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Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome III

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La restitution de ces lois et le libre exercice de leur religion étaient deux choses si justes et si naturelles en elles-mêmes que l'opposition ne pouvait guère les attaquer de front: «Quoi, disait lord Thurlow, ce que vous prétendez, ce serait l'extrême misère. Pour rendre l'acquisition profitable et sûre, voici la conduite qu'il faut suivre. L'on doit changer les lois qui ont rapport à la souveraineté française, et les remplacer par celles qu'exige la nouvelle souveraineté; mais pour toutes les autres lois, toutes les autres coutumes ou institutions qui sont indifférentes aux rapports qui doivent exister entre les sujets et le souverain, l'humanité, la justice et la sagesse, tout conspire à vous engager à les laisser aux habitans comme auparavant… Mais on dit que les Anglais portent leur constitution politique partout où ils vont, et que c'est les opprimer que de les priver d'aucune de leurs lois… moi j'affirme que si un Anglais va dans un pays conquis par sa patrie, il n'y porte pas les diverses idées des lois qui doivent y prévaloir du moment qu'il y met le pied, car soutenir une pareille idée serait aussi raisonnable que de prétendre, que quand un Anglais va à Guernesey, les lois de la ville de Londres l'y suivent. L'opposition fit une guerre de chicanes. Quant à l'établissement d'un conseil à la nomination du roi au lieu d'une chambre représentative pour faire les lois, elle avait un champ superbe devant elle. Fox sut en profiter; mais la plupart des membres de l'opposition parlèrent avec un embarras marqué, gênés sans doute par leurs préjugés religieux; et après que lord North eut donné son opinion sur le danger d'une chambre catholique, un d'eux, M. Pultency, s'écria maladroitement; «Mais parce que l'on ne peut pas donner la meilleure espèce d'assemblée possible, à cause de la supériorité des catholiques, il ne s'en suit pas que l'on ne peut pas en donner du tout.» C'était demander des privilèges exclusifs pour les protestant; dès lors la justice était violée et l'opposition perdit sa force dans le débat sur ce point, car elle ne pouvait plus en appeler à la fidélité des colons anglais, puisque ces mêmes colons s'armaient alors de toutes parts contre tour métropole; et quant à l'assertion que l'on voulait répandre le culte catholique en Amérique et ruiner la religion de l'état, elle ne méritait pas d'être repoussée.

Le bill fut donc adopté après avoir subi quelques amendement, que la chambre des lords approuva malgré l'éloquence de Chatham, qui qualifia le projet de mesure cruelle, oppressive et odieuse, et qui en appela vainement aux évêques d'Angleterre pour qu'ils s'élevassent avec lui contre un acte qui tendait à établir une religion ennemie dans un pays plus étendu que la Grande-Bretagne. Ainsi, notre langue et nos lois finissaient par se relever de leur chute, comme la même chose s'était vue autrefois en Angleterre même, où la langue légale fut, après la conquête normande, française puis latine, et enfin celle du peuple vaincu, l'anglaise, «grande et salutaire innovation sans doute, dit lord Brougham, très critiquée et très redoutée de son temps.»

La ville de Londres n'eut pas plutôt appris la passation de l'acte de 74, qu'elle s'assembla et adopta une adresse au roi pour le prier d'y refuser sa sanction. Elle disait que ce bill renversait les grands principes fondamentaux de la constitution britannique; que les lois françaises ne donnaient aucune sécurité pour les personnes et les biens; que le bill violait la promesse faite par la proclamation de 63, d'établir les lois anglaises; que la religion catholique était idolâtre et sanguinaire, et que Sa Majesté et sa famille avaient été appelées, comme protestans, sur le trône de l'Angleterre pour remplacer les Stuart catholiques; que le pouvoir législatif était placé entre les mains de conseillers amovibles nommés par la couronne, etc. Le lord-maire, accompagné de plusieurs aldermen et de plus de 150 conseillers de la cité, se présenta au palais de St. – James avec son adresse. Le grand chambellan parut et l'informa que le roi ne pouvait prendre connaissance d'un projet de loi passé par les deux chambres avant qu'il eût été soumis à son assentiment, et qu'il ne devait pas par conséquent attendre d'autre réponse. George III partait dans le moment même pour aller proroger le parlement à Westminster. Il sanctionna le bill en observant «qu'il était fondé sur les principes de justice, et d'humanité les plus manifestes, et qu'il ne doutait pas qu'il aurait le meilleur effet pour calmer l'inquiétude et accroître le bonheur de ses sujets canadiens.» Cette remarque adoucit dans l'esprit de ceux-ci l'amertume des sentimens exprimés par l'opposition à leur égard. Un autre acte fut passé ensuite pour abolir les anciens droits de douane, qui constituaient les seuls impôts établis par les Français en ce pays, et pour en substituer d'autres sur les boissons, afin de faire face aux dépenses portées au budget pour l'administration civile et judiciaire de la province.

