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Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome II

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Tandis que les Abénaquis ravageaient la Nouvelle-Angleterre, les Iroquois au nombre de mille guerriers établissaient leur camp à l'embouchure de la rivière des Outaouais, et delà se répandaient dans le haut de la colonie. Leurs bandes étaient beaucoup plus faciles à vaincre qu'à atteindre, car la nouvelle de leur apparition arrivait souvent avec celle de leur fuite. On organisa des corps volans pour les surveiller et prévenir les surprises. Cette petite guerre où les habitans rivalisèrent de zèle, de patience et de courage avec les troupes, toute fatiguante qu'elle fut, ne causait pas autant de dérangement dans les habitudes qu'elle le ferait aujourd'hui, parce que l'on était accoutumé à cette existence mobile et pleine d'excitation, et que l'on aimait presque cette lutte de guérillas, où la valeur personnelle avait de nombreuses occasions de se distinguer.

Comme on l'a dit, la contre partie de ces scènes de sang et de dévastation se jouait dans la Nouvelle-Angleterre, où les Abénaquis étaient pour les Français, ce que les cinq cantons étaient en Canada pour les Anglais. La politique des deux gouvernemens coloniaux consistait à travailler à se détacher réciproquement chacun ses alliés pour s'en faire des amis. Il serait oisif aujourd'hui d'entrer dans le détail des négociations conduites simultanément par les deux nations avec les tribus sauvages pour parvenir à ce but. Les Indiens embarrassés prêtaient souvent une oreille également attentive aux deux partis, et leur donnaient les mêmes espérances. Il reste une masse prodigieuse de documens relatifs à toutes ces transactions qui continuaient toujours en temps de guerre comme en temps de paix; mais qui devenaient plus actives lorsqu'on avait les armes à la main. Les Français cherchaient à s'attacher les cantons, les Anglais, les Abénaquis, et toute l'adresse de la diplomatie était mise en jeu par la nation rivale pour faire échouer ces efforts de conciliation. L'on appuyait de part et d'autre ses raisons de riches présens, et pour satisfaire l'humeur guerrière des Sauvages, l'on adoptait leur cruel système de guerre, qui faisait des colonies un vaste théâtre de brigandages et de ruines. L'on donnait en Canada 10 écus pour un Iroquois tué et 20 pour un Iroquois prisonnier. Cette différence de prime qui fait honneur à l'humanité du gouvernement français fut établie afin d'engager les Sauvages alliés à ne point massacrer leurs prisonniers comme c'était l'usage chez les barbares. Dans les colonies anglaises l'on suivait la même pratique, excepté qu'il n'y avait point de prime pour les prisonniers. Un soldat recevait dix louis pour la chevelure d'un Indien, un milicien volontaire vingt louis, et s'il faisait la chasse dans les bois à ce Sauvage comme à une bête féroce, et qu'il en apportât la chevelure, il recevait cinquante louis (Bancroft).

C'était pour encourager les Iroquois à faire des déprédations en Canada, et empêcher toute alliance avec lui, que le major Schuyler de la Nouvelle-York se mit, en 1691, à la tête d'un corps de troupes et d'Indiens pour faire une pointe sur Montréal 29. Cet officier, qui joignait une grande activité à beaucoup de bravoure, surprit, dans la nuit du 10 août, le camp de 700 à 800 hommes que le gouverneur avait fait assembler sous le fort de la Prairie de la Magdeleine, à la première nouvelle de la marche des ennemis. Se glissant le long de la hauteur sur laquelle était le fort à trente pas du fleuve, Schuyler pénétra jusque dans le quartier des milices, sur la gauche, qu'il trouva dégarni et s'y logea. L'alarme fut aussitôt répandue; M. de Saint-Cyrque, qui commandait en l'absence de M. de Callières, malade, marcha sur le champ à lui. Schuyler opposa une vive résistance; mais lorsqu'il se vit sur le point d'avoir toutes les troupes françaises sur les bras, il opéra sa retraite vers la rivière Richelieu en bon ordre et avec peu de perte.

