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Histoire de la Guerre de Trente Ans

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Parmi les princes qui avaient formé l'alliance de Leipzig, l'électeur de Saxe et le landgrave de Hesse étaient de beaucoup les plus redoutables, et l'autorité de l'empereur n'était pas assurée dans ces contrées, tant qu'il ne les voyait pas désarmés. Tilly tourna d'abord ses armes contre le landgrave et marcha incontinent de Magdebourg sur la Thuringe. Dans cette expédition, les territoires de la Saxe-Ernestine et de Schwarzbourg furent horriblement maltraités. Frankenhausen fut pillé impunément et réduit en cendres par les soldats de Tilly, sous les yeux mêmes de leur général. Les malheureux paysans furent cruellement punis de ce que leur maître favorisait les Suédois. Erfurt, la clef du pays entre la Saxe et la Franconie, fut menacé d'un siége, mais s'en racheta par une livraison volontaire de vivres et une somme d'argent. De là, Tilly dépêcha un envoyé au landgrave de Hesse-Cassel, pour le sommer de licencier ses troupes sans délai et de renoncer à l'alliance de Leipzig, de recevoir des régiments impériaux dans ses domaines et ses places fortes, de payer des contributions et de se déclarer ami ou ennemi. C'est ainsi qu'un prince de l'Empire germanique se vit traiter par un officier de l'empereur. Mais cette exigence excessive tirait un poids effrayant des forces militaires dont elle était accompagnée, et le récent souvenir du sort affreux de Magdebourg ajoutait nécessairement à son effet. L'intrépidité avec laquelle le landgrave répondit à cette injonction n'en mérite que plus d'éloges. «Il n'était nullement disposé, dit-il, à avoir des soldats étrangers dans ses places fortes et dans sa résidence. Ses troupes, il en avait besoin. Contre une attaque il saurait se défendre. Si le général Tilly manquait d'argent et de vivres, il n'avait qu'à prendre le chemin de Munich, où il trouverait l'un et l'autre en abondance.» L'irruption de deux troupes d'Impériaux dans la Hesse fut la suite immédiate de cette réponse provoquante; mais le landgrave sut si bien prendre ses mesures, qu'il les empêcha de rien faire de considérable. Tilly était sur le point de les suivre avec toutes ses forces, et la malheureuse contrée aurait payé bien cher la fermeté de son prince, si les mouvements du roi de Suède n'avaient rappelé à propos le général de l'empereur.

Gustave-Adolphe avait appris la ruine de Magdebourg avec la plus vive douleur. Son affliction fut encore augmentée par la réclamation de Georges-Guillaume, qui redemandait, conformément au traité, la forteresse de Spandau. La perte de Magdebourg avait plutôt fortifié qu'affaibli les motifs qui rendaient si importante pour le roi la possession de cette place. Plus il voyait approcher la nécessité d'une bataille décisive contre Tilly, moins il pouvait se résoudre à renoncer au seul refuge qui lui restât en cas de revers. Après avoir épuisé vainement les représentations et les prières auprès de l'électeur de Brandebourg, voyant plutôt sa froideur augmenter de jour en jour, il envoya enfin à son commandant l'ordre d'évacuer Spandau; mais il déclara en même temps que, dès ce jour, l'électeur serait traité en ennemi.

Pour appuyer cette déclaration, il parut devant Berlin avec toute son armée. «Je ne veux pas être moins bien traité que les généraux de l'empereur, dit-il aux députés que le prince effrayé avait envoyés dans son camp. Votre maître les a reçus dans ses États, a pourvu à tous leurs besoins, leur a livré toutes les places qu'ils ont voulues, et, par toutes ces complaisances, il n'a pu en obtenir pour son peuple un traitement plus humain. Tout ce que je lui demande, moi, c'est la sûreté, une somme d'argent médiocre, et du pain pour mes troupes. Je lui promets en échange de protéger ses États et d'éloigner de lui la guerre. Mais je suis forcé d'insister sur tous ces points: que mon frère l'électeur décide promptement s'il veut m'avoir pour ami ou voir sa capitale livrée au pillage.» Ce ton résolu fit impression, et les canons braqués contre la ville dissipèrent tous les doutes de Georges-Guillaume. Peu de jours après, une alliance fut signée: l'électeur promettait une contribution de trente mille écus par mois, laissait Spandau dans les mains de Gustave et s'engageait à ouvrir aussi en tout temps Cüstrin à ses troupes. Cette alliance, désormais décidée, entre l'électeur de Brandebourg et la Suède, ne fut pas mieux reçue à Vienne que ne l'avait été auparavant celle du duc de Poméranie; mais les revers que ses armes éprouvèrent bientôt après ne permirent pas à l'empereur de témoigner autrement que par des paroles son mécontentement.

