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Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome III

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LIVRE XI

CHAPITRE I.
DESPOTISME MILITAIRE. – ABOLITION ET RÉTABLISSEMENT DES ANCIENNES LOIS.
1763-1774

Cessation des hostilités; les Canadiens rentrent dans leurs foyers. – Régime militaire et loi martiale-Cession du Canada à l'Angleterre. – Emigration de Canadiens en France. – Les lois françaises sont abolies et la religion catholique est seulement tolérée. – Le général Murray remplace le général Amherst. – Etablissement d'un conseil exécutif, législatif et judiciaire. – Division du Canada en deux districts, et introduction des lois anglaises. – Murmure des habitans. – Les colons anglais demandent une chambre élective dont les Canadiens seraient exclus, et accusent de tyrannie le général Murray, qui repasse en Europe. – Soulèvement des Indiens occidentaux. – Le général Carleton gouverneur. – Il change le conseil. – Le peuple continue son opposition aux lois nouvelles. – Remontrances. – Rapports de MM. Yorke, de Grey, Marriott, Wedderburn et Thurlow, officiers de la couronne, sur les griefs des Canadiens. – Rétablissement des lois françaises. – Nouvelle demande d'un, gouvernement représentatif avec l'exclusion des catholiques, – Pétitions des Canadiens et des Anglais. – Le conseil législatif de 74 est établi.

Les Canadiens qui n'avaient pas quitté l'armée après le siège de Québec, l'abandonnèrent après la capitulation de Montréal, et la paix la plus profonde régna bientôt dans tout le pays. L'on ne se serait pas aperçu que l'on sortait d'une guerre sanglante, si tant de parties du Canada n'eussent porté des marques de ravages et de ruines, surtout le gouvernement de Québec occupé pendant deux ans par des armées hostiles, où la ville, assiégée deux fois avait été bombardée et réduite en cendres, et les environs avaient servi de théâtre à trois batailles. Les habitans ruinés, mais fiers d'avoir rempli leur devoir jusqu'au dernier moment envers leur patrie, ne songèrent plus qu'à se renfermer dans leurs terres pour réparer leurs pertes; et, s'isolant autant que possible du nouveau gouvernement, ils parurent vouloir, à la faveur de leur régime paroissial, se livrer exclusivement à l'agriculture.

Les vainqueurs, après avoir achevé leur précieuse conquête, s'occupèrent des moyens de la conserver. Le général Amherst fit d'abord le choix des troupes qui devaient rester pour la garde du pays, et envoya le reste en Europe ou dans les anciennes colonies anglaises. Le Canada fut traité comme une nation barbare sans gouvernement régulier et sans lois. Il fut divisé en trois départemens correspondant aux trois divisions du régime français et reçut une administration purement militaire. Le général Murray fut placé à la tête de celui de Québec, et le général Gage de celui de Montréal Le gouvernement des Trois-Rivières échut au colonel Burton. Ces trois chefs paraissent avoir été indépendans l'un de l'autre. Le général Amherst se réserva pour lui-même le titre de gouverneur-général, et après, avoir donné ses instructions aux gouverneurs particuliers pour la réorganisation du pays suivant le régime qu'on voulait y établir, il partit pour Mew-York.