Note 29:(retour) Un document intitulé «A modest and true relation etc.» dans la collection des documens de Londres de M. Brodhead, n'en porte le nombre qu'à 266 dont 146 Sauvages, et dit qu'on ne perdit que 37 hommes dans l'expédition. Mais ce rapport est évidemment inexact.

A deux lieues de là, il se trouva tout à coup en face de M. de Varennes que M. de Frontenac avait envoyé pour protéger Chambly avec un détachement d'habitans et d'Indiens. M. de Varennes, à la première nouvelle du combat, s'était mis en marche pour la Prairie de la Magdeleine. Le major Schuyler sans hésiter l'attaqua avec une fureur qui aurait déconcerté un chef moins ferme et moins habile que lui. Le commandant canadien fit mettre sa troupe ventre à terre derrière deux grands arbres renversés pour essuyer le premier feu des ennemis, puis il les chargea ensuite avec tant d'ordre et de vigueur qu'ils furent rompus partout. Schuyler rallia ses soldats jusqu'à deux fois; mais après une heure et demie de combat, ils se débandèrent et la déroute fut complète. Ils laissèrent quantité de morts sur le champ de bataille. Leurs drapeaux et leur bagage devinrent les trophées du vainqueur. Le jeune et vaillant le Bert du Chêne se distingua à la tête des Canadiens et fut blessé mortellement Les Sauvages combattirent avec une égale bravoure. La perte des Français fut considérable; ils eurent six officiers de tués ou blessés à mort, ce qui fait voir l'acharnement du combat, pendant lequel on se battit longtemps à brûle-pourpoint.

Les troupes de Varennes, qui étaient sur pied depuis trois jours, par des chemins affreux, sans pouvoir prendre de repos et manquant de vivres, étaient tellement épuisées de fatigue qu'elles ne purent poursuivre les fuyards.

C'était pour rompre le traité que les Abénaquis venaient de conclure à Pemaquid avec les Anglais, que M. de Villieu en entraîna 250 à sa suite et tomba avec eux, en 1694, sur les établissemens de la rivière Oyster, dans le New-Hampshire, brûla quantité de maisons dont 5 étaient fortifiées et furent vaillamment défendues, et tua ou emmena en captivité un grand nombre d'hommes.

Mais ce genre d'hostilités, qui coûtait beaucoup de sang, ne pouvait avoir d'autre résultat que de plaire aux Sauvages, car ce n'est pas par des irruptions partielles, rapides et fugitives, que l'on devait espérer de faire des conquêtes importantes et qui pussent influer sur le sort de la guerre. Aussi M. de Pontchartrain écrivait-il à M. de Frontenac, que le roi bornait ses vues touchant la Nouvelle-France à ne s'y point laisser entamer. L'ancien monde était en effet le théâtre sur lequel la France, d'un côté, et la coalition européenne, de l'autre, se portaient de grands coups; sur lequel Condé et Luxembourg, pour la première, luttaient avec ses nombreux ennemis conduits par la tête froide de Guillaume III. Celui-ci n'avait guère de loisir non plus pour écouter ses colonies américaines, qui le sollicitaient toujours de leur donner une flotte pour faire une nouvelle tentative sur Québec. Le taciturne monarque, auquel la fameuse victoire de la Hogue avait donné un moment de répit, prêta enfin une oreille favorable à leur demande en 1693, et un immense armement fut organisé dans les ports de l'Angleterre pour s'emparer de la Martinique et du Canada. Quelque secret que fut ce projet, il en transpira quelque chose, et M. de Frontenac fut soucieux tout l'été, ne pouvant compter sur aucun secours de France. La flotte anglaise, commandée par le chevalier Francis Wheeler, devait, après avoir enlevé la Martinique, aller prendre des renforts à Boston et cingler vers Québec. Elle mit à la voile au commencement de l'hiver (1693) et prit le chemin des Antilles françaises. Heureusement, les troupes qu'elle portait essuyèrent une défaite à la Martinique, et furent obligées de se rembarquer avec perte de 900 hommes. Ce premier échec fut suivi de désastres beaucoup plus grands. Le chevalier Wheeler s'étant remis en route pour la Nouvelle-Angleterre, la fièvre jaune se déclara à bord de ses vaisseaux et y fit des ravages affreux. Lorsqu'il arriva à Boston, il avait perdu 1300 matelots sur 2000, et 1800 soldats sur 2500, qui lui restaient après sa défaite aux Antilles. L'épidémie se communiqua à la ville et y décima la population. L'on dut abandonner une entreprise commencée sous d'aussi funestes auspices. La flotte regagna l'Angleterre après avoir jeté en passant quelques boulets sur Plaisance 30. Ce dernier effort acheva d'épuiser les colonies, anglaises qui avaient fait des dépenses considérables pour lever des troupes; et de guerre lasse, elles supplièrent presque la métropole de leur faire avoir la paix 31. Le Canada échappa ainsi encore une fois à un danger réellement plus grand que celui de 90; car sans tous ces malheurs la supériorité numérique des assaillans aurait rendu toute résistance vaine. Néanmoins comme il avait été quelque temps caché, et qu'il n'apparut que dans le lointain, l'on n'éprouva pas de s'en voir délivré une joie aussi vive que de la retraite de l'amiral Phipps.

