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Histoire de la Guerre de Trente Ans

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Le devoir de l'impartialité, le plus sacré de tous pour l'historien, l'oblige à un aveu qui n'est pas précisément fort honorable pour les défenseurs de la liberté allemande. Quelque étalage que fissent les princes protestants de la justice de leur cause et de la pureté de leur zèle, cependant c'étaient surtout des motifs très-intéressés qui les faisaient agir, et le désir de dépouiller les autres avait pour le moins autant de part aux hostilités commencées que la crainte de se voir dépouillés eux-mêmes. Gustave-Adolphe découvrit bientôt qu'il avait beaucoup plus à espérer de ce honteux mobile que de leurs sentiments patriotiques, et il ne négligea pas d'en tirer parti. Il promit à chacun des princes ligués avec lui la possession de quelqu'une des conquêtes déjà faites sur l'ennemi ou encore à faire, et la mort seule l'empêcha d'accomplir ces engagements. Ce que la prudence conseillait au roi, la nécessité le commandait à son successeur, et, s'il avait à cœur de prolonger la guerre, il fallait qu'il partageât le butin avec les princes alliés, et s'obligeât à faire tourner à leur avantage la confusion qu'il cherchait à entretenir. Ce fut ainsi qu'il promit au landgrave de Hesse les bénéfices de Paderborn, de Corvey, de Münster et de Fulde; au duc Bernard de Weimar, les évêchés de Franconie; au duc de Wurtemberg, les biens ecclésiastiques et les comtés autrichiens situés dans ses États: le tout à titre de fiefs suédois. Le chancelier lui-même s'étonnait du spectacle de cette conduite insensée qui faisait si peu d'honneur aux Allemands, et il pouvait à peine cacher son mépris. «Qu'on inscrive, dit-il un jour, dans nos archives, pour en perpétuer le souvenir, qu'un prince de l'Empire d'Allemagne a demandé cela à un gentilhomme suédois, et que le gentilhomme suédois l'a accordé, en pays allemand, à un prince de l'Empire d'Allemagne.»

Après des mesures si bien prises, on pouvait paraître avec honneur en campagne et recommencer la guerre avec une nouvelle activité. Bientôt après la victoire de Lützen, les troupes de Saxe et de Lunebourg se réunissent avec le gros des forces suédoises, et, en peu de temps, les Impériaux sont chassés de toute la Saxe. Alors cette armée combinée se sépare. Les Saxons marchent en Lusace et en Silésie, pour agir contre les Autrichiens de concert avec le comte de Thurn; le duc Bernard conduit en Franconie une partie de l'armée suédoise, et le duc Georges de Brunswick l'autre partie dans la Westphalie et la basse Saxe.

Tandis que Gustave-Adolphe entreprenait son expédition en Saxe, les conquêtes faites sur le Lech et le Danube furent défendues contre les Bavarois par le comte palatin de Birkenfeld et le général suédois Banner; mais, trop faibles pour opposer une résistance suffisante aux progrès victorieux de l'ennemi, qui étaient secondés par la bravoure et l'expérience d'Altringer, général de l'empereur, ils durent appeler d'Alsace à leur secours le général suédois de Horn. Après que ce chef expérimenté eut soumis à la domination suédoise les villes de Benfeld, Schelestadt, Colmar et Haguenau, il en remit la défense au rhingrave Othon-Louis et se hâta de passer le Rhin pour renforcer l'armée de Banner. Mais, quoiqu'elle fût dès lors forte de seize mille hommes, elle ne put toutefois empêcher l'ennemi de s'établir sur la frontière de la Souabe, de prendre Kempten et de s'accroître de sept régiments venus de Bohême. Pour garder les rives importantes du Lech et du Danube, on dégarnit l'Alsace, où, après le départ de Horn, le rhingrave Othon-Louis avait eu de la peine à se défendre contre les paysans soulevés. Il fallut que lui aussi vînt renforcer avec ses troupes l'armée du Danube; et, comme ce secours ne suffisait pas encore, on invita instamment le duc Bernard de Weimar à tourner ses armes de ce côté.