Ceux-ci commencèrent immédiatement l'oeuvre de cette réorganisation; mais chacun d'eux procéda différemment. Le général Murray établit un conseil ou tribunal militaire composé de 7 officiers de l'armée siégeant deux fois par semaine pour la décision des affaires civiles ou criminelles les plus, importantes; et pour les autres il se les réserva à lui-même pour les juger sans appel. Il tenait pour cela cour ouverte en son hôtel une fois par semaine, son secrétaire faisant les fonctions de greffier. La connaissance des affaires de police dans les campagnes fut abandonnée aux commandans des localités. Le général Gage sembla vouloir adoucir un peu ce système arbitraire. Il autorisa les capitaines de paroisse à terminer les différends qui pourraient survenir entre leurs concitoyens, avec la réserve du droit d'appel au commandant militaire du lieu ou à lui-même; mais, à la lin de l'année suivante, il crut devoir faire des modifications. Il divisa son gouvernement en 5 arrondissemens, et établit une chambre de justice à la Longue-Pointe à Longueuil, à St. – Antoine, à la Pointe-aux-Trembles et à La Valtrie qui en étaient les chefs-lieux. Ces cours, composées au plus de 7 et au moins de 5 officiers de milice, tenaient audience tous les quinze jours, et relevaient, selon la localité, de l'un des trois conseils militaires établis à Montréal, Varennes et St. – Sulpice, et formés d'officiers de l'armée régulière. De toutes ces cours il y avait appel au gouverneur, par qui, du reste, les sentences en matières criminelles devaient être confirmées et pouvaient être changées ou remises totalement. Les Canadiens, au moyen de leurs officiers de milice, se trouvèrent ainsi avoir part à l'administration de la justice dans le gouvernement de Montréal. Mais dans celui de Québec, ils n'y participèrent que par deux hommes de loi tirés de leur sein, qui furent nommés procureurs-généraux et commissaires auprès du tribunal militaire établi dans la capitale, l'un pour les habitans de la rive gauche, et l'autre pour ceux de la rive droite du St. – Laurent, et par le greffier de cette cour supérieure. Aux Trois-Rivières, le même système à-peu-près fut adopté.

Tel fut le régime militaire établi en Canada immédiatement après la cessation des hostilités, en violation directe des capitulations, qui garantissaient aux Canadiens les droits de sujets anglais, droits par lesquels les lois ne pouvaient être changées, ni leurs personnes soustraites à leurs juges naturels sans leur consentement. Ainsi, lorsqu'ils comptaient jouir d'un gouvernement légal à l'ombre de la paix, ils virent leurs tribunaux abolis, leurs juges repoussés, leurs lois méconnues ou mises en oubli et tout leur ancien régime social entièrement bouleversé pour faire place à la plus abjecte tyrannie, celle de l'état de siège et des cours martiales. Rien ne contribua plus à isoler le gouvernement de la population que cette conduite répudiée depuis long-temps du droit public et de l'usage des nations. Ne connaissant ni la langue, ni les coutumes, ni, le caractère du peuple conquérant, les Canadiens fuirent les juges éperonnés qui s'élevaient au milieu d'eux sans même offrir le gage de la science pour les recommander; et sans se plaindre, car ils étaient peu accoutumés à solliciter, ils arrangeaient leurs différends ensemble ou à l'aide des notables du lieu et du curé, dont l'influence augmenta par-là même dans chaque paroisse. Par un heureux effet des circonstances le peuple et le clergé se trouvèrent unis d'intérêt et de sentiment et sous le règne de l'épée l'expression de la morale évangélique devint la loi de cette population fermement unie par l'instinct de sa conservation.

Cette organisation militaire qui témoigne de la crainte qu'avait inspirée la longue et glorieuse résistance du Canada, fut approuvée par la nouvelle métropole, à condition cependant qu'elle ne subsisterait que jusqu'au rétablissement de la paix; et qu'alors, si le pays lui restait, un gouvernement civil régulier serait établi. L'on demeura ainsi quatre ans sous la loi martiale. Cette époque est connue dans nos annales sous le nom de Règne militaire.

Cependant les Canadiens persistaient toujours à croire, parce qu'ils le désiraient sans doute, que la France ne voudrait pas les abandonner, et qu'elle se ferait rendre la colonie à la paix. Chaque moment ils en attendaient l'heureuse nouvelle avec une espérance toujours aussi vive; mais ils furent trompés dans ce plus cher de leurs voeux. Le traité de 1763, en assurant la possession du Canada à la Grande-Bretagne, détermina une nouvelle émigration. Les marchands, les hommes de loi, les anciens fonctionnaires, enfin la plupart des familles notables du pays passèrent en France, après avoir vendu ou même abandonné des biens qui sont encore aujourd'hui un objet de litige entre leurs descendans. Il ne reste dans les villes que quelques pares employés subalternes, quelques artisans, à peine un marchands et les corps religieux. Cette émigration ne s'étendit point aux campagnes où le sol attachait les habitans.