Mazères écrivit aussitôt aux protestans du Canada pour les informer de tout ce qui s'était passé. On s'assembla et l'on résolut de présenter des adresses aux trois branches du parlement impérial, et de demander la révocation de la nouvelle loi organique. Dans celle à la chambre des communes, les pétitionnaires cherchèrent à accroître leur importance et à déprécier celle de leurs adversaires, qu'ils voulaient dominer à toute force, et prétendirent, sans même trop voiler leur but, que les 75,000 Canadiens devaient se soumettre aux lois, qu'eux; qui n'étaient que 3,000, voudraient bien trouver bonnes et convenables. Les Canadiens s'apercevaient tous les jours qu'ils avaient eu grande raison de refuser une chambre représentative composée exclusivement de protestans.

L'agitation de ce parti pour faire rapporter l'acte en question, se communiqua aux Canadiens, qui se réunirent et se prononcèrent dans le sens contraire. Il parut, à la fin de décembre, une lettre anonyme qui renfermait en peu de mots leurs sentimens sur le débat du jour, et qui fit assez de sensation pour que Mazères crût devoir la mettre sous les yeux du public d'Angleterre, et la réfuter longuement dans les deux volumes qu'il publia en 75, à l'appui des prétentions du parti qu'il représentait. Cette lettre, écrite sans art, mais avec sincérité et qui circula parmi la population canadienne, fit une grande impression: «Quelques Anglais, y disait-on, travaillent à nous indisposer contre les derniers actes du parlement qui règlent le gouvernement de cette province. Ils déclament surtout contre l'introduction de la loi française, qu'ils vous représentent comme favorisant la tyrannie. Leurs émissaires répandent parmi les personnes peu instruites, que nous allons voir revivre les lettres de cachet; qu'on nous enlèvera nos biens malgré nous; qu'on nous traînera à la guerre et dans les prisons; qu'on nous accablera d'impôts; que la justice sera administrée d'une manière arbitraire; que nos gouverneurs seront despotiques; que la loi anglaise nous eût été plus avantageuse; mais la fausseté de ces imputations ne saute-t-elle pas aux yeux? Y a-t-il quelque connexion entre les lois françaises et les lettres de cachet, les prisons, la guerre, les impôts, le despotisme des gouverneurs? – Sous cette loi, à la vérité, nos procès ne seront plus décidés par un corps de jurés, où président souvent l'ignorance et la partialité. Mais sera-ce un mal? – La justice anglaise est-elle moins coûteuse? – Aimeriez-vous que vos enfans héritassent à l'anglaise, tout à l'aîné, rien aux cadets? – Seriez-vous bien aise qu'on vous concédât vos terres aux taux de l'Angleterre? – Voudriez-vous payer la dîme à dixième gerbe, comme en Angleterre? – La loi française n'est-elle pas écrite dans une langue que vous entendez? – La loi française a donc pour vous toute sorte d'avantages: et les Anglais judicieux, tels qu'il s'en trouve un grand nombre dans la colonie, conviennent qu'on ne pourra nous la refuser avec équité.

«Aussi n'est-ce pas là le point qui choque davantage ces citoyens envieux dans les actes du parlement, dont ils voudraient obtenir la révocation. Le voici ce point qu'ils vous cachent, mais qui se révèle malgré eux. L'un de ces actes non seulement vous permet le libre exercice de la religion catholique, mais il vous dispense de sermens qui y sont contraires; et, par là, il vous ouvre une porte aux emplois et aux charges de la province. Voilà ce qui les révolte! voilà ce qui les fait dire dans les papiers publics: «Que c'est un acte détestable, abominable, qui autorise une religion sanguinaire, qui répand partout l'impiété, les meurtres, la rébellion.» Ces expressions violentes nous marquent leur caractère, et le chagrin qu'ils ont de n'avoir point une assemblée, dont ils se proposaient de vous exclure en exigeant de vous des sermens que votre religion ne vous aurait pas permis de prêter, comme ils ont fait à la Grenade.