Peu après l'ouverture de la campagne de 1633, Bernard s'était emparé de la ville et de tout l'évêché de Bamberg, et il préparait le même sort à Würtzbourg. Sur l'invitation de Gustave Horn, il se mit aussitôt en marche vers le Danube, battit, chemin faisant, une armée bavaroise, commandée par Jean de Werth, et fit près de Donawert sa jonction avec les Suédois. Cette nombreuse armée, commandée par d'excellents généraux, menace la Bavière d'une formidable invasion. Tout l'évêché d'Eichstædt est inondé de troupes, et un traître promet de faire tomber même Ingolstadt dans les mains des Suédois. L'activité d'Altringer est enchaînée par l'ordre formel de Friedland, et, ne recevant aucun secours de Bohême, il ne peut s'opposer aux progrès de l'armée ennemie. Les plus favorables circonstances se réunissent pour rendre victorieuses dans ces contrées les armes des Suédois, quand les mouvements de l'armée sont tout à coup arrêtés par une révolte des officiers.

On devait aux armes tout ce qu'on avait acquis en Allemagne; la grandeur même de Gustave-Adolphe était l'ouvrage de l'armée, le fruit de sa discipline, de ses travaux, de son courage inébranlable au milieu de fatigues et de dangers infinis. Si habilement que l'on traçât les plans dans le cabinet, l'armée seule, en définitive, en était l'exécutrice, et les projets des chefs en s'étendant ne faisaient qu'augmenter toujours ses fatigues. Dans cette guerre, tous les grands résultats avaient été obtenus violemment, en sacrifiant avec une vraie barbarie les soldats dans les campagnes d'hiver, les marches, les assauts et les batailles rangées, et c'était la maxime de Gustave-Adolphe de ne jamais renoncer à une victoire, tant qu'il ne lui en coûtait que des hommes. Le soldat ne pouvait longtemps ignorer son importance, et il demandait à bon droit sa part du gain obtenu au prix de son sang. Mais, le plus souvent, on pouvait à peine lui payer la solde qui lui était due, l'avidité des chefs ou les besoins de l'État absorbaient d'ordinaire la meilleure part des sommes extorquées et des possessions acquises. Pour toutes les peines qu'il endurait, il ne lui restait rien que la perspective incertaine du pillage ou de l'avancement, et nécessairement, à l'un et à l'autre égard, il ne se voyait que trop souvent abusé. Tant que Gustave-Adolphe vécut, la crainte et l'espérance étouffèrent, il est vrai, toute explosion de mécontentement; mais, après sa mort, l'impatience générale éclata, et le soldat saisit justement le moment le plus dangereux pour se souvenir de son importance. Deux officiers, Pfuhl et Mitschefal, déjà signalés du vivant de Gustave comme deux têtes turbulentes, donnent, dans le camp du Danube, un exemple qui trouve en peu de jours des imitateurs dans presque tous les officiers de l'armée. On s'engage mutuellement et l'on se donne parole, la main dans la main, de n'obéir à aucun ordre jusqu'à ce que la solde, arriérée depuis des mois et des années, soit acquittée, et qu'on ait accordé en outre à chacun, en argent ou en biens-fonds, une récompense proportionnée aux services. On les entendait dire: «Des sommes énormes sont extorquées chaque jour comme contributions de guerre, et tout cet argent va se perdre dans un petit nombre de mains. On nous pousse en avant sur la neige et la glace, et jamais la moindre reconnaissance pour ces travaux infinis! On crie à Heilbronn contre la pétulance des troupes; mais personne ne songe à leurs services. Les écrivains font retentir le monde du bruit des conquêtes et des victoires, et cependant ce n'est que par la main des soldats qu'on a remporté tous ces triomphes.» La foule des mécontents augmente chaque jour, et déjà, par des lettres qui heureusement sont interceptées, ils cherchent à soulever aussi les armées sur le Rhin et dans la Saxe. Ni les représentations de Bernard de Weimar, ni les dures réprimandes de son collègue plus sévère, ne furent capables d'étouffer cette fermentation, et la violence du dernier ne fit qu'accroître l'insolence des rebelles. Ils insistèrent pour qu'on assignât à chaque régiment certaines villes sur lesquelles on lèverait la solde arriérée. Un délai de quatre semaines était accordé au chancelier suédois pour trouver le moyen de satisfaire à ces demandes. «En cas de refus, déclarèrent-ils, ils se payeraient eux-mêmes, et ne tireraient plus, à l'avenir, l'épée pour la Suède.»