La joie que le roi ressentit de cet heureux succès s'accrut bientôt par l'agréable nouvelle que Greifswalde, la seule place forte que les Impériaux possédassent encore en Poméranie, avait capitulé, et que tout le pays était enfin délivré de ces cruels ennemis. Il reparut lui-même dans le duché et jouit du délicieux spectacle de la joie universelle, qui était son ouvrage. Un an s'était écoulé depuis que Gustave-Adolphe avait mis le pied sur le sol de l'Allemagne, et cet anniversaire fut célébré dans tout le duché de Poméranie par un jour solennel d'actions de grâces. Peu auparavant, le czar de Moscovie l'avait fait saluer par ses ambassadeurs, chargés de lui renouveler l'amitié de leur maître et même de lui offrir des troupes auxiliaires. Il dut se féliciter d'autant plus de ces dispositions pacifiques des Russes, qu'il était pour lui d'une extrême conséquence de n'être pas inquiété par l'inimitié d'un voisin durant la périlleuse guerre qu'il allait affronter. Bientôt après, la reine Marie-Éléonore, son épouse, débarqua en Poméranie avec un renfort de huit mille Suédois, et le marquis d'Hamilton lui amena dix mille Anglais: événement qui doit être d'autant moins passé sous silence que c'est là tout ce que l'histoire peut rapporter des exploits de cette nation pendant la guerre de Trente ans.

Pendant l'expédition de Tilly dans la Thuringe, Pappenheim occupait le territoire de Magdebourg, mais il n'avait pu empêcher les Suédois de passer l'Elbe à diverses reprises, de tailler en pièces quelques détachements impériaux et de prendre possession de plusieurs places. Lui-même, alarmé de l'approche du roi il rappela le comte Tilly de la manière la plus pressante et le décida, en effet, à revenir, à marches forcées, à Magdebourg. Tilly assit son camp en deçà du fleuve, à Wolmirstædt; Gustave avait le sien du même côté, près de Werben, non loin du confluent du Havel et de l'Elbe. Tilly, dès son arrivée, eut des sujets d'alarme. Les Suédois dispersèrent trois de ses régiments, qui étaient postés dans des villages, loin du corps d'armée; enlevèrent la moitié de leurs bagages et brûlèrent le reste. Vainement Tilly s'avança à une portée de canon du camp de Gustave, pour lui présenter la bataille. Le roi, plus faible de moitié que les ennemis, l'évita sagement. Son camp était trop fort pour permettre à l'ennemi une attaque: tout se réduisit à une canonnade et à quelques escarmouches, dans lesquelles les Suédois eurent toujours l'avantage. Pendant sa retraite sur Wolmirstædt, l'armée de Tilly perdit beaucoup de monde par les désertions. Depuis le massacre de Magdebourg, la fortune le fuyait.

