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Histoire de la Guerre de Trente Ans

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S'il prenait le chemin de la Bohême, il fallait qu'il abandonnât à l'électeur de Saxe la Franconie et le haut Rhin. Mais Tilly, avec les débris de l'armée vaincue, avec les garnisons de la basse Saxe et les renforts qu'on lui amenait, commençait à former sur le Wéser une nouvelle armée, à la tête de laquelle il ne pouvait guère tarder longtemps à chercher l'ennemi. A un général si expérimenté, on ne pouvait opposer un Arnheim, qui, à la bataille de Leipzig, avait donné de ses talents des preuves très-équivoques. Or, que serviraient à Gustave les plus rapides et les plus brillants progrès en Bohême et en Autriche, si Tilly recouvrait sa puissance dans les provinces de l'Empire, s'il ranimait le courage des catholiques par de nouvelles victoires et désarmait les alliés du roi? Que servirait-il d'avoir chassé l'empereur de ses États héréditaires, si, dans le même temps, Tilly lui conquérait l'Allemagne? Gustave pouvait-il espérer de réduire Ferdinand à une plus fâcheuse extrémité que n'avait fait, douze années auparavant, la révolte de Bohême, qui cependant n'avait point ébranlé la fermeté de ce prince ni épuisé ses ressources, et de laquelle il était sorti plus redoutable que jamais?

Des avantages moins brillants, mais beaucoup plus solides, s'offraient à Gustave s'il envahissait en personne le pays de la Ligue. Là, son arrivée, à la tête de ses troupes, était décisive. Dans ce temps même, les princes étaient assemblés en diète à Francfort, au sujet de l'édit de restitution, et Ferdinand y faisait jouer tous les ressorts de son artificieuse politique, pour décider à un accommodement précipité et désavantageux les protestants effrayés. L'approche de leur défenseur pouvait seule les exciter à une ferme résistance et ruiner les projets de l'empereur. Gustave-Adolphe pouvait espérer que sa présence victorieuse réunirait tous ces princes mécontents, et que la terreur de ses armes détacherait les autres de Ferdinand. C'était là, dans le cœur de l'Allemagne, qu'il trancherait le nerf de la puissance impériale, qui ne pouvait se soutenir sans le secours de la Ligue. De là il pouvait surveiller de près la France, alliée peu sûre; et, s'il devait souhaiter, pour l'accomplissement d'un vœu secret, l'amitié des électeurs catholiques, il fallait avant tout devenir le maître de leur sort, pour s'assurer par de généreux ménagements des droits à leur reconnaissance.

Il choisit donc pour lui le chemin de la Franconie et du Rhin, et abandonna à l'électeur de Saxe la conquête de la Bohême.