Cette violente sommation, faite en un temps où la caisse militaire était vide et le crédit tombé, dut plonger le chancelier dans la plus grande perplexité; et il fallait trouver un prompt remède, avant que le même vertige gagnât les autres troupes, et qu'on se vît abandonné tout d'un coup par toutes les armées au milieu des ennemis. Parmi tous les généraux suédois, un seul avait assez de crédit et de considération auprès des soldats pour apaiser cette querelle. Le duc Bernard était le favori de l'armée, et sa prudente modération lui avait gagné la confiance des gens de guerre, comme son expérience militaire leur haute admiration. Ce fut lui qui entreprit alors de calmer les troupes mécontentes; mais, connaissant son importance, il saisit le moment favorable pour songer d'abord à lui-même et arracher à l'embarras du chancelier suédois l'accomplissement de ses propres souhaits.

Gustave-Adolphe lui avait déjà fait espérer un duché de Franconie, qui serait formé des deux évêchés de Bamberg et Würtzbourg: le duc Bernard insistait maintenant sur l'exécution de cette promesse. Il demanda en même temps le commandement en chef pendant la guerre, avec le titre de généralissime suédois. Cet abus que faisait le duc du besoin qu'on avait de lui irrita si fort Oxenstiern, que, dans sa première indignation, il lui signifia qu'il cessait d'être au service de la Suède. Mais bientôt il se ravisa, et, plutôt que de sacrifier un général si important, il résolut de l'enchaîner à tout prix à la cause suédoise. Il lui remit en conséquence les évêchés de Franconie, à titre de fiefs de la couronne de Suède, à la réserve toutefois des deux forteresses de Würtzbourg et de Kœnigshofen, qui devaient rester occupées par les Suédois; il s'engagea de plus, au nom de sa couronne, à soutenir le duc dans la possession de ces pays. La demande du commandement en chef de toutes les troupes fut rejetée sous un prétexte honnête. Le duc Bernard ne tarda pas longtemps à se montrer reconnaissant de cet important sacrifice: par son crédit et son activité, il apaisa bientôt la révolte de l'armée. On distribua aux officiers de fortes sommes d'argent et de plus grands dons encore en fonds de terre, dont la valeur montait à environ cinq millions d'écus, et sur lesquels on n'avait aucun autre droit que celui de conquête. Pendant ce temps, le moment d'une grande entreprise était passé, et les chefs réunis se séparèrent, pour aller résister à l'ennemi sur d'autres points.

 

Gustave Horn, après avoir entrepris une courte irruption dans le haut Palatinat et s'être emparé de Neumarkt, dirigea sa marche vers la frontière souabe, où les Impériaux s'étaient considérablement renforcés dans l'intervalle et menaçaient le Wurtemberg d'une invasion désastreuse. Effrayés de son approche, ils se retirent vers le lac de Constance; mais cela ne servit qu'à montrer aux Suédois le chemin de ce pays, qu'ils n'avaient pas encore visité. Une possession à l'entrée de la Suisse était pour ceux-ci d'une extrême importance, et la ville de Constance semblait particulièrement propre à les mettre en communication avec les confédérés. Gustave Horn entreprit donc aussitôt le siége de cette place. Mais, dépourvu d'artillerie et obligé d'en faire venir d'abord du Wurtemberg, il ne pouvait assez accélérer son entreprise pour ne pas laisser aux ennemis le loisir de délivrer cette ville, qu'il était d'ailleurs si facile d'approvisionner par le lac. Il quitta donc, après une vaine tentative, la ville et son territoire, pour faire tête, sur les bords du Danube, à un pressant danger.

