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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 11

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LETTRE CCXXXV

À M. ROGERS

25 mars 1816.

«Vous êtes du petit nombre de ceux avec lesquels j'ai vécu dans l'intimité, et vous m'avez entendu converser quelquefois sur le pénible sujet de mes derniers chagrins domestiques. Je vous prie de me dire franchement si vous m'avez jamais entendu parler d'elle d'une manière irrespectueuse ou défavorable, ou si je me suis jamais défendu à ses dépens, en reportant sur elle aucune imputation sérieuse? Ne m'avez-vous pas ouï dire que, lorsqu'il y avait entre nous tort ou raison, la raison était toujours de son côté? Je ne vous fais ces questions à vous et à mes autres amis, que parce que je suis accusé, dit-on, par elle et les siens, d'avoir eu recours à ces moyens-là pour me disculper.

»Toujours tout à vous,»B.

Dans les Mémoires, ou, pour mieux dire, le Memoranda du noble poète qu'on crut devoir sacrifier pour divers motifs, il faisait le récit détaillé de toutes les circonstances qui se rattachaient à son mariage, depuis ses premières propositions à miss Milbanke, jusqu'à son départ d'Angleterre, après leur rupture. Quoique effectivement, le titre de Mémoires qu'il donnait quelquefois lui-même à ce manuscrit, nous transmette l'idée d'une biographie complète et régulière, c'était à cette époque particulière de sa vie que cet ouvrage était surtout consacré, tandis que les anecdotes qui se rapportaient aux autres parties de sa carrière y tenaient non-seulement très-peu de place, mais étaient la plupart de celles qu'on trouve répétées dans les divers fragmens de journal, et les autres manuscrits qu'il laissa après sa mort. Le principal charme, en effet, de cette narration, est le ton d'enjouement mélancolique (je dis mélancolique, car on voit que toutes ces plaisanteries partaient d'un cœur blessé) avec lequel des événemens sans importance, et des personnages sans intérêt autre que leur rapport avec la destinée d'un tel homme, y sont représentés et décrits. Aussi franc que de coutume dans l'aveu de ses torts, et plein de générosité dans la justice qu'il rendait à celle qui avait partagé avec lui la douleur de cette désunion, l'impression que laissa son récit dans l'esprit de tous ceux qui l'entendirent, lui fut toute favorable, quoique le résultat qu'on en pût tirer, d'accord avec l'opinion que j'ai déjà exprimée, fût que les causes de cette séparation ne différaient pas beaucoup, par leur nature et leur importance, de celles qui portent la discorde dans la plupart des mariages de ce genre.

Quant aux détails eux-mêmes, quoique pleins d'importance pour lui à cette époque, comme se rattachant au sujet qui, plus que tout autre, occupait ses pensées, l'intérêt qu'ils pourraient offrir aux autres, maintenant que le premier attrait de la curiosité est passé, et que la plupart des individus auxquels ils se rapportent sont oubliés, serait trop faible pour me justifier de m'y arrêter, et de courir le risque d'offenser quelqu'un en les dévoilant. Dans tout ce qui concerne le caractère du poète illustre qui fait le sujet de cet ouvrage, je suis convaincu que le tems et la justice feront bien plus en sa faveur que tout ce commérage de détails. Pendant la vie d'un homme de génie, le monde n'est que trop porté à le juger d'après ce qui lui manque, plutôt que d'après ce qu'il possède, et même avec la conviction, comme dans le cas actuel, que ses défauts sont en partie les causes de sa grandeur, il s'obstine déraisonnablement à vouloir trouver en lui l'une exempte des autres. Si Pope n'avait pas été irritable et atrabilaire, nous n'aurions pas eu ses satires, et il fallait un tempérament impétueux et des passions indomptées, pour former un poète tel que Lord Byron.

