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Histoire de la Guerre de Trente Ans

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Les chefs des armées silésiennes n'avaient aucun plein pouvoir de leurs supérieurs pour conclure à eux seuls une affaire aussi grave que celle qui était proposée par Wallenstein, et ils n'osèrent pas même accorder pour plus de quinze jours l'armistice demandé. Avant de s'ouvrir aux Suédois et aux Saxons, le duc avait jugé prudent de s'assurer, dans son audacieuse entreprise, l'appui de la France. A cet effet, le comte de Kinsky, non sans de très-méfiantes précautions, entama avec Feuquières, plénipotentiaire français à Dresde, des négociations secrètes, qui eurent une issue entièrement conforme aux désirs du duc. Feuquières reçut de sa cour l'ordre de promettre tout l'appui de la France, et d'offrir à Wallenstein, s'il en avait besoin, une somme d'argent considérable.

Mais ce fut précisément cette attention excessive à se couvrir de tous côtés qui le conduisit à sa perte. Le plénipotentiaire français découvrit avec une grande surprise qu'un dessein qui, plus que tout autre, avait besoin de secret, avait été communiqué aux Suédois et aux Saxons. Le ministère de Saxe était, comme on le savait généralement, dans les intérêts de l'empereur, et les conditions offertes aux Suédois restaient beaucoup trop au-dessous de leur attente pour pouvoir jamais obtenir leur assentiment. Feuquières trouvait donc inconcevable que le duc eût pu compter sérieusement sur l'appui des premiers et sur la discrétion des seconds. Il confia ses doutes et ses inquiétudes au chancelier suédois, à qui les vues de Wallenstein inspiraient une tout aussi grande défiance et qui goûtait encore moins ses propositions. Quoique ce ne fût pas un secret pour lui que le duc avait déjà entamé précédemment de pareilles négociations avec Gustave-Adolphe, il ne comprenait pas comment il serait possible à Wallenstein de porter toute l'armée à la défection et de réaliser ses immenses promesses. Un plan si excessif et une conduite si inconsidérée ne semblaient pas bien s'accorder avec le caractère taciturne et défiant de Friedland, et l'on était tenté de ne voir dans toute l'affaire qu'une ruse et une tromperie, parce qu'il était plutôt permis de douter de sa loyauté que de sa prudence. Les soupçons d'Oxenstiern gagnèrent à la fin Arnheim lui-même, qui, plein de confiance en la sincérité de Wallenstein, s'était rendu à Gelnhausen auprès du chancelier pour le déterminer à mettre à la disposition du duc ses meilleurs régiments. On commença à craindre que toute la proposition ne fût qu'un piége habilement tendu pour désarmer les alliés et faire tomber l'élite de leurs forces dans les mains de l'empereur. Le caractère connu de Wallenstein ne démentait point ce fâcheux soupçon, et les contradictions dans lesquelles il s'embarrassa plus tard firent qu'enfin l'on ne sut plus du tout que penser de lui. Tandis qu'il s'efforçait d'attirer les Suédois dans son alliance, et leur demandait même leurs meilleures troupes, il déclarait à Arnheim qu'il fallait commencer par chasser les Suédois de l'Empire, et, tandis que les officiers saxons, se reposant sur l'armistice, s'étaient rendus chez lui en grand nombre, il fit une tentative, qui échoua, pour s'assurer de leurs personnes. Il rompit le premier l'armistice, qu'il renouvela néanmoins, non sans une grande peine, quelques mois après. Toute confiance en sa véracité s'évanouit, et enfin l'on ne crut voir dans toute sa conduite qu'un tissu de tromperies et de bas artifices pour affaiblir les alliés et se mettre lui-même dans une situation avantageuse. Il y réussit en effet, car ses forces augmentèrent chaque jour, tandis que les alliés perdirent, par la désertion et le mauvais entretien, plus de la moitié de leurs troupes. Mais il ne fit pas de sa supériorité l'usage qu'on en attendait à Vienne. Lorsqu'on se croyait à la veille d'un événement décisif, il renouvelait tout à coup les négociations, et, quand l'armistice plongeait les alliés dans la sécurité, il se levait subitement pour renouveler les hostilités. Toutes ces contradictions découlaient du double projet, tout à fait inconciliable, de perdre à la fois l'empereur et les Suédois, et de conclure avec les Saxons une paix séparée.