Sur l'invitation de l'empereur, le cardinal infant, frère du roi d'Espagne Philippe IV, et gouverneur de Milan, avait mis sur pied une armée de quatorze mille hommes, qui était destinée à opérer sur le Rhin, indépendante de l'autorité de Wallenstein, et à défendre l'Alsace. Ces forces parurent alors en Bavière, sous le commandement d'un Espagnol, le duc de Féria; et, afin qu'on pût les employer sans retard contre les Suédois, Altringer reçut l'ordre de les joindre aussitôt avec ses troupes. Dès la première nouvelle de l'apparition de cette armée, Gustave Horn avait appelé du Rhin, comme renfort, le comte palatin de Birkenfeld, et, après s'être réuni à lui à Stockach, il marcha hardiment aux ennemis, forts de trente mille hommes. Ils avaient franchi le Danube et dirigé leur marche vers la Souabe, où Gustave Horn s'approcha d'eux, un jour, au point que les deux armées n'étaient plus qu'à un demi-mille l'une de l'autre. Mais, au lieu d'accepter l'offre de la bataille, les Impériaux marchèrent par les villes forestières vers le Brisgau et l'Alsace, où ils arrivèrent assez tôt pour débloquer Brisach et mettre un terme aux progrès victorieux du rhingrave Othon-Louis. Ce dernier avait conquis peu auparavant les villes forestières, et, soutenu par le comte palatin de Birkenfeld, qui délivra le bas Palatinat et battit le duc de Lorraine, il avait assuré de nouveau dans ces contrées la prépondérance aux armes suédoises. Alors, il est vrai, il dut céder à la supériorité de l'ennemi; mais bientôt Horn et Birkenfeld marchent à son secours, et, après un court triomphe, les Impériaux se voient de nouveau chassés de l'Alsace. Un automne rigoureux, qui les surprend dans cette malheureuse retraite, fait périr la plupart des Italiens, et le chagrin que lui cause le mauvais succès de cette entreprise donne la mort à leur chef lui-même, le duc de Féria.

Cependant, le duc Bernard de Weimar, avec dix-huit régiments d'infanterie et cent quarante cornettes de cavalerie, avait pris position sur le Danube, pour couvrir la Franconie, aussi bien que pour observer sur ce fleuve les mouvements de l'armée bavaro-impériale. Altringer n'eut pas plutôt dégarni ces frontières, pour se joindre aux troupes italiennes du duc de Féria, que Bernard profita de son éloignement, se hâta de passer le Danube, et parut devant Ratisbonne, aussi prompt que la foudre. La possession de cette ville était décisive pour les entreprises des Suédois sur la Bavière et l'Autriche; elle leur donnait un établissement sur le Danube, et une retraite sûre en cas de revers, de même qu'elle les mettait seule en état de faire dans ces pays des conquêtes durables. Conserver Ratisbonne avait été le dernier, le pressant conseil de Tilly mourant à l'électeur de Bavière, et Gustave-Adolphe avait déploré, comme une perte irréparable, que les Bavarois l'eussent prévenu en occupant cette place. Aussi l'effroi de Maximilien fut-il inexprimable, quand le duc Bernard surprit cette ville et se disposa sérieusement à l'assiéger.