En revanche, elle accompagnait constamment le roi de Suède. Tandis qu'il était campé à Werben, tout le Mecklembourg, à la réserve d'un petit nombre de places, fut conquis par son général Tott et par le duc Adolphe-Frédéric; et Gustave eut la royale jouissance de rétablir les deux princes dans leurs États. Il se rendit lui-même à Gustrow, où se fit la réintégration, pour relever par sa présence l'éclat de la cérémonie. Les ducs, ayant entre eux leur sauveur et autour d'eux un brillant cortége de princes, firent une entrée solennelle, dont la joie des sujets fit la plus touchante des fêtes. Bientôt après son retour à Werben, Gustave vit paraître dans son camp le landgrave de Hesse-Cassel, qui venait conclure avec lui une étroite alliance offensive et défensive. Ce fut le premier prince régnant d'Allemagne qui se déclara librement et ouvertement contre l'empereur; il y était entraîné, il est vrai, par les plus solides raisons. Le landgrave Guillaume s'engagea à traiter les ennemis du roi comme les siens, à lui ouvrir ses villes et tout son pays, à lui fournir des vivres et toutes les choses nécessaires. De son côté, le roi se déclara son ami et son protecteur, et promit de ne conclure aucune paix sans avoir obtenu de l'empereur pleine satisfaction pour le landgrave. Les deux parties tinrent loyalement leur parole. Pendant cette longue guerre, Hesse-Cassel demeura fidèle jusqu'à la fin à l'alliance suédoise, et eut sujet, à la paix de Westphalie, de se féliciter de l'amitié de la Suède.

Tilly, à qui la démarche hardie du landgrave ne resta pas longtemps inconnue, envoya contre lui le comte Fugger, avec quelques régiments, et il essaya en même temps d'exciter par des lettres provocatrices les sujets hessois à se soulever contre leur maître. Ses lettres produisirent aussi peu d'effet que ses régiments, qu'il eut lieu de regretter ensuite, à la bataille de Breitenfeld: les états de Hesse ne pouvaient hésiter longtemps entre le défenseur de leurs propriétés et le brigand qui les ravageait.

Mais ce qui alarmait bien davantage le général de l'empereur, c'étaient les sentiments équivoques de l'électeur de Saxe, qui, malgré la défense impériale, continuait ses armements et maintenait l'alliance de Leipzig. A cause du voisinage du roi de Suède et de l'imminence d'une bataille décisive, Tilly jugeait très-dangereux de laisser en armes la Saxe électorale, prête à chaque instant à se déclarer pour les ennemis. Il venait d'être renforcé par vingt-cinq mille hommes de vieilles troupes que Fürstenberg lui avait amenées. Plein de confiance en ses forces, il crut pouvoir désarmer l'électeur par la simple menace de son arrivée, ou du moins le vaincre sans peine. Mais, avant de quitter son camp de Wolmirstædt, il le fit sommer par une députation, envoyée à cet effet, d'ouvrir ses États aux troupes impériales et de licencier les siennes, ou de les réunir à celles de l'empereur, pour chasser, avec elles, Gustave-Adolphe de l'Allemagne. Il lui rappelait que jusqu'à ce jour la Saxe électorale avait été plus ménagée que tous les autres pays de l'Allemagne, et le menaçait, en cas de refus, de la plus terrible dévastation.

 

Tilly avait choisi pour cette sommation impérieuse le moment le plus défavorable. La destruction de Magdebourg, les excès des Impériaux dans la Lusace, les mauvais traitements essuyés par les alliés et les coreligionnaires de l'électeur, tout se réunissait pour exciter la colère de ce dernier contre Ferdinand. Le voisinage de Gustave-Adolphe, quelque peu de droit qu'il eût à la protection de ce prince, animait son courage. Il refusa de recevoir les Impériaux et déclara sa ferme résolution de rester sous les armes. «Quelle que fût sa surprise, ajouta-t-il, de voir l'armée impériale marcher contre ses États dans un moment où elle avait assez à faire à poursuivre le roi de Suède, il ne pouvait croire cependant que, au lieu des récompenses promises et méritées, on le payerait d'ingratitude en ruinant son pays.» Au départ des envoyés de Tilly, qu'il avait traités magnifiquement, il s'expliqua en termes plus clairs encore. «Messieurs, leur dit-il, je vois bien que l'on songe à mettre aussi enfin sur la table les confitures de Saxe, longtemps réservées; mais on a coutume de servir avec elles des noix et des plats de parade qui sont durs à mordre: prenez bien garde de vous y casser les dents.»