DEUXIÈME PARTIE

LIVRE TROISIÈME

La glorieuse victoire de Gustave-Adolphe près de Leipzig avait amené un grand changement dans toute la conduite ultérieure de ce monarque, ainsi que dans la manière de penser de ses amis et de ses ennemis. Il venait de se mesurer avec le plus grand général de son temps; il avait essayé la force de sa tactique et le courage de ses Suédois contre l'élite des troupes impériales, les mieux exercées de l'Europe, et il avait triomphé dans cette lutte. Dès ce moment, il prit en lui-même une ferme confiance, et la confiance est la mère des grandes actions. On remarque désormais dans toutes les entreprises militaires du roi de Suède une marche plus hardie et plus sûre, plus de résolution dans les situations même les plus difficiles, un langage plus altier avec son ennemi, avec ses alliés une dignité plus fière, et dans sa douceur même plutôt la condescendance du maître. L'essor pieux de son imagination secondait son courage naturel; il confondait volontiers sa cause avec celle du Ciel; il voyait dans la défaite de Tilly un jugement décisif de la Divinité contre ses adversaires, et se regardait lui-même comme un instrument de la vengeance céleste. Laissant loin derrière lui sa couronne et le sol de la patrie, il s'élançait maintenant, sur les ailes de la Victoire, dans l'intérieur de l'Allemagne, qui, depuis des siècles, n'avait point vu dans son sein de conquérant étranger. Le courage guerrier de ses habitants, la vigilance de ses nombreux souverains, ses États enchaînés avec art, la multitude de ses places fortes, le cours de ses nombreuses rivières, avaient mis, depuis un temps immémorial, des barrières à l'ambition de ses voisins, et, quelque fréquents qu'eussent été les orages aux frontières de ce vaste corps politique, l'intérieur avait été préservé de toute invasion étrangère. De tout temps, cet Empire avait joui du privilége équivoque de n'avoir d'autre ennemi que lui-même et de ne pouvoir être vaincu du dehors. Alors même, c'était uniquement la désunion de ses membres et l'intolérance du fanatisme religieux qui frayaient la route au conquérant suédois pour pénétrer au cœur du pays. Elle était depuis longtemps détruite, la bonne harmonie des États, qui seule avait rendu l'Empire invincible, et Gustave-Adolphe emprunta à l'Allemagne elle-même les forces avec lesquelles il soumit l'Allemagne. Il mit à profit, avec autant de prudence que de courage, ce que lui offrait la faveur du moment; aussi habile dans le cabinet que sur le champ de bataille, il rompit les trames d'une astucieuse politique, comme il renversait les murailles des villes avec le tonnerre de son artillerie. Il poursuivit irrésistiblement ses victoires d'une extrémité de l'Allemagne à l'autre, sans perdre le fil d'Ariane, qui assurait son retour, et, sur les rives du Rhin comme à l'embouchure du Lech, il ne cessa jamais d'être près de ses États héréditaires.

La consternation que la défaite de Tilly causa à l'empereur et à la Ligue catholique pouvait à peine surpasser l'étonnement et l'embarras que les alliés du roi ressentirent de son bonheur inespéré. Ce bonheur était plus grand qu'ils ne l'avaient prévu, plus grand qu'ils ne l'avaient désiré. Elle était anéantie d'un seul coup, l'armée formidable qui avait arrêté ses progrès, qui avait mis des bornes à son ambition et qui l'avait rendu dépendant de leur bonne volonté. Seul, sans rival, sans adversaire en état de lui résister, il occupait maintenant le centre de l'Allemagne. Rien ne pouvait arrêter sa course ni borner ses prétentions, si l'ivresse du succès lui donnait la tentation d'en abuser. Si l'on s'était d'abord alarmé de la prépondérance de l'empereur, on n'avait pas maintenant beaucoup moins sujet de tout craindre, pour la constitution de l'Empire, de la violence d'un conquérant étranger, et, pour l'Église catholique d'Allemagne, du zèle religieux d'un roi protestant. La défiance et la jalousie, assoupies pour un temps, chez quelques-unes des puissances alliées, par la crainte plus grande qu'elles avaient de l'empereur, se réveillèrent bientôt, et, à peine Gustave-Adolphe avait-il justifié leur confiance par son courage et son bonheur, que déjà l'on travaillait de loin à la ruine de ses projets. Il lui fallut remporter ses victoires au milieu d'une lutte perpétuelle avec les artifices des ennemis et la défiance de ses propres alliés; mais son courage déterminé, sa profonde sagesse se frayèrent un chemin à travers tous ces obstacles. Tandis que l'heureux succès de ses armes inquiétait ses alliés plus puissants, la Saxe et la France, il animait le courage des faibles, qui osaient alors, pour la première fois, laisser paraître leurs vrais sentiments et embrasser ouvertement son parti. Eux qui ne pouvaient ni rivaliser avec la grandeur de Gustave-Adolphe, ni souffrir de son ambition, ils attendaient d'autant plus de la générosité de ce puissant ami, qui les enrichissait de la dépouille de leurs adversaires et les protégeait contre l'oppression des puissants. Sa force cachait leur faiblesse, et, insignifiants par eux-mêmes, ils acquéraient de l'importance par leur union avec le héros suédois. C'était le cas de la plupart des villes impériales, et, en général, des plus faibles entre les membres protestants de l'Empire. Ce furent eux qui conduisirent le roi dans l'intérieur de l'Allemagne et qui couvrirent ses derrières, qui entretinrent ses armées, reçurent ses troupes dans leurs places fortes, répandirent pour lui leur sang dans ses batailles. Ses ménagements habiles pour la fierté allemande, ses manières affables, quelques actes de justice éclatants, son respect pour les lois, étaient autant de chaînes qu'il imposait à l'esprit inquiet des protestants d'Allemagne: et les criantes barbaries des Impériaux, des Espagnols et des Lorrains contribuèrent puissamment à mettre sous le jour le plus favorable sa modération et celle de ses troupes.