Note 30:(retour) American annals.

Note 31:(retour) Lettre du gouverneur Fletcher: London documents, de la collection de M. Brodhead à la Secrétairerie d'état, Albany. Nous ne citerons désormais ces documens que sous le nom de Documens de Londres.

La Fiance attendit pour prendre sa revanche jusqu'en 1696. A cette époque le ministère résolut de faire sauter Pemaquid, sur la suggestion de M. de Villebon, et de chasser les Anglais de tous les postes qu'ils occupaient dans l'île de Terreneuve et à la baie d'Hudson. Le comte de Frontenac proposait depuis longtemps 32 de prendre Boston que l'on brûlerait, et New-York que l'on garderait, parce que ce dernier poste seul serait utile au Canada. Par cette conquête l'on se trouverait maître de toutes les pêches; mais la politique européenne fit taire la politique coloniale, qui fut toujours regardée par la France comme secondaire, parce que son théâtre à elle est l'ancien monde, dont elle est le pivot, parce que sa force à elle réside dans ses soldats de terre. L'on s'en tint au premier projet, dont l'exécution fut confiée au courage de M. d'Iberville. L'on verra dans le chapitre suivant comment il s'en acquitta. En même temps la cour envoya de nouveaux ordres à M. de Frontenac d'abattre à tout prix l'orgueilleuse confédération iroquoise, qui continuait toujours les hostilités malgré les dures leçons qu'elle avait reçues deux ou trois ans auparavant (1693).

 

Note 32:(retour) Documens de Paris 1691.

Huit cents de leurs guerriers ayant fait mine d'entrer en Canada, le gouverneur avait cru qu'il était temps de châtier ces barbares indomptables contre lesquels on avait envoyé une expédition inutile de 300 hommes, dans l'hiver précédent (1692), commandée par M. de Louvigny. Six cents hommes eurent ordre de tomber au milieu de l'hiver sur le canton des Anniers, le plus acharné contre les Français. Ils partirent de Montréal à la fin de janvier. Les trois bourgades de cette belliqueuse tribu furent détruites, et l'on fit 250 prisonniers. Néanmoins ces Sauvages reparurent encore dans la colonie le printemps suivant, et quelques unes de leurs bandes vinrent même éprouver une défaite dans l'île de Montréal. Ils commençaient cependant à se lasser, eux aussi, de la guerre. Les Miâmis leur avaient déjà tué plusieurs centaines de guerriers, et ils venaient encore de les battre complètement sur les bords du lac Huron. Le gouverneur profita de cet épuisement pour frapper un dernier coup et obéir aux instructions du roi. Comme mesure préliminaire, il ordonna de relever le fort de Frontenac; ce qui fut exécuté malgré les représentations de la Nouvelle-York, dont le gouverneur, M. Fletcher, fit en même temps des présens considérables aux Iroquois pour attaquer et raser ce fort s'il était possible. L'importance que les ennemis mettaient à cette position, justifie le désir de M. de Frontenac de s'y maintenir, malgré l'opinion de bien des gens dans la colonie et en France, entre autres de l'intendant, M. de Champigny, et même du roi dont les ordres contraires arrivèrent trop tard pour êtee exécutés.