C'est la postérité seule qui peut rendre pleine justice à ceux qui ont payé si cher la gloire d'y arriver. L'alliage qui se mêlait jadis à leur or disparaît, et les faiblesses et même les infortunes du génie sont effacées par sa grandeur. Qui s'inquiète maintenant de savoir si Dante avait tort ou raison dans ses démêlés domestiques? Et combien en est-il, parmi ceux dont l'imagination s'arrête avec complaisance sur sa Beatrix, qui se rappellent seulement le nom de sa Gemma Donati?

Tel court qu'ait été l'intervalle depuis la mort de Lord Byron, l'influence charitable du tems qui adoucit et souvent annule les jugemens rigoureux du monde contre le génie, se fait déjà sentir. On commence à comprendre et à reconnaître enfin, maintenant que son esprit a passé de ce monde, la totale déraison de vouloir juger un tel caractère d'après les règles ordinaires, et de s'attendre à trouver les élémens de l'ordre et du bonheur dans une ame des profondeurs de laquelle s'échappaient continuellement «des flots de lave.» En revenant sur les circonstances de son mariage, la balance est tenue d'une main plus juste, et tout en accordant un légitime tribut d'intérêt et de compassion à celle qui, pour la fatalité de son repos, fut enveloppée dans la même destinée, qui, avec les vertus et les talens qui auraient fait le bonheur d'un homme ordinaire, entreprit dans un funeste moment de maîtriser «le fougueux Pégase,» et échoua dans une tâche où il n'est pas sûr que la plus capable de l'accomplir eût réussi, – on juge enfin, avec plus d'indulgence, ce grand génie martyr de lui-même, chez qui tant d'autres causes, outre la flamme inquiète qui brûlait dans son sein, se réunissaient pour jeter le désordre dans son esprit, et comme il le dit lui-même si expressivement, «le rendre impropre au bonheur,» son sort fut d'être tel qu'il a été ou moins grand. – En domptant cette ame impétueuse, on eût peut-être éteint le feu sacré qui la dévorait, car il n'exista jamais un individu auquel, comme auteur ou comme homme, le vers suivant paraisse plus applicable:

Si non errasset, fecerat ille minus 20

Note 20: (retour) S'il n'avait pas erré, il eût fait bien moins de grandes choses.

Pendant le cours de ces événemens, dont sa mémoire et son cœur conservèrent des traces si douloureuses pendant le reste de sa courte vie, il se présenta quelques circonstances relatives à sa vie littéraire, sur lesquelles nous appellerons maintenant l'attention du lecteur, éprouvant une espèce de soulagement à la détourner du pénible sujet sur lequel nous nous sommes arrêtés si long-tems.

La lettre qui suit est une réponse à une autre qu'il avait reçue de M. Murray, et dans laquelle ce dernier lui envoyait un bon de 1,000 guinées pour les manuscrits de ses deux poèmes, le Siége de Corinthe et Parisina.

LETTRE CCXXXVI

A M. MURRAY

2 janvier 1816.

«Votre offre est libérale à l'excès (vous voyez que je me sers de ce mot en parlant de vous, et à vous, quoique je n'aie pas voulu consentir à ce que vous vous l'appliquassiez avec M. ***). C'est beaucoup plus que les deux poèmes ne peuvent réellement valoir; mais je ne puis et ne veux l'accepter. Je vous laisse parfaitement libre de les joindre à la collection, sans aucune demande ou attente quelconque de ma part; mais je ne puis consentir à ce qu'ils soient publiés séparément. Je ne veux pas risquer le peu de réputation (méritée ou non) que j'ai pu acquérir sur des compositions qui, dans mon opinion, sont très-inférieures à ce qu'elles devraient être (et, comme je m'en flatte même, à quelques-unes des autres), quoiqu'elles puissent fort bien passer comme des choses sans prétentions, et pour grossir la publication avec d'autres pièces fugitives.

»Je suis bien aise que l'écriture vous ait fait présager favorablement de la morale de l'ouvrage, – mais il ne faut pas vous fier à cela, car mon copiste écrit tout ce que je lui dicte, avec toute l'ignorance de l'innocence. J'espère cependant dans ce cas qu'il n'y a pas grand danger ni pour l'une ni pour l'autre.