Si Gustave-Adolphe dut à son génie la plus grande partie de ses succès, on ne peut disconvenir toutefois que la fortune et les circonstances le favorisèrent puissamment. Il avait pour lui deux grands avantages, qui lui donnaient sur l'ennemi une supériorité décidée. En transportant le théâtre de la guerre dans les provinces de la Ligue, en attirant à lui la jeunesse de ces contrées, en s'enrichissant de leurs dépouilles, en disposant du revenu des princes fugitifs comme de sa propriété, il enlevait à l'ennemi tous les moyens de lui résister avec énergie et se mettait lui-même en état d'entretenir, avec peu de dépense, une guerre coûteuse. De plus, tandis que ses adversaires, les princes de la Ligue, divisés entre eux, mus par des intérêts tout à fait différents et souvent contraires, agissaient sans accord et, par conséquent, aussi sans vigueur; tandis que leurs généraux manquaient de pleins pouvoirs, leurs soldats de discipline, leurs armées dispersées d'ensemble; tandis que chez eux le général était distinct du législateur et de l'homme d'État, les deux qualités se réunissaient au contraire dans Gustave-Adolphe. Il était la source unique de laquelle découlait tout pouvoir, l'unique but vers lequel le guerrier à l'œuvre dirigeait ses regards: lui seul était l'âme de tout son parti, l'auteur du plan de guerre et en même temps l'exécuteur. Aussi la cause protestante obtint en lui l'unité et l'harmonie qui manquaient absolument au parti opposé. Il ne faut donc pas s'étonner que, secondé par de tels avantages, à la tête d'une pareille armée, doué d'un tel génie pour la faire agir, et conduit par une si habile politique, Gustave-Adolphe fût invincible.

 

L'épée dans une main et le pardon dans l'autre, on le voit maintenant parcourir l'Allemagne de l'un à l'autre bout, comme conquérant, législateur et juge, presque en aussi peu de temps qu'un autre en aurait mis à la visiter dans un voyage de plaisir. Comme au souverain-né du pays, on apporte au-devant de lui les clefs des villes et des forteresses. Nul château ne lui est inaccessible; nulle rivière n'arrête sa marche victorieuse; souvent il est vainqueur par la seule terreur de son nom. Sur tout le cours du Mein on voit arborés les drapeaux suédois; le bas Palatinat est libre; les Espagnols et les Lorrains se sont retirés au delà du Rhin et de la Moselle. Les Suédois et les Hessois se sont répandus, comme un torrent fougueux, sur les territoires de l'électorat de Mayence, de Würtzbourg et de Bamberg; et trois évêques fugitifs expient loin de leur demeure leur malheureux dévouement à l'empereur. Enfin le moment vient aussi pour le chef de la Ligue, pour Maximilien, d'éprouver, à son tour, sur son propre sol, les maux qu'il avait préparés à d'autres. Ni le sort effrayant de ses alliés, ni les offres amiables de Gustave, qui, au milieu de ses conquêtes, faisait des propositions de paix, n'avaient pu vaincre l'obstination de ce prince. Passant sur le cadavre de Tilly, qui se place devant l'entrée comme un chérubin chargé de la garder, la guerre se précipite sur les provinces bavaroises. Comme les rives du Rhin, les bords du Lech et du Danube fourmillent maintenant de guerriers suédois. Caché dans ses châteaux forts, l'électeur, vaincu, abandonne ses États sans défense à l'ennemi, que les fertiles campagnes, épargnées jusqu'alors par la guerre dévastatrice, invitent au pillage, et que la fureur fanatique du paysan bavarois provoque à d'égales violences. Munich même ouvre ses portes à l'invincible roi, et le comte palatin fugitif, Frédéric V, se console quelques instants de la perte de ses États dans la résidence déserte de son rival.

