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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 3

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NOTE SUPPLÉMENTAIRE

Nous ajouterons à la liste que lord Byron a donnée des auteurs grecs modernes, à la fin des notes du deuxième chant, les noms des auteurs qui suivent, tirés en partie de l'ouvrage de M.

Rizo Néroulos

, sur la littérature grecque moderne, et l'indication de leurs principaux ouvrages. L'intérêt que l'on porte maintenant à la cause de la Grèce nous a fait penser qu'on trouverait ici cette note supplémentaire avec plaisir.



Daniel Philippide, natif de Mélée, bourgade au pied du mont Pélicon. Il a publié en 1816 une

histoire de la Roumounie et des Nations valaque, moldave et bessarabienne

. Il a traduit en grec moderne la

Logique

 de Condillac, l'

Histoire

 de Justin, la

Physique

 de Brisson; la

Chimie

 de Foureroy, et l'

Astronomie

 de Lalande.



Athanase Psalida, de Janina (dont a parlé Byron), disciple de Kant, est l'auteur d'un ouvrage intitulé:

Fondemens de la religion et de la morale

 d'après le système de Kant.



Étienne Dunkas, professeur de philosophie au collége de Couroutzesmé sur le Bosphore de Thrace, élève des universités de Halle et de Goëttingue, est auteur d'un

Cours de mathématiques

 et

de physique

, et d'un traité d'

Esthétique et de Morale

.



Le prince Nicolas Caradza a publié en grec moderne l'

Essai sur les mœurs et l'esprit des nations

, l'

Histoire du siècle de Louis XIV

, par Voltaire, et l'

Histoire de la conjuration des Espagnols contre Venise

.



Eugène Bulgaris, de Corfou, est auteur d'une

Logique

 et d'une

Physique

, imprimées en Allemagne. Il a aussi publié des

Entretiens théologiques sur le Pentateuque

, publiés à Moscou en 1802, ainsi que des

Pensées des philosophes

, Vienne 1805; et il a traduit les

Confessions de Saint-Augustin

.



Nicéphore Théotoky, de Corfou, a publié une

Défense du Nouveau Testament contre Voltaire

, Vienne 1794; des

Commentaires sur le Pentateuque

,

le livre des Rois et le livre de Job

; et des élémens de

Philosophie naturelle

 ou

Physique expérimentale

, Leipsick 1766.



Le fameux

Riga

, natif de Vélestin, en Thessalic, a composé, outre ses

Hymnes

 ou

Chansons

, imprimées secrètement à Jassy en 1814, une

Physique populaire

, imprimée à Vienne.



Néophite Doukas, d'Épire, a traduit en grec moderne l'

Histoire

 de Thucidide avec des notes et une carte géographique; cette traduction a été imprimée à Vienne avec le texte littéral en regard. Il a publié aussi une

Grammaire du grec ancien

; on dit qu'il traduit en ce moment Homère en vers grecs modernes.



Michel Chrestary, de Janina, a traduit en grec moderne l'

Économie politique

 de M. Say, et plusieurs tragédies françaises et italiennes.



Coustandas a traduit en Grec moderne l'

Histoire générale

 de l'abbé Millot, dont deux volumes seulement ont paru à Venise.



Dionysaky est l'auteur d'une

Histoire de la Valachie

.



Perrévos a composé une

Histoire de Souli et de Parga

 contenant la chronologie et les guerres héroïques des Souliotes contre Ali-Pacha; cette histoire a été imprimée à Venise en 1815.



George Cancellarius a traduit en Grec moderne l'

Histoire ancienne

 de Rollin.



George Emmanuel:

La Grandeur et la décadence des Romains

.



Cavras: les

Élémens d'Euler

.



Koumas: l'

Histoire de la Philosophie

 de Tenneman.



Spyridion Valétas a traduit les meilleures ouvrages de J.J. Rousseau.



Jacovaky Argyropoulo a traduit l'

Esprit des Lois

.