»P. S. Je vous ai renvoyé votre bon déchiré, de crainte qu'il n'arrivât quelqu'accident en route. Je vous prie de ne pas faire naître les tentations sur la mienne. Ce n'est pas par mépris de cette idole universelle, ni qu'il y ait chez moi maintenant de superflu en fait de trésors; mais ce qui est juste est juste, et ne doit pas céder aux circonstances.»

Malgré la ruine de sa fortune, le poète continua de regarder comme sacrée la résolution qu'il avait prise de ne pas se servir du produit de ses ouvrages, et il refusa, comme nous venons de le voir, la somme qui lui fut offerte des manuscrits du Siége de Corinthe et de Parisina, somme qui demeura intacte entre les mains de l'éditeur. Il arriva vers le même tems, à un écrivain célèbre sur la politique, de se trouver réduit, par quelque malheur, à de grands embarras pécuniaires, et cette circonstance étant venue à la connaissance de M. Rogers et de sir James Mackintosh, ils pensèrent qu'une partie de la somme que Lord Byron laissait ainsi sans emploi, ne pouvait être mieux placée qu'à venir au secours de cet auteur. Cette idée ne fut pas plus tôt suggérée au noble poète, qu'il agit immédiatement en conséquence, et la lettre suivante, adressée à M. Rogers, est relative à ses intentions à cet égard.

LETTRE CCXXXVII

À M. ROGERS

20 février 1816.

«Je vous ai écrit ce matin à la hâte, par le canal de Murray, pour vous dire que je ferai avec plaisir ce que vous et Mackintosh m'avez suggéré au sujet de M. ***. Mais comme je n'ai jamais vu M. *** qu'une seule fois, et n'ai aucun titre à sa connaissance, je pense qu'il vaudra mieux que sir J. et vous arrangiez cette affaire de la manière la moins offensante pour sa délicatesse, et sans qu'il y ait de ma part apparence d'intrusion ou de vouloir me montrer officieux. J'espère que vous y pourrez réussir, car il me serait très-pénible de rien faire à son égard qui pût paraître indélicat. La somme offerte par Murray est de 1,500 livres sterling; – je l'ai refusée, d'abord parce que je l'ai regardée comme au-delà de la valeur que ces deux ouvrages pouvaient avoir pour Murray, et d'après quelques autres motifs de peu d'importance. J'ai cependant, d'après votre suggestion et celle de sir J., terminé avec Murray, et je propose de faire passer à M. *** la somme de 600 livres sterling, de la manière qui paraîtra la plus convenable à votre ami: je destine le reste pour d'autres objets.

 

»Comme Murray a offert librement cet argent en paiement des manuscrits, l'affaire peut être terminée de suite. Je suis prêt à signer et à apposer mon sceau immédiatement, et peut-être sera-ce aussi bien de n'y pas mettre de retard. Je serai charmé d'être de quelque utilité à M. ***; seulement épargnez-lui les tourmens de ces sortes d'affaires, et la pensée d'avoir contracté une obligation, enfin tout ce qui amène les gens à se haïr.

»Votre très-sincèrement dévoué,»B.

Les autres objets dont il parle ici ont rapport à l'intention où il était de partager le reste de cette somme entre deux auteurs célèbres dans la littérature, et qui avaient également besoin d'un tel secours, M. *** et M. Mathurin. Ce projet cependant, quoique conçu avec la plus grande sincérité par le poète, ne s'exécuta pas. M. Murray, qui connaissait bien les fâcheuses extrémités où Lord Byron lui-même se trouvait réduit, et qui prévoyait qu'il pourrait venir un tems où il serait bien aise de trouver cet argent, malgré la manière dont il était gagné, refusa d'en faire l'avance, lorsqu'il apprit l'usage auquel il était destiné, alléguant que, quoique engagé, non-seulement par sa parole, mais encore par sa volonté, à en payer le montant à Lord Byron, il ne se croyait pas obligé à s'en dessaisir en faveur des autres. On verra dans la lettre suivante combien le noble poète, menacé lui-même de saisies de tous côtés, mit de vivacité à le presser sur ce point.