Tilly partit alors de son camp, s'avança jusqu'à Halle, en faisant d'effroyables ravages, et, de là, fit renouveler sa sommation à l'électeur, en termes plus pressants encore et plus menaçants. Quand on se rappelle les sentiments de ce prince, qui, par inclination personnelle et par les instigations de ses ministres vendus, était dévoué à l'intérêt de l'Autriche, même au mépris de ses plus saints devoirs, et qui s'était si facilement laissé réduire à l'inaction, on est forcé de s'étonner que l'empereur ou ses ministres fussent assez aveuglés pour abandonner leur premier système de conduite dans le moment le plus critique, et pousser à bout par une conduite violente un prince si facile à mener. Ou était-ce peut-être là l'intention de Tilly? Se proposait-il de changer un ami douteux en ennemi déclaré, afin d'être par là dispensé des ménagements que les ordres secrets de l'empereur lui avaient imposés jusqu'alors pour les États de ce prince? Était-ce peut-être l'intention de Ferdinand lui-même de pousser l'électeur à une démarche hostile, pour être quitte de ses obligations et mettre à néant, sans qu'il pût se plaindre, un compte onéreux? Quoi qu'il en soit, on n'en doit pas moins s'étonner de voir Tilly assez téméraire pour oser, en présence d'un redoutable ennemi, s'en faire un nouveau, et assez négligent pour ne pas s'opposer à la jonction de leurs forces.

Jean-Georges, réduit au désespoir par l'entrée de Tilly sur son territoire, se jeta, non sans une vive répugnance, dans les bras du roi de Suède.

Aussitôt après avoir congédié la première députation de Tilly, il avait envoyé en toute hâte son feld-maréchal d'Arnheim au camp de Gustave, pour demander un prompt secours à ce monarque, qu'il avait si longtemps négligé. Le roi renferma en lui-même la joie que lui causait ce dénoûment ardemment souhaité. «J'en suis fâché pour l'électeur, répondit-il à l'envoyé avec une froideur simulée. S'il avait eu égard à mes représentations réitérées, ses États n'auraient pas vu l'ennemi, et Magdebourg existerait encore. Maintenant que l'extrême nécessité ne laisse aucune autre ressource, on se tourne vers le roi de Suède. Mais dites à votre maître que je n'ai nulle envie de me perdre, moi et mes alliés, pour l'amour de l'électeur de Saxe. D'ailleurs, qui me garantira la fidélité d'un prince dont les ministres sont aux gages de l'Autriche et qui m'abandonnera dès que l'empereur voudra bien le flatter et retirer ses troupes? Tilly vient de recevoir des renforts considérables, mais qui ne m'empêcheront point de marcher à lui hardiment, aussitôt que mes derrières seront couverts.»

Le ministre saxon ne sut que répondre à ces reproches, sinon que le mieux serait d'ensevelir le passé dans l'oubli. Il pressa le roi de s'expliquer sur les conditions auxquelles il consentirait à venir au secours de la Saxe, et répondit d'avance qu'elles seraient acceptées. «Je demande, répondit Gustave, que l'électeur me remette la forteresse de Wittenberg, me donne en otage l'aîné de ses fils, paye à mes troupes trois mois de solde et me livre les traîtres qui siégent dans son conseil. A ces conditions, je suis prêt à le secourir.»

«Non-seulement Wittenberg, s'écria l'électeur, en apprenant cette réponse et en renvoyant son ministre dans le camp suédois, non-seulement Wittenberg, mais Torgau et toute la Saxe lui sont ouverts; je lui donne en otage toute ma famille, et, si cela ne suffit pas, je m'offre moi-même. Courez, et dites-lui que je suis prêt à lui livrer les traîtres qu'il me nommera, à payer à son armée la solde qu'il demande, à sacrifier mes biens et ma vie pour la bonne cause.»

Le roi n'avait voulu que mettre à l'épreuve les nouveaux sentiments de l'électeur: touché de sa sincérité, il retira ses dures conditions. «La défiance que l'on me témoigna, dit-il, quand je voulus marcher à la délivrance de Magdebourg, avait éveillé la mienne. Aujourd'hui, la confiance de l'électeur mérite que j'y réponde. Qu'il paye seulement un mois de solde à mes troupes: j'espère même le dédommager de cette avance.»