Parmi les dames grecques qui ont traduit des ouvrages en grec moderne on remarque:



Christine Soutzo, qui a traduit les

Entretiens

 de Phocion.



La princesse Ralou Argyropoulo a traduit l'

Histoire de la Grèce

 par Gillies.



Parmi les poètes:



Zambelinos de Saint-Maure, est auteur de quelques tragédies, dont une, qui a pour titre

Timoléon

, a été imprimée à Vienne en 1818.



Nicolas Piccolo a publié une tragédie dont le sujet est

Démosthène

; il a publié aussi un poème dramatique en trois actes, intitulé Νικἠρατος, sur la chute de Missolonghi.



George Servius a traduit en vers plusieurs tragédies françaises, telles que la

Mort de César

,

Mérope

, etc.



Athanase Christopoulo a fait imprimer des poésies anacréontiques rimées, à Vienne, en 1811. Elles sont pleines de grâce et de naïveté.



Calvos de Zante a publié deux petits recueils d'odes, le premier à Genève et le second à Paris en 1826, avec une traduction en regard faite par l'auteur de cette notice; dans le même volume se trouve aussi un choix des poésies de Christopoulo, également avec une traduction.



Salomos a publié un

Dithyrambe à la Liberté

 traduit par M. Stanislas Julien, qui a traduit aussi en français les premières odes de Calvos.



FIN DES NOTES DU QUATRIÈME ET DERNIER CHANT

MAZEPPA.

AVERTISSEMENT

«Celui qui remplissait alors cette place était un gentilhomme polonais, nommé Mazeppa, né dans le palatinat de Podolie; il avait été élevé page de Jean Casimir, et avait pris à sa cour quelque teinture des belles-lettres. Une intrigue qu'il eut dans sa jeunesse avec la femme d'un gentilhomme polonais, ayant été découverte, le mari le fit lier sur un cheval farouche, et le laissa aller en cet état. Le cheval qui était du pays de l'Ukraine, y retourna, et y porta Mazeppa, demi-mort de fatigue et de faim. Quelques paysans le secoururent; il resta long-tems parmi eux, et se signala dans plusieurs courses contre les Tartares. La supériorité de ses lumières lui donna une grande considération parmi les Cosaques; sa réputation, s'augmentant de jour en jour, obligea le Czar à le faire prince de l'Ukraine.»



(Voltaire,

Histoire de Charles XII

, page 196.)



«Le roi fuyant et poursuivi eut son cheval tué sous lui; le colonel Gieta, blessé et perdant tout son sang, lui donna le sien. Ainsi on remit deux fois à cheval, dans sa fuite, ce conquérant qui n'avait pu y monter pendant la bataille.»



(Voltaire,

Histoire de Charles XII

, page 216.)



«Le roi alla par un autre chemin avec quelques cavaliers. Le carrosse où il était rompit dans la marche; on le remit à cheval. Pour comble de disgrâce, il s'égara pendant la nuit dans un bois: là son courage ne pouvant plus suppléer à ses forces épuisées, les douleurs de sa blessure devenues plus insupportables par la fatigue, son cheval étant tombé de lassitude, il se coucha quelques heures au pied d'un arbre, en danger d'être surpris à tout moment par les vainqueurs qui le cherchaient de tous côtés.»



(Voltaire,

Histoire de Charles XII

, page 218.)



MAZEPPA

1. C'était après la terrible journée de Pultawa, lorsque la fortune abandonna le royal Suédois au milieu de son armée massacrée autour de lui, sans qu'il lui restât un soldat pour combattre. Le pouvoir et la gloire des batailles, divinités aussi infidèles que leurs vains adorateurs, passèrent du côté du Czar triomphant, et les remparts de Moscow furent sauvés de nouveau, mais jusqu'à une année plus mémorable, à un jour plus sombre et plus terrible, qui donnera au carnage et à la honte un ennemi plus puissant et un plus grand nom; jour où la désolation sera plus complète, la chute plus grande; choc épouvantable pour un, – coup de foudre terrible pour tous.