LETTRE CCXXXVIII

A M. MURRAY

22 février 1816.

«Quand je refusai la somme que vous m'offriez, et même me pressiez d'accepter, c'était en raison d'une publication séparée, comme nous le savons, vous et moi; je suis convenu, et je conviens encore que cette somme était considérable, et ce fut un de mes motifs pour la refuser, jusqu'à ce que je fusse mieux instruit du parti que vous en pouviez tirer. Quant à ce qui s'est passé ou va se passer à l'égard de M. ***, c'est un cas qui ne diffère en aucune façon de la cession que j'ai faite précédemment à M. Dallas de mes premiers manuscrits. – Si je vous avais pris au mot, c'est-à-dire que j'eusse pris votre argent, j'aurais pu m'en servir comme bon m'aurait semblé, et il devait vous être également indifférent que j'en fisse cadeau à une fille ou à un hôpital, ou que j'en secourusse un homme de talent dans le malheur. Le fond de l'affaire est donc, à ce qu'il me semble, que vous avez offert plus que les poèmes ne valaient. Je l'ai dit et je l'ai pensé, mais vous savez, ou du moins devriez savoir votre métier mieux que moi; et si vous vous rappelez ce qui s'est passé entre nous avant ceci, en fait de transactions pécuniaires, vous m'acquitterez certainement d'avoir jamais cherché à profiter de votre imprudence.

»Les ouvrages en question ne seront pas publiés du tout; ainsi ne parlons plus de cette affaire.

»Votre, etc.»

La lettre qui vient après celle-ci donnera quelque idée des embarras dont il était lui-même accablé au moment où il s'occupait ainsi des besoins des autres.

LETTRE CCXXXIX

A M. MURRAY

6 mars 1816.

«J'ai envoyé chez vous aujourd'hui, par la raison que les livres que vous avez achetés sont encore saisis, et que, dans l'état des affaires, il vaut beaucoup mieux faire vendre tout d'un coup à l'encan 21. Je désire vous voir pour vous rendre le billet que vous m'aviez fait, et qui, Dieu merci, n'est ni payé ni même échu: ce point une fois arrangé, en ce qui vous concerne (ce qui peut être et sera demain quand nous nous verrons), je ne m'embarrasse plus de cette affaire. Voilà à peu près la dixième saisie en autant de mois, de sorte que je commence à m'y habituer. Mais il est juste que je porte la peine des folies de mes ancêtres et des miennes propres; et, quelles que soient mes fautes, je suppose qu'elles seront passablement expiées avec le tems-ou dans l'éternité.

»Toujours tout à vous.»

Note 21: (retour) La vente de ces livres eut lieu le mois suivant, et on la représenta dans le catalogue comme «appartenant à un seigneur qui allait quitter l'Angleterre pour voyager.»

Il paraît, d'après un billet à M. Murray, qu'on avait d'abord annoncé qu'il allait en Morée.

«J'espère que le catalogue des livres, etc., etc., ne sera pas publié sans que je l'aie vu. Je veux m'en réserver quelques-uns, et il y en a plusieurs dont il ne doit pas être question. L'annonce ne sait ce qu'elle dit: je ne vais pas en Morée, et quand même j'irais, autant vaudrait annoncer en Russie qu'un homme va partir pour le Yorkshire.

»Votre, etc.»

On vendit avec ses livres un meuble qui est à présent entre les mains de M. Murray. C'est un grand paravent couvert de portraits d'acteurs, de pugilistes, et représentant des combats de boxeurs, etc.(Note de Moore.)

»P. S. Je n'ai pas besoin de dire que je n'ai rien su de cette nouvelle saisie qu'au dernier moment: – je les avais sauvés des saisies précédentes, et croyais bien, quand vous les avez achetés, qu'ils étaient à vous.