Aussitôt que l'alliance fut conclue, le roi passa l'Elbe et se réunit aux Saxons dès le jour suivant. Au lieu d'empêcher cette jonction, Tilly avait marché sur Leipzig, qu'il somma de recevoir garnison impériale. Dans l'espoir d'une prompte délivrance, le commandant, Jean de la Pforta, fit des préparatifs de défense et brûla le faubourg de Halle. Mais le mauvais état des fortifications rendit la résistance inutile, et, dès le deuxième jour, les portes de la ville furent ouvertes. Tilly s'était logé dans la maison d'un fossoyeur, la seule qui fût restée debout dans le faubourg; c'est là qu'il signa la capitulation, c'est là qu'on résolut d'attaquer le roi de Suède. A la vue des crânes et des ossements que le possesseur de la maison avait fait peindre sur les murailles, Tilly changea de couleur. Leipzig, contre toute attente, éprouva un traitement favorable.

Cependant, le roi de Suède et l'électeur de Saxe tinrent à Torgau un grand conseil de guerre, auquel assista l'électeur de Brandebourg. Il s'agissait de prendre une résolution qui allait fixer irrévocablement le sort de l'Allemagne et de la religion évangélique, la fortune de plusieurs peuples et celle de leurs princes. L'anxiété de l'attente, qui oppresse même le cœur des héros avant une grande résolution, parut troubler tout à coup l'âme de Gustave-Adolphe. «Si nous nous décidons maintenant à une bataille, dit le roi, l'enjeu n'est pas moins qu'une couronne et deux chapeaux d'électeur. La fortune varie, et la volonté impénétrable du Ciel peut, à cause de nos péchés, donner la victoire à l'ennemi. A la vérité, mon royaume, s'il devait perdre et mon armée et moi, aurait encore des moyens de défense: l'éloignement, une flotte considérable, des frontières bien gardées, les armes d'un peuple belliqueux, le garantiraient du moins des derniers malheurs; mais où est le salut pour vous, qui avez l'ennemi sur le dos si la bataille est perdue?»

Gustave-Adolphe montra la défiance modeste d'un héros que la confiance de sa force n'aveugle pas sur la grandeur du péril; Jean-Georges, la confiance d'un homme faible qui sent un héros à ses côtés. Impatient de voir le plus tôt possible ses États délivrés de deux armées qui leur pesaient, il brûlait de livrer une bataille, dans laquelle il n'avait pas à perdre d'anciens lauriers. Il parlait de marcher seul avec ses Saxons sur Leipzig et de combattre Tilly. Enfin Gustave se rangea à son avis, et l'on résolut d'attaquer l'ennemi sans délai, avant qu'il eût reçu les renforts que lui amenaient les généraux Altringer et Tiefenbach. L'armée combinée suédo-saxonne franchit la Mulda; l'électeur de Brandebourg retourna dans son pays.

Le 7 septembre 1631, les deux armées furent en présence au point du jour. Tilly, ayant négligé d'écraser les Saxons avant leur jonction avec les Suédois, avait résolu d'attendre ses renforts, qui arrivaient en toute hâte, et il avait établi solidement son camp, non loin de Leipzig, dans une position avantageuse, où il pouvait espérer de n'être pas forcé à livrer bataille. Cependant, à l'approche des ennemis, les instances du bouillant Pappenheim le décidèrent enfin à changer de position et à se porter sur la gauche vers les collines qui s'élèvent du village de Wahren à Lindenthal. Son armée était rangée sur une seule ligne au pied de ces hauteurs; son artillerie, distribuée sur les collines, pouvait balayer toute la grande plaine de Breitenfeld. De là s'avançait sur deux colonnes l'armée suédo-saxonne, qui avait à passer la Lober près de Podelwitz, village situé devant le front des Impériaux. Pour inquiéter leur passage, Pappenheim fut détaché contre eux avec deux mille cuirassiers, mais seulement après une longue résistance de Tilly, et avec l'ordre formel de ne pas engager de combat. Au mépris de cet ordre, Pappenheim en vint aux mains avec l'avant-garde suédoise; mais, après une courte lutte, il fut forcé à la retraite. Pour arrêter l'ennemi, il livra Podelwitz aux flammes, ce qui n'empêcha point les Suédois et les Saxons d'avancer et de former leur ordre de bataille.

