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Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome II

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«Les hommes éclairés résistèrent cependant, et beaucoup de membres du parlement de Paris opposaient à ses impostures les leçons de l'expérience. Vaine sagesse! Jean Law parvint à persuader au public que la valeur de ses actions était garantie par des richesses inépuisables que recélaient des mines voisines du Mississipi. Ces chimères appelées du nom de système de Law, ne différaient pas beaucoup de celles qu'on s'est efforcé de nos jours de reproduire sous le nom de Crédit. Quelques-uns ont prétendu que tant d'opérations injustes, tant de violations des engagemens les plus solennels, étaient le résultat d'un dessein profondément médité, et que le régent n'y avait consenti que pour libérer l'Etat d'une dette dont le poids était devenu insupportable. Nous ne pouvons adopter cette explication. Il est plus probable qu'après être entré dans une voie pernicieuse, ce prince et son conseil furent conduits de faute en faute à pallier un mal par un mal plus grand et à tromper le public en se faisant illusion à eux-mêmes. Si au contraire ils avaient agi par suite d'une mesure préméditée, il y aurait encore plus de honte dans cet artifice que dans la franche iniquité du Directoire de France, quand en 1797 il réduisit au tiers la dette publique».

D'autres ayant Say à leur tête, attribuent le naufrage du système à une autre cause. «Les gouvernemens qui ont mis en circulation, dit ce grand économiste, des papiers-monnaies, les ont toujours présentés comme des billets de confiance, de purs effets de commerce, qu'ils affectaient de regarder comme des signes représentatifs d'une matière pourvue de valeur intrinsèque. Tels étaient les billets de la banque formée, en 1716, par l'Ecossais Law, sous l'autorité du régent. Ces billets étaient ainsi conçus:

La banque promet de payer au porteur à vue… livres, en monnaie de même poids et au même titre que la monnaie de ce jour, valeur reçue, à Paris, etc.

La banque, qui n'était encore qu'une entreprise particulière, payait régulièrement ses billets chaque fois qu'ils lui étaient présentés. Ils n'étaient point encore un papier-monnaie. Les choses continuèrent sur ce pied jusqu'en 1719 et tout alla bien 71. A cette époque, le roi, ou plutôt le régent remboursa les actionnaires, prit l'établissement entre ses mains, l'appela banque royale, et les billets s'exprimèrent ainsi:

«La banque promet de payer au porteur à vue… livres, EN ESPÈCES D'ARGENT, valeur reçue à Paris etc.

Note 71:(retour) Voyez dans Dutot, volume II, page 200, quels furent les très bons effets du système dans ses commencemens.

«Ce changement, léger en apparence, était fondamental. Les premiers billets stipulaient une quantité fixe d'argent, celle qu'on connaissait au moment de la date sous la dénomination d'une livre. Les seconds ne stipulant que des livres, admettaient toutes les variations qu'il plairait au pouvoir arbitraire d'introduire dans la forme et la matière de ce qu'il appellerait toujours du nom de livres. On nomma cela rendre le papier-monnaie fixe: c'était au contraire en faire une monnaie infiniment plus susceptible de variations, et qui varia bien déplorablement. Law s'opposa avec force à ce changement: les principes furent obligés de céder au pouvoir, et les fautes du pouvoir, lorsqu'on en sentit les fatales conséquences, furent attribuées à la fausseté des principes.»

