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Le Fantôme de l'opéra

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XIX. Le commissaire de police, le vicomte et le Persan…

Le commissaire de police, le vicomte et le Persan

La première parole de M. le commissaire de police, en pénétrant dans le bureau directorial, fut pour demander des nouvelles de la chanteuse.

«Christine Daaé n’est pas ici?»

Il était suivi, comme je l’ai dit, d’une foule compacte.

«Christine Daaé? Non, répondit Richard, pourquoi?»

Quant à Moncharmin, il n’a plus la force de prononcer un mot… Son état d’esprit est beaucoup plus grave que celui de Richard, car Richard peut encore soupçonner Moncharmin, mais Moncharmin, lui, se trouve en face du grand mystère… celui qui fait frissonner l’humanité depuis sa naissance: l’Inconnu.

Richard reprit, car la foule autour des directeurs et du commissaire observait un impressionnant silence:

«Pourquoi me demandez-vous, monsieur le commissaire, si Christine Daaé n’est pas ici?

– Parce qu’il faut qu’on la retrouve, messieurs les directeurs de l’Académie nationale de musique, déclare solennellement M. le commissaire de police.

– Comment! Il faut qu’on la retrouve! Elle a donc disparu?

– En pleine représentation!

– En pleine représentation! C’est extraordinaire!

– N’est-ce pas? Et, ce qui est tout aussi extraordinaire que cette disparition, c’est que ce soit moi qui vous l’apprenne!

– En effet…», acquiesce Richard, qui se prend la tête dans les mains et murmure: «Quelle est cette nouvelle histoire? Oh! décidément, il y a de quoi donner sa démission!…»

Et il s’arrache quelques poils de sa moustache sans même s’en apercevoir:

«Alors, fait-il comme en un rêve… elle a disparu en pleine représentation.

– Oui, elle a été enlevée à l’acte de la prison, dans le moment où elle invoquait l’aide du Ciel, mais je doute qu’elle ait été enlevée par les anges.

– Et moi j’en suis sûr!»

Tout le monde se retourne. Un jeune homme, pâle et tremblant d’émotion, répète:

«J’en suis sûr!

– Vous êtes sûr de quoi? interroge Mifroid.

– Que Christine Daaé a été enlevée par un ange, monsieur le commissaire, et je pourrais vous dire son nom…

– Ah! ah! monsieur le vicomte de Chagny, vous prétendez que Mlle Christine Daaé a été enlevée par un ange, par un ange de l’Opéra, sans doute?»

Raoul regarde autour de lui. Évidemment, il cherche quelqu’un. À cette minute où il lui semble si nécessaire d’appeler à l’aide de sa fiancée le secours de la police, il ne serait pas fâché de revoir ce mystérieux inconnu qui, tout à l’heure, lui recommandait la discrétion. Mais il ne le découvre nulle part. Allons! il faut qu’il parle!… Il ne saurait toutefois s’expliquer devant cette foule qui le dévisage avec une curiosité indiscrète.

«Oui, monsieur, par un ange de l’Opéra, répondit-il à M. Mifroid, et je vous dirai où il habite quand nous serons seuls…

– Vous avez raison, monsieur.»

Et le commissaire de police, faisant asseoir Raoul près de lui, met tout le monde à la porte, excepté naturellement les directeurs, qui, cependant, n’eussent point protesté, tant ils paraissaient au-dessus de toutes les contingences.

Alors Raoul se décide:

«Monsieur le commissaire, cet ange s’appelle Érik, il habite l’Opéra et c’est l’Ange de la musique!

– L’Ange de la musique! En vérité!! Voilà qui est fort curieux!… L’Ange de la musique!»

Et, tourné vers les directeurs, M. le commissaire de police Mifroid demande:

«Messieurs, avez-vous cet ange-là chez vous?»

MM. Richard et Moncharmin secouèrent la tête sans même sourire.