La France, en voyant débarquer sur ses bords les émigrans canadiens, fut touchée de leur dévoûment, et ce fut pour elle un titre suffisant pour les prendre sous sa protection. Elle les favorisa, les accueillit dans les administrations, dans la marine et dans les armées, et elle récompensa leur zèle et leur courage par de hauts grades. Ainsi plusieurs furent nommés au gouvernement de ses possessions lointaines. M. de Repentigny, fait marquis et plus tard brigadier des armées, fut gouverneur du Sénégal sur les côtes d'Afrique et de Mahé dans les Indes orientales, où il mourut en 1776. M. Dumas, qui avait remplacé M. de Beaujeu dans le commandement des Canadiens à la bataille de la Monongahéla, eut le gouvernement des îles de France et de Bourbon. Un M. de Beaujeu qui s'était déjà distingué en plusieurs rencontres, accompagna Lapeyrouse comme aide-major-général à la complète des établissemens de la baie d'Hudson en 1782, et fut ensuite un des 80 gentilshommes qui défendirent si héroïquement la redoute de Bethune contre les républicains français en 1793. On peut mentionner aussi le marquis de Villeray, capitaine dans les gardes du corps, et M. Juchereau (Duchesnay), lieutenant-colonel d'artillerie et commandant de la place de Charleville, où il fut tué dans une sédition populaire en 1792. D'autres servirent avec distinction dans la marine, comme M. Legardeur, comte de Tilly, MM. Pellegrin, de l'Echelle, La Corne, compagnon d'armes et ami du fameux bailli de Suffren, etc., lesquels commandèrent dignement des vaisseaux de la France et acquirent un nom considéré dans sa marine. Le comte de Vaudreuil y obtint le grade d'amiral dans la guerre de la révolution américaine, pendant laquelle il détruisit les établissemens anglais du Sénégal et rendit cette colonie à sa patrie. Jacques Bedout, natif de Québec, parvint à celui de contre-amiral. Il était capitaine de vaisseau quand, par le combat sous l'île de Croix (1796), il mérita cet éloge de Fox dans la chambre des communes: «Le capitaine du Tigre, combattant pour l'honneur de sa patrie, a rivalisé en mépris pour la mort, avec les héros de la Grèce et de Rome: il a été fait prisonnier, mais couvert de gloire et de blessures. 46 Le général (de) Léry, officier avant 1789, et qui a fait toutes les campagnes de la révolution et de l'empire, commandait en chef le génie à l'armée d'Espagne, où il montra un talent consommé à la défense de Badajoz qu'il dirigea en personne. Il gagna à la bataille d'Austerlitz le cordon de grand officier de la Légion d'honneur, et Napoléon, qui l'avait déjà nommé baron, lui confia le commandement du génie dans la campagne de France de 1814. D'autres officiers qui formaient comme une petite colonie canadienne dans la Touraine, y vécurent d'une pension que leur fit le gouvernement.

 

Note 46:(retour) Tableau des deux Canadas, par M. I. Lebrun.

Ceux qui restèrent en Canada durent espérer, suivant la promesse de leur nouvelle métropole, d'avoir enfin un gouvernement régulier. Quoique l'on eût fini, sous le régime militaire, par adopter la jurisprudence française et par juger suivant les lois et dans la langue du pays, ce système ne pouvait présenter aucune garantie durable. Aussi, en 1764, un nouveau changement radical eut lieu; mais, loin d'alléger le fardeau qui pesait sur ce malheureux pays, il devait le rendre encore plus intolérable. Chaque jour les Canadiens sentaient davantage toute la grandeur des malheurs de la sujétion étrangère, et que les sacrifices qu'ils avaient faits n'étaient rien, en comparaison des souffrances et des humiliations morales qui se préparaient pour eux et pour leur postérité. D'abord l'Angleterre voulut répudier tout ce qui était français et enlever même aux anciens habitans les avantages naturels que leur offrait l'étendue de leur pays pour établir leurs enfans. Elle commença par en faire le démembrement. Le Labrador, depuis la rivière St. – Jean jusqu'à la baie d'Hudson avec les îles d'Anticosti, de la Magdeleine, etc., fut annexé au gouvernement de Terreneuve; les îles de St. – Jean et du Cap-Breton, à la Nouvelle-Ecosse. Les terres des grands lacs furent distribuées de la même manière entre les diverses colonies voisines, et bientôt après le Nouveau-Brunswick fut encore enlevé au Canada et prit le nom qu'il porte aujourd'hui.

