessaires. Toutes les dispositions étaient prises, et l'on attendait le signal convenu, que le canon devait donner à cinq heures du matin. Il fut donné en effet, mais seulement deux heures plus tard, parce que Tilly, qui se défiait encore du succès, avait rassemblé une seconde fois le conseil de guerre. Pappenheim reçut l'ordre d'attaquer les ouvrages du faubourg de Neustadt: un mur incliné, un fossé sans eaux et peu profond, le favorisaient. La plupart des bourgeois et des soldats avaient quitté les retranchements; le petit nombre qui restait était plongé dans le sommeil: il ne fut donc pas difficile à Pappenheim d'escalader le premier le rempart.

Falkenberg frappé soudain du bruit de la mousqueterie, accourt de l'hôtel de ville, où il était occupé à expédier le deuxième trompette de Tilly; il s'élance, avec une poignée de monde qu'il a pu ramasser, vers la porte de Neustadt, que l'ennemi a déjà emportée. Repoussé de ce côté, le brave général vole sur un autre point, où un deuxième parti d'Impériaux est près d'escalader les murailles. Sa résistance est vaine: à peine le combat est-il engagé, que les balles ennemies le couchent par terre. La violence de la fusillade, le son du tocsin, le tumulte croissant, éveillent enfin les bourgeois et les avertissent du danger qui les menace. Ils se couvrent à la hâte de leurs habits, saisissent leurs armes, et, dans leur aveugle stupeur, se précipitent au-devant de l'ennemi. On aurait pu espérer encore de le repousser, mais le commandant était tué: point de plan d'attaque; point de cavalerie, pour pénétrer dans les rangs en désordre; enfin plus de poudre pour continuer le feu. Deux autres portes, où jusque-là l'ennemi ne s'était pas encore montré, sont dégarnies de leurs défenseurs, qu'on veut porter dans la ville, où le danger est plus pressant. L'ennemi profite promptement du désordre qui naît de là, pour attaquer aussi ces postes. La résistance est vive et opiniâtre; mais enfin quatre régiments impériaux, maîtres du rempart, prennent à dos les Magdebourgeois et achèvent leur défaite. Un brave capitaine, nommé Schmidt, qui, dans cette confusion générale, mène encore une fois à l'ennemi les plus résolus, est assez heureux pour le repousser jusqu'à la porte; mais il tombe mortellement blessé, et avec lui disparaît la dernière espérance de Magdebourg. Avant midi, tous les ouvrages sont emportés, et la ville est au pouvoir de l'ennemi.

Deux portes sont alors ouvertes au principal corps d'armée, par ceux qui avaient donné l'assaut, et Tilly fait entrer dans Magdebourg une partie de son infanterie. Elle occupe aussitôt les principales rues, et les canons braqués chassent tous les bourgeois dans leurs demeures, pour y attendre leur sort. On ne les laisse pas longtemps incertains; deux mots du comte Tilly fixent le destin de Magdebourg. Un général qui aurait eu quelque humanité eût vainement recommandé la pitié à de pareilles troupes; mais Tilly ne prit pas même la peine de l'essayer. Les soldats, devenus, par le silence de leur général, maîtres de la vie de tous les citoyens, se précipitent dans l'intérieur des maisons pour assouvir sans frein tous les désirs de leur brutalité. Quelques Allemands furent touchés par les prières de l'innocence; la fureur des Wallons de Pappenheim fut sourde et impitoyable. A peine ce massacre avait-il commencé, que les autres portes s'ouvrirent, et toute la cavalerie, les bandes féroces des Croates, furent lâchées sur cette malheureuse ville.

Alors commença une scène de carnage pour laquelle l'histoire n'a point de langage, ni la poésie de pinceaux. L'enfance innocente, la vieillesse infirme, la jeunesse, le sexe, la condition, la beauté, rien ne peut désarmer la rage du vainqueur. Des femmes sont maltraitées dans les bras de leurs maris, des filles aux pieds de leurs pères: le sexe sans défense n'a que le privilége d'être victime d'une double rage. Point de retraite assez cachée, assez sainte, pour échapper aux recherches infatigables de la cupidité. On trouva cinquante-trois femmes décapitées dans une église. Les Croates s'amusaient à jeter les enfants dans les flammes, les Wallons de Pappenheim à percer les nourrissons sur le sein de leurs mères. Quelques officiers de la Ligue, révoltés de cet affreux spectacle, osèrent demander au comte Tilly qu'il voulût bien arrêter le massacre. «Revenez dans une heure, répondit-il. Je verrai alors ce que j'aurai à faire. Il faut que le soldat ait quelque chose pour ses dangers et sa peine.» Ces horreurs continuèrent, avec la même rage, jusqu'au moment où les flammes et la fumée arrêtèrent enfin la rapacité. Pour augmenter le trouble et briser la résistance des habitants, on avait tout d'abord mis le feu en plusieurs endroits. Il s'éleva un orage, qui répandit les flammes dans toute la ville avec une rapidité dévorante, et rendit l'embrasement général. La presse était effroyable, au milieu de la fumée et des cadavres, des glaives étincelants, des ruines croulantes et des ruisseaux de sang. L'air était brûlant, et la chaleur insupportable contraignit enfin ces bourreaux eux-mêmes à se réfugier dans leur camp. En moins de douze heures, cette ville populeuse, grande et forte, une des plus belles de l'Allemagne, fut réduite en cendres, à l'exception de deux églises et de quelques masures. L'administrateur Christian-Guillaume, couvert de blessures, fut fait prisonnier avec trois bourgmestres. Beaucoup de braves officiers et de magistrats avaient trouvé, en combattant, une mort digne d'envie. Quatre cents des plus riches bourgeois furent arrachés à la mort par l'avarice des officiers ennemis, qui voulaient tirer d'eux de fortes rançons. Au reste, on ne vit guère que des officiers de la Ligue montrer cette sorte d'humanité, et l'aveugle barbarie du soldat impérial les fit regarder comme des anges sauveurs.