«Par ce moyen ils se seraient vus seuls maîtres de régler tous vos intérêts, civils, politiques et religieux. Vous pouvez vous instruire de leurs desseins en lisant les adresses qu'ils ont envoyées à Londres. Ils y représentent au roi: «Que les sujets protestans sont en assez grand nombre en cette province pour y établir une assemblée.» Ce mot nous les démasque. Une poignée d'hommes, que le commerce avantageux qu'ils ont fait avec nous vient, pour la plupart de tirer de la poussière, veulent devenir nos maîtres et vous réduire à l'esclavage le plus dur. Je le répète, je ne parle que des Anglais du comité de Montréal et de quelques marchands de Québec, qui demandent la révocation de cet acte. Il faut que ces gens-là nous croient bien simples et bien aveugles sur nos propres intérêts, pour nous proposer de nous opposer à un acte que nous avions demandé… On parle de la levée d'un régiment canadien. On se sert de cette circonstance pour vous dire qu'on vous forcera à vous enrôler et à aller faire la guerre au loin: et, d'un bienfait qu'on a sollicité pour vous, on vous en fait un objet de terreur. Serait-ce donc un malheur pour la colonie s'il y avait un régiment canadien de quatre à cinq cents hommes, dont tous les officiers seraient Canadiens? Cela ne rendrait-il pas à quantité de familles respectables un lustre qui rejaillirait sur toute la colonie? On augure mal de votre courage, puisqu'on cherche à vous effrayer par-là.» Cette logique pressée était sans réplique.

 

Cependant lord Camden présenta (mai 15) à la chambre haute la pétition du parti protestant, et introduisit en même temps un projet de loi pour révoquer l'acte de l'année précédente. Mais ce projet fut rejeté sur motion du comte de Dartmouth, ministre des colonies. La même tentative, faite dans la chambre des communes par sir George Savile, éprouva le même sort.

Mais tandis que l'acte de Québec tendait à concilier les Canadiens à la métropole, l'acte qui ordonnait la fermeture du port de Boston, portait jusqu'à leur dernier degré la colère et l'indignation des autres colonies. L'assemblée de Boston nomma un comité pour convoquer un congrès général, et un autre pour tracer au peuple des règles de conduite sous forme de recommandation; et les habitans furent invités à discontinuer l'usage du thé et des autres articles venant de la Grande-Bretagne, jusqu'à ce qu'on eût obtenu d'elle la justice que l'on demandait. Le congrès s'assembla dans le mois de septembre à Philadelphie, et siégea jusqu'au 26 Octobre; douze provinces, contenant près de 3 millions d'hommes, y étaient représentées par leurs députés; il n'y manquait que ceux du Canada et de la Géorgie pour embrasser toutes les colonies anglaises du continent. Le congrès commença par faire une déclaration des droits de l'homme. Il adopta ensuite diverses résolutions, dans lesquelles il exposa avec détail les griefs des colons au nombre desquels il plaça l'acte du Canada que venait de passer le parlement impérial; acte, disait-on, qui établit dans ee pays la religion catholique, abolit le système équitable des lois anglaises, et y érige, vu la différence de religion, de lois et de gouvernement, une tyrannie au grand danger des libertés des colonies qui l'avoisinent, et qui ont contribué de leur sang et de leur argent à sa conquête. «Nous ne pouvons, disait-il insensément, nous empêcher d'être étonné qu'un parlement britannique ait jamais consenti à établir en Canada une religion qui a inondé l'Angleterre de sang, et qui a répandu l'impiété, l'hypocrisie, la persécution, le meurtre et la révolte dans toutes les parties du monde.» Ce langage n'eut été que fanatique, si ceux qui le tenaient eussent été sérieux; il était insensé et puérile dans la bouche d'hommes qui songeaient déjà à inviter les Canadiens à se joindre à leur cause. Cette déclaration relative à l'acte de 74 était donc fort inconsidérée; elle ne produisit aucun bien en Angleterre, et fit perdre peut-être le Canada à la cause de la confédération. Si le congrès s'en fût tenu à une protestation contre ce qu'il y avait d'inconstitutionnel dans cet acte, contre l'établissement, par exemple, d'une législature nommée exclusivement par la couronne, il aurait atteint son but; mais en se déclarant contre les lois françaises et contre le catholicisme, il armait nécessairement contre lui la population canadienne, et violait lui-même ces règles de justice éternelle sur lesquelles il avait voulu asseoir; sa déclaration des droits de l'homme.