Impatienté du mauvais succès des négociations, il résolut enfin de montrer sa force: aussi bien la détresse pressante de l'Empire et les progrès du mécontentement à la cour de Vienne ne permettaient pas de plus longs retards. Avant la dernière suspension d'armes, le général de Holk avait déjà fait de la Bohême une irruption dans la Misnie; il avait dévasté par le fer et le feu tout ce qui se trouvait sur son passage, chassé l'électeur dans ses forteresses et pris même la ville de Leipzig. Mais l'armistice de Silésie arrêta ses ravages, et les suites de ses déréglements le mirent au cercueil à Adorf. Après la rupture de l'armistice, Wallenstein fit un nouveau mouvement, comme s'il avait voulu tomber sur la Saxe par la Lusace, et il fit répandre le bruit que Piccolomini s'était déjà mis en marche dans cette direction. Aussitôt Arnheim abandonne son camp de Silésie, afin de poursuivre Piccolomini et de courir à la défense de l'électorat. Mais son départ laissa à découvert les Suédois, qui étaient campés, en très-petit nombre, près de Steinau, sur l'Oder, sous le commandement du comte de Thurn. C'était justement ce que le duc avait désiré. Il laissa le général saxon prendre une avance de seize milles dans la Misnie, puis retourna lui-même subitement sur l'Oder, où il surprit l'armée des Suédois dans la plus profonde sécurité. Leur cavalerie fut battue par le général Schafgotsch, détaché en avant, et l'infanterie fut complétement cernée près de Steinau par l'armée du duc qui suivait. Il donna au comte de Thurn une demi-heure de réflexion pour se défendre avec deux mille cinq cents hommes contre plus de vingt mille, ou se rendre à discrétion. Dans de pareilles circonstances, il n'y avait pas à choisir. Toute l'armée se rend, et la plus complète victoire est remportée, sans qu'il en coûte une seule goutte de sang. Drapeaux, bagages, artillerie tombent dans les mains du vainqueur; les officiers sont faits prisonniers, les soldats incorporés. Et maintenant, après quatorze ans de vie errante, après d'innombrables vicissitudes, l'auteur de la révolte de Bohême, le moteur primitif de toute cette funeste guerre, le fameux comte de Thurn, était enfin au pouvoir de ses ennemis. On attend à Vienne, avec une sanguinaire impatience, l'arrivée de ce grand criminel, et l'on goûte par avance l'horrible triomphe d'immoler à la justice sa principale victime; mais gâter cette joie aux jésuites était un triomphe beaucoup plus doux, et Thurn obtint sa liberté. Heureusement pour lui, il en savait plus qu'on ne devait en apprendre à Vienne, et les ennemis de Wallenstein étaient aussi les siens. A Vienne, on aurait pardonné au duc une défaite; on ne lui pardonna jamais cette espérance déçue. «Mais qu'aurais-je donc dû faire de ce furieux?» écrit-il, avec une malicieuse moquerie, aux ministres qui lui demandaient compte de cette générosité déplacée. «Plût au Ciel que tous les généraux de nos ennemis fussent pareils à celui-là! Il nous rendra de bien meilleurs services à la tête des armées suédoises qu'en prison.»