»Vous aurez votre billet demain.»

Durant le mois de janvier et une partie de février, ses poèmes du Siége de Corinthe et de Parisina furent livrés à l'impression, et ce fut vers la fin de ce dernier mois qu'ils parurent. Les lettres suivantes sont les seules qui aient rapport à leur publication.

LETTRE CCXL

A M. MURRAY

3 février 1816.

«Je vous avais envoyé chercher Marmion, parce qu'il m'était venu dans la tête qu'il y avait quelque ressemblance entre une partie de Parisina et une scène semblable du second chant de Marmion. Je crains qu'elle n'existe, quoique je n'y eusse jamais pensé auparavant, et ne pusse guère former le vœu d'imiter ce qui est inimitable. – Je voudrais que vous demandassiez à M. Gifford s'il me conviendrait de dire quelque chose là-dessus: j'avais achevé l'histoire sur un passage de Gibbon qui conduit tout naturellement à une scène de ce genre, sans que j'y eusse songé, mais maintenant cette pensée qui m'est venue me rend fort mal à mon aise.

»Il y a dans le manuscrit quelques mots et quelques phrases que je voudrais changer avant l'impression: je le renverrai dans une heure.

»Tout à vous.»

LETTRE CCXLI

A M. MURRAY

20 février 1816.

....................................

«Pour en revenir à notre affaire, vos lettres sont en vérité très-agréables. Relativement au reproche de manque de soin, je pense, avec toute l'humilité possible, que le lecteur bénévole aura pris pour de la précipitation et de la négligence l'irrégularité qui appartient à ce genre de versification assez peu ordinaire. La mesure est différente de celle de tous mes autres poèmes que l'on a trouvés, je crois, passablement corrects, en s'en rapportant à Byshe et à ses doigts ou à son oreille, car c'est de cette manière que les poètes écrivent et que les lecteurs jugent. Une grande partie du Siége de Corinthe est écrite en anapestes, je crois, comme les appellent les savans (je n'en suis pas bien sûr pourtant, étant terriblement oublieux du mètre et des règles); plusieurs des vers aussi sont à dessein plus courts ou plus longs que ceux qui leur servent de rime, et la rime elle-même revient à des intervalles plus ou moins grands, suivant le caprice ou la convenance.

»Je ne veux pas dire par là que j'aie raison, et que cela soit bon, mais seulement que j'aurais pu être plus régulier si j'avais cru y gagner, et que c'est avec intention que j'ai dévié aux usages, quoique j'en sois fâché maintenant, car mon but est, sans aucun doute, de plaire. J'avais désiré faire quelque chose qui ne ressemblât pas à mes premiers essais, de même que j'ai cherché à rendre ceux-ci différens les uns des autres. La versification du Corsaire n'est pas celle de Lara, ni celle du Giaour la même que celle de la Fiancée; Childe Harold diffère encore de ceux-ci, et j'avais essayé de mettre quelque variation dans le dernier, afin qu'il ne ressemblât pas complètement à aucun des autres.

»Excusez toutes ces impertinences et ce maudit égoïsme: le fait est que je cherche plus à penser à ce que j'écris que je n'y pense réellement. – Je ne savais pas que vous fussiez venu chez moi; – vous y êtes toujours admis et bien venu quand cela vous fait plaisir.

»Tout à vous.

»P. S. Il ne faut pas vous inquiéter ni vous chagriner à cause de moi. Si j'avais dû me laisser accabler par le monde, il est des choses auxquelles j'aurais succombé il y a des années. Parce que je ne fais pas de bravades, il ne faut pas me croire dans l'abattement, ni vous imaginer, parce que je sens profondément, que la force doive m'abandonner: mais en voilà assez pour le moment.

»Je suis fâché de cette querelle de Sotheby. – Quel, diable, peut en être le sujet? Je croyais tout cela arrangé: – si je puis faire quelque chose pour lui ou pour Ivan, je suis tout prêt et tout disposé. Je ne crois pas très-convenable pour moi de fréquenter beaucoup les coulisses dans ce moment-ci; mais je verrai le comité, et je le pousserai, si Sotheby le désire.