Cependant la lutte en Europe épuisait les ressources de la France. Le ministère, tout en enjoignant de presser les Iroquois avec vigueur, recommandait l'économie, disant qu'il n'y avait pas d'apparence que le roi pût supporter longtemps la dépense à laquelle la guerre du Canada l'engageait, dépense qui s'éleva en 1692, seulement pour la solde de 1300 hommes avec les officiers, à 218 mille francs (Documens de Paris); et qu'il voulait que les colons vécussent dans l'étendue de leurs établissemens, c'est-à-dire en d'autres termes, que tous les postes dits des pays d'en haut fussent évacués. L'on sait que les cantons étaient excités aux hostilités par les Anglais, parce que ces derniers voulaient s'emparer au moins de tout le commerce de l'Ouest s'ils ne pouvaient pas conquérir la Nouvelle-France. Par le plus étrange des raisonnement, la cour allait abandonner justement les contrées dont l'Angleterre convoitait le plus ardemment la possession, et évacuer tous les postes du Mississipi et des lacs, auxquels les marchands canadiens attachaient tant d'importance, qu'ils avaient avancé des fonds au commencement de la guerre pour leur entretien 33. Le comte de Frontenac montra dans cette occasion cette fermeté de caractère dont il avait déjà plus d'une fois donné des preuves. Convaincu du danger d'une démarche aussi inconsidérée, il prit sur lui de désobéir à l'ordre positif du roi. En effet, comme Charlevoix le dit très bien, nous n'aurions pas eu plus tôt évacué ces postes, que les Anglais s'en seraient emparés, et que nous aurions eu immédiatement pour ennemis tous les peuples qui s'y étaient établis à notre occasion, et qui, une fois réunis aux Anglais et aux cantons, auraient, dans une seule campagne, obligé tous les Français à sortir du Canada.

Note 33:(retour) Documens de Paris.

Après cette détermination grave, le gouverneur fit ses préparatifs pour sa prochaine campagne. 2300 hommes, dont 1000 Canadiens et 500 Sauvages, furent réunis à la Chine le 4 juillet (1696) et divisés en trois brigades. M. de Callières commandait l'avant-garde, M. de Ramsay le centre, et le chevalier de Vaudreuil l'arrière-garde. Elle s'embarqua enfin pour remonter les rapides et arriva le 19 à Catarocoui, où elle séjourna jusqu'au 26 pour attendre un renfort de Michilimackinac, qui ne vint pas; elle traversa ensuite le lac Ontario et débarqua le 28 à l'embouchure de la rivière Oswégo. Là elle se divisa en deux corps, et se mit à remonter ce torrent l'un par sa rive droite et l'autre par sa rive gauche. Comme elle approchait de la bourgade des Onnontagués, elle aperçut le soir une grande lueur au couchant. Les Français en soupçonnèrent la cause. C'était la tribu qui brûlait son village avant de prendre la fuite. Les Onneyouths, un autre des cinq cantons, effrayés vinrent demander la paix en supplians. Le gouverneur leur répondit qu'ils ne l'auraient qu'à condition de quitter leur pays et d'aller s'établir en Canada. Ils se retirèrent, et le lendemain le chevalier de Vaudreuil fut détaché pour aller ravager leurs terres. Toute la population avait fui. Il ne trouva qu'un vieillard assis dans une bourgade. Trop faible pour suivre sa tribu, ou dédaignant de fuir, il attendait avec calme et intrépidité la mort horrible à laquelle il savait qu'on le destinerait. Il fut abandonné aux Sauvages qui, au nombre de quatre cents, lui firent souffrir, selon leur usage, toutes sortes de cruautés. Cet homme héroïque ne poussa pas une seule plainte; il reprocha seulement à ses bourreaux leur lâcheté de s'être rendus les esclaves de ces vils Européens, dont il parla avec le dernier mépris. Outré de ses injures, un Indien lui porta plusieurs coups de poignard. Tu as tort, lui dit l'Onnontagué mourant, d'abréger ma vie, tu aurais dû prolonger mes tourmens pour apprendre à mourir en homme.