Quinze compagnies seulement, la plupart de nouvelles levées, en composaient la garnison: c'étaient des forces plus que suffisantes pour fatiguer l'ennemi, quelle que fût sa supériorité, si elles étaient soutenues par une bourgeoisie bien intentionnée et guerrière. Mais celle de Ratisbonne était justement le plus dangereux ennemi que la garnison bavaroise eût à combattre. Les habitants protestants, également jaloux de leur croyance et de leur liberté impériale, s'étaient courbés à regret sous le joug bavarois et attendaient depuis longtemps avec impatience l'apparition d'un sauveur. L'arrivée de Bernard devant leurs murs les remplit d'une vive joie, et il était fort à craindre qu'ils ne soutinssent par une émeute au dedans les entreprises des assiégeants. Dans cette grande perplexité, l'électeur adresse à l'empereur, au duc de Friedland, les lettres les plus pathétiques, pour qu'on lui accorde seulement un secours de cinq mille hommes. Ferdinand envoie successivement sept messagers, avec cette commission, à Wallenstein, qui promet les plus prompts secours, et annonce en effet par Gallas à l'électeur la prochaine arrivée de douze mille hommes sous les ordres de ce général, mais en même temps défend à celui-ci, sous peine de la vie, de se mettre en chemin. Sur l'entrefaite, le commandant bavarois de Ratisbonne, dans l'attente d'une prompte délivrance, avait pris les meilleures dispositions pour défendre la ville: il avait armé les paysans catholiques, désarmé au contraire les bourgeois protestants, et veillé avec le plus grand soin à ce qu'ils ne pussent faire aucune entreprise dangereuse contre la garnison. Mais, comme aucun secours ne paraissait, et que l'artillerie des ennemis foudroyait sans relâche les remparts, il pourvut à sa sûreté et à celle de la garnison par une capitulation honorable, et abandonna les employés et les ecclésiastiques bavarois à la clémence du vainqueur.

Avec l'occupation de Ratisbonne, les projets du duc Bernard s'étendent, et la Bavière même est devenue pour son hardi courage un champ trop étroit. Il veut pénétrer jusqu'aux frontières de l'Autriche, armer contre l'empereur les paysans protestants et leur rendre la liberté religieuse. Il avait déjà conquis Straubing, tandis qu'un autre général suédois soumettait les bords septentrionaux du Danube. Bravant, à la tête de ses Suédois, la rigueur de la température, il atteint l'embouchure de l'Isar et fait passer ce fleuve à ses troupes, sous les yeux du général bavarois de Werth, qui est campé dans ce lieu. Déjà tremblent Passau et Lintz, et l'empereur, consterné, redouble ses sommations et ses ordres à Wallenstein de secourir au plus tôt la Bavière accablée. Mais Bernard victorieux met de lui-même un terme à ses conquêtes. Ayant, devant lui, l'Inn, défendu par de nombreux châteaux forts; derrière lui, deux armées ennemies, un pays mal intentionné, et l'Isar, sur les bords duquel nul poste tenable ne le protége, de même que le sol gelé ne lui permet d'élever aucuns retranchements; menacé par toutes les forces de Wallenstein, qui s'est enfin décidé à marcher sur le Danube, il se dérobe par une retraite opportune au danger de voir couper ses communications avec Ratisbonne et d'être cerné par les ennemis. Il se hâte de passer l'Isar et le Danube, pour défendre contre Wallenstein les conquêtes faites dans le haut Palatinat, décidé même à ne pas refuser une bataille avec ce général. Mais Wallenstein, qui n'avait jamais eu la pensée de rien faire d'important sur le Danube, n'attend pas son approche, et, avant que les Bavarois commencent tout de bon à se réjouir de la sienne, il a déjà disparu du côté de la Bohême. Bernard termine donc alors sa glorieuse campagne et accorde à ses troupes dans les quartiers d'hiver, sur le territoire ennemi, un repos bien mérité.