«Oh! fit le vicomte, ces messieurs ont bien entendu parler du Fantôme de l’Opéra. Eh bien, je puis leur affirmer que le Fantôme de l’Opéra et l’Ange de la musique, c’est la même chose. Et son vrai nom est Érik.»

M. Mifroid s’était levé et regardait Raoul avec attention. «Pardon, monsieur, est-ce que vous avez l’intention de vous moquer de la justice?

– Moi!» protesta Raoul, qui pensa douloureusement: «Encore un qui ne va pas vouloir m’entendre.»

«Alors, qu’est-ce que vous me chantez avec votre Fantôme de l’Opéra?

– Je dis que ces messieurs en ont entendu parler.

– Messieurs, il paraît que vous connaissez le Fantôme de l’Opéra?»

Richard se leva, les derniers poils de sa moustache dans la main.

«Non! monsieur le commissaire, non, nous ne le connaissons pas! mais nous voudrions bien le connaître! car, pas plus tard que ce soir, il nous a volé vingt mille francs!…»

Et Richard tourna vers Moncharmin un regard terrible qui semblait dire: «Rends-moi les vingt mille francs ou je dis tout.» Moncharmin le comprit si bien qu’il fit un geste éperdu: «Ah! dis tout! dis tout!…»

Quant à Mifroid, il regardait tour à tour les directeurs et Raoul et se demandait s’il ne s’était point égaré dans un asile d’aliénés. Il se passa la main dans les cheveux:

«Un fantôme, dit-il, qui, le même soir, enlève une chanteuse et vole vingt mille francs, est un fantôme bien occupé! Si vous le voulez bien, nous allons sérier les questions. La chanteuse d’abord, les vingt mille francs ensuite! Voyons, monsieur de Chagny, tâchons de parler sérieusement. Vous croyez que Mlle Christine Daaé a été enlevée par un individu nommé Érik. Vous le connaissez donc, cet individu? Vous l’avez vu?

– Oui, monsieur le commissaire.

– Où cela?

– Dans un cimetière.»

M. Mifroid sursauta, se reprit à contempler Raoul et dit:

«Évidemment!… c’est ordinairement là que l’on rencontre les fantômes. Et que faisiez-vous dans ce cimetière?

– Monsieur, dit Raoul, je me rends très bien compte de la bizarrerie de mes réponses et de l’effet qu’elles produisent sur vous. Mais je vous supplie de croire que j’ai toute ma raison. Il y va du salut de la personne qui m’est la plus chère au monde avec mon frère bien-aimé Philippe. Je voudrais vous convaincre en quelques mots, car l’heure presse et les minutes sont précieuses. Malheureusement, si je ne vous raconte point la plus étrange histoire qui soit, par le commencement, vous ne me croirez point. Je vais vous dire, monsieur le commissaire, tout ce que je sais sur le Fantôme de l’Opéra. Hélas! monsieur le commissaire, je ne sais pas grand-chose…

– Dites toujours! Dites toujours!» s’exclamèrent Richard et Moncharmin subitement très intéressés; malheureusement pour l’espoir qu’ils avaient conçu un instant d’apprendre quelque détail susceptible de les mettre sur la trace de leur mystificateur, ils durent bientôt se rendre à cette triste évidence que M. Raoul de Chagny avait complètement perdu la tête. Toute cette histoire de Perros-Guirec, de têtes de mort, de violon enchanté, ne pouvait avoir pris naissance que dans la cervelle détraquée d’un amoureux.

Il était visible, du reste, que M. le commissaire Mifroid partageait de plus en plus cette manière de voir, et certainement le magistrat eût mis fin à ces propos désordonnés, dont nous avons donné un aperçu dans la première partie de ce récit, si les circonstances, elles-mêmes, ne s’étaient chargées de les interrompre.

La porte venait de s’ouvrir et un individu singulièrement vêtu d’une vaste redingote noire et coiffé d’un chapeau haut de forme à la fois râpé et luisant, qui lui entrait jusqu’aux deux oreilles, fit son entrée. Il courut au commissaire et lui parla à voix basse. C’était quelque agent de la Sûreté sans doute qui venait rendre compte d’une mission pressée.