 

A peine la fureur de l'incendie fut-elle un peu calmée, que les bandes impériales revinrent, avec une avidité nouvelle, fouiller la cendre et les décombres. Plusieurs périrent suffoqués par la vapeur; beaucoup firent un riche butin, les bourgeois ayant caché dans les caves ce qu'ils avaient de plus précieux. Le 13 mai, Tilly parut enfin lui-même dans la ville, après qu'on eut nettoyé les principales rues des ruines et des cadavres. Ce fut une scène horrible, affreusement révoltante, qui s'offrit alors aux regards de l'humanité! Des vivants se relevaient parmi des monceaux de morts; des enfants erraient çà et là et cherchaient leurs parents avec des cris qui déchiraient l'âme; des nourrissons suçaient encore le sein maternel, que la mort avait glacé. Pour dégager les rues, il fallut jeter dans l'Elbe plus de six mille cadavres; les flammes avaient dévoré bien plus encore de morts et de vivants. On fait monter à trente mille tout le nombre des victimes.

L'entrée solennelle du général, qui eut lieu le 14, mit fin au pillage, et ce qui vivait encore fut épargné. Environ mille personnes furent tirées de la cathédrale, où elles avaient passé trois jours et deux nuits, sans nourriture, dans l'attente continuelle de la mort. Tilly leur fit annoncer le pardon et distribuer du pain. Le lendemain, on célébra, dans cette cathédrale, une messe solennelle, et l'on chanta le Te Deum au bruit du canon. Le général de l'empereur parcourut les rues à cheval, afin de pouvoir mander à son maître, comme témoin oculaire, que, depuis la ruine de Troie et de Jérusalem, il ne s'était pas vu de pareille victoire. Et cette parole n'avait rien d'exagéré, si l'on considère à la fois la grandeur, la prospérité, l'importance de la ville détruite, et la rage de ses dévastateurs.

La nouvelle du désastre de Magdebourg répandit l'allégresse chez les catholiques, l'horreur et l'effroi dans toute l'Allemagne protestante. La douleur et la colère universelles accusaient le roi de Suède, qui, se trouvant si près, avec de si grandes forces, avait laissé sans secours cette ville alliée. Les plus équitables eux-mêmes trouvaient inexplicable cette inaction du roi, et, pour ne pas perdre à jamais les cœurs du peuple qu'il était venu délivrer, il se vit obligé d'exposer au jugement du monde, dans une apologie, les raisons de sa conduite.

Il venait d'attaquer Landsberg, et il s'en était emparé le 16 avril, lorsqu'il apprit le danger de Magdebourg. Aussitôt il résolut de délivrer cette place, serrée de si près, et marcha vers la Sprée avec toute sa cavalerie et dix régiments d'infanterie. La situation où ce roi se trouvait en Allemagne lui faisait une loi, loi inviolable de prudence, de ne jamais faire un pas en avant sans avoir assuré ses derrières. Il fallait qu'il traversât avec toutes les précautions de la défiance un pays où il était environné d'amis équivoques et d'ennemis déclarés et puissants; un seul pas inconsidéré pouvait lui couper toute communication avec son royaume. Déjà l'électeur de Brandebourg avait ouvert sa forteresse de Cüstrin aux Impériaux fugitifs et l'avait fermée aux Suédois qui les poursuivaient. Si maintenant Gustave était malheureux contre Tilly, ce même électeur pouvait encore ouvrir ses forteresses aux troupes de l'empereur, et le roi, ayant des ennemis devant et derrière lui, était perdu sans ressource. Pour n'être pas exposé à ce hasard, dans l'entreprise qu'il voulait alors exécuter, il demandait, avant de marcher au secours de la ville assiégée, que les deux forteresses de Cüstrin et de Spandau lui fussent remises par l'électeur jusqu'à la délivrance de Magdebourg.