Tandis que Gustave Horn en Souabe, le comte palatin de Birkenfeld, le général Baudissin et le rhingrave Othon-Louis sur le haut et le bas Rhin, et le duc Bernard sur le Danube, faisaient la guerre avec une telle supériorité, la gloire des armes suédoises n'était pas soutenue moins glorieusement dans la basse Saxe et la Westphalie par le duc de Lunebourg et le landgrave de Hesse-Cassel. Le duc Georges prit la forteresse de Hameln après la plus courageuse résistance, et l'armée combinée des Hessois et des Suédois remporta, près d'Oldendorf, une brillante victoire sur le général impérial de Gronsfeld, qui commandait aux bords du Wéser. Dans cette bataille, le comte de Wasabourg, fils naturel de Gustave-Adolphe, se montra digne de sa naissance. Seize canons, tous les bagages des Impériaux et soixante-quatorze étendards tombèrent dans les mains des Suédois; environ trois mille ennemis restèrent sur la place, et le nombre des prisonniers fut presque aussi grand. La ville d'Osnabrück fut réduite à capituler par le colonel suédois Kniphausen, et Paderborn par le landgrave de Hesse-Cassel. En revanche, Bückebourg, place très-importante pour les Suédois, tomba dans les mains des Impériaux. Sur presque tous les points de l'Allemagne, on voit triompher les armées suédoises, et l'année qui suivit la mort de Gustave-Adolphe ne montra encore aucun indice de la perte qu'on avait faite en la personne de ce grand capitaine.

Dans l'exposé des principaux événements qui signalèrent la campagne de l'année 1633, l'inaction de l'homme qui, entre tous assurément, excitait la plus grande attente, doit causer un juste étonnement. De tous les généraux dont les exploits nous ont occupés dans cette campagne, il n'y en avait aucun qui pût se mesurer, pour l'expérience, le talent et la gloire militaire, avec Wallenstein, et c'est lui précisément qui, à partir de la bataille de Lützen, disparaît à nos yeux. La mort de son grand adversaire lui laisse libre tout le champ de la gloire; l'attention de l'Europe entière est fixée sur les exploits qui doivent effacer le souvenir de sa défaite et annoncer au monde sa supériorité dans l'art de la guerre; et cependant il reste oisif en Bohême, tandis que les pertes de l'empereur en Bavière, dans la basse Saxe et sur le Rhin réclament instamment sa présence: mystère également impénétrable pour les amis et les ennemis, objet d'effroi pour l'empereur, et pourtant aussi sa dernière espérance. Après la bataille perdue de Lützen, il s'était retiré, avec une précipitation inexplicable, dans le royaume de Bohême, où il ordonna les enquêtes les plus sévères sur la conduite de ses officiers dans cette journée. Ceux que le conseil de guerre reconnut coupables furent condamnés à mort avec une inexorable rigueur; ceux qui s'étaient bravement conduits furent récompensés avec une royale munificence, et la mémoire des morts éternisée par de magnifiques monuments. Pendant tout l'hiver, il écrasa les provinces impériales par des contributions exorbitantes et par les quartiers d'hiver, qu'il eut soin de ne pas prendre dans les pays ennemis afin d'épuiser les ressources des provinces autrichiennes. Mais, à l'entrée du printemps de 1633, au lieu d'ouvrir les hostilités avant tous les autres, avec son armée bien entretenue et formée de troupes d'élite, et de se montrer dans toute la puissance de son commandement, il fut le dernier à paraître en campagne, et ce fut encore un État héréditaire de l'empereur dont il fit le théâtre de la guerre.