2. Tel fut alors le hasard de la bataille: Charles blessé fut obligé d'apprendre à fuir de jour et de nuit à travers les champs et les marais, couverts de son sang et de celui de ses soldats; car des milliers sont tombés pour protéger sa fuite; aucune voix ne s'éleva pour accuser l'ambition dans son heure d'humiliation, lorsque la vérité aurait pu sans crainte se faire entendre au pouvoir.



Le cheval du roi était tué, Gieta lui donna le sien, – et il mourut l'esclave des Russes. Ce cheval, après de vaines fatigues, succomba de lassitude au bout de quelques lieues; et c'est dans la profondeur des forêts, éclairées par les feux nocturnes et étincelans des bivouacs éloignés, signaux des ennemis qui l'entourent, qu'un roi doit reposer ses membres engourdis de fatigue. Sont-ce là les lauriers et le repos pour lesquels les nations épuisent leur sang?



Le roi fut déposé au pied d'un arbre de la forêt, dans l'agonie d'une nature épuisée: ses blessures étaient souffrantes, – ses membres raidis; – l'heure était froide et sombre; la fièvre de son sang le priva du précieux soulagement d'un repos passager: mais, malgré tous les maux qui l'accablaient, le monarque supporta son malheur en roi, et, dans cette extrémité, il rendit ses douleurs vassales de sa volonté; elles étaient toutes silencieuses et subjuguées, comme autour de lui le furent autrefois les nations.



3. Une troupe de chefs! – Hélas! qu'ils sont peu nombreux, depuis que le désastre d'un jour a éclairci leurs rangs! mais ce désastre fut loyal et chevaleresque; chacun d'eux est étendu triste et muet près du monarque et de son cheval: car le danger nivelle l'homme et la brute, et tous sont compagnons dans leur malheur. Parmi ces chefs, Mazeppa reposait sous un vieux chêne, – lui-même aussi robuste et guère moins vieux: c'est le calme et hardi hetman de l'Ukraine; d'abord, harassé par cette longue course, le prince des cosaques a commencé par panser son cheval, et par lui faire un lit de feuillage; il a essuyé ses reins, démêlé sa crinière et ses fanons, détendu sa sangle, et ôté sa bride. Il se réjouissait de le voir manger avec tant d'appétit; car jusqu'alors il avait craint que son coursier fatigué refusât de brouter sous la rosée de minuit: mais le cheval était aussi robuste que son maître, et il se souciait peu du repos et de la nourriture. Très-intelligent et très-docile, il obéissait à tous les commandemens; velu et léger, vif et fort des membres, il portait son maître aussi bien qu'un cheval tartare: il comprenait sa voix, accourait à son appel, et il le reconnaissait au milieu d'une foule, quand même elle eût été composée de plusieurs milliers d'hommes: – et la nuit, la nuit sans étoiles, il suivait sa marche avec assurance; – ce cheval, depuis le coucher du soleil jusqu'à l'aurore, eût suivi son maître comme un faon apprivoisé.

 



4. Cela fait, Mazeppa étend son manteau, place sa lance sous son chêne, regarde si ses armes sont en bon état, si la longue marche de la journée ne les a pas dérangées, si la poudre remplit encore leurs bassinets, si les pierres ne sont pas endommagées et occupent encore leurs platines; – si la garde de son sabre et son fourreau ne sont pas perdus, et s'ils n'ont point emporté leur ceinturon. – Ensuite cet homme respectable tire de son havresac et de son bidon de légères provisions préparées d'avance, et il offre au roi et à ses compagnons de les prendre ou de les partager avec lui, bien moins inquiet et empressé que ne le seraient des courtisans à un fastueux banquet.