Tandis que Gustave-Adolphe étend ses conquêtes aux frontières méridionales de l'Empire, et, avec une force irrésistible, renverse tout ennemi devant lui, ses alliés et ses généraux remportent de semblables triomphes dans les autres provinces. La basse Saxe se soustrait au joug impérial; les ennemis abandonnent le Mecklembourg; les garnisons autrichiennes se retirent de toutes les rives de l'Elbe et du Wéser. Le landgrave Guillaume de Hesse se rend redoutable en Westphalie et sur le haut Rhin; les ducs de Weimar, en Thuringe; les Français, dans l'électorat de Trèves; à l'est, presque tout le royaume de Bohême est soumis par les Saxons. Déjà les Turcs se préparent à attaquer la Hongrie, et, dans le centre des provinces autrichiennes, une dangereuse révolte est près d'éclater. Ferdinand, désespéré, jette les yeux sur toutes les cours de l'Europe, pour se fortifier contre de si nombreux ennemis par des secours étrangers. Vainement il appelle à lui les armes des Espagnols, que la vaillance néerlandaise occupe au delà du Rhin; vainement il s'efforce de faire agir pour sa délivrance la cour de Rome et toute l'Église catholique. Le pape, offensé, se rit de la perplexité de Ferdinand, en célébrant de pompeuses processions et lançant de vains anathèmes, et, au lieu de l'argent qu'il demande, on lui montre les plaines ravagées de Mantoue.

A toutes les extrémités de sa vaste monarchie, des armes ennemies l'environnent. Avec les États de la Ligue placés en avant et que les Suédois ont envahis, sont tombés tous les boulevards derrière lesquels la puissance autrichienne s'était si longtemps sentie à couvert, et le feu de la guerre jette déjà des flammes près de ses frontières sans défense. Ses alliés les plus zélés sont désarmés; Maximilien de Bavière, son plus puissant soutien, est à peine en état de se défendre lui-même. Ses armées, fondues par la désertion et des défaites répétées, découragées par de longs revers, ont oublié sous des généraux malheureux cette ardeur guerrière, fruit de la victoire et qui l'assure par avance. Le danger est au comble; un moyen extraordinaire peut seul tirer la puissance impériale de son profond abaissement. Le pressant besoin, c'est un général; et le seul de qui l'on puisse attendre le rétablissement de la première gloire, la cabale de l'envie l'a écarté de la tête de l'armée. Cet empereur si redoutable est tombé si bas, qu'il est forcé de conclure avec son serviteur et sujet offensé un traité avilissant, et, après avoir arraché ignominieusement le pouvoir à l'orgueilleux Wallenstein, de le solliciter, avec plus d'ignominie encore, de le reprendre. Alors un nouvel esprit commence à ranimer le corps expirant de la puissance autrichienne, et le prompt changement des affaires décèle la main vigoureuse qui les dirige. Devant l'absolu monarque de Suède se présente maintenant un général aussi absolu que lui, un héros victorieux devant son pareil. Les deux puissances sont aux prises une seconde fois dans une lutte incertaine, et le prix de la guerre, déjà remporté à demi par Gustave-Adolphe, est soumis à l'épreuve d'un nouveau et plus terrible combat. En vue de Nuremberg viennent camper, menaçantes, les deux armées rivales, comme une double nuée qui porte la tempête. Elles s'observent avec un respect mêlé de crainte, toutes deux désirant et redoutant à la fois le moment où éclatera l'orage qui doit les mettre aux prises. Les regards de l'Europe s'arrêtent avec frayeur et curiosité sur cette imposante arène, et déjà Nuremberg dans l'angoisse s'attend à donner son nom à une bataille plus décisive encore que celle qui a été livrée près de Leipzig. Tout à coup, les nuages se brisent; l'orage de la guerre s'éloigne de la Franconie, pour se décharger, d'autant plus terrible, sur les plaines de Saxe. La foudre qui menaçait Nuremberg tombe non loin de Lützen, et la bataille, déjà à moitié perdue, est gagnée par le trépas du roi. Le bonheur, qui ne l'avait jamais abandonné dans sa carrière, lui fit encore à sa mort cette rare faveur de succomber dans la plénitude de sa gloire et toute la pureté de son nom. Par une fin opportune, son génie tutélaire le déroba à la destinée inévitable de l'humanité, d'oublier, au comble de la fortune, la modestie, et, au faîte de la toute-puissance, la justice. Il nous est permis de douter qu'avec une plus longue vie il eût mérité les pleurs que l'Allemagne versa sur sa tombe, qu'il eût mérité le tribut d'admiration que la postérité décerne au premier, au seul conquérant qui se soit montré juste. A la chute prématurée de son grand chef, on craint la ruine de tout le parti; mais, pour la puissance qui gouverne le monde, un homme n'est jamais une perte irréparable. Deux grands hommes d'État, Axel Oxenstiern en Allemagne, et Richelieu en France, prennent le timon de la guerre qui échappe au héros mourant; sur lui passe, poursuivant sa course, l'impassible destinée, et le feu de la guerre brûle encore seize années entières sur la poussière du monarque dès longtemps oublié.