Le congrès résolut aussi de cesser toute relation commerciale avec l'Angleterre. Il procéda ensuite à la rédaction de trois adresses, l'une au roi, l'autre au peuple de la Grande-Bretagne pour justifier l'attitude qu'il avait prise, et une troisième aux Canadiens dans laquelle il exprima des sentimens tout contraires à ceux qu'il venait de mettre au jour dans les résolutions au sujet de leur religion et de leurs lois. Il cherchait à leur démontrer tous les avantages d'une constitution libre, à les préjuger contre la forme du nouveau gouvernement qu'on venait de leur donner, en disant qu'il y avait une grande différence entre la constitution que le parlement leur avait imposée et celle qu'ils devaient avoir. Il invoqua le témoignage de Montesquieu, homme de leur race, pour condamner cette nouvelle constitution, les exhortant à se joindre aux autres colonies pour la défense de leurs droits communs, et les priant avec instance d'entrer dans le pacte social formé sur les grands principes d'une égale liberté, et d'envoyer des délégués pour les représenter au congrès qui devait s'assembler le 10 mai (1775). «Saisissez, disait-il, l'occasion que la Providence elle-même vous présente; si vous agissez de façon à vous conserver la liberté, vous serez effectivement libres. Nous connaissons trop la générosité des sentimens qui distinguent votre nation pour présumer que la différence de religion puisse préjudicier à votre amitié pour nous. Vous n'ignorez pas qu'il est de la nature de la liberté d'élever au-dessus de toute faiblesse ceux que son amour unit pour la même cause. Les cantons suisses fournissent une preuve mémorable de cette vérité; ils sont composés de catholiques et de protestans, cet pendant ils jouissent d'une paix parfaite, et par cette concorde qui constitue et maintient leur liberté, ils sont en état de défier et même de détruire tout tyran qui tenterait de la leur ravir.»

Le langage du congrès était bien changé à l'égard des Canadiens. Mais quoique son adresse contint probablement sa véritable pensée, elle ne put détruire entièrement l'effet de la résolution dont on a parlé plus haut. Ne sachant à quelle version ajouter foi, la plupart des meilleurs amis de la cause de la liberté en Canada restèrent indifférens ou refusèrent de prendre part à la lutte qui commençait. Beaucoup d'autres, regagnés par l'acte de 74, promirent de rester fidèles à l'Angleterre et tinrent parole. Ainsi une seule pensée de proscription, mise au jour avec légèreté, fut cause que la confédération américaine perdit le Canada, et qu'elle vit la dangereuse puissance de son ancienne métropole se consolider dans le nord pour peser sur elle de tout son poids, et la menacer sans cesse de ses guerrières légions.

Le général Carleton revint en Canada pour reprendre les rênes de son gouvernement dans le mois d'octobre 74. Il inaugura immédiatement la nouvelle constitution, en formant un conseil législatif d'après les dispositions qu'elle contenait. Il le composa de vingt-trois membres, dont deux tiers de protestans et un tiers de catholiques. Plusieurs Canadiens furent élevés aussi aux charges publiques, jusqu'alors remplies exclusivement par des Anglais ou des Suisses, excepté celles de grand-voyer et de secrétaire français, parce qu'il fallait des hommes versés dans la langue et les usages du pays pour les remplir, et que, d'ailleurs, elles étaient presque nominales et donnaient peu de chose. Mais le pays dut s'apercevoir que ce n'était que par politique que l'on faisait partager aux Canadiens quelques-unes des faveurs du gouvernement; que malgré le changement de constitution, ils continueraient d'être exclus des principaux emplois, et que pour le petit nombre de ceux qu'on leur laisserait, l'on aurait soin de choisir des instrument dociles, dont la conduite ferait assez voir à quelles conditions leur acquisition avait été faite. Cela parut surtout dans le choix des personnes qui devaient remplir des fonctions judiciaires. Mais à peine le gouverneur avait-il eu le temps de prendre connaissance de l'état du pays, dont il était absent depuis plusieurs années, et de compléter les arrangemens rendus nécessaires par l'acte de 74, que son attention fut appelée vers les frontières et sur la propagande que les Américains cherchaient à faire en Canada, où l'adresse du congrès avait pénétré par plusieurs voies à la fois.