Les Suédois, rangés sur deux lignes, occupaient la droite: l'infanterie au centre, distribuée en petits bataillons, dont les mouvements étaient faciles, et qui pouvaient exécuter, sans troubler l'ordre, les plus rapides manœuvres; la cavalerie sur les ailes, répartie de même en petits escadrons, entre lesquels on avait jeté plusieurs compagnies de mousquetaires, destinées à dissimuler le petit nombre des cavaliers et à démonter par leurs décharges ceux de l'ennemi. Le colonel Teufel commandait le centre, Gustave Horn l'aile gauche, le roi lui-même la droite, opposée au comte Pappenheim.

Les Saxons étaient séparés des Suédois par un grand intervalle: disposition de Gustave que l'événement justifia. L'électeur avait réglé lui-même le plan de bataille avec son feld-maréchal, et le roi s'était contenté de l'agréer. Il paraît qu'il mit ses soins à distinguer la bravoure suédoise de la bravoure saxonne, et l'événement ne les confondit pas.

L'ennemi se déployait, vers le couchant, au pied des hauteurs, sur une ligne immense, assez étendue pour déborder l'armée suédoise, l'infanterie formée en gros bataillons, la cavalerie en escadrons très-gros aussi et difficiles à mouvoir. Tilly avait posté son artillerie derrière lui, sur les hauteurs, et se trouvait ainsi commandé par ses propres boulets, qui décrivaient leurs paraboles au-dessus de lui. De cette position de l'artillerie, on pourrait presque conclure, si d'ailleurs tous ces détails sont exacts, que l'intention de Tilly était plutôt d'attendre l'ennemi que de l'attaquer, car il ne pouvait pénétrer dans ses rangs sans se jeter sous le feu de ses propres canons. Tilly commandait le centre en personne, Pappenheim l'aile gauche, le comte de Fürstenberg la droite. Les troupes de l'empereur et de la Ligue ne montaient pas ensemble à plus de trente-quatre ou trente-cinq mille hommes; c'était aussi le nombre des Suédois et des Saxons réunis.

Mais un million de soldats de part et d'autre aurait pu rendre la journée plus meurtrière, sans la rendre plus importante et plus décisive. C'est pour cette journée que Gustave avait traversé la Baltique, cherché le péril sur une terre lointaine, confié à la fortune infidèle sa couronne et sa vie. Les deux plus grands généraux de leur temps, tous deux jusqu'alors invincibles, allaient soutenir l'un contre l'autre leur dernière épreuve dans une lutte longtemps évitée: l'un d'eux laissera sa renommée sur le champ de bataille. Les deux moitiés de l'Allemagne ont vu avec crainte et tremblement approcher ce jour; le monde entier s'inquiète dans l'attente du résultat, sujet de bénédictions ou de larmes pour la lointaine postérité.

La fermeté, qui jusque-là n'avait jamais abandonné le comte Tilly, lui fit défaut ce jour-là. Nul dessein arrêté de combattre le roi; aussi peu de constance pour éviter la bataille. Pappenheim l'entraîna contre sa volonté. Au dedans de lui luttaient des doutes qu'il n'avait jamais éprouvés; de noirs pressentiments obscurcissaient son front, jusque-là toujours serein. Le spectre de Magdebourg semblait planer sur lui.

Une canonnade de deux heures ouvrit la bataille. Le vent soufflait du couchant, et, avec la fumée de la poudre, il chassait, des terres sèches et nouvellement labourées, un nuage de poussière contre les Suédois. Cela décida Gustave à faire à l'improviste une conversion vers le nord, et la rapidité de la manœuvre ne laissa pas à l'ennemi le temps de s'y opposer.