Du territoire, la proclamation par laquelle ces grands changemens étaient décrétés, passa aux lois; et le roi, de sa propre autorité, tout en déclarant qu'il serait convoqué des assemblées des représentans du peuple aussitôt que les circonstances le permettraient, abolit d'un seul coup toutes les anciennes lois civiles si sages, si précises, si claires, pour y substituer celles de sa métropole, amas confus, vague et incohérent d'actes parlementaires et de décisions judiciaires enveloppées dans des formes compliquées et barbares dont l'administration de la justice n'a pu encore se débarrasser en Angleterre, malgré les efforts de ses plus grands jurisconsultes; et cette abolition était faite pour assurer la protection et le bénéfice des lois du royaume à ceux de ses sujets qui iraient s'établir dans la nouvelle conquête. 47 N'était-ce pas renouveler l'attentat contre lés Acadiens, s'il est vrai de dire que la patrie n'est pas dans l'enceinte d'une ville, dans les bornes d'une province, mais dans les affections et les liens de la famille, dans les lois, dans les moeurs et les usages d'un peuple. Personne dans la Grande-Bretagne n'éleva la voix contre un pareil acte de spoliation et de tyrannie. On privait une population établie de ses lois pour une immigration qui n'avait pas encore commencé. 48

Note 47:(retour) «In this Court (the Superior Court) His Majesty's Chief Justice presides with power and authority to determine all elements and civil cases agreeable to the laws of England, and, to the ordinances of this province.» -Ordon. du 17 sept. 1764.

Note 48:(retour) C'est ce qu'un écrivain osa appeler plus tard un acte de bienfaisance et de politique: Political Annals of Lower-Canada, being a review of the Political and Legislative History of that province, &c, by a British Settler. – (M. Flemming, marchand de Montréal.)

Murray fut en même temps nommé gouverneur-général en remplacement de lord Amherst repassé en Europe dès l'année précédente, et qui peut être regardé comme le premier gouverneur anglais de ce pays, Gage, Murray, Burton et ensuite Haldimand qui remplaça, en 1763, aux Trois-Rivières celui-ci, promu au gouvernement de Montréal, n'ayant agi qu'en sous ordre sous lui. Le nouveau gouverneur, en obéissance à ses instructions, forma aussitôt un conseil, investi, conjointement avec lui, des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Il ne lui manquait que le droit d'imposer des taxes. Ce corps, composé de huit membres, ne contenait qu'un seul habitant du pays, homme obscur et sans influence, choisi pour faire nombre. Une exclusion jalouse et haineuse avait dicté les instructions de l'Angleterre, et c'est dans ce document funeste que prit naissance la profonde antipathie de race remarquée de nos jours par lord Durham en Canada, et qui lui a servi de prétexte pour prêcher une nouvelle persécution contre les Canadiens-français.