La victoire de Steinau fut promptement suivie de la prise de Liegnitz, de Gross-Glogau, et même de Francfort-sur-l'Oder. Schafgotsch, qui demeura en Silésie pour achever la soumission de cette province, bloqua Brieg et inquiéta Breslau inutilement, parce que cette ville libre veillait sur ses priviléges et qu'elle resta dévouée aux Suédois. Wallenstein détacha sur la Wartha les généraux Illo et Gœtz pour s'avancer jusque dans la Poméranie et vers les côtes de la Baltique, et ils s'emparèrent en effet de Landsberg, la clef de la Poméranie. Tandis que l'électeur de Brandebourg et le duc de Poméranie tremblaient pour leurs États, Friedland pénétra lui-même, avec le reste de l'armée, dans la Lusace, où il prit d'assaut Gœrlitz et força Bautzen à capituler. Mais il ne s'agissait pour lui que d'effrayer l'électeur de Saxe, et non de poursuivre les avantages qu'il avait obtenus. L'épée à la main, il continuait encore ses propositions de paix auprès du Brandebourg et de la Saxe, mais avec aussi peu de succès, parce que, par une suite de contradictions, il avait perdu tout droit à la confiance. Alors il eût tourné toutes ses forces contre la malheureuse Saxe, et il aurait enfin atteint son but par la force des armes, si des circonstances impérieuses ne l'avaient obligé de quitter ces contrées. Les victoires du duc Bernard sur le Danube, qui menaçaient l'Autriche même d'un danger prochain, l'appelaient de la manière la plus pressante en Bavière, et l'expulsion de la Silésie des Saxons et des Suédois lui enlevait tout prétexte de résister plus longtemps aux ordres de l'empereur et de laisser sans secours l'électeur de Bavière. Il marcha donc, avec le gros de l'armée, sur le haut Palatinat, et sa retraite délivra pour toujours la haute Saxe de ce redoutable ennemi.

Aussi longtemps que la chose avait été possible, il avait différé la délivrance de la Bavière et s'était joué, par les subterfuges les plus recherchés, des ordres de l'empereur. A la fin, cédant à des sollicitations réitérées, il avait envoyé, il est vrai, au secours d'Altringer, qui cherchait à protéger le Lech et le Danube contre Horn et Bernard, quelques régiments de Bohême, mais à la condition expresse de se tenir constamment sur la défensive. Aussi souvent que l'empereur et l'électeur le suppliaient d'envoyer des secours, il les adressait à Altringer, qui, selon les déclarations publiques du duc, avait reçu de lui des pouvoirs illimités; mais, en secret, il liait les mains à ce général par les plus sévères instructions et le menaçait de mort s'il outrepassait ses ordres. Lorsque le duc Bernard se fut avancé jusqu'à Ratisbonne et que l'empereur aussi bien que l'électeur renouvelèrent avec plus d'instance leurs demandes de secours, il fit mine de vouloir envoyer le Général Gallas sur le Danube avec des forces considérables; mais cela ne fut pas non plus exécuté, et ainsi Ratisbonne, Straubing, Cham tombèrent, comme auparavant l'évêché d'Eichstædt, au pouvoir des Suédois. Enfin, comme il ne pouvait absolument plus éviter d'obéir aux ordres sérieux de la cour, il s'avança aussi lentement qu'il put jusqu'aux limites de la Bavière, où il investit la ville de Cham, conquise par les Suédois. Mais il n'eut pas plutôt appris qu'on travaillait du côté de ces derniers à lui susciter une diversion en Bohême par le moyen des Saxons, qu'il profita de cette rumeur pour y retourner au plus vite et sans avoir absolument rien accompli. Il alléguait que tout le reste devait être subordonné à la défense et à la conservation des États héréditaires de l'empereur, et ainsi il resta comme enchaîné en Bohême, et garda ce royaume comme s'il eût été déjà sa propriété. L'empereur lui renouvela, d'un ton plus pressant encore, la sommation de marcher vers le Danube pour empêcher le dangereux établissement du duc de Weimar sur les frontières de l'Autriche; mais Wallenstein mit fin à la campagne pour cette année, et fit prendre de nouveau à ses troupes leurs quartiers d'hiver dans le royaume épuisé.