De ces deux cantons il ne resta que des cendres. Il fut question ensuite d'aller châtier les Goyogouins, et même de bâtir des forts dans le pays; mais dans le temps où l'on croyait M. de Frontenac arrêté à ce plan, il donna l'ordre de la retraite, soit que la difficulté de faire subsister son armée dans une contrée qui ne présentait qu'une vaste solitude, l'eût engagé à prendre ce parti, soit qu'après les ordres qu'il avait reçus d'évacuer les postes avancés de la colonie, et auxquels il avait osé désobéir, il ne crut pas devoir conserver une conquête qui aurait rendu les Iroquois plus implacables. Cette campagne, qui ne coûta que six hommes, avait inquiété beaucoup Albany et Schenectady. Ces villes, entre lesquelles et le lac Ontario l'on opérait, craignant d'être attaquées, avaient fait demander des secours au Jersey et au Connecticut.

Les Français avaient reconquis leur influence sur les tribus indiennes. Un chef sioux vint du haut de la vallée du Mississipi se mettre sous la protection du grand Ononthio. Il appuya les mains sur les genoux du gouverneur, puis il rangea vingt-deux flèches sur une peau de castor pour indiquer le nombre de bourgades qui lui offraient leur alliance. La situation du Canada était meilleure qu'elle ne l'avait été depuis le commencement de la guerre. Les Iroquois, semblables à ces essaims de mouches qui incommodent plus qu'ils ne nuisent, troublaient encore le repos du pays, mais sans lui causer de grands dommages.

Cette situation était le fruit de la vigilance, de l'activité et de l'énergie de M. de Frontenac, auquel le roi avait fait mander au début de la guerre qu'il n'avait aucun secours à lui envoyer. La supériorité qu'il avait su reprendre sur ses ennemis avec les seules ressources du Canada, et qui avait eu l'effet de rendre ses alliés plus dociles, le faisait craindre des uns et respecter des autres. Non seulement il avait repoussé l'invasion, mais il allait bientôt être capable de seconder les projets de Louis XIV, de porter la guerre, à son tour, chez les ennemis. Jusqu'à la paix aucune armée hostile ne foulera le sol canadien, excepté quelques Sauvages, qui s'introduiront furtivement et disparaîtront de même au premier bruit d'une arme sous les chaumières.

Néanmoins les succès du gouverneur et la sécurité qu'il avait rendue au pays, n'avaient point désarmé ses ennemis, aussi jaloux de sa supériorité que blessés de l'indépendance de son esprit. Ceux qui tremblaient au seul nom des Iroquois, lorsqu'il revint en Canada, cherchèrent à ternir sa gloire lorsqu'il eut éloigné le danger d'eux. Il n'était pas en effet sans défaut. La part qu'il prenait à la traite des pelleteries, son caractère altier et vindicatif pouvaient fournir matière à reprendre; mais était-il bien prudent, était-il bien généreux d'en agir ainsi lorsqu'on avait encore les armes à la main? Les uns se plaignaient que, pour gagner l'estime de ses officiers, il jetait tout le poids de la guerre su la milice et écrasait les habitans de corvée, ce qui faisait languir le commerce et empêchait le pays de prendre des forces! Comme si, lorsque l'ennemi est aux portes et tout le monde en armes, c'était bien le temps d'accomplir une oeuvre qui veut par dessus tout le repos et la paix. D'autres l'accusaient d'accorder une faveur ouverte à la traite de l'eau-de-vie; il n'y eut pas jusqu'à l'abbé Brisacier qui osât écrire contre lui au confesseur du roi! Ces plaintes lui attirèrent quelque censure; mais il fut maintenu à la tête de la Nouvelle-France, qu'avec son grand age il n'était pas néanmoins destiné à gouverner encore longtemps, et il fut nommé chevalier de St. – Louis, honneur alors rarement accordé; mais qu'on verra prodiguer plus tard en ce pays à une foule de dilapidateurs sur les prévarications desquels anciens ennemis de M. de Frontenac ne trouveront rien à dire.