Telles sont les opinions d'un homme d'état et d'un économiste célèbre. L'un et l'autre, trop exclusifs dans leurs idées, n'ont peut-être pas dit toute la vérité. Say, ne faisant aucune attention aux entreprises étrangères à la banque de Law, semble attribuer uniquement sa catastrophe à l'altération des monnaies. Marbois partant d'un autre principe, l'impute à la base chimérique donnée à cette banque, en la faisant dépendre du succès des compagnies orientale et occidentale rétablies ou formées par le financier étranger. Ne pourrions nous pas dire plutôt que le système de Law était prématuré pour la France; et qu'il ne pouvait convenir qu'à une nation très commerçante et qui fût déjà familière avec les opérations financières et le jeu du crédit public. Or l'on sait que les Français en général ne l'étaient pas alors. C'était là la grande faute du système qui commença à éclairer la France, dit Voltaire, en la bouleversant. Avant lui, «il n'y avait que quelques négocians qui eussent des idées nettes de tout ce qui concerne les espèces, leur valeur réelle, leur valeur numéraire, leur circulation, le change avec l'étranger, le crédit public; ces objets occupèrent la régence et le parlement.

«Adrien de Noailles duc et pair, et depuis maréchal de France, était chef du conseil des finances… Au commencement de ce ministère l'Etat avait à payer 900 millions d'arrérages; et les revenus du roi ne produisaient pas 69 millions à 30 francs le marc. Le duc de Noailles eut recours en 1716 à l'établissement d'une chambre de justice contre les financiers. On rechercha les fortunes de 4410 personnes, et le total de leurs taxes fut environ de 219 millions 400 mille livres; mais de cette somme immense, il ne rentra que 70 millions dans les coffres du roi. Il fallait d'autres ressources».

On s'adressa au commerce. Il était peu considérable comparativement parlant; les guerres l'avaient ruiné, on voulut le faire grandir tout-à-coup en formant un crédit factice, comme si le commerce était fondé sur le crédit et non le crédit sur le commerce. On oublia qu'il manquait à la France un capital réel, l'esprit d'entreprise et d'industrie. Law avait senti le vice de la situation, et c'est pour cela qu'il faisait de si grands efforts pour augmenter le négoce du royaume en activant l'établissement des possessions d'outre-mer. Mais les ressources dont il jetait ainsi la semence allaient venir trop tard à son secours; d'ailleurs dans son ardeur fiévreuse, il s'en était laissé imposer sur les avantages que présentait, par exemple, le Nouveau-Monde. Il crut ou feignit de croire que la Louisiane renfermait des richesses métalliques inépuisables et capables de suppléer à tous les besoins. Il se trompa. On a pu voir ce qu'était cette contrée et ce que l'on pouvait attendre d'elle. Force fut donc à Law, faute d'un Pérou, faute de marchandises, faute d'industrie, faute enfin d'autres valeurs réelles, d'asseoir son papier-monnaie sur le numéraire seulement qu'il y avait en France. Ce papier il fallut l'augmenter, on altéra les espèces, en leur donnant aussi à elles une valeur factice; de là la ruine du système; cette opération absurde amena une banqueroute. L'on s'aperçut alors que, relativement à la Louisiane du moins, le système était fondé sur une chimère.

Après cette catastrophe la compagnie d'Occident, cessionnaire de tous les droits de Law, n'en conserva pas moins la possession du pays, qu'elle continua de gouverner et d'exploiter comme un monopole. Ce système avait déjà coûté 25 millions. «Les administrateurs de la compagnie qui faisait ces énormes avances, avaient la folle prétention de former dans la capitale de la France le plan des entreprises qui convenaient à ce nouveau monde. De leur hôtel, on arrangeait, on façonnait, on dirigeait chaque habitant de la Louisiane avec les gênes et les entraves qu'on jugeait bien ou mal favorables au monopole. Pour en cacher les calamités on violait, on interceptait la correspondance avec la France. «Les morts et les vivans, disait Lepage Dupratz, sont également à ménager pour ceux qui écrivent les histoires modernes, et la vérité que l'on connaît est d'une délicatesse à exprimer qui fait tomber la plume des mains de ceux qui l'aiment». Quant à l'établissement du pays par l'émigration des classes agricoles de France, le régime féodal y mettait obstacle. Les nobles et le clergé, possesseurs du sol et du gouvernement, n'avaient garde de favoriser l'éloignement des cultivateurs, et d'acheminer les vassaux dont ils tiraient toute leur fortune sur le Nouveau-Monde. Aussi très peu de paysans français ont-ils quitté le champ paternel pour venir en Amérique à aucune époque. En un mot, rien en France au commencement du dernier siècle n'était capable de donner une forte impulsion à la colonisation.