Qu'on me permette de suivre, dans un court aperçu, la marche victorieuse de Gustave-Adolphe, de parcourir d'un coup d'œil rapide tout le théâtre où il est seul le héros de l'action, et d'attendre, pour rattacher à l'empereur le fil de l'histoire, que l'Autriche, réduite à l'extrémité par le bonheur des Suédois, et domptée par une suite de revers, descende, du faîte de son orgueil, à des moyens de salut humiliants et désespérés.

A peine le plan de guerre était-il tracé à Halle entre le roi de Suède et l'électeur de Saxe, et l'attaque de la Bohême assignée à l'électeur, l'invasion des terres de la Ligue à Gustave-Adolphe; à peine les alliances furent-elles conclues avec les princes voisins de Weimar et d'Anhalt, et les dispositions prises pour reconquérir l'évêché de Magdebourg, que le roi se mit en mouvement pour pénétrer dans l'intérieur de l'Empire. Il ne marchait point contre un ennemi méprisable. Ferdinand était encore tout puissant dans l'Empire; ses garnisons étaient répandues dans toute la Franconie, la Souabe et le Palatinat, et il fallait d'abord leur enlever, l'épée à la main, chaque poste important. Sur le Rhin, Gustave était attendu par les Espagnols, qui avaient envahi toutes les terres du comte palatin expulsé, qui occupaient toutes les places fortes et lui disputaient chaque passage du fleuve. Sur ses derrières était Tilly, qui rassemblait déjà de nouvelles forces et qui allait voir bientôt une armée auxiliaire de Lorrains se joindre à ses drapeaux. Dans le cœur de tout catholique, un implacable ennemi, la haine religieuse, s'opposait à Gustave, et cependant ses rapports avec la France ne lui permettaient d'agir contre les catholiques qu'avec une demi-liberté. Il voyait parfaitement tous ces obstacles, mais il voyait aussi le moyen de les vaincre. L'armée impériale était dispersée dans des garnisons, et il avait l'avantage de l'attaquer avec ses forces réunies. S'il avait contre lui le fanatisme religieux des catholiques romains et la crainte que les membres les plus faibles de l'Empire avaient de l'Empereur, il pouvait attendre un concours actif de l'amitié des protestants et de leur haine pour la tyrannie autrichienne. Les excès des troupes impériales et espagnoles avaient fortement travaillé pour lui dans ces provinces; dès longtemps, le paysan et le bourgeois maltraités soupiraient après un libérateur, et plusieurs trouvaient déjà un soulagement à changer de joug. Quelques agents avaient été envoyés en avant pour faire pencher du côté des Suédois les villes impériales les plus importantes, particulièrement Nuremberg et Francfort. Erfurt était la première place dont la possession eût un grand prix pour le roi et qu'il ne pouvait laisser derrière lui sans l'occuper. Un accommodement avec la bourgeoisie, qui inclinait vers le parti protestant, lui ouvrit, sans coup férir, les portes de la ville et de la citadelle. Là, comme dans chaque place importante qui tomba par la suite dans ses mains, il se fit jurer fidélité par les habitants, et il s'assura d'eux par une garnison suffisante. Il remit à son allié, le duc Guillaume de Weimar, le commandement d'une armée qui devait être levée en Thuringe. Ce fut aussi à la ville d'Erfurt qu'il voulut confier son épouse, et il promit à cette cité d'augmenter ses priviléges. Alors l'armée suédoise traversa sur deux colonnes, par Gotha et Arnstadt, la forêt de Thuringe; elle enleva, en passant, le comté de Henneberg aux Impériaux, et se réunit, le troisième jour, devant Kœnigshofen, sur la frontière de la Franconie.