CHAPITRE III.
TERRENEUVE ET BAIE D'HUDSON.
1696-1701

Continuation de la guerre: les Français reprennent l'offensive. – La conquête de Pemaquid et de la partie anglaise de Terreneuve et de la baie d'Hudson est résolue. – d'Iberville défait trois vaisseaux ennemis et prend Pemaquid. – Terreneuve: sa description; premiers établissemens français; leur histoire. – Le gouverneur, M. de Brouillan, et M. d'Iberville réunissent leurs forces pour agir contre les Anglais. – Brouilles entre tes deux chefs; ils se raccommodent. – Ils prennent St. – Jean, capitale anglaise de l'île, et ravagent les autres établissemens. – Héroïque campagne d'hiver des Canadiens. – Baie d'Hudson; son histoire. – Départ de d'Iberville; dangers que son escadre court dans les glaces; beau combat naval qu'il livre; il se bat seul contre trois et remporte la victoire. – Un naufrage. – La baie d'Hudson est conquise. – Situation avantageuse de la Nouvelle-France. – La cour projette la conquête de Boston et de New-York. – M. de Nesmond part de France avec une flotte considérable; la longueur de sa traversée fait abandonner l'entreprise. – Consternation des colonies anglaises. – Fin de la guerre: paix de Riswick (1797). – Difficultés entre les deux gouvernemens au sujet des frontières de leurs colonies. – M. de Frontenac refuse de négocier avec les cantons iroquois par l'intermédiaire de lord Bellomont. – Mort de M. de Frontenac; son portrait. – M. de Callières lui succède. – Paix de Montréal avec toutes les tribus indiennes confirmée solennellement en 1701. – Discours du célèbre chef Le Rat; sa mort, impression profonde qu'elle laisse dans l'esprit des Sauvages; génie et caractère de cet Indien. – Ses funérailles.

L'Acadie était, comme on l'a observé, retombée sous la domination française, et l'ennemi rebuté avait abandonné toute idée de faire une nouvelle tentative sur le Canada. Il y avait sept ans que la guerre était commencée. Tout le sang qu'on avait versé était en pure perte pour l'ennemi. Le Canada allait maintenant devenir l'agresseur, après avoir été si longtemps exposé aux attaques de ses adversaires.