Malgré ces entraves, malgré toutes ces fautes et les malheurs qui en furent la suite, néanmoins l'on fit encore plus qu'on n'aurait pu l'espérer, et les établissemens formés en différens endroits de la Louisiane, assurèrent la possession de cette province à la France. L'hostilité de l'Espagne, les armes des Sauvages et la jalousie des colonies anglaises ne purent lui arracher un pays qu'elle conserva encore longtemps après avoir perdu le Canada.

Outre les cinq ou six principaux établissemens formés par les Français dont on a parlé ailleurs, l'on en avait encore commencé d'autres aux Yasous, au Baton-Rouge, aux Bayagoulas, aux Ecores-Blancs, à la Pointe coupée, à la Rivière-Noire, aux Paska-Ogoulas et jusque vers les Illinois. C'était occuper le pays sur une grande échelle; et toutes ces diverses plantations se maintinrent et finirent la plupart par prospérer.

Pendant que Law était tout rempli de ses opérations financières, des événemens survenus en Europe avaient mis les armes aux mains de deux nations qui semblaient devoir être des alliés inséparables, depuis le traité des Pyrénées, la France et l'Espagne. Albéroni fut le principal auteur de cette levée de boucliers funeste pour le pays qu'il servait et pour lui-même.

Albéroni, observe un auteur moderne, avait les projets les plus ambitieux et les plus vastes; autrefois prêtre obscur dans l'Etat de Parme, espion et flatteur du duc de Vendôme, qu'il suivit en Espagne, il était parvenu de cette vile condition à la plus haute fortune; il était cardinal et ministre absolu du faible Philippe V, qu'il gouvernait de concert avec la reine, et voulait relever la puissance espagnole pour accroître la sienne; il semblait enfin aspirer à jouer le rôle d'un Richelieu. L'Angleterre, la France, l'Empire et la Hollande conclurent à Londres (2 août 1718), un nouveau traité qui reçut le nom de quadruple alliance. L'empereur y renonça pour lui-même et pour ses successeurs, à toute prétention à la couronne d'Espagne, à condition que Philippe V lui restituerait la Sicile et remettrait la Sardaigne au duc de Savoie. On somma le roi d'Espagne d'accéder à ce traité dans le délai de trois mois; mais Albéroni conspirait alors avec la duchesse du Maine contre le régent, et reçut cette proposition avec une hauteur insolente. Tout était préparé pour le succès de son projet: des troupes espagnoles devaient être jetées en Languedoc et en Bretagne, où existaient déjà des germes de révolte; on s'emparerait du régent, qu'on renfermerait dans une forteresse; on convoquerait les Etats-Généraux; on obtiendrait l'annulation des traités de Londres et de La Haye; on ferait déclarer le duc d'Orléans déchu de son droit de succession à la couronne, et la régence serait déférée à Philippe V, qui se trouverait alors sur les premiers degrés d'un trône auquel il tenait bien plus qu'à la couronne que son aïeul Louis XIV avait placée sur sa tête. Le prince de Cellamare, ambassadeur d'Espagne, était l'agent accrédité de cette conspiration, dans laquelle la duchesse du Maine avait entraîné quelques grands seigneurs et beaucoup d'intrigans subalternes. Tout le secret de l'affaire fut découvert dans les papiers d'un abbé Porto-Carréro, qu'on arrêta sur la route d'Espagne, où il se rendait pour prendre les derniers ordres d'Albéroni.