Les grands noms de liberté et d'indépendance nationale ont toujours trouvé du retentissement dans les âmes nobles et généreuses; un coeur haut place ne les entend jamais prononcer sans une émotion profonde; c'est un sentiment vrai et naturel. Le citoyen policé de Rome, le pâtre grossier de Suisse sentent de la même manière à cet égard. L'adresse du congrès, malgré l'imprévoyance d'une partie de sa rédaction, fit la plus grande sensation parmi les Canadiens, surtout de la campagne, et parmi les Anglais qu'il y avait dans les villes, et qui, n'espérant plus dominer exclusivement sur le pays, songèrent pour la plupart à devenir révolutionnaires. Dès lors la situation du général Carleton devenait excessivement difficile. Heureusement pour lui, le clergé et la noblesse avaient été inviolablement attachés à l'Angleterre par la confirmation de la tenure seigneuriale et de la dîme, deux institutions qu'ils n'espéraient pas conserver dans le mouvement niveleur d'une révolution, et avec ces deux classes marchait la bourgeoisie des villes peu riche et peu nombreuse. En outre une autre partie des Canadiens avait été dégoûtée, comme on l'a observé, par la déclaration intempestive du congrès contre la religion catholique et les lois françaises; elle conservait encore dans son coeur cette haine contre les Anglais, quels qu'ils fussent, qu'elle avait contractée dans nos longues guerres; et confondant dans sa pensée ceux du Canada et ceux des pays voisins, elle ne voyait chez les uns et les autres qu'une même race d'oppresseurs turbulent et ambitieux. Informé de ces sentimens, le gouverneur, dut croire que la majorité de la population, mue ainsi par des motifs divers, et aussi par l'estime personnelle qu'elle lui portait, serait opposée aux colonies américaines; ou du moins désirerait conserver la neutralité dans une querelle de frères, à la pacification de laquelle elle pouvait penser que l'on finirait peut-être par sacrifier les Canadiens, ainsi que nous venons de le voir après les troubles de 1837.

On lui avait donné, du reste, les plus grandes espérances. Plusieurs seigneurs lui avaient promis de marcher contre les rebelles à la tête de leurs censitaires; mais lorsqu'ils voulurent les assembler pour leur expliquer l'état où se trouvaient les colonies anglaises et ce qu'on attendait d'eux, ils s'aperçurent que le peuple n'avait pas oublié sitôt la conduite qu'on avait tenue à son égard depuis la conquête, qu'il n'était pas prêt, malgré ses motifs de méfiance, à prendre les armes contre ceux qui combattaient pour la liberté de leur pays, et à défendre avec le même zèle et la même ardeur le drapeau britannique que le drapeau des nôtres comme ils désignaient le drapeau français dans leur simple, mais énergique langage. Quelques-uns seulement répondirent à l'appel et se montrèrent disposés à soutenir le nouveau gouvernement; mais le plus grand membre déclara nettement qu'il ne se croyait pas obligé d'être de l'opinion des seigneurs, et et qu'il ne porterait pas les armes contre les provinciaux. «Nous ne connaissons, dirent-ils, ni la cause, ni le résultat de leur différend: nous nous montrerons loyaux et fidèles sujets par une conduite paisible et par notre soumission au gouvernement sous lequel nous nous trouvons; mais il est incompatible dans notre état et notre condition de prendre parti dans la lutte actuelle.» Quelques jeunes seigneurs, plus indiscrets qu'éclairés, voulurent les menacer dans quelques endroits; on leur fit comprendre que cette conduite avait des dangers pour eux, et ils furent obligés de s'enfuir précipitamment.