Rien ne paraissait plus juste que cette demande. L'important service que Gustave-Adolphe avait rendu peu auparavant à l'électeur, en chassant les Impériaux du Brandebourg, semblait lui donner des droits à sa reconnaissance, et la conduite des Suédois en Allemagne jusqu'à ce jour était un titre à sa confiance. Mais, en livrant ses places fortes au roi de Suède, l'électeur le rendait, en quelque sorte, maître de son pays, et rompait en même temps avec Ferdinand, exposant ainsi ses États aux vengeances futures des armées impériales. Longtemps Georges-Guillaume fut cruellement combattu en lui-même, mais enfin la pusillanimité et l'égoïsme parurent l'emporter. Insensible au sort de Magdebourg, indifférent pour la religion et la liberté allemande, il ne vit rien que son propre danger, et son appréhension fut portée au comble par son ministre Schwarzenberg, secrètement soldé par l'empereur. Cependant, les troupes suédoises s'approchèrent de Berlin, et le roi alla loger chez l'électeur. Quand il vit la timide hésitation de ce prince, il ne put contenir son indignation. «Je marche vers Magdebourg, lui dit-il, non dans mon intérêt, mais dans celui des évangéliques. Si personne ne veut m'aider, je fais retraite sur-le-champ, j'offre un accommodement à l'empereur, et je reprends le chemin de Stockholm. Je suis assuré que l'empereur fera avec moi une paix aussi avantageuse que je pourrai le désirer; mais que Magdebourg succombe, qu'il n'ait plus rien à craindre de moi, et vous verrez ce qui vous arrivera!» Cette menace jetée à propos, peut-être aussi la vue de l'armée suédoise, qui était assez puissante pour procurer de force à son maître ce qu'on refusait de lui accorder de bonne grâce, décidèrent enfin l'électeur à remettre Spandau dans les mains du roi de Suède.

Deux chemins s'offraient alors à Gustave pour gagner Magdebourg: l'un le menait au couchant, à travers un pays épuisé, et des troupes ennemies qui pouvaient lui disputer le passage de l'Elbe; l'autre au sud, par Dessau ou Wittenberg, où il trouvait des ponts pour passer le fleuve et pouvait tirer des vivres de la Saxe. Mais il fallait le consentement de Jean-Georges, qui lui inspirait une juste défiance. Avant de se mettre en marche, il fit donc demander à ce prince le libre passage et des vivres pour ses troupes, qu'il payerait comptant. Sa demande fut rejetée; aucune représentation ne put faire abandonner à l'électeur son système de neutralité. Ce débat durait encore, lorsque arriva la nouvelle du sort affreux de Magdebourg.

Tilly l'annonça du ton d'un vainqueur à tous les princes protestants, et ne perdit pas un moment pour profiter de son mieux de la terreur générale. L'autorité de l'empereur, considérablement déchue depuis les progrès de Gustave, se releva, plus formidable que jamais, après ce coup décisif; et ce changement se révéla aussitôt dans le langage impérieux qu'il fit entendre aux membres protestants de l'Empire. Par une décision souveraine, il cassa les résolutions de l'alliance de Leipzig; un décret impérial abolit l'alliance elle-même; tous les membres rebelles étaient menacés du sort de Magdebourg. Comme exécuteur de ce décret impérial, Tilly fit marcher aussitôt des troupes contre l'évêque de Brême, qui était membre de l'alliance de Leipzig et avait levé des soldats. L'évêque, effrayé, les livra sur-le-champ à Tilly et signa la cassation des arrêtés de Leipzig. Une armée impériale, qui revenait d'Italie dans ce temps-là même, sous les ordres du comte de Fürstenberg, traita de même l'administrateur de Wurtemberg. Il fallut que le duc se soumît à l'édit de restitution et à tous les décrets de l'empereur, et qu'en outre il lui payât pour l'entretien de ses troupes un subside annuel de cent mille écus. Des charges pareilles furent imposées aux villes d'Ulm et de Nuremberg, aux cercles de Franconie et de Souabe. La main de l'empereur s'appesantissait terriblement sur l'Allemagne. La soudaine prépondérance qu'il dut à cet événement, fondée sur l'apparence plus que sur la réalité, l'entraîna au delà des bornes de la modération, où il s'était renfermé jusqu'alors, et l'égara dans des mesures violentes et précipitées, qui firent cesser enfin, à l'avantage de Gustave-Adolphe, l'indécision des princes allemands. Aussi malheureuses donc que furent pour les protestants les premières suites du sanglant triomphe de Tilly, aussi avantageux furent ses effets éloignés. La première surprise fit bientôt place à une active indignation; le désespoir donna des forces, et la liberté allemande sortit des cendres de Magdebourg.