 

Le régent dès qu'il fut instruit du complot montra la plus grande vigueur. Il fit arrêter l'ambassadeur de Philippe V, et punir les complices de la duchesse du Maine. Il déclara ensuite la guerre à l'Espagne qui eut la France et l'Angleterre sur les bras, l'Angleterre comme signataire du traité de la quadruple alliance et parce qu'Albéroni avait cherché à y ranimer le parti du prétendant, le prince Charles, auquel il avait offert des secours. Les Espagnols furent partout malheureux; ils furent battus sur mer par les Anglais, et sur terre par les troupes françaises qui envahirent leur pays, conduites par le maréchal de Berwick. Ils reçurent aussi des échecs en Amérique où M. de Sérigny fut envoyé avec trois vaisseaux pour s'emparer de Pensacola que l'on trouvait trop rapproché de la Louisiane, et que d'ailleurs l'on convoitait depuis longtemps, parceque c'est le seul port qu'il y ait sur toute cette côte depuis le Mississipi jusqu'au canal de Bahama. Don Jean Pierre Matamoras y commandait. Attaquée du coté de la terre par 700 Canadiens, Français et Sauvages, sous les ordres de M. de Chateauguay, et du côté de la mer par M. de Sérigny, la place se rendit (1719) après quelque résistance, et la garnison et une partie des habitans furent embarquées sur deux navires français pour la Havane. Mais ces deux navires étant tombés en route au milieu d'une flotte espagnole, furent enlevés et ils entrèrent comme prises là où ils croyaient paraître en vainqueurs.

La nouvelle de la reddition de Pensacola fit une grande sensation dans la Nouvelle-Espagne et le Mexique. Le vice-roi, le marquis de Valero, mit en mouvement toutes les forces de terre et de mer dont il pouvait disposer, et dès le mois de juin don Alphonse Carrascosa entra dans la baie sur laquelle cette ville est bâtie avec 12 bâtimens, 3 frégates et 9 balandres portant 850 hommes de débarquement. A la vue des Espagnols, une partie de la garnison composée de déserteurs, de faux-sauniers et autres gens de cette espèce, passa à l'ennemi; le reste, après s'être à peine défendu, força M. de Chateauguay à se rendre. La plupart de ces misérables entrèrent immédiatement au service espagnol, et les autres furent jetés par Carrascosa, pieds et poings liés à fond de cale des vaisseaux. Il rétablit ensuite Don Matamoras dans son gouvernement et lui laissa une garnison suffisante.

Après cette victoire, le vice-roi espagnol décida de chasser les Français de tout le golfe du Mexique, et Don Carnejo fut chargé de cette tâche avec son escadre à laquelle devaient se rallier tous les vaisseaux de sa nation qu'il rencontrerait. Carrascosa de son côté tourna ses voiles vers l'île Dauphine et la Mobile qu'il croyait prendre sans beaucoup de difficultés; mais tous ces projets des Espagnols finirent malheureusement. D'abord un détachement des troupes de Carrascosa fut défait par M. de Vilinville à la Mobile, ce qui l'obligea d'abandonner l'attaque de cette place; ensuite il fut repoussé lui-même à Guillory, ilot de l'île Dauphine autour de laquelle il roda pendant quatorze jours comme un vautour qui épie sa proie. Le brave Sérigny déjoua tous ses mouvemens, quoiqu'il eût pourtant avec lui moins de 200 Canadiens et le même nombre de Sauvages sur lesquels il put compter, le reste de ses forces se composant de soldats mal disposés dont il se défiait plus que des ennemis mêmes.

Leurs attaques ayant été repoussées, les Espagnols durent s'attendre, suivant l'usage de la guerre, à se voir assaillis à leur tour. En effet, le comte de Champmêlin arriva avec une escadre française pour reprendre Pensacola. M. de Bienville fut chargé d'investir la place par terre avec ses Canadiens et ses Sauvages, tandis que le comte de Champmêlin lui-même l'attaquerait par mer. Ce projet fut exécuté avec promptitude et vigueur. Carrascosa avait embossé sa flotte à l'entrée du port et hérissé le rivage de canons; après deux heures et demie de combat, tous les vaisseaux espagnols amenèrent leurs pavillons; et le lendemain, Bienville ayant continué une fusillade fort vive toute la nuit avec Pensacola, cette ville se rendit pour prévenir un assaut. On fit de 12 à 15 cents prisonniers, parmi lesquels se trouvaient un grand nombre d'officiers. On démantela une partie des fortifications et on laissa quelques hommes seulement dans le reste.