Cependant les événemens prenaient tous les jours de la gravité; et loin de songer à aller attaquer les Américains dans leur pays comme il avait intention de le faire avec les troupes et les Canadiens, s'ils avaient montré de la bonne volonté, le gouverneur se vit tout-à-coup menacé d'une invasion par l'une des armées rebelles. Le sang avait déjà coulé dans un conflit à Lexington et à Concord dans le mois d'avril (1775), et les troupes avaient perdu près de 300 hommes. Les populations des provinces couraient partout aux armes, et s'emparaient des forts, des vivres et des arsenaux. Le colonel Ethen Allen, aidé du colonel Arnold, surprit ainsi le fort Carillon gardé par une cinquantaine d'hommes, où il trouva plus de 118 pièces de canon, et le colonel Warner s'empara du fort St. – Frédéric de la même manière; de sorte que les insurgés se trouvèrent dès le début des hostilités maîtres du lac Champlain sans avoir essuyé de pertes. Le fort St. – Jean tomba aussi entre leurs mains; mais il fut repris le surlendemain par M. Picoté de Bellestre à la tête de 80 volontaires canadiens. Le congrès s'était réuni à Philadelphie le 10 de juin; et sur les assurances que la mère-patrie, loin de vouloir revenir sur ses pas, était décidée à faire triompher par la force des armes la politique qu'elle avait adoptée à leur égard, il prit sur-le-champ, encouragé par leurs succès, les mesures les plus énergiques pour résister à ses prétentions. Le ministère anglais, pour avoir l'opinion du peuple de la métropole sur cette grande question, avait dissous le parlement. Les nouvelles chambres répondirent au discours d'ouverture du roi, qu'elles le soutiendraient dans ses efforts pour maintenir la suprématie de la législature impériale. Les remarques outrageantes furent faites sur la bravoure des Américains dans les débats qui eurent lieu à l'occasion d'une demande de soldats pour porter l'armée du général Gage, à Boston, à 10 mille hommes; armée suffisante, dit un ministre, pour faire rentrer dans le devoir de lâches colons. Franklin, après avoir fait de vains efforts pour ramener l'Angleterre à des sentimens plus pacifiques, rentra dans sa patrie, où il prêta encore le secours de ses lumières à ses concitoyens dans une lutte qu'il avait inutilement tâché de prévenir. Peu de temps après les généraux Howe, Burgoyne et Clinton arrivèrent d'Europe avec des renforts.

 

Le congrès ordonna de mettre toutes les provinces en état de défense, de bloquer l'armée anglaise qui était à Boston et de former une armée continentale, dont le commandement en chef fut donné au général Washington. Et afin de dissuader les Canadiens de coopérer avec les Anglais, il leur présenta une nouvelle adresse pour leur démontrer la tendance pernicieuse de l'acte de Québec, et pour excuser la prise de Carillon et de St. – Frédéric, devenue nécessaire pour le salut de la cause commune.

Pendant que le congrès siégeait encore se livra, le 16 juin, la bataille de Bunkers hill; le général Gage n'emporta les retranchemens des insurgés, moitié moins forts que lui en nombre, qu'au troisième assaut, et après avoir fait des pertes considérables. Cette affaire fut la plus sanglante et la mieux disputée de toute la guerre de la révolution; elle remplit les Américains de confiance en eux-mêmes, les vengea des insultes du parlement impérial, et apprit aux troupes anglaises à respecter leur courage. Le colonel Arnold qui avait assisté à la prise de Carillon, proposa au congrès d'envahir le Canada et promit avec 2,000 hommes, de s'emparer du pays. Le congrès, croyant qu'il allait être attaqué de ce côté par le général Carleton, jugea que le meilleur moyen d'éviter cette attaque, était d'envahir le Canada lui-même, dont l'entrée était ouverte à ses armes par la suprématie qu'il avait acquise sur le lac Champlain, et par cette audacieuse entreprise, de changer la guerre de défensive en offensive. Il était d'autant plus porté à embrasser ce parti qu'il était informé que les Canadiens, excepté la noblesse et le clergé, étaient aussi mécontens du nouvel ordre de chose que les colons anglais eux-mêmes, et que les soldats du congrès seraient reçus plutôt en amis qu'en ennemis. Le général Schuyler avait été nommé au commandement de la division du Nord. Le congrès lui ordonna de s'emparer, de St. – Jean, Montréal et d'autres parties du Canada, si la chose était possible et ne mécontentait pas les habitans. L'on prévoyait qu'à cette nouvelle le général Carleton sortirait de Québec avec ses troupes pour défendre les frontières du lac Champlain, et que cette capitale, qui était en même temps la clef du pays, deviendrait dès lors une conquête facile, puisqu'il n'était pas probable qu'on pût envoyer de renforts d'Angleterre avant l'hiver et l'interruption du fleuve par les glaces. Si ces prévisions se réalisaient, du moins en partie, l'on devait faire une tentative sur Québec, en détachant un corps qui pénétrerait par les rivières Kénébec et Chaudière pour surprendre cette ville. Si l'entreprise ne réussissait pas, l'on comptait toujours forcer le général Carleton à revenir sur ses pas pour protéger sa capitale, ce qui laisserait sans défense les frontières méridionales du pays, et les exposerait aux incursions des troupes américaines commandées par les généraux Schuyler et Montgomery, 54 qui débarquèrent sous le fort St. – Jean, dans le mois de septembre, à la tête d'environ 1000 hommes; mais qui, après avoir reconnu la force de la place qu'ils trouvèrent bien gardée, et reçu plusieurs petits échecs de la part d'un parti de sauvages commandés par les frères de Lorimier, se retirèrent à l'île aux Noix. En entrant dans le pays ils avaient adressé aux Canadiens une proclamation pour les informer qu'ils venaient de la part du congrès leur faire restituer les droits de sujets britanniques dont ils avaient été injustement dépouillés, et dont ils devaient jouir quelle que fut leur religion; et que leur armée uniquement destinée à agir contre les troupes royales, respecterait leurs personnes, leurs biens, leur liberté et leurs autels. Cette proclamation fut répandue partout dans les campagnes.