 

Une arrogance si soutenue, ce mépris inouï de tous les ordres impériaux, une négligence si calculée du bien général, joints à une conduite si singulièrement équivoque envers l'ennemi, devaient enfin disposer l'empereur à croire les bruits fâcheux dont l'Allemagne entière était depuis longtemps remplie. Wallenstein avait su longtemps donner à ses coupables négociations avec l'ennemi l'apparence d'un dessein légitime, et persuader au monarque, toujours prévenu en sa faveur, que le but de ces secrètes conférences n'était autre que de donner la paix à l'Allemagne. Mais, si impénétrable qu'il crût être, cependant tout l'ensemble de sa conduite justifiait les accusations dont ses adversaires assiégeaient sans cesse l'oreille de l'empereur. Déjà, pour s'enquérir sur les lieux mêmes si elles étaient bien ou mal fondées, Ferdinand avait envoyé plusieurs fois des espions dans le camp de Wallenstein; mais, comme le duc évitait de rien donner par écrit, ils ne rapportaient que de simples présomptions. Cependant, les ministres eux-mêmes, ses anciens défenseurs à la cour, l'ayant vu grever leurs terres des mêmes charges que celles des autres et s'étant jetés dans le parti de ses ennemis; l'électeur de Bavière ayant fait la menace de s'accommoder avec les Suédois, si l'on gardait plus longtemps ce général; enfin l'ambassadeur d'Espagne insistant pour sa destitution, et, en cas de refus, menaçant de retenir les subsides de sa couronne, l'empereur se vit, pour la seconde fois, dans la nécessité d'ôter à Wallenstein le commandement.

Les ordres directs et absolus de Ferdinand à l'armée instruisirent bientôt le duc que le traité fait avec lui était déjà regardé comme rompu et que sa destitution était inévitable. Un de ses lieutenants en Autriche, auquel il avait défendu, sous peine de la hache, d'obéir à la cour, reçut de l'empereur l'ordre direct de se joindre à l'électeur de Bavière; et à Wallenstein lui-même fut adressée l'injonction formelle d'envoyer quelques régiments de renforts à la rencontre du cardinal infant, qui venait d'Italie avec une armée. Toutes ces mesures lui disaient que le plan était irrévocablement arrêté de le désarmer peu à peu, pour l'accabler tout d'un coup, quand il serait faible et sans défense.

Il lui fallut alors se hâter d'accomplir, pour sa sûreté personnelle, le plan qui n'était d'abord destiné qu'à son agrandissement. Il en avait différé l'exécution plus que ne le conseillait la prudence, parce que les constellations favorables lui manquaient toujours, ou, comme il répondait d'ordinaire à l'impatience de ses amis, «parce que le temps n'était pas encore venu.» Il ne l'était pas encore, même à cette heure; mais la nécessité pressante ne permettait plus d'attendre la faveur des astres. Avant tout, il fallait s'assurer des dispositions des principaux chefs, et ensuite sonder la fidélité de l'armée, qu'il avait présumée si gratuitement. Trois d'entre les chefs, les généraux Kinsky, Terzky et Illo, étaient depuis longtemps dans le secret, et les deux premiers étaient liés aux intérêts de Wallenstein par le lien de la parenté. Une égale ambition, une égale haine du gouvernement et l'espoir d'énormes récompenses les unissaient de la manière la plus étroite avec le duc, qui n'avait pas dédaigné même les plus vils moyens pour augmenter le nombre de ses partisans. Il avait un jour persuadé au général Illo de solliciter à Vienne le titre de comte et lui avait promis à cet effet sa recommandation la plus énergique. Mais il écrivit secrètement aux ministres de lui refuser sa demande, parce qu'autrement un grand nombre se présenteraient qui avaient les mêmes mérites et pouvaient prétendre à la même récompense. Lorsque Illo fut de retour à l'armée, Wallenstein s'empressa de l'interroger, avant toute chose, sur l'issue de ses sollicitations; et, quand Illo lui apprit qu'il n'avait pas réussi, il se mit à proférer contre la cour les plaintes les plus amères. «Voilà donc, s'écria-t-il, ce que nous avons gagné par nos fidèles services! On tiendra si peu de compte de mon entremise, et l'on refusera à vos mérites une récompense si insignifiante! Qui voudrait servir plus longtemps un maître si ingrat? Non, pour ce qui me regarde, je suis désormais l'ennemi déclaré de la maison d'Autriche.» Illo applaudit, et c'est ainsi qu'il se forma entre eux une étroite liaison.