Ce fut après cette campagne que le roi crut devoir récompenser les officiers canadiens qui commandaient à la Louisiane depuis sa fondation, et aux efforts desquels il devait la conservation de cette colonie, qui était leur ouvrage; car les colons européens, concessionnaires et autres, périssant de faim ou dégoûtés du pays, désertaient par centaines, surtout les soldats, et se réfugiaient dans les colonies anglaises. Cela alla si loin que le gouverneur de la Caroline crut de son devoir d'en informer M. de Bienville. Le pays se vidait avec autant de rapidité qu'il s'était rempli. Les principaux d'entre les Canadiens étaient MM. de Bienville, de Sérigny, de St. – Denis, de Vilinville et de Chateauguay, «Les colons les plus prospères, dit Bancroft, c'étaient les vigoureux émigrans du Canada qui n'avaient guère apporté avec eux que leur bâton et les vêtemens grossiers qui les couvraient». Le gouvernement français n'avait pas en effet de sujets plus utiles et plus affectionnés. Renommés par leurs moeurs paisibles et la douceur de leur caractère dans la paix, ils formaient dans la guerre une milice aussi dévouée qu'elle était redoutable. Louis XV nomma M. de Sérigny capitaine de vaisseau, récompense qui était bien due à sa valeur, à ses talens et au zèle avec lequel il avait servi l'Etat depuis son enfance, n'ayant jamais monté à aucun grade dans la marine qu'après s'être distingué par quelqu'action remarquable ou par quelque service important. M. de St. – Denis reçut un brevet de capitaine et la croix de St. – Louis. M. de Chateauguay fut nommé au commandement de St. – Louis de la Mobile. Cependant la guerre tirait à sa fin. Excitée par un ministre ambitieux, sans motifs raisonnables qui pussent la justifier, elle n'apporta, comme on l'a déjà dit, que des désastres à l'Espagne. La paix signée le 17 février 1720, mit fin à cette querelle de famille. Albéroni disgracié, fut reconduit en Italie, escorté par des troupes françaises, et y acheva sa vie dans l'obscurité, après s'être un instant bercé de l'espoir de changer la face du monde. L'on déposa les armes en Amérique comme en Europe, et le port de Pensacola, pour lequel on se battait depuis trois ans, fut rendu aux Espagnols.

La paix avec cette nation fut suivie de près par celle avec les Chicachas et les Natchés, qui avaient profité de la guerre pour commettre des hostilités contre la Louisiane. Ces heureux événemens, successivement annoncés, allaient enfin laisser respirer le pays qui ne demandait que du repos, quand un ouragan terrible qui éclata le 12 septembre 1722, y répandit partout la désolation. La mer gonflée par l'impétuosité du vent, franchit ses limites et déborda dans la campagne renversant tout sur son passage. La Nouvelle-Orléans et Biloxi furent presque renversés de fond en comble, et les infortunés habitans durent recommencer la construction de ces villes comme pour la première fois.