Ces derniers occupaient plusieurs postes fortifiés dans la baie d'Hudson, où ils faisaient la traite des pelleteries qui étaient plus belles là que partout ailleurs, à cause de la hauteur de la latitude; ils étaient maîtres de la plus belle partie de Terreneuve, où ils avaient de nombreuses pêcheries; enfin ils avaient (1692) relevé Pemaquid de ses ruines, fort situé à l'embouchure de la baie de Fondi, afin d'avoir une espèce de possession du pays des Abénaquis, et d'étendre leur influence sur ces tribus guerrières. Le ministère voyant que Tourville avait repris sa prépondérance sur l'Océan, décida de détruire, comme nous l'avons rapporté plus haut, ce fort, dont l'existence semblait menacer l'Acadie, et de chasser entièrement les Anglais de l'île de Terreneuve et de la baie d'Hudson. Cette entreprise répondait aux instances du comte de Frontenac, qui pressait le roi de s'emparer des pêcheries des côtes de la Nouvelle-France, dont les eaux poissonneuses s'étendaient du Labrador au sud de l'Acadie, et renfermaient les bancs si précieux de Terreneuve. Néanmoins elle n'était qu'une partie d'un plan beaucoup plus vaste formé dans la colonie et envoyé à Paris. On avait rapporté à Québec, sur la fin de l'année précédente (1695), qu'il se faisait des préparatifs en Angleterre et à Boston pour s'emparer de toute l'île de Terreneuve; le gouvernement canadien proposa à la cour d'envoyer une flotte de dix ou douze vaisseaux pour protéger nos pêcheries de cette île, et pour attaquer Boston, dont la prise aurait affaibli considérablement la puissance des Anglais dans ce continent. Mais la cour, toujours sous l'empire de son ancienne politique de ne point attaquer l'Angleterre au centre de sa force, repoussa ce projet regardé pourtant comme d'une exécution assez facile, et adopta celui que nous venons d'exposer plus haut. MM. d'Iberville et de Bonaventure furent choisis pour commander l'expédition de Pemaquid. Cette tâche accomplie, ils devaient se rallier au gouverneur de Terreneuve, M. de Brouillan, pour l'exécution de la seconde partie du plan.

 

Ces deux capitaines partirent sur l'Envieux et le Profond de Rochefort et entrèrent dans le mois de juin dans la baie des Espagnols, au Cap-Breton, où ils trouvèrent des lettres du gouverneur de l'Acadie, le chevalier de Villebon, qui les informaient que trois vaisseaux anglais croisaient devant le port de St. – Jean. M. de Villebon était entré à Port-Royal peu de temps après le départ de l'amiral Phipps en 1690, et ayant trouvé ce poste trop exposé pour ses forces, il s'était retiré dans la rivière St. – Jean, où les Indigènes étaient venus protester de leur attachement à la cause française. Cet officier, qui était canadien et fils du baron de Bécancourt, était reparti immédiatement pour la France afin d'y exposer la situation de l'Acadie; et après en avoir été nommé gouverneur, il y était revenu l'année suivante, 1691. Il avait relevé en passant le drapeau français sur Port-Royal, repris et abandonné de nouveau par les Anglais, et s'était retiré dans son fort de Jemset, dont il avait changé le nom en celui de Naxoat, pour être plus à proximité des Indiens, et où l'amiral Phipps, alors gouverneur du Massachusetts, le faisait bloquer depuis quelque temps.

M. d'Iberville remit à la voile, après avoir pris sur ses deux vaisseaux une cinquantaine de Sauvages, et cingla vers l'embouchure de la rivière St. – Jean, où il trouva, en effet, en croisière le Sorel, le Newport et un plus petit navire. Il donna sur le champ l'ordre d'attaquer. Le combat fut court, mais vif. Le Newport qui portait 24 canons fut démâté et pris. Les deux autres vaisseaux ne durent leur salut qu'à une brume épaisse qui s'éleva tout à coup et qui les déroba à la poursuite des vainqueurs.

Renforcé par cette prise et par le chevalier de Villebon, qui monta avec encore 50 Indiens sur le Profond commandé par M. de Bonaventure, le capitaine d'Iberville alla prendre à Pantagoët le baron de St. – Castin avec 200 autres Sauvages et quelques soldats sous les ordres de MM. Montigny et de Villieu, et arriva devant Pemaquid le 13 août. Le baron de St. – Castin était un ancien officier au régiment de Carignan, qui, s'étant plu parmi les Indiens, avait épousé une Indigène et était devenu le chef des Abénaquis. C'est lui qui les menait au combat. Il mourut au sein de cette brave et puissante tribu, recherché des gouverneurs français et redouté des colonies anglaises.