Mais ce que savaient ces trois confidents de Friedland fut longtemps pour les autres un secret impénétrable, et la confiance avec laquelle Wallenstein parlait du dévouement de ses officiers se fondait uniquement sur les bienfaits dont il les avait comblés et sur leur mécontentement de la cour. Il fallait que cette vague présomption se changeât en certitude, avant qu'il jetât le masque et se permît d'agir ouvertement contre l'empereur. Le comte Piccolomini, le même qui s'était signalé, à la bataille de Lützen, par une bravoure sans exemple, fut le premier dont il mit à l'épreuve la fidélité. Il s'était attaché ce général par de grandes largesses, et il lui donnait la préférence sur tous les autres, parce que Piccolomini était né sous la même constellation que lui. Il lui déclara que, contraint par l'ingratitude de l'empereur et par son propre danger, si prochain, il était irrévocablement résolu à se détacher de la cause autrichienne, à passer du côté des ennemis avec la meilleure partie de l'armée, et à combattre la maison d'Autriche dans tous les pays soumis à sa domination, jusqu'à ce que sa puissance fût entièrement déracinée. Pour cette entreprise, il avait compté principalement sur Piccolomini et lui avait par avance destiné les plus magnifiques récompenses. Quand ce général, pour dissimuler son trouble, à cette proposition surprenante, lui parla des obstacles et des périls qui s'opposeraient à une entreprise si hasardeuse, Wallenstein se railla de ses craintes. «Dans ces coups hardis, s'écria-t-il, le commencement seul est difficile. Les astres lui étaient favorables, l'occasion telle qu'on pouvait la désirer; il fallait, au surplus, remettre quelque chose au hasard. Sa résolution était inébranlable, et, si cela ne se pouvait faire autrement, il tenterait la fortune à la tête de mille chevaux.» Piccolomini se garda bien d'exciter la méfiance de Friedland par une plus longue opposition et se rendit, avec l'apparence de la conviction, à la force de ses raisons. L'aveuglement de Wallenstein alla si loin, que, malgré tous les avertissements de Terzky, il ne lui vint pas à l'idée de suspecter la sincérité de cet homme, qui ne perdit pas un moment pour mander à Vienne l'importante découverte qu'il venait de faire.

Pour hasarder enfin, en vue de son but, le pas décisif, il convoqua, au mois de janvier 1634, tous les chefs de l'armée, à Pilsen, où il s'était rendu aussitôt après sa retraite de Bavière. Les dernières demandes de l'empereur d'épargner aux États héréditaires les quartiers d'hiver, de reprendre Ratisbonne sans attendre la fin de la saison rigoureuse, et de diminuer l'armée de six mille cavaliers pour renforcer le cardinal infant, étaient assez importantes pour être pesées devant le conseil de guerre tout entier, et ce prétexte spécieux cacha à la curiosité publique le véritable objet de cette convocation. La Suède et la Saxe y furent aussi invitées secrètement pour traiter de la paix avec le duc de Friedland. On devait se concerter par écrit avec les chefs des corps éloignés. Vingt des commandants convoqués parurent; mais les principaux, Gallas, Collorédo et Altringer manquèrent justement au rendez-vous. Le duc leur fit répéter ses invitations avec instance; toutefois, en attendant leur prochaine arrivée, il fit procéder à l'affaire principale.