Jusqu'à cette époque, le gouvernement ne s'était point occupé du soin des âmes dans la Louisiane. Le pieux Charlevoix qui arrivait de cette contrée, appela en 1723 l'attention de la cour sur cette mission. Les intérêts de la religion et de la politique, les idées traditionnelles, le système suivi dans la Nouvelle-France, tout devait recommander ce sujet important au bon accueil du gouvernement. «Nous avons vu, observe cet historien, que le salut des Sauvages fut toujours le principal objet que se proposèrent nos rois partout où ils étendirent leur domination dans le Nouveau-Monde, et l'expérience de près de deux siècles nous avait fait comprendre que le moyen le plus sûr de nous attacher les naturels du pays, était de les gagner à Jésus-Christ. On ne pouvait ignorer d'ailleurs qu'indépendamment même du fruit que les ouvriers évangéliques pouvaient faire parmi eux, la seule présence d'un homme respectable par son caractère, qui entende leur langue, qui puisse observer leurs démarches, et qui sache en gagnant la confiance de quelques uns se faire instruire de leurs desseins, vaut souvent mieux qu'une garnison; on peut du moins y suppléer, et donner le temps aux gouverneurs de prendre des mesures pour déconcerter leurs intrigues». Cette dernière raison fut sans doute d'un plus grand poids que la première auprès du voluptueux régent et de la plupart des membres de la compagnie des Indes, à cette époque d'indifférence et d'incrédulité. Des Capucins et des Jésuites furent envoyés pour évangéliser les Indigènes, surtout pour les disposer favorablement envers les Français.

L'an 1726 fut le dernier de l'administration de M. de Bienville, administration rendue si difficile et si orageuse par le vice du système de M. Crozat, et par la chute mémorable de celui de Law. Les désastres qui en furent la suite n'empêchèrent pas néanmoins les Français de se maintenir dans le pays et de triompher dans la guerre avec les Espagnols. Lorsque M. Perrier, lieutenant de vaisseau, arriva au mois d'octobre pour remplacer M. de Bienville, qui passa en France, il trouva la Louisiane assez tranquille au dehors, bonheur acquis après des luttes de toute espèce et dont elle devait s'empresser de jouir, car il se formait déjà dans le silence des forêts et les conciliabules secrets des barbares un orage beaucoup plus menaçant que tous ceux qu'elle avait eu à traverser jusqu'à ce jour, et qui devait l'ébranler profondément sur sa base encore si fragile.

La Compagnie d'Occident avait fait place à la compagnie des Indes, créée en 1723, et dont le duc d'Orléans s'était fait déclarer gouverneur. «Le privilège embrassait l'Asie, l'Afrique et l'Amérique. On voit dans les délibérations de cette association, composée dé grands seigneurs et de marchands, paraître tour à tour l'Inde, la Chine, les comptoirs du Sénégal, de la Barbarie, les Antilles et le Canada. La Louisiane y tient un rang principal. L'utilité publique, autant que la grandeur et la gloire du monarque, avait fait accueillir, sous Louis XIV, les premiers projets de la fondation d'une colonie puissante. Mais dans l'exécution, rien n'avait répondu à cette intention: la nouvelle compagnie se montra encore moins habile que celle qui l'avait précédée. On cherche en vain dans ses actes les traces du grand dessein colonial formé par le gouvernement. On trouve presqu'à chaque page des nombreux registres qui contiennent les délibérations de l'association, des tarifs du prix assigné au tabac, au café et à toutes les denrées soumises au privilège. Ce sont des discours prononcés en assemblée générale pour exposer l'état florissant des affaires de la compagnie, et on finit presque toujours par proposer des emprunts qui seront garantis par un fonds d'amortissement. Mais l'amortissement était illusoire; les dettes s'accumulèrent au point que les intérêts ne purent être payés, même en engageant les capitaux. Des bilans, des faillites, des litiges, et une multitude de documens, prouvent que les opérations, ruineuses pour le commerce, ne furent profitables qu'à un petit nombre d'associés.

 

«Rien d'utile et de bon ne pouvait en effet résulter d'un tel gouvernement. Une circonstance prise parmi une foule d'autres, fera juger jusqu'où purent être portés les abus.

«Le gouverneur et l'intendant de la Louisiane étaient, par leurs fonctions, comme interposés entre la compagnie et les habitans pour modérer les prétentions réciproques et empêcher l'oppression. Mais ces magistrats étaient nommés par les sociétaires eux-mêmes. On lit dans les actes, que pour attacher aux intérêts de la compagnie le gouverneur et l'intendant, il leur est assigné des gratifications annuelles et des remises sur les envois de denrées en France. Les suites de ce régime furent funestes à la Louisiane sans enrichir les actionnaires».