Pendant ce colloque, M. Mifroid ne quittait point Raoul des yeux.

Et enfin, s’adressant à lui, il dit:

«Monsieur, c’est assez parlé du fantôme. Nous allons parler un peu de vous, si vous n’y voyez aucun inconvénient; vous deviez enlever ce soir Mlle Christine Daaé?

– Oui, monsieur le commissaire.

– À la sortie du théâtre?

– Oui, monsieur le commissaire.

– Toutes vos dispositions étaient prises pour cela?

– Oui, monsieur le commissaire.

– La voiture qui vous a amené devait vous emporter tous les deux. Le cocher était prévenu… son itinéraire était tracé à l’avance… Mieux! Il devait trouver à chaque étape des chevaux tout frais…

– C’est vrai, monsieur le commissaire.

– Et cependant, votre voiture est toujours là, attendant vos ordres, du côté de la Rotonde, n’est-ce pas?

– Oui, monsieur le commissaire.

– Saviez-vous qu’il y avait, à côté de la vôtre, trois autres voitures?

– Je n’y ai point prêté la moindre attention…

– C’étaient celles de Mlle Sorelli, laquelle n’avait point trouvé de place dans la cour de l’administration; de la Carlotta et de votre frère, M. le comte de Chagny…

– C’est possible…

– Ce qui est certain, en revanche… c’est que, si votre propre équipage, celui de la Sorelli et celui de la Carlotta sont toujours à leur place, au long du trottoir de la Rotonde… celui de M. le comte de Chagny ne s’y trouve plus…

– Ceci n’a rien à voir, monsieur le commissaire…

– Pardon! M. le comte n’était-il pas opposé à votre mariage avec Mlle Daaé?

– Ceci ne saurait regarder que la famille.

– Vous m’avez répondu… il y était opposé… et c’est pourquoi vous enleviez Christine Daaé, loin des entreprises possibles de monsieur votre frère… Eh bien, monsieur de Chagny, permettez-moi de vous apprendre que votre frère a été plus prompt que vous!… C’est lui qui a enlevé Christine Daaé!

– Oh! gémit Raoul, en portant la main à son cœur, ce n’est pas possible… Vous êtes sûr de cela?

– Aussitôt après la disparition de l’artiste qui a été organisée avec des complicités qui nous resteront à établir, il s’est jeté dans sa voiture qui a fourni une course furibonde à travers Paris.

– À travers Paris? râla le pauvre Raoul… Qu’entendez vous par à travers Paris?

– Et hors de Paris…

– Hors de Paris… quelle route?

– La route de Bruxelles.»

 

Un cri rauque s’échappe de la bouche du malheureux jeune homme.

«Oh! s’écrie-t-il, je jure bien que je les rattraperai.» Et, en deux bonds, il fut hors du bureau.

«Et ramenez-nous-la, crie joyeusement le commissaire… Hein? Voilà un tuyau qui vaut bien celui de l’Ange de la musique!»

Sur quoi M. Mifroid se retourne sur son auditoire stupéfait et lui administre ce petit cours de police honnête mais nullement puéril:

«Je ne sais point du tout si c’est réellement M. le comte de Chagny qui a enlevé Christine Daaé… mais j’ai besoin de le savoir et je ne crois point qu’à cette heure nul mieux que le vicomte son frère ne désire me renseigner… En ce moment, il court, il vole! Il est mon principal auxiliaire! Tel est, messieurs, l’art que l’on croit si compliqué, de la police, et qui apparaît cependant si simple dès que l’on a découvert qu’il doit consister à faire faire cette police surtout par des gens qui n’en sont pas!»

Mais monsieur le commissaire de police Mifroid n’eût peut-être pas été si content de lui-même, s’il avait su que la course de son rapide messager avait été arrêtée dès l’entrée de celui-ci dans le premier corridor, vide cependant de la foule des curieux que l’on avait dispersée. Le corridor paraissait désert.