Ce qui restait du pays subit encore une nouvelle division, et fut partagé en deux districts séparés par les rivières St. – Maurice et St, – François, qui portèrent les noms des deux principales villes qu'ils renfermaient, Québec et Montréal. Une nouvelle administration judiciaire fut établie. On érigea une cour supérieure civile et criminelle sous le nom de Cour du banc du roi, et une cour inférieure pour les petites causes dite Cour des plaidoyers communs, toutes deux calquées sur celles de l'Angleterre, et tenues de rendre leurs décisions conformément aux lois anglaises, excepté seulement dans les causes pendantes entre Canadiens commencées avant le 1er octobre 1764. Si les Canadiens accueillirent favorablement les lois criminelles de leur nouvelle métropole qu'ils connaissaient déjà un peu, et son code du commerce fait en grande partie sur celui de France, publié sous le grand Colbert, ils n'en repoussèrent pas moins les nouvelles lois civiles, et s'éloignèrent de plus en plus des tribunaux où on les administrait. Bientôt aussi l'on aperçut de l'inquiétude dans les esprits; des murmures, sourds d'abord, éclatèrent ensuite dans toutes les classes; et ceux qui connaissaient les Canadiens, de tout temps si soumis aux lois, commencèrent à craindre les suites de ce mécontentement profond, lorsqu'ils les virent critiquer tout haut les actes du gouvernement, et montrer une hardiesse qu'on ne leur avait jamais vue. Le général Murray, quoique sévère, était un homme honorable et qui avait un coeur sensible et généreux. Il aimait ces Canadiens dociles à l'autorité comme de vieux soldats, dont la plus grande partie avait contracté les habitudes dans les armées, ces habitans braves dans les combats et simples dans leurs moeurs: une sympathie née dans les horreurs de la guerre le portait encore à compatir à leur situation. Peut-être aussi que les réminiscences de son propre pays, les malheurs de ces belliqueux montagnards d'Écosse si fidèles à leurs anciens princes, augmentaient en lui ces sentimens d'humanité qui honorent plus souvent le guerrier que le politique, réduit à exploiter, la plupart du temps, les préjugés populaires les moins raisonnables. Le général Murray, pour tranquilliser les esprits, rendit, avec l'agrément de son conseil, une ordonnance dès le mois de novembre suivant, portant que dans les procès relatifs à la tenure des terres, aux successions, etc., l'on suivrait les lois en usage sous la domination française. C'était revenir à la légalité, car si l'Angleterre avait le droit de changer les lois canadiennes, elle ne pouvait le faire que par un acte de son parlement. Aussi Mazères, citant la conduite de Guillaume le conquérant et d'Edouard I relativement à elle-même et au pays de Galles, déclara-t-il que les lois de l'Angleterre n'avaient pas été légalement établies en Canada, le roi et le parlement, et non le roi seul, étant la législature propre de cette colonie, et que par conséquent les lois françaises y étaient encore en vigueur. 49

Note 49:(retour) «A plan for settling the laws and the administration of Justice in the province of Québec,» précédé de «A view of the civil government and administration of Justice in the province of Canada while it was subject to the crown of France.» par Mazères, Manuscrit.

La situation de cet administrateur était des plus difficiles. En face du peuple agreste et militaire qu'il était appelé à gouverner, et qui avait dans le caractère plus de franchise que de souplesse, il était obligé d'agir avec un entourage de fonctionnaires qui le faisaient rougir chaque jour par leur conduite. Une nuée d'aventuriers, d'intrigans, de valets d'armée s'était abattue sur le Canada à la suite des troupes anglaises et de la capitulation de Montréal (Dépêches de Murray). Des marchands d'une réputation suspecte, des cabaretiers composaient la classe la plus nombreuse. Les hommes probes et honorables formaient le petit nombre. C'est avec ces instrumens qu'il était chargé de dénationaliser le pays, et d'établir de nouvelles lois et de nouvelles institutions à la place des anciennes qui avaient été renversées, enfin de répéter en Canada ce qu'on avait fait en Irlande, éloigner les natifs du gouvernement pour les remplacer par des étrangers. Il s'était déjà aperçu que ce projet était impossible et entraînerait les plus grands malheurs. Pour se conformer néanmoins à ses instructions, il convoqua les représentans du peuple pour la forme, car il savait que les membres canadiens refuseraient de prêter le serment du test comme catholiques, et il ne voulait pas admettre les protestans seuls, comme ils le demandaient; la chambre ne siégea point. Tous les fonctionnaires publics, les juges, les jurés étaient Anglais et protestans. Ces derniers voulurent même faire exécuter les proscriptions qui avaient été décrétées contre les catholiques en Angleterre. «Ils formulèrent, dit lord Thurlow, un acte d'accusation générale contre tous les habitans parce qu'ils étaient papistes.» Le juge-en-chef Gregory fut tiré du fond d'une prison pour être placé à la tête de la justice. Les capitulations et les traités garantissaient le libre exercice de la religion catholique. Les armes n'avaient été posées qu'à cette condition expresse; et néanmoins il fut question de n'accorder aux Canadiens qu'une simple tolérance comme celle dont jouissaient les catholiques d'Angleterre, et dont ils auraient profité quand bien même il n'y aurait eu aucune stipulation; et sous prétexte de religion, ils furent exclus des charges publiques.