C'est pendant que toutes ces transactions occupaient la compagnie des Indes, transactions qui avaient leur contrecoup dans la colonie, que les nations indigènes depuis l'Ohio jusqu'à la mer, formèrent le complot de massacrer les Français. Il fallait peu d'efforts pour faire prendre les armes aux Sauvages contre les Européens, qu'ils regardaient comme des étrangers incommodes et exigeans, ou des envahisseurs dangereux. C'étaient pour eux des ennemis qui, parlant au nom de l'autel et de la civilisation, prétendaient avoir droit à leur pays, et les traitaient sérieusement de rebelles s'ils osaient le défendre. D'abord ces Européens se conduisirent bien envers les naturels qui les reçurent à bras ouverts; mais à mesure qu'ils augmentaient en nombre, qu'ils se fortifiaient au milieu d'eux, leur langage devenait plus impératif; ils commencèrent bientôt à vouloir exercer une suprématie malgré les protestations des Indiens. Il en fut de même partout où ils s'établirent en Amérique, c'est-à-dire là où ils ne furent pas obligés de s'emparer du sol les armes à la main. Les Français, grâce à la franchise de leur caractère, furent toujours bien accueillis et en général toujours aimés des Sauvages. Ils ne trouvèrent d'ennemis déclarés que dans les Iroquois et les Chicachas, qui ne voulurent voir en eux que les alliés des nations avec lesquelles ils étaient eux-mêmes en guerre. Les Français en effet avaient constamment pour politique d'embrasser la cause des tribus au milieu desquelles ils venaient s'établir.

On sait avec quelle jalousie les colonies anglaises les voyaient s'étendre le long du St. – Laurent et sur le bords des grands lacs. Elles en ressentirent encore bien davantage lorsqu'elles les virent prendre possession de l'immense vallée du Mississipi. Les Chicachas se présentèrent ici, comme les Iroquois l'avaient fait sur le St. – Laurent, pour servir leurs vues. Les Anglais qui les visitaient se mirent par leurs propos à leur inspirer des sentimens de défiance et de haine contre les Français; ils les peignirent comme des traitans avides, et des voisins ambitieux, qui les dépouilleraient tôt ou tard de leur territoire. Petit à petit la crainte et la colère se glissèrent dans le coeur de ces Sauvages naturellement altiers et farouches, et ils résolurent de se défaire une bonne fois d'étrangers, qui semblaient justifier en effet une partie de ces rapports en augmentant tous les ans le nombre de leurs établissemens, de manière qu'il n'allait bientôt plus rester une seule bourgade indienne dans la Louisiane. Pour l'exécution d'un pareil dessein, il fallait un secret inviolable, une dissimulation profonde, beaucoup de prudence et l'alliance d'un grand nombre de tribus, afin que les victimes fussent frappées dans tous les lieux à la fois par la nation même au sein de laquelle elles pourraient se trouver. Plusieurs années furent employées pour mûrir et étendre le complot. Les Chicachas, qui en étaient les premiers auteurs, conduisaient toute la trame. Ils n'y avaient point fait entrer ceux qui étaient attachés aux Européens comme les Illinois, les Arkansas, et les Tonicas. Toutes les autres tribus l'avaient embrassé, soit volontairement, soit après y avoir été entraînées; chacune devait faire main basse sur l'ennemi commun dans sa localité, et toutes devaient frapper le même jour et à la même heure depuis une extrémité du pays jusqu'à l'autre.