Cependant Raoul s’était vu barrer le chemin par une grande ombre.

«Où allez-vous si vite, monsieur de Chagny?» avait demandé l’ombre.

Raoul, impatienté, avait levé la tête et reconnu le bonnet d’astrakan de tout à l’heure. Il s’arrêta.

«C’est encore vous! s’écria-t-il d’une voix fébrile, vous qui connaissez les secrets d’Érik et qui ne voulez pas que j’en parle. Et qui donc êtes-vous?

– Vous le savez bien!… Je suis le Persan!» fit l’ombre.

XX. Le vicomte et le Persan…

Le vicomte et le Persan

Raoul se rappela alors que son frère, un soir de spectacle, lui avait montré ce vague personnage dont on ignorait tout, une fois qu’on avait dit de lui qu’il était un Persan, et qu’il habitait un vieux petit appartement dans la rue de Rivoli.

L’homme au teint d’ébène, aux yeux de jade, au bonnet d’astrakan, se pencha sur Raoul.

«J’espère, monsieur de Chagny, que vous n’avez point trahi le secret d’Érik?

– Et pourquoi donc aurais-je hésité à trahir ce monstre, monsieur? repartit Raoul avec hauteur, en essayant de se délivrer de l’importun. Est-il donc votre ami?

– J’espère que vous n’avez rien dit d’Érik, monsieur, parce que le secret d’Érik est celui de Christine Daaé! Et que parler de l’un, c’est parler de l’autre!

– Oh! monsieur! fit Raoul de plus en plus impatient, vous paraissez au courant de bien des choses qui m’intéressent, et cependant je n’ai pas le temps de vous entendre!

– Encore une fois, monsieur de Chagny, où allez-vous si vite?

– Ne le devinez-vous pas? Au secours de Christine Daaé…

– Alors, monsieur, restez ici!… car Christine Daaé est ici!…

– Avec Érik?

– Avec Érik!

– Comment le savez-vous?

– J’étais à la représentation, et il n’y a qu’un Érik au monde pour machiner un pareil enlèvement!… Oh! fit-il avec un profond soupir, j’ai reconnu la main du monstre!…

– Vous le connaissez donc?»

Le Persan ne répondit pas, mais Raoul entendit un nouveau soupir.

«Monsieur! dit Raoul, j’ignore quelles sont vos intentions… mais pouvez-vous quelque chose pour moi?… je veux dire pour Christine Daaé?

– Je le crois, monsieur de Chagny, et voilà pourquoi je vous ai abordé.

– Que pouvez-vous?

– Essayer de vous conduire auprès d’elle… et auprès de lui!

– Monsieur! c’est une entreprise que j’ai déjà vainement tentée ce soir… mais si vous me rendez un service pareil, ma vie vous appartient!… Monsieur, encore un mot: le commissaire de police vient de m’apprendre que Christine Daaé avait été enlevée par mon frère, le comte Philippe…

– Oh! monsieur de Chagny, moi je n’en crois rien…

– Cela n’est pas possible, n’est-ce pas?

– Je ne sais pas si cela est possible, mais il y a façon d’enlever et M. le comte Philippe, que je sache, n’a jamais travaillé dans la féerie.

– Vos arguments sont frappants, monsieur, et je ne suis qu’un fou!… Oh! monsieur! courons! courons! Je m’en remets entièrement à vous!… Comment ne vous croirais-je pas quand nul autre que vous ne me croit? Quand vous êtes le seul à ne pas sourire quand on prononce le nom d’Érik!»

Disant cela, le jeune homme, dont les mains brûlaient de fièvre, avait, dans un geste spontané, pris les mains du Persan. Elles étaient glacées.

«Silence! fit le Persan en s’arrêtant et en écoutant les bruits lointains du théâtre et les moindres craquements qui se produisaient dans les murs et dans les couloirs voisins. Ne prononçons plus ce mot-là ici. Disons: Il; nous aurons moins de chances d’attirer son attention…

– Vous le croyez donc bien près de nous?