 

Enfin Tilly abandonne les hauteurs et risque sa première attaque contre les Suédois; mais, accueilli par un feu terrible, il se détourne vers la droite et tombe sur les Saxons avec une telle impétuosité, que leurs rangs sont rompus et que le désordre s'empare de toute l'armée. L'électeur lui-même ne revint de son trouble que dans Eilenbourg. Un petit nombre de régiments tinrent encore quelque temps sur le champ de bataille et, par leur vigoureuse résistance, sauvèrent l'honneur des Saxons. A peine les vit-on en désordre, que les Croates se livrèrent au pillage, et des courriers furent aussitôt expédiés à Munich et à Vienne, pour annoncer la victoire.

Pappenheim chargea l'aile droite des Suédois avec toute sa cavalerie, mais sans pouvoir l'ébranler. Le roi y commandait en personne, et sous lui le général Banner. Sept fois Pappenheim renouvela son attaque, et sept fois il fut repoussé. Enfin, il prit la fuite, après une grande perte, et abandonna le champ de bataille au vainqueur.

Cependant Tilly avait terrassé le reste des Saxons, et il s'élançait avec ses troupes victorieuses sur l'aile gauche des Suédois. Aussitôt qu'il eut remarqué le désordre de l'armée saxonne, le roi, avec une décision rapide, avait renforcé cette aile de trois régiments, pour couvrir ses flancs, que la fuite des alliés laissait dégarnis. Gustave Horn, qui commandait là, opposa aux cuirassiers de Tilly une vigoureuse résistance, que ne facilitait pas peu la distribution des fantassins entre les escadrons. Déjà l'ennemi commençait à faiblir, quand Gustave-Adolphe parut pour décider la bataille. L'aile gauche des Impériaux était battue, et les troupes du roi, qui n'avaient plus de combattants devant elles, pouvaient être mieux employées ailleurs. Il se porta donc sur la gauche, avec son aile droite et le corps de bataille, et attaqua les hauteurs où était postée l'artillerie ennemie. Elle fut bientôt dans ses mains, et l'ennemi eut à essuyer le feu de ses propres canons.

Foudroyée en flanc par l'artillerie, pressée de front par les charges terribles des Suédois, l'armée, jusqu'alors invincible, rompit ses rangs. Il ne restait plus de ressource à Tilly qu'une prompte retraite; mais cette retraite même, il fallait la faire à travers les ennemis. Le désordre se mit dans toute l'armée, quatre régiments exceptés, vieux soldats aguerris, qui n'avaient jamais fui du champ de bataille et qui ne voulaient pas plus fuir maintenant. Les rangs serrés, ils se firent jour à travers l'armée victorieuse et, toujours combattant, gagnèrent un petit bois, où ils firent de nouveau face aux ennemis et résistèrent jusqu'à la nuit, jusqu'à ce qu'ils fussent réduits à six cents hommes. Avec eux s'enfuit tout le reste de l'armée de Tilly: la bataille était gagnée.

Gustave-Adolphe se prosterna au milieu des blessés et des morts, et la première, la plus ardente joie du triomphe s'exhala par une fervente prière. Il fit poursuivre par sa cavalerie l'ennemi en déroute, aussi loin que put le permettre la profonde obscurité de la nuit. Le bruit du tocsin mit en mouvement toute la population des villages voisins; point de grâce pour le malheureux fuyard qui tombait dans les mains des paysans furieux. Le roi campa, avec le reste de son armée, entre le champ de bataille et Leipzig, car il était impossible d'attaquer la ville cette même nuit. Les ennemis avaient laissé sept mille hommes sur la place; plus de cinq mille étaient blessés ou prisonniers. Ils avaient perdu toute leur artillerie, tout leur camp, plus de cent drapeaux et étendards. Les Saxons comptaient deux mille morts, les Suédois pas plus de sept cents. La déroute des Impériaux fut si complète, que Tilly, dans sa fuite sur Halle et Halberstadt, ne put rallier plus de six cents hommes, et Pappenheim pas plus de quatorze cents. Si rapidement s'était fondue cette formidable armée, qui peu auparavant faisait trembler encore toute l'Allemagne et l'Italie.