Charles accepta en souriant une portion de ce repas frugal; il prit un air forcé de gaîté pour paraître plus grand, et au-dessus de ses blessures et de ses malheurs. – Alors il dit: «Parmi toute notre troupe, quoique ferme de cœur, et forte par l'épée, dans les escarmouches, les marches forcées, avec les fourrageurs, personne n'a moins parlé et n'a plus agi que toi, Mazeppa! Jamais la terre n'a produit, depuis le tems d'Alexandre jusqu'à nos jours, un couple

212

212



A pair

.



, cavalier et coursier, aussi bien assorti que toi et ton Bucéphale

213

213


  On connaît la réponse du poète Benserade à Louis XIV. Benserade s'était engagé à achever impromptu tous les

quatrains

 ou

dixains

, etc., que commencerait

Louis XIV

. Le roi, un jour, en montant à cheval, fit ces vers:


Joli, gentil petit cheval,Bon à monter, bon à descendre;  Benserade répondit:


Tu devrais être un Bucéphal,Puisque tu porte un Alexandre.  Probablement que l'on n'écrivait pas alors

Bucéphale

 comme on l'écrit aujourd'hui, ou Benserade aurait fait une faute de rime, et de plus une faute de quantité dans le dernier vers que les licences de la poésie, même en impromptu, peuvent toutefois justifier.



. Toute la renommée des cavaliers de la Scythie devrait céder à la tienne pour ton intrépidité à piquer de l'éperon à travers les champs et les marais.»



Mazeppa répondit: «Maudite soit l'école où j'ai appris à monter à cheval!»



Charles reprit: «Pourquoi donc, vieil hetman, puisque tu as si bien appris cet art?



– Il serait trop long de le raconter, dit Mazeppa, et nous avons encore beaucoup de lieues à faire, et plus d'un coup de sabre à porter contre des ennemis qui sont dix contre un, avant que nos chevaux puissent brouter à leur aise au-delà du rapide Borysthène: Sire, vos membres ont besoin de repos: je serai la sentinelle de votre petite troupe.



– Je te le demande, répondit le monarque de Suède: tu me raconteras ton histoire, et je pourrai peut-être en recevoir le bienfait du sommeil, car, pour le moment, mes yeux en ont perdu même l'espérance.



– Bien, Sire, dans cet espoir, je vais essayer de rappeler des souvenirs de soixante-dix ans. Je pense que j'étais dans mon vingtième printems, – oui, – quand Casimir était Roi, – Jean Casimir, – j'étais son page, il y avait déjà six printems. C'était un savant monarque, par ma foi! et tout-à-fait l'opposé de votre majesté. Il ne faisait pas de guerres, il ne gagnait point de nouveaux royaumes pour les perdre ensuite, et (sauf les débats de la diète de Varsovie) il régna dans le repos le plus inconvenable, non pas qu'il manquât de soucis inquiétans: il aimait les muses et le sexe; et quelquefois ces choses sont si intraitables qu'elles lui faisaient désirer les soucis de la guerre. Mais bientôt, ses ressentimens étant calmés, il prenait une autre maîtresse ou de nouveaux livres. Il donnait alors de prodigieuses fêtes. – Tout Varsovie accourait autour de son palais pour admirer la splendeur de sa cour, et les dames et les chefs, d'une somptuosité de prince. Il était le Salomon polonais; c'est ainsi que le chantaient tous ses poètes, excepté un, qui, n'étant pas pensionné, faisait des satires, et s'enorgueillissait de ne pas savoir flatter. C'était enfin une cour de joûtes et de représentations scéniques où chaque courtisan essayait des rimes. Moi-même je produisis une fois quelques vers, et je signai mes odes,

le malheureux Thyrsis

.



«Il y avait un certain Palatin, comte d'ancienne et haute lignée, riche comme une mine de sel ou d'argent

214

214


  Cette comparaison de

mine de sel

 est permise peut-être à un Polonais dont le pays est principalement riche en

mines de sel

.


  (

Note de Lord Byron

.)