Ce qu'il était sur le point d'entreprendre n'était pas peu de chose. Déclarer capable de la plus honteuse infidélité une fière et vaillante noblesse, gardienne vigilante de son honneur! A la vue d'officiers accoutumés jusqu'alors à respecter en lui l'image de la majesté impériale, le juge de leurs actions, le conservateur des lois, se montrer tout à coup comme un misérable, un séducteur, un rebelle! Ce n'était pas peu de chose d'ébranler dans ses fondements une puissance légitime, affermie par une longue durée, consacrée par la religion et les lois; de détruire tous ces prestiges de l'imagination et des sens, gardiens redoutables d'un trône légitime; d'extirper d'une main violente tous ces sentiments indélébiles du devoir, qui parlent si haut et si puissamment dans le cœur du sujet pour le souverain naturel. Mais, ébloui par l'éclat d'une couronne, Wallenstein n'aperçut pas l'abîme qui s'ouvrait à ses pieds, et, dans la pleine et vive conscience de sa force, il négligea, destinée commune des âmes fortes et hardies! d'apprécier et de calculer exactement les obstacles. Wallenstein ne vit rien qu'une armée en partie indifférente envers la cour, en partie irritée; une armée qui était habituée à vénérer son pouvoir avec une aveugle soumission; à trembler devant lui, comme devant son législateur et son juge; à suivre ses ordres avec crainte et respect, comme les arrêts du destin. Dans les flatteries exagérées par lesquelles on rendait hommage à sa toute-puissance, dans les hardies insultes qu'une soldatesque effrénée se permettait contre la cour et le gouvernement, et qu'excusait la licence fougueuse du camp, il crut reconnaître les vrais sentiments de l'armée, et l'audace avec laquelle on se hasardait à blâmer jusqu'aux actions du monarque, lui garantissait l'empressement des troupes à renoncer au devoir envers un souverain si méprisé. Mais ce qui lui avait paru un obstacle si léger se leva contre lui comme le plus formidable adversaire: tous ses calculs échouèrent contre la fidélité de ses troupes. Enivré de l'ascendant qu'il conservait sur des bandes si indociles, il mettait tout sur le compte de sa grandeur personnelle, sans distinguer ce qui se rapportait à lui-même et ce qu'il devait à la dignité dont il était revêtu. Tout tremblait devant lui, parce qu'il exerçait un pouvoir légitime, parce que l'obéissance envers lui était un devoir, parce que son autorité était appuyée sur la majesté du trône. La grandeur à elle seule peut bien arracher l'admiration et l'effroi, mais il n'y a que la grandeur légitime qui impose le respect et la soumission. Et il se dépouillait lui-même de cet avantage aussitôt qu'il jetait le masque et montrait en sa personne un criminel.

Le feld-maréchal Illo entreprit de sonder les sentiments des chefs et de les préparer à la démarche qu'on attendait d'eux. Il commença par leur exposer les dernières demandes que la cour avait faites au général et à l'armée, et, par le tour odieux qu'il sut leur donner, il lui fut aisé d'enflammer la colère de toute l'assemblée. Après ce début bien choisi, il s'étendit avec beaucoup d'éloquence sur les services de l'armée et du général, et sur l'ingratitude dont l'empereur avait coutume de les récompenser. «L'influence espagnole, affirma-t-il, dirigeait tous les pas de la cour; le ministère était à la solde de l'Espagne; le duc de Friedland lui seul avait résisté jusqu'alors à cette tyrannie, et par là il s'était attiré la haine des Espagnols. L'éloigner du commandement ou se défaire entièrement de lui était, poursuivit-il, depuis longtemps le but de leurs plus ardents efforts, et, en attendant que l'un ou l'autre leur réussisse, on cherche à miner sourdement sa puissance militaire. Le seul motif qu'on ait, en travaillant à faire passer le commandement dans les mains du roi de Hongrie, c'est de pouvoir promener à plaisir ce prince à la tête des troupes en campagne, comme l'organe docile d'inspirations étrangères, et affermir d'autant mieux en Allemagne la puissance espagnole. C'est uniquement afin de diminuer l'armée qu'on demande six mille hommes pour le cardinal infant; c'est uniquement pour la consumer par une campagne d'hiver qu'on insiste sur la reprise de Ratisbonne dans cette saison meurtrière. On rend difficiles aux troupes tous les moyens de vivre, tandis que les jésuites et les ministres s'engraissent de la sueur des provinces et dissipent l'argent destiné aux soldats. Le général avoue l'impuissance où il est de tenir parole à l'armée, parce que la cour l'abandonne. Pour tous les services qu'il a rendus, dans l'espace de vingt-deux ans, à la maison d'Autriche, pour toutes les fatigues qu'il a essuyées, pour tous les sacrifices qu'il a faits de sa fortune depuis qu'il sert l'empereur: on lui réserve, pour la seconde fois, une honteuse destitution. Mais il déclare qu'il ne veut pas laisser les choses en venir là. Il renonce de plein gré au commandement, avant qu'on le retire par violence de ses mains. Voilà, continue l'orateur, ce qu'il fait savoir par moi aux officiers. Que chacun se demande maintenant à lui-même s'il est prudent de sacrifier un tel général. Que tous voient qui leur remboursera les sommes qu'ils ont dépensées au service de l'empereur, et où ils recueilleront la récompense méritée de leur valeur, quand aura disparu celui sous les yeux duquel ils l'ont signalée.»