– Tout est possible, monsieur… s’il n’est pas, en ce moment, avec sa victime, dans la demeure du Lac.

– Ah! vous aussi, vous connaissez cette demeure? S’il n’est pas dans cette demeure, il peut être dans ce mur, dans ce plancher, dans ce plafond! Que sais-je?… L’œil dans cette serrure!… L’oreille dans cette poutre!…»

Et le Persan, en le priant d’assourdir le bruit de ses pas, entraîna Raoul dans des couloirs que le jeune homme n’avait jamais vus, même au temps où Christine le promenait dans ce labyrinthe.

«Pourvu, fit le Persan, pourvu que Darius soit arrivé!

– Qui est-ce, Darius? interrogea encore le jeune homme en courant.

– Darius! c’est mon domestique…»

Ils étaient en ce moment au centre d’une véritable place déserte, pièce immense qu’éclairait mal un lumignon. Le Persan arrêta Raoul et, tout bas, si bas que Raoul avait peine à l’entendre, il lui demanda:

«Qu’est-ce que vous avez dit au commissaire?

– Je lui ai dit que le voleur de Christine Daaé était l’Ange de la musique, dit le Fantôme de l’Opéra, et que son véritable nom était…

– Pshutt!… Et le commissaire vous a cru?

– Non.

– Il n’a point attaché à ce que vous disiez quelque importance?

– Aucune!

– Il vous a pris un peu pour un fou?

– Oui.

– Tant mieux!» soupira le Persan. Et la course recommença.

Après avoir monté et descendu plusieurs escaliers inconnus de Raoul, les deux hommes se trouvèrent en face d’une porte que le Persan ouvrit avec un petit passe-partout qu’il tira d’une poche de son gilet. Le Persan, comme Raoul, était naturellement en habit. Seulement, si Raoul avait un chapeau haute forme, le Persan avait un bonnet d’astrakan, ainsi que je l’ai déjà fait remarquer. C’était un accroc au code d’élégance qui régissait les coulisses où le chapeau haute forme est exigé, mais il est entendu qu’en France on permet tout aux étrangers: la casquette de voyage aux Anglais, le bonnet d’astrakan aux Persans.

«Monsieur, dit le Persan, votre chapeau haute forme va vous gêner pour l’expédition que nous projetons… Vous feriez bien de le laisser dans la loge…

– Quelle loge? demanda Raoul.

– Mais celle de Christine Daaé!»

Et le Persan, ayant fait passer Raoul par la porte qu’il venait d’ouvrir, lui montra, en face, la loge de l’actrice.

Raoul ignorait qu’on pût venir chez Christine par un autre chemin que celui qu’il suivait ordinairement. Il se trouvait alors à l’extrémité du couloir qu’il avait l’habitude de parcourir en entier avant de frapper à la porte de la loge.

«Oh! monsieur, vous connaissez bien l’Opéra!

– Moins bien que lui!» fit modestement le Persan. Et il poussa le jeune homme dans la loge de Christine.

Elle était telle que Raoul l’avait laissée quelques instants auparavant.

Le Persan, après avoir refermé la porte, se dirigea vers le panneau très mince qui séparait la loge d’un vaste cabinet de débarras qui y faisait suite. Il écouta, puis, fortement, toussa.

Aussitôt on entendit remuer dans le cabinet de débarras et, quelques secondes plus tard, on frappait à la porte de la loge.

«Entre!» dit le Persan.

Un homme entra, coiffé lui aussi d’un bonnet d’astrakan et vêtu d’une longue houppelande.

Il salua et tira de sous son manteau une boîte richement ciselée. Il la déposa sur la table de toilette, resalua et se dirigea vers la porte.

«Personne ne t’a vu entrer, Darius?

– Non, maître.

– Que personne ne te voie sortir.»

Le domestique risqua un coup d’œil dans le corridor, et, prestement, disparut.