; il était aussi fier, vous le devinez bien, que s'il eût été l'envoyé du ciel. Il avait une si grande richesse de sang et de mines, qu'il était presque l'égal du monarque; il était sans cesse en contemplation sur ses trésors, et avait constamment les yeux attachés sur ses parchemins, à tel point que, égaré par quelques vertiges, il en perdit la tête, jusqu'à croire que leurs mérites étaient les siens. Sa femme n'était pas de son opinion: – plus jeune que lui de trente années, elle devint de plus en plus fatiguée de son autorité sur elle. Et après des vœux, des espérances, des craintes, un petit nombre de larmes d'adieu à la vertu, un ou deux songes inquiets, quelques coups d'œil jetés sur la jeunesse de Varsovie, quelques concerts, quelques bals, elle attendit les chances accoutumées, ces heureux accidens qui rendent si tendres les dames les plus froides, pour décorer son comte de ces titres donnés, dit-on, comme des passeports pour le ciel; mais ce qui est étrange à dire, c'est que ceux à qui ces titres ont le plus souvent été donnés sont ceux qui s'en enorgueillissent le moins.



5. «J'étais alors un jeune et joli garçon; à soixante et dix ans je puis bien parler ainsi; il y avait peu de jeunes gens ou d'hommes plus âgés, vassaux ou chevaliers, qui, dans cette brillante aurore de mes jours, pussent me le disputer en vanités; car j'avais force, jeunesse, gaîté, une mine bien différente de celle que vous me voyez; elle était aussi douce et unie qu'elle est aujourd'hui ridée; car le tems, les soucis, la guerre, ont sillonné mon ame comme mon front, et ceux qui m'ont vu autrefois, mes parens, mes amis, s'ils comparaient les jours passés avec l'heure présente, ne me reconnaîtraient pas aujourd'hui. Ce changement fut opéré en moi, long-tems avant que la vieillesse m'eût enregistré dans ses pages: vous savez que ma force, mon courage, mon ame ne se sont pas affaiblis avec les années, autrement je ne serais pas à cette heure occupé à vous raconter de vieilles histoires sous un chêne, avec un ciel sans étoiles pour mon seul abri.



«Mais poursuivons. La beauté de Thérèse, ses formes, – je crois la voir encore maintenant passer devant mes yeux, entre moi et ce rameau de châtaignier, tant son souvenir est encore vivant et frais. Cependant je ne trouve pas d'expressions pour vous peindre les charmes que j'ai tant aimés. Elle avait un œil asiatique que le voisinage de la Turquie a mêlé à notre sang polonais; noir comme est le ciel maintenant sur nos têtes, mais il s'en échappait une douce lumière, comme celle de la première lune à minuit; ce grand œil noir semblait nager dans ses rayons; tout amour, languissant et enflammé, pareil à ceux des saints expirant sur l'instrument du martyre, et qui élevaient en haut leurs yeux ravis, comme si c'eût été pour eux une joie de mourir. Son front était semblable à un lac transparent au soleil d'été, lorsque les vagues n'osent faire entendre aucun murmure, et que le ciel se réfléchit dans sa surface. Sa joue, sa lèvre, – mais où m'égare-je? Je l'aimais alors, – je l'aime encore; et dans les êtres qui me ressemblent cet amour passe tous les extrêmes – en bien et en mal. Nous aimons même jusque dans notre folie, passionnés que nous sommes dans la vieillesse, de la vaine ombre du passé, comme Mazeppa l'est enfin.