 

Un cri unanime, qu'il ne fallait pas laisser partir le général, interrompit l'orateur. Quatre des principaux sont délégués pour lui porter le vœu de l'assemblée et le supplier de ne pas abandonner l'armée. Le duc refusa pour la forme et ne se rendit qu'après une deuxième députation. Cette condescendance de sa part semblait mériter de la leur une déférence réciproque. Comme il s'engageait à ne pas quitter le service à l'insu et sans le consentement des chefs, il leur demanda par écrit une contre-promesse de lui rester fidèlement et fermement attachés, de ne jamais se séparer ou se laisser séparer de lui, et de donner pour lui jusqu'à la dernière goutte de leur sang. Celui qui se détacherait de l'alliance serait tenu pour un traître oublieux de sa foi et traité par les autres en ennemi commun. La condition formellement ajoutée: «Aussi longtemps que Wallenstein emploierait l'armée pour le service de l'empereur,» éloignait toute fausse interprétation, et aucun des chefs assemblés ne fit difficulté de donner son entière approbation à une demande qui semblait si innocente et si équitable.

La lecture de cet écrit eut lieu immédiatement avant un festin que le feld-maréchal Illo avait ordonné tout exprès à cette intention: la signature devait être donnée après le repas. L'amphitryon prit soin d'émousser la raison de ses convives par des boissons fortes, et ce fut seulement lorsqu'il les vit chanceler par l'effet des vapeurs du vin qu'il leur donna l'écrit à signer. La plupart tracèrent inconsidérément leurs noms sans savoir ce qu'ils signaient; un petit nombre seulement, qui furent plus curieux ou plus défiants, parcoururent la feuille encore une fois et découvrirent avec étonnement que la clause: «Aussi longtemps que Wallenstein emploierait l'armée dans l'intérêt de l'empereur,» avait été retranchée. En effet, Illo, par une adroite supercherie, avait remplacé le premier exemplaire de l'engagement par un autre dans lequel cette formule manquait. La tromperie fut signalée, et beaucoup d'officiers refusèrent alors de donner leur signature. Piccolomini, qui pénétrait tout l'artifice, et ne prenait part à cette scène que pour en informer la cour, s'oublia dans l'ivresse jusqu'à porter la santé de l'empereur. Mais alors le comte Terzky se leva et déclara parjures coquins tous ceux qui se dédiraient. Ses menaces, l'idée du danger inévitable auquel on était exposé par un plus long refus, l'exemple du grand nombre et l'éloquence d'Illo triomphèrent enfin des scrupules, et la feuille fut signée de tous sans exception.

Maintenant Wallenstein avait, il est vrai, atteint son but; mais l'opposition tout à fait inattendue des chefs l'arracha tout d'un coup à l'illusion flatteuse dont il s'était bercé jusqu'alors. En outre, la plupart des noms étaient griffonnés d'une manière si illisible, qu'on ne pouvait s'empêcher de soupçonner une intention déloyale. Mais, au lieu d'être amené à la réflexion par cet avis du sort, il répandit, dans un débordement de plaintes et de malédictions indignes, la fureur de son ressentiment. Il appela, le lendemain matin, les chefs auprès de lui, et entreprit, en personne, de leur répéter tout le contenu de l'exposé qu'Illo leur avait fait le jour précédent. Après qu'il eut exhalé son mécontentement contre la cour dans les invectives et les reproches les plus amers, il rappela à ses officiers leur résistance de la veille, et déclara que par cette découverte il avait été déterminé à retirer sa promesse. Les chefs s'éloignèrent muets et consternés; mais, après une courte délibération dans l'antichambre, ils reparurent pour s'excuser de l'incident de la veille et s'offrir à signer de nouveau.