L'inauguration du nouveau système fit surgir une légion d'hommes de lois et de suppôts de cours. Inconnus des Canadiens, ils se plaçaient aux abords des tribunaux pour attirer les regards des plaideurs. C'est ce système que l'on préconisait comme propre à anglifier le pays et à le rendre britannique de fait comme de nom, vaine chimère que cherchent des fanatiques ignorans! Le général Murray, dégoûté enfin de la tâche dont on l'avait chargé, ne put dissimuler sa mauvaise humeur au ministère. «Le gouvernement civil établi, dit-il, il fallut faire des magistrats et prendre des jurés parmi 450 commerçans, artisans et fermiers méprisables, principalement par leur ignorance. Il ne serait pas raisonnable de supposer qu'ils ne furent pas enivrés du pouvoir mis entre leurs mains contre leur attente, et qu'ils ne furent pas empressés de faire voir combien ils étaient habiles à l'exercer. Ils haïssaient, ajouta-t-il, la noblesse canadienne, à cause de sa naissance, et parce qu'elle avait des titres à leur respect: ils détestaient les habitans, parce qu'ils les voyaient soustraits à l'oppression dont ils les avaient menacés.» La représentation des grands jurés de Québec, tous Anglais et protestans, qui disait, entre autres choses, que les catholiques étaient une nuisance à cause de leur religion, ne fait qu'ajouter de la force à la vérité de ces observations. Le mauvais choix d'une partie des officiers envoyés d'Europe augmenta encore les inquiétudes de la colonie. C'étaient des gens sans moeurs et sans talens. Le juge en chef ignorait le droit civil et la langue française. Le procureur-général n'était guère mieux qualifié. Les places de secrétaire de la province, de greffier du conseil, de régistrateur, de prévôt-maréchal, etc., furent données à des favoris, qui les louèrent aux plus offrans! Enfin la métropole semblait avoir pris plaisir à choisir ce qu'il y avait de plus vil ou de plus incapable pour inaugurer le système qui devait changer le pays; et peut-être l'avait-elle fait parce qu'elle ne pouvait pas trouver d'hommes plus instruits et plus honorables qui voulussent se charger d'une pareille mission.

 

Le gouverneur fut bientôt obligé de suspendre le juge en chef de ses fonctions, et de le faire rappeler en Angleterre. Un chirurgien de la garnison et un capitaine en retraite étaient juges des plaidoyers communs, et cumulaient en outre plusieurs autres charges importantes, qui portaient leurs appointemens à un chiffre considérable.