Entre toutes les provinces de l'Autriche, c'était la Silésie qui se trouvait exposée au plus grand danger. Trois différentes armées, une suédoise sous le comte de Thurn, une saxonne sous Arnheim et le duc de Lauenbourg, et une brandebourgeoise sous Borgsdorf, avaient porté en même temps la guerre dans ce pays. Elles avaient déjà en leur possession les places les plus importantes, et Breslau même avait embrassé le parti des alliés. Mais cette foule de généraux et d'armées fut précisément ce qui conserva ce pays à l'empereur: en effet, la jalousie des chefs et la haine mutuelle des Suédois et des Saxons ne leur permirent jamais d'agir avec ensemble, Arnheim et Thurn se disputaient le commandement; les Brandebourgeois et les Saxons faisaient cause commune contre les Suédois, qu'ils regardaient comme d'importuns étrangers et auxquels ils cherchaient à nuire chaque fois qu'ils en trouvaient la moindre occasion. Au contraire, les Saxons vivaient avec les Impériaux sur un pied beaucoup plus amical, et il arrivait souvent que les officiers des deux armées ennemies se visitaient réciproquement et se donnaient des repas. On laissait les Impériaux sauver leurs biens sans obstacle, et, parmi les Allemands de l'armée combinée, un grand nombre ne cachaient point qu'ils avaient reçu de Vienne de fortes sommes. Au milieu d'alliés si équivoques, les Suédois se voyaient vendus et trahis, et, quand on s'entendait si mal, il était impossible de songer à aucune grande entreprise. Le général d'Arnheim était d'ailleurs presque toujours absent, et, lorsqu'enfin il revint à l'armée, déjà Wallenstein s'approchait des frontières avec des forces redoutables.

 

Il entra en Silésie à la tête de quarante mille hommes, et les alliés n'en avaient pas plus de vingt-quatre mille à lui opposer. Néanmoins, ils voulurent tenter une bataille et parurent devant Münsterberg, où Wallenstein avait établi un camp retranché; mais il les laissa séjourner là huit jours sans faire lui-même le moindre mouvement; puis il quitta ses lignes et défila devant leur camp d'un pas fier et tranquille. Même après qu'il eut levé le sien, et tout le temps que les ennemis, devenus plus hardis, demeurèrent près de lui, il dédaigna de profiter de l'occasion. Le soin avec lequel il évitait la bataille fut attribué à la crainte; mais, avec sa vieille gloire militaire, Wallenstein pouvait braver un pareil soupçon. La vanité des alliés ne leur permit pas de remarquer qu'il se jouait d'eux et qu'il leur faisait généreusement grâce de la défaite, parce que, pour le moment, une victoire sur eux ne le servait pas. Cependant, pour leur montrer qu'il était le maître et que ce n'était point la crainte de leurs forces qui le tenait dans l'inaction, il fit mettre à mort le commandant d'un château qui tomba dans ses mains, pour n'avoir pas rendu sur-le-champ une place qui n'était pas tenable.

Les deux armées étaient depuis neuf jours en présence l'une de l'autre, à la portée du mousquet, quand le comte Terzky, sortant de l'armée de Wallenstein, parut avec un trompette devant le camp des alliés pour inviter le général d'Arnheim à une conférence. Elle avait pour objet de proposer, au nom de Wallenstein, tout supérieur en forces qu'il était, un armistice de six semaines. «Il était venu, disait-il, pour conclure une paix perpétuelle avec la Suède et les princes de l'Empire, payer les soldats et donner à chacun satisfaction. Tout cela était en son pouvoir, et, si l'on faisait difficulté à Vienne de ratifier sa décision, il était prêt à se réunir avec les alliés, et (ceci fut, il est vrai, soufflé seulement aux oreilles d'Arnheim) à envoyer l'empereur au diable.» Dans une seconde entrevue, il s'expliqua encore plus clairement avec le comte de Thurn. «Tous les priviléges, disait-il, seraient de nouveau confirmés, tous les exilés bohêmes rappelés et rétablis dans leurs biens, et il serait lui-même le premier à leur restituer la part qui lui était échue. Les jésuites seraient expulsés, comme étant les auteurs de toutes les vexations précédentes; la couronne de Suède serait satisfaite par des payements à termes fixes; toutes les troupes inutiles des deux partis seraient menées contre les Turcs.» Le dernier point contenait le mot de toute l'énigme: «S'il obtenait pour lui la couronne de Bohême, tous les proscrits auraient à se louer de sa générosité; une complète liberté de religion régnerait désormais dans le royaume; la maison palatine rentrerait dans tous ses droits, et le margraviat de Moravie lui servirait à lui-même de dédommagement pour le Mecklembourg. Alors les armées alliées marcheraient sur Vienne sous sa conduite, pour arracher à l'empereur, les armes à la main, son consentement à ce traité.»