Les Français, ignorant ce qui se passait, ne songeaient qu'à jouir de la tranquillité profonde qui les environnait. Les tribus qui formaient partie du complot redoublaient pour eux les témoignages d'attachement, afin d'augmenter leur confiance et leur sécurité. Les Natchés leur répétaient sans cesse qu'ils n'avaient point d'alliés plus fidèles; les autres nations en faisaient autant, c'était un concert d'assurances d'amitié et de dévouement. Bercés par ces protestations perfides, ils dormaient sur un abîme. Heureusement, la cupidité des Natchés et l'ambition d'une partie des Chactas, une des plus nombreuses nations de ce continent, et qui voulaient tirer parti de cette catastrophe, trahirent une trame si bien ourdie, et la dévoilèrent avant qu'elle eût pu s'exécuter complètement.

Comme on l'a dit, le jour et l'heure du massacre des Français avaient été pris. La hache devait se lever sur eux à la fois dans tous les lieux où il en respirerait un. Leur plus grand établissement était chez les Natchés. M. de Chepar y commandait. Quoique cet officier se fût brouillé avec les naturels, ceux-ci feignaient avec cette dissimulation dont ils ont poussé l'art si loin, d'être ses plus fidèles amis; ils en persuadèrent si bien ce commandant, que, sur des bruits sourds qui se répandirent qu'il se formait quelque complot, il fit mettre aux fers sept habitans qui avaient demandé à s'armer pour éviter toute surprise; il porta de plus, par une étrange fatalité, la confiance jusqu'à recevoir soixante Indiens dans le fort et jusqu'à permettre à un grand nombre d'autres de se loger chez les colons et même dans sa propre maison. On ne voudrait pas croire à une pareille conduite, si Charlevoix ne nous l'attestait, tant elle est contraire à celle que les Français avaient pour règle constante de tenir avec les Sauvages.

Les conspirateurs se préparaient sans bruit, et, sous divers prétextes, venaient prendre les postes qui leur avaient été assignés au milieu des établissemens français. Pendant que l'on attendait le jour de l'exécution, des bateaux arrivèrent aux Natchés chargés de marchandises pour la garnison de ce poste, pour celle des Yasous ainsi que pour les habitans. L'avidité des barbares fut excitée, leurs yeux s'allumèrent à la vue de ces richesses; leur amour du pillage n'y put tenir. Oubliant que leur démarche allait compromettre le massacre général, ils résolurent de frapper sur le champ, afin de s'emparer de la cargaison des bateaux avant sa distribution. Pour s'armer ils prétextèrent une chasse voulant présenter, disaient-ils, au commandant du gibier pour fêter les hôtes qui venaient de lui arriver; ils achetèrent des fusils et des munitions des habitans et, le 28 novembre 1729, ils se répandirent de grand matin dans toutes les demeures en publiant qu'ils partaient pour la chasse, et en ayant soin d'être partout plus nombreux que les Français. Pour pousser le déguisement jusqu'au bout, ils entonnèrent un chant en l'honneur de M. de Chepar et de ses hôtes. Lorsqu'ils eurent fini, il se fit un moment de silence; alors trois coups de fusil retentirent successivement devant la porte de ce commandant. C'était le signal du massacre. Les Sauvages fondirent partout sur les Français, qui, surpris sans armes et dispersés; au milieu de leurs assassins, ne purent opposer aucune résistance; ils ne se défendirent qu'en deux endroits. M. de la Loire des Ursins, commis principal de la compagnie des Indes, attaqué à peu de distance de chez lui, tua quatre hommes de sa main avant de succomber. A son comptoir huit hommes qu'il y avait laissés, eurent aussi le temps de prendre leurs armes; ils se défendirent fort longtemps, mais ayant perdu six des leurs, les survivans réussirent à s'échapper; les Natchés eurent huit de tués dans cette attaque. Ainsi leurs pertes se bornèrent à une douzaine de guerriers tant leurs mesures avaient été bien prises. En moins d'un instant deux cents Français périrent dans cette boucherie, il ne s'en sauva qu'une vingtaine avec quelques nègres la plupart blessés; 150 enfans 60 femmes et presqu'autant de noirs furent faits prisonniers.