Cependant, malgré toutes les concessions faites à leurs prétentions, ces étrangers avides n'étant pas encore satisfaits des privilèges dont ils jouissaient, se montrèrent furieux de ce que Murray ne voulait pas leur donner une chambre élective, et poussèrent de grandes clameurs parce qu'il les privait ainsi de leurs droits constitutionnels qu'ils tenaient de leur naissance et qu'ils portaient, disaient-ils, partout avec eux. Il était impossible de se rendre à leurs demandes, parce qu'ils voulaient être seuls électeurs et seuls éligibles en vertu de la loi anglaise qui frappait les catholiques d'interdiction politique. L'on aurait en effet empiré la situation de ces derniers. N'espérant donc pas l'influencer assez pour l'engager à favoriser leurs vues ambitieuses, ils portèrent à Londres des accusations contre son administration, et excitèrent des querelles dans la colonie, où l'on vit tout-à-coup les villes remplies de trouble et de confusion, et les gouvernans et leurs partisans se quereller entre eux. Le général Murray fut accusé de favoriser le parti militaire. Les plaintes de ses ennemis, appuyées par les marchands de Londres, qui profitèrent de cette circonstance pour présenter une pétition au Bureau du Commerce contre son administration et en faveur de l'établissement d'une chambre élective, engagèrent la métropole à rappeler ce gouverneur, qui fut plutôt sacrifié à la sympathie qu'il semblait porter aux Canadiens qu'à des abus de pouvoir. Murray, repassé à Londres, n'eut besoin que de mettre devant les yeux des ministres le recensement qu'il avait fait faire en 65 de la population du Canada, pour démontrer l'absurdité du projet d'exclure les catholiques du gouvernement, puisque d'après ce recensement il n'y avait que 500 protestans sur 69,275 habitans. 50 Le comité du conseil privé du roi, chargé de conduire l'investigation, fit rapport en 67 que les charges portées contre lui étaient scandaleuses et mal fondées, mais son acquittement ne le fit point revenir en Canada.

Note 50:(retour) Il n'y avait que 36 familles protestantes dans les campagnes. En 1765, il n'y avait que 136 protestans dans le district de Montréal: Etat officiel dressé sur les rapports des Juges de Paix, déposé aux archives provinciales.

L'administration du général Murray n'avait pas été seulement troublée au dedans: elle avait été aussi inquiétée au dehors par une attaque des Indiens occidentaux, qui fut repoussée néanmoins avec assez de facilité. Les Français étaient à peine sortis de l'Amérique que ces peuplades barbares sentirent toute la force de l'observation qu'ils leur avaient faite bien des fois, qu'elles perdraient leur influence politique et leur indépendance du moment qu'une seule nation européenne dominerait dans ce continent. Ponthiac, chef outaouais, brave et expérimenté et ennemi mortel des Anglais qu'il avait poursuivis avec acharnement durant toute la dernière guerre, forma le complot de les chasser des bords des grands lacs, et entraîna dans son projet les Hurons, les Outaouais, les Chippaouais, les Poutouatamis et d'autres tribus que les Anglais avaient négligé de traiter avec la considération que leur montraient les Français, et que cette espèce de mépris avaient choquées. Il s'empara du fort Michilimackinac par surprise, et en massacra la garnison; il marcha ensuite vers Pittsburgh et le Détroit, où il se proposait d'établir le siège de sa domination et former le noeud d'une puissante confédération indienne, qui aurait contenu les blancs au Niagara et aux Apalaches: huit postes anglais tombèrent entre les mains de ce barbare, qui ravagea ensuite les frontières de la Pennsylvanie et de la Virginie, et détruisit un détachement de troupes dans le voisinage de Niagara; mais le projet qu'il avait formé était trop vaste pour ses forces. Ponthiac, après avoir éprouvé plusieurs échecs, fut obligé de faire la paix en 64 avant l'arrivée même des 600 Canadiens que le général Murray envoyait au secours de leurs compatriotes du Détroit. Ce chef sauvage, toujours hostile à l'Angleterre, fut assassiné par un des partisans de cette nation, trois ans après, chez les Hurons, dans un grand conseil où il parlait d'une manière menaçante.

L'administration du gouverneur Murray avait été encore signalée par l'introduction d'une presse en Canada, et la publication d'une feuille périodique en français et en anglais, «la Gazette de Québec» qui existe encore, et qui parut pour la première fois le 21 juin 1764, soutenue par 150 abonnés dont moitié canadiens. Timide à son berceau, ce journal se permettait rarement des observations sur la politique du jour; il se borna, durant bien des années, à recueillir les nouvelles et à noter les principaux événemens. Aussi y chercherait-on en vain un reflet de l'opinion publique à cette époque intéressante.