6. «Nous nous rencontrâmes, – nous nous admirâmes; – je la vis et je soupirai; elle ne parla point, et pourtant elle me répondit. Il est dix mille accens, dix mille signes que nous entendons et que nous voyons, mais que l'on ne peut définir; – étincelles involontaires de la pensée, qui s'échappent d'une ame subjuguée, et établissent entre deux êtres une communication étrange aussi mystérieuse qu'intime, qui forme les anneaux de la chaîne brûlante qui lie involontairement de jeunes cœurs, de jeunes intelligences, et transmet, comme le conducteur électrique, nous ne savons comment, le feu qui les consume. —



«Je la vis, et je l'aimai. – Je pleurai en silence, et je restai quelque tems sans oser l'aborder; enfin je lui fus présenté, et nous pûmes alors nous entretenir sans faire naître de soupçons. Alors même, alors je souffrais d'amour, et je m'étais décidé à parler; mais les paroles expirèrent sur mes lèvres; ma voix fut tremblante et faible jusqu'à une heure… C'était à un jeu, un jeu frivole et folâtre, avec lequel nous passions le tems de la journée; c'était… j'en ai oublié le nom; – nous nous étions livrés à ce jeu par un hasard dont je ne me souviens plus. Je m'inquiétais peu de perdre ou de gagner; c'était assez pour moi d'être si près d'elle, d'entendre, et, ô ciel! de voir l'être que j'aimais tant! Je veillais sur elle comme une sentinelle: (puisse la nôtre veiller aussi bien cette noire nuit!) je vis, et c'était la vérité, qu'elle était pensive, qu'elle oubliait son jeu, qu'elle ne s'affligeait ni ne se réjouissait de perdre ou de gagner; mais elle continua de jouer encore plusieurs heures, comme si une puissance secrète l'eût attachée à sa place, et non le désir du gain. Alors une pensée passa sur mon front comme un éclair, car je crus voir dans son maintien quelque chose qui ne me condamnerait pas à mourir de désespoir: à cette pensée; mes paroles d'amour se précipitèrent de mon cœur, tout incohérentes qu'elles étaient. – Leur éloquence était peu brillante, mais je n'en fus pas moins écouté, – et c'est assez. – Celle qui écoute une fois écoutera deux; son cœur, soyez-en sûr, n'est pas de glace; et un premier refus ne doit pas rebuter.



7. «J'aimais et j'étais aimé en échange de mon amour. – On m'a dit, Sire, que vous n'avez jamais connu ces douces faiblesses; si cela est vrai, j'abrégerai le récit de mes joies et de mes peines: elles vous paraîtraient absurdes et vaines; mais tous les hommes ne sont pas nés pour régner sur leurs passions, ou, comme vous, sur leurs passions et sur des peuples. Je suis, – ou plutôt j'

étais

 un prince, le chef de plusieurs milliers d'hommes, et je pouvais les conduire aux plus grands dangers pour verser leur sang; mais je n'ai jamais pu exercer sur moi-même un pareil empire. Enfin j'aimais, et j'étais aimé en échange de mon amour. C'est une heureuse destinée que celle-là; mais c'est au comble du bonheur qu'elle finit par l'infortune. Nous nous donnions des rendez-vous secrets, et l'heure à laquelle je me rendais auprès de cette dame était la suprême récompense de mon attente. Mes jours et mes nuits n'étaient rien, et je donnerais tout, excepté cette heure qui domine les souvenirs de mes longues années, et qui n'a pas d'égale; – je donnerais l'Ukraine

215

215


  Voyez

le Pacha des Orientales

 de M. Hugo.



 pour vivre, pour jouir encore une fois de cette heure ravissante; – pour être encore le page, l'heureux page qui était le seigneur d'un cœur si tendre, qui n'avait que son épée, qui n'avait d'autre richesse que les dons naturels de la jeunesse et de la santé. – Nous nous réunissions en secret, – circonstance qui en double le charme, dit-on: – je n'en sais rien. – J'aurais donné ma vie pour pouvoir la nommer seulement une fois ma femme à la face du ciel et de la terre; car j'ai souvent et long-tems regretté que nous n'eussions pu nous voir qu'à la dérobée.