Pemaquid, la plus considérable forteresse de ces colonies, était bâti sur le bord de la mer. Les murailles, flanquées d'une tour haute de 29 pieds, avaient 22 pieds d'élévation et portaient 18 pièces de canon. Le colonel Chubb y commandait. Il se défendit assez bien pendant quelques jours, mais aux premières bombes qui tombèrent dans la place, il demanda à capituler. Ce fort qui avait coûté des sommes immenses à la Nouvelle-Angleterre, et qui était alors pour elle dans l'est, ce que fut Niagara plus tard pour les Français dans l'ouest, fut rasé suivant les instructions de la cour. On n'y laissa pas pierre sur pierre. Tandis que ses murailles menaçantes s'écroulaient ainsi sous la mine des vainqueurs, le colonel Church s'embarquait avec 500 hommes pour aller ravager l'Acadie. Il brûla Beaubassin malgré la neutralité qui avait été garantie aux habitans de cet endroit par Phipps, et s'en retournait chargé de butin à Boston, lorsqu'il rencontra un renfort de 3 vaisseaux, dont un de 32 canons, avec 200 hommes de débarquement, qui lui apportait l'ordre de prendre le fort du chevalier de Villebon. Il vira de bord, et se présenta devant Naxoat dans le mois d'octobre avec une grande assurance; M. de Villebon, fait prisonnier en revenant de Pemaquid et rendu à la liberté, venait d'y rentrer. Le colonel Church éprouva une résistance beaucoup plus grande et beaucoup plus vive que celle sur laquelle il avait compté, et au bout de quelques jours d'un siège inutile, désespérant du succès, il se rembarqua et disparut. C'est pendant ces hostilités en Acadie que la désolation régnait sur les frontières anglaises, et que les flammes de York et dés établissemens d'Oyster river annonçaient au loin la présence des Canadiens et des Abénaquis. La population tremblante ne tournait plus les yeux vers le nord qu'avec effroi, craignant à chaque instant de voir sortir des forêts ces ennemis impitoyables qui, comme un torrent, ne laissaient que des ruines sur leur passage.

M. d'Iberville avait cependant retourné ses voiles vers Plaisance pour achever une conquête entreprise à sa propre suggestion. La parole du fondateur de la Louisiane avait déjà un grand poids à Paris dans les affaires de l'Amérique et surtout dans celles des mers du Nord.

L'île de Terreneuve située au nord-est du golfe St. – Laurent, et n'étant séparée du Labrador que par le détroit de Belle-Isle, forme une pointe qui projette dans l'océan, et qui a dû, pour cette raison, être aperçue des premiers navigateurs qui ont côtoyé l'Amérique septentrionale. C'est au sud-est de cette île qu'est situé le banc de Terreneuve sur lequel elle est assise elle-même, et qui est plus célèbre encore par la pêche de la morue qu'on y fait que par ses brumes et ses tempêtes. La figure de Terreneuve est presque triangulaire et présente une superficie de 86,000 milles carrés; sa longueur extrême est de 420 milles, et sa largeur de 300 milles 34. Le climat y est froid et orageux, le ciel sombre. Le sol mêlé de gravier, de pierre et de sable est aride, quoique arrosé par plusieurs belles rivières. Le pays rempli de montagnes, était alors couvert de bois impénétrables, et de prairies, ou plutôt de landes poussant plus de mousse que d'herbe. Les Français et les Anglais n'y avaient formé des établissemens que pour l'utilité de leurs pêcheries. Les Français y faisaient la pêche dès 1504, et ils avaient formé un établissement vers le cap de Raze pour y faire sécher leur poisson. Les Anglais, conduits par le chevalier Humphrey Gilbert, y plantèrent une colonie en 1583 dans la baie de St. – Jean. Gilbert prit possession de cette baie et de deux cents lieues de pays tout à l'entour, au nom de la reine Elizabeth, ignorant que cette terre fût une île. Il y promulgua plusieurs décrets qui respirent la loyauté la plus pure envers sa souveraine, mais qui ne prévinrent point la ruine de son établissement ainsi qu'on l'a rapporté ailleurs. Il fit celui-ci entre autres, que quiconque parlerait d'une manière offensante de Sa Majesté, aurait les oreilles coupées et perdrait ses biens.