François, évêque de Würtzbourg, l'ennemi le plus acharné des protestants et le membre le plus zélé de la Ligue catholique, fut aussi le premier sur qui s'appesantit le bras de Gustave-Adolphe. Quelques paroles de menace suffirent pour mettre sa place frontière de Kœnigshofen, et avec elle la clef de toute la province, dans les mains des Suédois. A la nouvelle de cette rapide conquête, l'épouvante saisit tous les membres catholiques du cercle. Les évêques de Würtzbourg et de Bamberg tremblèrent dans leurs châteaux. Déjà ils voyaient leurs siéges chanceler, leurs églises profanées, leur religion dans la poussière. La méchanceté des ennemis de Gustave avait publié sur l'esprit persécuteur et la conduite militaire du monarque suédois et de ses troupes les plus affreuses descriptions, que les assurances multipliées du roi et les plus éclatants exemples d'humanité et de tolérance ne purent jamais réfuter complétement. On craignait de souffrir d'un autre le mal qu'on eût fait soi-même, on le sentait, en cas pareil. Un grand nombre des plus riches catholiques se hâtaient déjà de mettre leurs biens, leur conscience et leurs personnes à l'abri du fanatisme sanguinaire des Suédois. L'évêque lui-même donna l'exemple à ses sujets. Au milieu de l'embrasement que son zèle bigot avait allumé, il déserta ses domaines et s'enfuit à Paris, pour entraîner, s'il était possible, le ministère français à se déclarer contre l'ennemi commun de la religion.

Cependant, les progrès de Gustave-Adolphe dans l'évêché répondirent tout à fait à cet heureux début. Schweinfurt, abandonné par la garnison impériale, se rendit à lui, et Würtzbourg bientôt après. Il fallut emporter d'assaut le Marienberg. On avait retiré dans cette place, réputée imprenable, une grande provision de vivres et de munitions de guerre, qui tomba tout entière dans les mains de l'ennemi. Une trouvaille très-agréable pour le roi fut la bibliothèque des jésuites, qu'il fit transporter à Upsal; une bien plus agréable encore, pour ses soldats, fut la cave, richement remplie, du prélat: il avait eu encore le temps de sauver ses trésors. Tout l'évêché suivit bientôt l'exemple de la capitale; tout se soumit aux Suédois. Le roi se fit prêter serment d'hommage par tous les sujets de l'évêque, et, vu l'absence du légitime souverain, il institua une régence, qui fut pour la moitié composée de protestants. Dans toute place catholique qu'il réduisait sous sa puissance, il ouvrait les églises à la religion protestante, mais sans rendre aux catholiques l'oppression sous laquelle ils avaient tenu si longtemps ses coreligionnaires. Le terrible droit de la guerre n'était exercé que sur ceux qui faisaient résistance l'épée à la main; quelques actes de barbarie, commis dans l'aveugle fureur de la première attaque par une soldatesque effrénée, ne peuvent être imputés à son chef miséricordieux. L'homme paisible et sans défense éprouvait un traitement humain. Ce fut toujours pour Gustave-Adolphe la loi la plus sacrée d'épargner le sang des ennemis comme celui de ses soldats.