»Si vous voyez M. Sotheby, dites-lui, je vous prie, qu'en recevant son billet je me suis empressé d'écrire à M. Coleridge, et que j'espère avoir fait à ce sujet ce que désirait M. Sotheby.»

Ce fut vers le milieu d'avril que parurent dans les journaux ses deux célèbres pièces de vers, -l'Adieu et l'Esquisse. Le dernier de ces morceaux fut généralement et, il faut le dire, justement blâmé, comme une espèce d'attaque littéraire portée à une femme obscure, dont la situation aurait dû la mettre autant au-dessous de cette satire que la manière peu généreuse dont il l'attaquait la mettait au-dessus. Quant à l'autre poème, les opinions furent beaucoup plus partagées. Beaucoup de gens y virent l'effusion de la vraie tendresse conjugale, une espèce d'appel auquel il était impossible qu'une femme résistât, pour peu qu'elle eût un cœur; tandis que d'autres, au contraire, le regardèrent comme un fastueux étalage de sentiment, aussi difficile à la véritable sensibilité, qu'il avait été facile à l'art et à l'imagination du poète, et jugèrent que cette composition était tout-à-fait indigne du profond intérêt attaché au sujet. J'avoue que moi-même alors je n'étais pas éloigné de partager cette opinion, et que, si je ne pouvais m'empêcher de mettre en doute le sentiment qui, dans un pareil moment, avait permis la composition de tels vers, je trouvais encore un plus grand manque de discernement dans le consentement donné à la publication de cet ouvrage. Cependant, en lisant plus tard le rapport qu'il fait de toutes ces circonstances dans son Memoranda, je reconnus que, de concert avec la majeure partie du public, j'avais été injuste à son égard sur ces deux points. Il y décrit, d'une manière dont la sincérité ne peut être douteuse, comment, rêvant un soir dans son cabinet, le cœur gonflé des plus tendres souvenirs, il composa ces stances sous leur influence, tandis que ses larmes tombaient avec abondance sur le papier, à mesure qu'il écrivait. Il paraît aussi, d'après ce récit, que si ces vers furent publiées, ce ne fut nullement d'après son désir ou son intention, mais par suite du zèle inconsidéré d'un ami auquel il avait permis de les copier.

La publication de ces poèmes donna une nouvelle violence aux sentimens de blâme et d'indignation qui étaient répandus contre lui dans le public, et le titre sous lequel différens éditeurs s'empressèrent d'annoncer ces deux ouvrages: Poèmes de Lord Byron sur ses affaires domestiques, suffisait seul pour faire comprendre toute l'inconvenance de livrer à la rime de tels sujets. Ce n'est effectivement que dans les émotions ou les passions dont l'imagination fait la partie dominante, telles que l'amour dans ses premiers rêves, avant que la réalité ne soit venue leur donner un corps ou les faire évanouir, ou la douleur parvenue à son déclin, et commençant à passer du cœur dans la tête, que la poésie devrait être employée comme interprète de nos sentimens; car pour l'expression de toutes les affections et de tous les chagrins qui prennent directement leur source dans les réalités de la vie, l'art du poète, par cela même qu'il est un art, aussi bien que par la couleur et la forme qu'il est habitué à donner à ses impressions, ne peut nous les retracer que d'une manière aussi fausse que faible.