Et pourtant il se passait alors une loi dans le parlement de la Grande-Bretagne qui entraînait des principes dont la discussion devait armer toute l'Amérique septentrionale. Il s'agissait de taxer les colonies sans leur consentement. La métropole anglaise, prétextant l'augmentation de la dette nationale causée par la dernière guerre, tâchait, en passant l'acte du timbre, de faire admettre ce principe par ses sujets américains. Toutes les anciennes colonies protestèrent; le Canada et la Nouvelle-Ecosse seuls gardèrent le silence ou ne firent qu'une résistance passive.

L'on s'occupait plus alors en Canada de l'arrivée du nouvel évêque, M. Jean Olivier Briand, que de la prétention inconstitutionnelle de la Grande-Bretagne. M. de Pontbriand, son prédécesseur, était mort à Montréal en 1760. Dans le bruit des armes cet événement était passé inaperçu. Le chapitre de Québec élut, en 1763, pour le remplacer, M. Montgolfier, frère du célèbre, inventeur du ballon, et supérieur du séminaire de St. – Sulpice de Montréal. Mais le gouvernement anglais ayant fait des objections à sa nomination, peut-être parce que ses sentimens étaient trop vifs pour la France, il renonça à cette charge par une déclaration qu'il donna à Québec l'année suivante, et indiqua M. Briand, chanoine et grand-vicaire du diocèse, pour remplir le siège épiscopal auquel semblaient l'appeler d'ailleurs ses lumières et ses vertus. Cet ecclésiastique obtint l'agrément de George III en passant à Londres pour aller se faire sacrer évêque à Paris; et de ce moment l'Angleterre sachant apprécier l'influence que doit exercer un clergé fortement organisé sur une population aussi religieuse que l'est celle du pays, chercha pendant long-temps sa plus grande force dans ce même clergé, qu'il entoura d'égards et dont il soudoya aussi quelque temps après libéralement le chef, laissé sans revenus par la conquête.

Toutefois la métropole crut devoir modifier, après ce qui venait de se passer, le système gouvernemental qu'elle avait établi en Canada, de même que d'en changer les principaux fonctionnaires. Le général Carleton y arriva comme lieutenant-gouverneur en 66, avec un nouveau juge en chef et un nouveau procureur-général. Ce dernier emploi avait été confié au fils d'un réfugié français, M. Mazères, qui dut sa nomination à un trait qu'un ami avait raconté de lui au ministre, lord Shelburne, et qui valut à cet avocat célèbre les faveurs du gouvernement le reste de ses jours (Dumont). Le nouveau gouverneur prit les rênes de l'administration des mains du conseiller Irving, qui les tenait depuis le départ du général Murray, quelques semaines auparavant; et l'un des premiers actes de cet administrateur fut de retrancher de son conseil le même Irving et un autre fonctionnaire, favori de son prédécesseur. Il négligea aussi les anciens membres, qui crurent devoir faire des représentations à cet égard, mais envers lesquels il ne fut pas moins dédaigneux dans ses paroles que dans sa conduite. Il leur répondit, qu'il consulterait les conseillers qu'il croirait capables de lui donner les meilleurs avis; qu'il prendrait aussi l'opinion des amis de la vérité, de la franchise, de l'équité, du bon sens, bien qu'ils ne fussent pas du conseil, des hommes enfin qui préféraient le bien du roi et de ses sujets à des affections désordonnées, à des vues de parti et à des intérêts personnels et serviles, etc. Les conseillers auxquels s'adressaient ces insinuations indirectes, mais poignantes, jugèrent à propos de ployer la tête et de laisser passer l'orage en attendant un temps plus favorable pour la relever et faire valoir leurs prétentions, sachant bien que le gouverneur n'est qu'un chef passager, dont le caractère change avec chaque titulaire, tandis que le conseil, avec un peu de prudence, peut, à la longue, maintenir sa position en ayant soin seulement de savoir saluer chaque astre nouveau qui apparaît dans le ciel politique et s'effacer momentanément devant sa volonté trop décidée.