Note 54:(retour) Ce dernier était le même Montgomery qui servait dans l'armée du général Wolfe en 1759, et qui commandait le détachement anglais envoyé pour brûler St. – Joachim. Après la guerre, il s'était établi dans la Nouvelle-Yorke, où il avait épousé une Américaine. Dans les difficultés qui survinrent entre les colonies et l'Angleterre, il embrassa le parti des premières, et, comme ancien officier, il fut élevé aux plus hauts grades de l'armée révolutionnaire.

Le général Schuyler, forcé de se retirer pour cause de santé, le commandement des troupes tomba sur le général Montgomery seul, qui, recevant un renfort de 1000 hommes et des munitions, retourna devant St-Jean et y mit le siège le 17 de septembre. La garnison du fort, composée d'une partie de deux régimens de ligne et de 100 volontaires canadiens la plupart gentilshommes, était commandée par le major Preston, brave officier, qui fit une vigoureuse résistance.

Le gouverneur Carleton cependant, aux premières nouvelles de l'invasion, avait acheminé des troupes vers le lac Champlain. Il n'y avait dans le pays que les deux régimens dont l'on vient de parler, qui formaient environ 800 hommes. Les habitans du bas de la province, indifférais à tout ce qui se passait, restaient tranquilles; ceux du haut, plus rapprochés du théâtre des événemens, chancelaient et paraissaient pencher du côté de la révolution; mais pour les motifs que nous avons exposés plus haut, ils désiraient garder également la neutralité. Quant au parti anglais que l'on mettait dans la balance avec les Canadiens lorsqu'il s'agissait des faveurs de la métropole, il ne comptait point dans la lutte actuelle, à cause de l'insignifiance de son nombre; d'ailleurs, la plupart tenaient ouvertement ou secrètement pour le congrès, 55 et l'on n'ignorait pas leurs conciliabules à Québec et à Montréal. Tel était l'état des esprits lorsque le gouverneur proclama, le 9 juin, la loi martiale et appela la milice sous les armes pour repousser l'invasion étrangère et maintenir la paix intérieure. Cette mesure inattendue et sans exemple encore en Canada, eut le plus mauvais effet; et M. de la Corne ayant menacé quelques paroisses de coercition, elles se mirent en défense au passage de Lachenaye. En préjugeant les opinions, en proférant des menaces, on alarma les indifférons, et l'on forçait ceux qui pouvaient s'être compromis, à se déclarer. Ou invoqua aussi le secours du sacerdoce. L'évêque de Québec, qui venait de recevoir une pension de £200 du gouvernement, adressa une circulaire aux catholiques de son diocèse pour les exhorter à soutenir la cause de l'Angleterre, menaçant d'excommunication ceux qui ne le feraient pas. Ni la proclamation, ni la circulaire ne purent faire sortir les habitans de leur indifférence. La vérité est que le gouvernement qui avait leur sympathie, n'était plus en Amérique: la seule vue d'un drapeau fleurdelisé eut profondément agité tous ces coeur, en apparence si apathiques.