 

Les ennemis de Lord Byron, par leur infatigable activité, étaient parvenus à déconsidérer tellement son caractère privé, que, même parmi cette classe à laquelle on suppose le plus d'indulgence pour les irrégularités domestiques, il ne fallait pas avoir un courage médiocre pour l'inviter en société. Une dame très-distinguée et du grand ton se hasarda cependant, au moment où le poète allait quitter l'Angleterre, à former une réunion tout exprès pour lui. Il ne fallut rien moins peut-être que le rang élevé que lui a assuré dans le monde une vie aussi irréprochable que brillante, pour la mettre à l'abri des interprétations malignes auxquelles l'exposait une attention si marquée envers celui que poursuivait avec tant d'acharnement la réprobation publique: cette assemblée de lady J*** fut la dernière à laquelle il parut en Angleterre. Il donne dans son Memoranda d'amusans détails sur quelques personnages de la compagnie, et parle des différentes variations, toutes très-caractéristiques, que produisait, sur la température de leurs manières à son égard, l'influence du nuage sous lequel il se montrait. C'est peut-être un des passages de ces mémoires qu'il eût été le plus à désirer de conserver, quoiqu'il n'eût été possible d'offrir au public qu'une petite partie de cette galerie d'esquisses toutes personnelles, et souvent même satiriques, jusqu'à ce que les originaux eussent depuis long-tems quitté la scène, et que l'intérêt qu'ils auraient pu jadis exciter se fût évanoui avec eux. Outre l'illustre hôtesse dont il n'oublia jamais la noble bienveillance dans cette occasion, il y avait là une autre dame (miss M***, maintenant lady K***), dont il se rappelle avec reconnaissance la franche et courageuse cordialité à son égard ce soir-là. Il ajoute, en consignant la mémoire d'un service encore plus généreux: – «C'est une femme d'un esprit élevé, et qui m'a témoigné plus d'amitié que je n'avais lieu d'en attendre d'elle. J'ai su aussi qu'elle m'avait défendu dans une nombreuse société, ce qui demandait alors plus de fermeté et de courage que les femmes n'en possèdent ordinairement.»

Comme nous touchons maintenant de très-près au terme de sa vie de Londres, j'achèverai de donner ici le petit nombre de souvenirs relatifs à cette époque, que m'ont fourni les restes de ce Memoranda auquel j'ai eu si souvent recours.

«J'aimais assez les dandys 22. Ils furent toujours très-polis à mon égard, quoiqu'en général ils détestent les littérateurs, et qu'ils aient diablement persécuté et mystifié Mme de Staël, Lewis et autres. Ils avaient persuadé à Mme de Staël que A*** avait cent mille livres sterling de rente, si bien quelle en était venue au point de le louer en face sur sa beauté, et qu'elle avait jeté son dévolu sur lui pour ***, ce qui lui fit faire mille absurdités du même genre. La vérité est que, quoique j'y aie renoncé de bonne heure, j'avais avant ma majorité une teinte de fatuité 23; et que j'en ai probablement gardé assez pour me concilier les grands de l'ordre. À vingt-cinq ans, j'avais joué, j'avais bu, et pris mes degrés dans la plupart des dissipations mondaines; et, n'ayant ni pédantisme, ni prétentions, nous nous accommodions fort bien ensemble. Je les connaissais tous plus ou moins, et ils me firent membre du club de Watier, club superbe à cette époque. J'étais, je crois, le seul littérateur qui y fût admis, à l'exception de deux autres, tous deux hommes du monde; c'étaient Moore et Spenser. Notre mascarade 24 fut magnifique, ainsi que le bal des dandys, à la salle d'Argyle. Mais ce dernier fut donné par les quatre chefs, B., M., A., P., si je ne me trompe pas.

Note 22: (retour) Expression à la mode en Angleterre pour petit-maître, comme nous avons eu chez nous celle de merveilleux, d'incroyable, etc.(Note du Trad.)

Note 23: (retour) Il paraît que Pétrarque, dans sa jeunesse, fut aussi un petit-maître. «Rappelez-vous, dit-il, dans une lettre à son frère, le tems où nous portions des habits blancs, sur lesquels la moindre tache et même un pli mal placé eût été pour nous un sujet de chagrins. Nous portions alors des souliers si étroits, qu'ils nous faisaient souffrir le martyre, etc.»(Note de Byron.)