«Monsieur, dit Raoul, je pense à une chose, c’est qu’on peut très bien nous surprendre ici, et cela évidemment nous gênerait. Le commissaire ne saurait tarder à venir perquisitionner dans cette loge.

– Bah! ce n’est pas le commissaire qu’il faut craindre.»

Le Persan avait ouvert la boîte. Il s’y trouvait une paire de longs pistolets, d’un dessin et d’un ornement magnifiques.

«Aussitôt après l’enlèvement de Christine Daaé, j’ai fait prévenir mon domestique d’avoir à m’apporter ces armes, monsieur. Je les connais depuis longtemps, il n’en est point de plus sûres.

– Vous voulez vous battre en duel?» interrogea le jeune homme, surpris de l’arrivée de cet arsenal.

«C’est bien, en effet, à un duel que nous allons, monsieur, répondit l’autre en examinant l’amorce de ses pistolets. Et quel duel!»

Sur quoi il tendit un pistolet à Raoul et lui dit encore:

«Dans ce duel, nous serons deux contre un: mais soyez prêt à tout, monsieur, car je ne vous cache pas que nous allons avoir affaire au plus terrible adversaire qu’il soit possible d’imaginer. Mais vous aimez Christine Daaé, n’est-ce pas?

– Si je l’aime, monsieur! Mais vous, qui ne l’aimez pas, m’expliquerez-vous pourquoi je vous trouve prêt à risquer votre vie pour elle!… Vous haïssez certainement Érik!

– Non, monsieur, dit tristement le Persan, je ne le hais pas. Si je le haïssais, il y a longtemps qu’il ne ferait plus de mal.

– Il vous a fait du mal à vous?…

– Le mal qu’il m’a fait à moi, je le lui ai pardonné.

– C’est tout à fait extraordinaire, reprit le jeune homme, de vous entendre parler de cet homme! Vous le traitez de monstre, vous parlez de ses crimes, il vous a fait du mal et je retrouve chez vous cette pitié inouïe qui me désespérait chez Christine elle-même!…»

Le Persan ne répondit pas. Il était allé prendre un tabouret et l’avait apporté contre le mur opposé à la grande glace qui tenait tout le pan d’en face. Puis il était monté sur le tabouret et, le nez sur le papier dont le mur était tapissé, il semblait chercher quelque chose.

«Eh bien, monsieur! fit Raoul, qui bouillait d’impatience. Je vous attends. Allons!

– Allons où? demanda l’autre sans détourner la tête.

– Mais au-devant du monstre! Descendons! Ne m’avez vous point dit que vous en aviez le moyen?

– Je le cherche.»

Et le nez du Persan se promena encore tout le long de la muraille.

«Ah! fit tout à coup l’homme au bonnet, c’est là!» Et son doigt, au-dessus de sa tête, appuya sur un coin du dessin du papier.

Puis il se retourna et se jeta à bas du tabouret.

«Dans une demi-minute, dit-il, nous serons sur son chemin!»

Et, traversant toute la loge, il alla tâter la grande glace. «Non! Elle ne cède pas encore… murmura-t-il.

– Oh! nous allons sortir par la glace, fit Raoul!… Comme Christine!…

– Vous saviez donc que Christine Daaé était sortie par cette glace?

– Devant moi, monsieur!… J’étais caché là sous le rideau du cabinet de toilette et je l’ai vue disparaître, non point par la glace, mais dans la glace!

– Et qu’est-ce que vous avez fait?

– J’ai cru, monsieur, à une aberration de mes sens! à la folie! à un rêve!

– À quelque nouvelle fantaisie du fantôme, ricana le Persan… Ah! monsieur de Chagny, continua-t-il en tenant toujours sa main sur la glace… plût au Ciel que nous eussions affaire à un fantôme! Nous pourrions laisser dans leur boîte notre paire de pistolets!… Déposez votre chapeau, je vous prie… là… et maintenant refermez votre habit le plus que vous pourrez sur votre plastron… comme moi… rabaissez les revers… relevez le col… nous devons nous faire aussi invisibles que possible…»

Il ajouta encore, après un court silence, et en pesant sur la glace:

«Le déclenchement du contrepoids, quand on agit sur le ressort à l’intérieur de la loge, est un peu lent à produire son effet. Il n’en est point de même quand on est derrière le mur et qu’on peut agir directement sur le contrepoids. Alors, la glace tourne, instantanément, et est emportée avec une rapidité folle…

– Quel contrepoids? demanda Raoul.