 

Dès la première nouvelle de l'invasion suédoise, l'évêque de Würtzbourg, nonobstant les négociations qu'il avait entamées avec le roi pour gagner du temps, avait demandé avec instance au général de la Ligue de secourir promptement l'évêché en péril. Dans l'entrefaite, ce général vaincu avait rassemblé sur le Wéser les débris de ses troupes dispersées; il s'était renforcé des garnisons impériales de la basse Saxe et avait fait sa jonction dans la Hesse avec ses deux lieutenants Altringer et Fugger. A la tête de ces forces considérables, le comte Tilly brûlait d'impatience d'effacer la honte de sa première défaite par une victoire plus éclatante. Dans son camp près de Fulde, où il s'était avancé avec son armée, il attendait, plein d'une extrême ardeur, la permission du duc de Bavière d'en venir aux mains avec Gustave-Adolphe. Mais, après l'armée de Tilly, la Ligue n'en avait pas une deuxième à perdre, et Maximilien était beaucoup trop circonspect pour livrer toute la destinée de son parti au hasard d'une nouvelle bataille. Tilly reçut, les larmes aux yeux, les ordres de son maître, qui le contraignaient à l'inaction. Ainsi fut retardée la marche de ce général vers la Franconie, et Gustave-Adolphe eut le temps d'envahir tout l'évêché. Ce fut en vain que Tilly se renforça ensuite à Aschaffenbourg de douze mille Lorrains et accourut, avec des forces supérieures, pour débloquer Würtzbourg: la ville et la citadelle étaient déjà au pouvoir des Suédois, et Maximilien de Bavière fut accusé, non sans quelque fondement peut-être, par la voix publique, d'avoir accéléré par ses hésitations la ruine de l'évêché. Forcé d'éviter une bataille, Tilly se contenta de s'opposer aux projets ultérieurs de l'ennemi; mais il ne put soustraire que bien peu de places à l'impétuosité des Suédois. Après une vaine tentative pour jeter un renfort dans la ville de Hanau, où les Impériaux n'avaient qu'une faible garnison, et dont la possession donnait au roi un trop grand avantage, il franchit le Mein près de Seligenstadt et dirigea sa course vers la Bergstrasse, pour défendre les provinces palatines contre l'attaque du vainqueur.