Note 24: (retour) Il alla à cette mascarade déguisé en caloyer, ou moine d'Orient, et sous cet habit, qui semblait fait pour montrer dans tout son avantage la beauté de sa noble figure, il fut, pendant cette nuit là, l'objet de l'admiration générale.(Note de Moore.)

»J'ai été aussi membre de l'Alfred, – mon élection ayant eu lieu pendant que j'étais en Grèce. Il était agréable, quoique un peu trop sérieux, un peu trop littéraire; et puis il fallait y supporter *** et sir Francis d'Ivernois; mais en revanche on y rencontrait Peel et Ward et Valentia, et plusieurs autres personnes aimables et connues. Au total c'était une ressource honnête un jour pluvieux, lorsqu'il y avait disette de plaisirs, que le parlement ne siégeait pas et que la ville était déserte.

»Voici le nom des clubs ou sociétés auxquelles j'ai appartenu: l'Alfred, le Cacaotier, Watier, l'Union, la Fusée (à Brighton), le Pugilat, les Hiboux (ou les Oiseaux de Nuit), le club whig de Cambridge, le club d'Harrow à Cambridge, et un ou deux autres clubs particuliers, le club politique d'Hampden, et les Carbonari Italiens qui, bien que nommé le dernier, n'est pas le moindre. J'ai été reçu dans tous ceux-là, et ne me suis jamais, que je sache, mis sur les rangs pour entrer dans aucun autre. Au contraire, j'ai refusé d'y être présenté, quoique vivement pressé de me faire porter candidat.»

«Lorsque je rencontrai H*** L***, le geôlier, chez lord Holland, avant son départ pour Sainte-Hélène, la conversation tomba sur la bataille de Waterloo. Je lui demandai si les dispositions de Napoléon étaient celles d'un grand général: il me répondit d'un air de dédain, qu'elles étaient fort simples. J'avais toujours pensé que la grandeur devait être accompagnée d'un degré de simplicité.»

«J'ai toujours été frappé de la simplicité des manières de Grattan dans la vie privée; elles étaient singulières, mais très-naturelles. Curran avait l'habitude de le contrefaire, remerciant Dieu, en s'inclinant jusqu'à terre de la manière la plus comique, de n'avoir rien de remarquable dans le geste ou dans la tournure; et *** l'appelait habituellement «un arlequin sentimental.»

«Curran! oui, Curran est l'homme qui m'a le plus frappé 25. Quelle imagination! Je n'ai jamais rien vu, rien entendu dans ma vie qui pût en approcher. Sa vie qu'on a publiée, ses discours publiés également ne vous donnent pas la moindre idée de ce qu'était l'homme: c'était une machine à imagination, comme quelqu'un a dit de Piron qu'il était une machine à épigrammes.

Note 25: (retour) On retrouvait dans son Memoranda les mêmes louanges enthousiastes de Curran. «Les richesses de son imagination irlandaise, dit-il, étaient inépuisables. J'ai trouvé plus de poésie dans la conversation de cet homme, que je n'en ai jamais rencontré dans les livres, quoique je ne le visse que rarement et en passant. J'étais chez Mackintosh lorsqu'on le présenta à Mme de Staël; c'était le grand confluent du Rhône et de la Saône, et ils étaient tous deux si horriblement laids, que je me demandais avec étonnement comment les deux plus beaux esprits de la France et de l'Irlande avaient pu se choisir chacun de leur côté une telle résidence.»

Dans un autre passage cependant, il parle un peu plus favorablement du physique de Mme de Staël. «Sa taille n'était pas mal, dit-il, ses jambes étaient passables et ses bras très-beaux. Au total, je conçois qu'elle ait pu inspirer, des désirs, son ame et son esprit pouvant faire naître des illusions sur tout le reste. Elle aurait fait un grand homme».

»Je n'avais pas beaucoup vu Curran avant 1813; mais depuis je le reçus chez moi (car il y venait souvent), et je le rencontrai en société, chez Mackintosh, chez le lord Holland, etc., etc., et il me parut toujours étonnant à moi qui avais vu tant d'hommes remarquables de l'époque.»