Tilly lui-même ne dut son salut qu'au hasard. Quoique affaibli par plusieurs blessures, il refusait de se rendre à un capitaine de cavalerie suédois qui l'avait atteint, et déjà celui-ci était sur le point de le tuer, quand il fut lui-même abattu d'un coup de pistolet. Mais ce qui était plus affreux pour Tilly que les blessures et le danger de mort, c'était la douleur de survivre à sa gloire et de perdre en un jour le fruit des travaux de toute sa longue vie. Ses anciennes victoires n'étaient plus rien, du moment que lui échappait celle qui devait couronner toutes les autres. Il ne lui restait rien de ses brillants exploits que les malédictions de l'humanité, qui les avaient accompagnés. Depuis ce jour, Tilly ne retrouva plus sa sérénité, et la fortune ne revint plus à lui. Sa dernière consolation, la vengeance, lui fut même interdite, par l'ordre formel de son maître de ne plus hasarder aucune affaire décisive. On attribue le malheur de cette journée à trois fautes principales, qui sont d'avoir placé son artillerie sur les hauteurs, derrière l'armée, de s'être ensuite éloigné de ces hauteurs, et d'avoir laissé l'ennemi se former sans obstacle en ordre de bataille. Mais qu'il eût promptement réparé ces fautes, sans l'imperturbable présence d'esprit et le génie supérieur de son adversaire! Tilly se sauva précipitamment de Halle à Halberstadt; il y attendit à peine la guérison de ses blessures et se porta en toute hâte sur le Wéser, pour s'y renforcer des garnisons impériales de la basse Saxe.

Aussitôt que le péril fut passé, l'électeur de Saxe parut dans le camp suédois. Gustave le remercia d'avoir conseillé la bataille, et Jean-Georges, surpris de ce bienveillant accueil, lui promit, dans le premier transport de la joie, la couronne de roi des Romains. Dès le jour suivant, Gustave marcha sur Mersebourg, après avoir laissé à l'électeur le soin de reprendre Leipzig. Cinq mille Impériaux, qui étaient parvenus à se rallier et que le roi de Suède rencontra sur son chemin, furent, les uns taillés en pièces, les autres faits prisonniers, et la plupart de ceux-ci passèrent à son service. Mersebourg se rendit sur-le-champ; Halle fut emportée bientôt après. C'est là que l'électeur de Saxe, après avoir repris Leipzig, vint rejoindre le roi, pour délibérer sur les opérations futures.

On avait la victoire, mais en user sagement était le seul moyen de la rendre décisive. L'armée impériale était détruite; la Saxe ne voyait plus d'ennemis, et Tilly, fugitif, s'était retiré à Brunswick. Le poursuivre jusque-là, c'eût été renouveler la guerre dans la basse Saxe, qui se remettait à peine des maux de la campagne précédente. On résolut donc de porter la guerre dans les pays ennemis, qui, sans défense et ouverts jusqu'à Vienne, semblaient inviter le vainqueur. On pouvait tomber à droite sur les États des princes catholiques, on pouvait pénétrer à gauche dans les domaines héréditaires de l'empereur et le faire trembler jusque dans sa résidence. On décida de suivre l'un et l'autre chemin: il ne restait plus qu'à distribuer les rôles. Gustave-Adolphe, à la tête d'une armée victorieuse, eût trouvé peu de résistance de Leipzig à Prague, à Vienne et à Presbourg. La Bohême, la Moravie, l'Autriche, la Hongrie étaient sans défenseurs; dans ces pays, les protestants opprimés soupiraient après un changement. L'empereur lui-même n'était plus en sûreté dans son palais; dans la terreur d'une première attaque, Vienne eût ouvert ses portes. En dépouillant l'ennemi de ses domaines, on tarissait les sources qui devaient alimenter la guerre, et Ferdinand eût accepté avec empressement une paix qui aurait éloigné un ennemi redoutable du cœur de ses États. Ce plan hardi aurait séduit un conquérant, et le succès l'eût peut-être justifié. Gustave-Adolphe, aussi prévoyant que brave, et plus homme d'État que conquérant, le rejeta, parce qu'il trouvait à poursuivre un but plus élevé, et qu'il ne voulait pas tout remettre à la fortune et au courage.