Le comte Tilly ne fut pas le seul ennemi que Gustave-Adolphe trouva sur sa route en Franconie et qu'il chassa devant lui. Le duc Charles de Lorraine, fameux, dans les annales de l'Europe de ce temps, par l'inconstance de son caractère, ses vains projets et sa mauvaise fortune, avait aussi levé son faible bras contre le héros suédois, pour mériter de l'empereur Ferdinand II la couronne électorale. Sourd aux conseils d'une sage politique, il ne suivait que les mouvements d'une fougueuse ambition. En soutenant l'empereur, il provoqua la France, sa redoutable voisine, et, pour courir dans les pays lointains après un brillant fantôme, qui cependant fuyait toujours devant lui, il découvrit ses domaines héréditaires, qu'une armée française envahit comme un torrent irrésistible. On lui accorda sans peine en Autriche l'honneur de se perdre, comme les princes de la Ligue, pour l'avantage de la maison archiducale. Enivré de vaines espérances, ce prince rassembla une armée de dix-sept mille hommes, qu'il voulut conduire en personne contre les Suédois. Si ces troupes manquaient de discipline et de courage, elles éblouissaient du moins les yeux par une brillante parure, et autant qu'elles cachaient leur bravoure devant l'ennemi, autant elles s'en montraient prodigues envers le bourgeois et le paysan sans défense, au secours desquels elles étaient appelées. Cette armée, élégamment parée, ne pouvait tenir longtemps contre le hardi courage et la redoutable discipline des Suédois. Une terreur panique la saisit quand la cavalerie suédoise fondit sur elle, et elle fut aisément chassée des quartiers qu'elle occupait dans l'évêché de Würtzbourg. L'échec de quelques régiments causa une déroute générale parmi les troupes, et leur faible reste se hâta de se dérober à la bravoure des soldats du Nord dans quelques villes au delà du Rhin. Objet de risée pour les Allemands et couvert de honte, leur chef se sauva chez lui par Strasbourg, trop heureux d'apaiser par une humble lettre d'excuses la colère de son vainqueur, qui commença par le battre et ne lui demanda compte qu'après de ses hostilités. Un paysan d'un village du Rhin se permit, dit-on, de porter un coup au cheval du duc, comme il vint à passer près de lui dans sa fuite. «Allons, seigneur, dit le paysan, il faut courir plus vite, quand vous fuyez devant le grand roi de Suède.»

Le malheureux exemple de son voisin avait inspiré à l'évêque de Bamberg de plus sages mesures. Pour préserver ses domaines du pillage, il vint au-devant du roi avec des propositions de paix, mais qui ne devaient servir qu'à retarder le progrès de ses armes, jusqu'à l'arrivée des secours. Gustave-Adolphe, beaucoup trop loyal lui-même pour craindre la ruse chez autrui, accepta avec empressement les propositions de l'évêque et spécifia même les conditions auxquelles il promettait d'épargner à l'évêché tout traitement hostile. Il s'y montra d'autant plus disposé que d'ailleurs son intention n'était pas de consumer son temps à faire la conquête de Bamberg, et que ses autres projets l'appelaient dans les provinces du Rhin. La hâte qu'il avait de poursuivre l'exécution de ses projets lui fit perdre les sommes d'argent que, par un plus long séjour en Franconie, il aurait pu aisément arracher à l'évêque sans défense; car ce rusé prélat laissa tomber les négociations aussitôt que l'orage de la guerre se fut éloigné de ses limites. A peine Gustave-Adolphe lui eut-il tourné le dos, qu'il se jeta dans les bras du comte Tilly et reçut les troupes impériales dans les mêmes villes et forteresses qu'il s'était montré peu auparavant empressé d'ouvrir au roi. Mais, par cet artifice, il n'avait retardé que pour peu de temps la ruine de son évêché. Un général suédois, que Gustave avait laissé en Franconie, se chargea de punir l'évêque de cette perfidie, et l'évêché devint par là même un malheureux théâtre de la guerre, également ravagé par les amis et les ennemis.

La fuite des Impériaux, dont la menaçante présence avait jusqu'alors gêné les résolutions des états de Franconie, et en même temps la conduite humaine du roi, donnèrent à la noblesse aussi bien qu'à la bourgeoisie de ce cercle le courage de se montrer favorables aux Suédois. Nuremberg s'abandonna solennellement à la protection du roi. Il gagna la noblesse de Franconie par des manifestes flatteurs, dans lesquels il daignait s'excuser de paraître dans leur pays les armes à la main. La richesse de la Franconie, et la loyauté que le soldat suédois avait continué d'observer dans ses relations avec les habitants, amenèrent l'abondance dans le camp royal. La faveur que Gustave-Adolphe avait su acquérir auprès de la noblesse de tout le cercle, le respect et l'admiration que ses brillants exploits éveillaient même chez l'ennemi, le riche butin qu'on se promettait au service d'un roi toujours victorieux, lui furent d'un grand secours pour les levées de troupes que tant de garnisons, détachées de l'armée principale, lui rendaient nécessaires. On accourait par bandes, de toutes les parties de la Franconie, au premier bruit du tambour.