– Eh bien, mais, celui qui fait se soulever tout ce pan de mur sur son pivot! Vous pensez bien qu’il ne se déplace pas tout seul, par enchantement!»

 

Et le Persan, attirant d’une main Raoul, tout contre lui, appuyait toujours de l’autre (de celle qui tenait le pistolet) contre la glace.

«Vous allez voir, tout à l’heure, si vous y faites bien attention, la glace se soulever de quelques millimètres et puis se déplacer de quelques autres millimètres de gauche à droite. Elle sera alors sur un pivot, et elle tournera. On ne saura jamais ce qu’on peut faire avec un contrepoids! Un enfant peut, de son petit doigt, faire tourner une maison… quand un pan de mur, si lourd soit-il, est amené par le contrepoids sur son pivot, bien en équilibre, il ne pèse pas plus qu’une toupie sur sa pointe.

– Ça ne tourne pas! fit Raoul, impatient.

– Eh! attendez donc! Vous avez le temps de vous impatienter, monsieur! La mécanique, évidemment, est rouillée ou le ressort ne marche plus.»

Le front du Persan devint soucieux.

«Et puis, dit-il, il peut y avoir autre chose.

– Quoi donc, monsieur!

– Il a peut-être tout simplement coupé la corde du contrepoids et immobilisé tout le système…

– Pourquoi? Il ignore que nous allons descendre par là?

– Il s’en doute peut-être, car il n’ignore pas que je connais le système.

– C’est lui qui vous l’a montré?

– Non! j’ai cherché derrière lui, et derrière ses disparitions mystérieuses, et j’ai trouvé. Oh! c’est le système le plus simple des portes secrètes! c’est une mécanique vieille comme les palais sacrés de Thèbes aux cent portes, comme la salle du trône d’Ecbatane, comme la salle du trépied à Delphes.

– Ça ne tourne pas!… Et Christine, monsieur!… Christine!…»

Le Persan dit froidement:

«Nous ferons tout ce qu’il est humainement possible de faire!… mais il peut, lui, nous arrêter dès les premiers pas!

– Il est donc le maître de ces murs?

– Il commande aux murs, aux portes, aux trappes. Chez nous, on l’appelait d’un nom qui signifie: l’amateur de trappes.

– C’est bien ainsi que Christine m’en avait parlé… avec le même mystère et en lui accordant la même redoutable puissance?… Mais tout ceci me paraît bien extraordinaire!… Pourquoi ces murs lui obéissent-ils, à lui seul? Il ne les a pas construits?

– Si, monsieur!»

Et comme Raoul le regardait, interloqué, le Persan lui fit signe de se taire, puis son geste lui montra la glace… Ce fut comme un tremblant reflet. Leur double image se troubla comme dans une onde frissonnante, et puis tout redevint immobile.

«Vous voyez bien, monsieur, que ça ne tourne pas! Prenons un autre chemin!

– Ce soir, il n’y en a pas d’autres! déclara le Persan, d’une voix singulièrement lugubre… Et maintenant, attention! et tenez-vous prêt à tirer!»

Il dressa lui-même son pistolet en face de la glace. Raoul imita son geste. Le Persan attira de son bras resté libre le jeune homme jusque sur sa poitrine, et soudain la glace tourna dans un éblouissement, un croisement de feux aveuglant; elle tourna, telle l’une de ces portes roulantes à compartiments qui s’ouvrent maintenant sur les salles publiques… elle tourna, emportant Raoul et le Persan dans son mouvement irrésistible et les jetant brusquement de la pleine lumière à la plus profonde obscurité.