Il était donc levé maintenant, le voile qui couvrait le projet que Wallenstein avait mûri pendant de longues années dans le plus mystérieux silence. Aussi bien toutes les circonstances montraient qu'il n'y avait point de temps à perdre pour l'exécution. C'était seulement son aveugle confiance dans le bonheur des armes de Friedland et dans la supériorité de son génie, qui avait inspiré à l'empereur la ferme résolution de remettre à cet homme impérieux, malgré toutes les représentations de l'Espagne et de la Bavière, et aux dépens de sa propre dignité, un commandement si absolu. Mais la croyance que Wallenstein était invincible avait été depuis longtemps ébranlée par sa longue inaction, et presque entièrement détruite après la malheureuse bataille de Lützen. Maintenant ses ennemis se réveillaient de nouveau à la cour de Ferdinand, et le mécontentement de l'empereur, qui avait vu échouer ses espérances, procurait auprès de lui à leurs représentations l'accueil souhaité. Ils passèrent en revue, avec une mordante critique, toute la conduite de Friedland; ils rappelèrent au monarque jaloux son insolent orgueil et sa résistance aux ordres impériaux; ils invoquèrent à leur aide les plaintes des sujets autrichiens sur ses vexations infinies; ils rendirent suspecte sa fidélité et insinuèrent d'effrayants avis sur ses intentions secrètes. Ces accusations, qui n'étaient d'ailleurs que trop justifiées par toute la conduite de Wallenstein, ne laissaient pas de jeter dans l'esprit de Ferdinand de profondes racines; mais le pas était fait, et le vaste pouvoir dont on avait revêtu le duc ne pouvait lui être arraché sans un grand péril. Diminuer ce pouvoir insensiblement était tout ce qui restait possible à l'empereur, et, pour y parvenir avec quelque succès, il fallait le diviser; mais avant tout il fallait chercher à se rendre indépendant de la bonne volonté de Wallenstein. Cependant on s'était désisté même de ce droit dans le traité qu'on avait conclu avec lui, et la propre signature de l'empereur le protégeait contre toute tentative faite pour placer un autre général à ses côtés ou pour exercer une influence directe sur ses troupes. Comme on ne pouvait ni observer ni anéantir ce pernicieux traité, il fallut recourir à un artifice. Friedland était généralissime de l'empereur en Allemagne, mais son pouvoir ne s'étendait pas plus loin, et il ne pouvait s'arroger aucune autorité sur une armée étrangère. On fait donc lever à Milan une armée espagnole, et on la fait combattre en Allemagne sous un général espagnol. Ainsi Wallenstein n'est plus l'homme indispensable, parce qu'il a cessé d'être unique, et l'on a, au besoin, un appui contre lui-même.

Le duc sentit promptement et profondément d'où partait ce coup et à quoi il tendait. En vain il protesta auprès du cardinal infant contre cette innovation, qui violait le traité: l'armée italienne entra en Allemagne, et l'on obligea Wallenstein d'envoyer le général Altringer pour la renforcer. A la vérité, il sut lui lier si bien les mains par de sévères instructions, que l'armée italienne recueillit peu de gloire en Alsace et en Souabe; mais cet acte d'autorité de la cour l'avait arraché à sa sécurité et lui avait fait pressentir l'approche du danger. Pour ne pas perdre une seconde fois le commandement et avec lui le fruit de tous ses efforts, il fallait qu'il se hâtât d'accomplir son dessein. Par l'éloignement des officiers suspects et par sa libéralité envers les autres, il se croyait assuré de la fidélité de ses troupes. Il avait sacrifié toutes les autres classes de l'État, tous les devoirs de la justice et de l'humanité, à l'avantage de l'armée: aussi comptait-il sur sa reconnaissance. Sur le point de donner au monde un exemple inouï d'ingratitude envers l'auteur de sa fortune, il fondait toute sa grandeur sur la reconnaissance qu'on devait lui témoigner, à lui.