Maintenant il ne manquait plus rien que d'obtenir la même déclaration des généraux absents, ou de s'assurer de leur personne en cas de refus. Wallenstein renouvela donc son invitation et les pressa vivement d'accélérer leur venue. Mais, avant qu'ils arrivassent, la voix publique les avait déjà instruits de l'événement de Pilsen et avait refroidi tout à coup leur empressement. Altringer resta, sous prétexte de maladie, dans le château fort de Frauenberg. Gallas parut, à la vérité, mais seulement afin de pouvoir d'autant mieux, comme témoin oculaire, informer l'empereur du péril qui le menaçait. Les éclaircissements qu'ils donnèrent, lui et Piccolomini, changèrent tout d'un coup les inquiétudes de la cour en la plus effrayante certitude. De semblables découvertes, que l'on fit en même temps en d'autres lieux, ne laissèrent plus de place au doute, et le changement soudain des commandants en Silésie et en Autriche parut annoncer une entreprise des plus alarmantes. Le danger était pressant, et il exigeait un prompt remède. Cependant, on ne voulut pas commencer par l'exécution de la sentence, mais procéder selon toutes les règles de la justice. En conséquence, on adressa aux principaux chefs, sur la fidélité desquels on croyait pouvoir compter, l'ordre secret d'arrêter, de quelque manière que ce fût, et de mettre sous bonne garde, le duc de Friedland, avec ses deux affidés, Illo et Terzky, afin qu'ils pussent être entendus et se justifier. Mais si la chose, était-il dit, ne pouvait s'exécuter aussi paisiblement, le danger public exigeait qu'ils fussent pris morts ou vifs. Le général Gallas reçut en même temps une patente faite pour être montrée, dans laquelle cet ordre impérial était notifié à tous les généraux et officiers, l'armée tout entière était dégagée de ses devoirs envers le traître, et, jusqu'à la nomination d'un nouveau généralissime, l'autorité était remise au lieutenant général Gallas. Pour faciliter aux égarés et aux rebelles le retour à leur devoir, et ne pas jeter dans le désespoir les coupables, on accorda une entière amnistie pour tout ce qui s'était passé à Pilsen contre la majesté de l'empereur.

Le général Gallas ne se sentit pas fort tranquille en se voyant revêtu de cet honneur. Il se trouvait à Pilsen sous les yeux de celui dont il tenait le sort dans ses mains, au pouvoir de son ennemi, qui avait cent yeux pour l'observer. Si Wallenstein découvrait le secret de sa commission, rien ne pouvait le protéger contre les effets de sa vengeance et de son désespoir. S'il était déjà dangereux d'avoir à cacher seulement un ordre pareil, il l'était bien plus encore de l'exécuter. Les sentiments des chefs étaient incertains, et l'on pouvait tout au moins douter qu'après le pas qu'ils avaient franchi ils se montrassent disposés à prendre confiance dans les promesses impériales et à renoncer tout d'un coup à toutes les brillantes espérances qu'ils avaient fondées sur Wallenstein. Et quelle périlleuse tentative encore de porter la main sur la personne sacrée d'un homme considéré jusqu'alors comme inviolable, devenu, par un long exercice du pouvoir suprême, par une obéissance tournée en habitude, l'objet du plus profond respect, et armé de toute la force que peuvent prêter la majesté extérieure et la grandeur personnelle; d'un homme dont le seul regard faisait trembler servilement et dont un signe décidait de la vie et de la mort! Arrêter, comme un criminel ordinaire, un tel homme, au milieu de ses gardes, dans une ville qui lui semblait entièrement dévouée, et changer tout à coup en un objet de pitié ou de moquerie l'objet d'une vénération si profonde et si invétérée, était une commission qui pouvait faire hésiter même les plus courageux. La crainte et le respect de Wallenstein s'étaient gravés si profondément dans le cœur de ses soldats, que même le crime monstrueux de haute trahison ne pouvait déraciner tout à fait ces sentiments.