 



8. «Il y a partout des yeux pour les amans, et nous fûmes ainsi l'objet d'une curiosité maligne: le diable, dans de telles occasions, devrait être plus courtois. – Le diable! – j'ai regret de l'accuser; c'est plutôt quelque saint méchant

216

216


  En anglais

untoward

; comme la bataille de Navarin.



 qui n'aura pas eu de repos que sa pieuse bile n'ait été déchargée sur nous. – Mais une belle nuit, des espions aux aguets nous surprirent et nous saisirent tous les deux. Le comte était un peu plus qu'en colère. J'étais sans armes; mais avec une épée, armé de pied en cap, qu'aurais-je pu faire contre le nombre? C'était près de son château; point de secours lointain de la ville, point d'espérance de près, et à peine était-ce le point du jour: je ne pensais pas en voir un autre; mes instans de vie me parurent peu nombreux; et avec une prière à la vierge Marie, et peut-être à un ou deux saints, je me résignai à mon sort, tandis qu'ils me conduisirent à la porte du château. Je n'ai jamais su la destinée de Thérèse; notre existence se trouvait désormais séparée.



«Vous devez penser que le comte Palatin fut irrité de l'aventure, et il avait de bonnes raisons de l'être; mais ce qui le faisait le plus enrager, c'était la peur que cet accident ne souillât la noblesse de sa postérité. Il n'était pas moins étonné qu'une telle souillure eût été faite à son noble écusson, lui qui se croyait le plus noble de sa race! Et parce qu'il s'imaginait être le premier des hommes, il ne pouvait se persuader qu'il dût moins paraître aux yeux des autres, et surtout aux miens. Par la mort! avec un

page

!.. Peut-être, si c'eût été avec un

roi

, cette circonstance l'eût-elle réconcilié avec la chose: mais avec un petit garçon de page… J'éprouvai trop sa fureur, – mais je ne puis vous la peindre.



9.

Amenez le cheval

! – Le cheval fut amené; en vérité, c'était un noble coursier tartare de race de l'Ukraine, dont les membres semblaient doués de la vivacité de la pensée; mais il était sauvage, sauvage comme le daim des forêts, et il n'avait jamais connu ni bride, ni éperons. – Il y avait un jour seulement qu'il avait été pris; cet enfant du désert me fut amené hennissant, la crinière hérissée, se cabrant fièrement, mais vainement, dans l'écume de la colère et de l'effroi. Cette troupe de domestiques m'attacha sur le dos du cheval avec plusieurs cordes, la tête tournée en arrière

217

217


  Voyez les beaux tableaux de Mazeppa, d'Horace Vernet.



; alors, avec un soudain et vigoureux coup de fouet: Allez! – allez! (

away

! —

away

!) – Et nous volons à travers les broussailles! – Les torrens sont moins rapides et moins impétueux.



10. Nous fuyons! – nous fuyons! – ma respiration était supprimée. – Je ne vis point de quel côté m'emportait le cheval fougueux; c'était à peine le point du jour; au loin! – au loin! (

away

! —

away

!) – entends-je encore crier. Ce furent les derniers sons humains qui frappèrent mon oreille, tandis que j'étais lancé dans le désert par mes ennemis; c'était le cri barbare d'un rire sauvage, poussé de tems en tems par cette canaille et dont le mugissement était porté jusqu'à moi par le vent. Dans un accès de fureur, je tordis ma tête et je brisai la corde qui liait mon cou à la crinière du cheval, et relevant mon corps à demi je leur lançai par des cris ma malédiction. Mais au milieu du galop rapide et tonnant de mon coursier, peut-être ne m'entendirent-ils pas, ou ne se soucièrent-ils pas de m'entendre. J'en suis vexé; – car je voudrais leur avoir rendu leur insulte. Je la leur fis bien payer plus tard: il ne reste pas une porte du château de ce comte, pas une pierre de ses fortifications, de ses créneaux, de ses barrières; ses ponts-levis sont renversés; et on ne trouverait pas un brin d'herbe dans ses domaines, excepté ce qui croît sur les débris d'un mur où était la pierre du foyer. Vous y passeriez mainte fois que vous ne vous imagineriez pas qu'il y avait là une forteresse: j'ai vu ses tours enflammées, ses créneaux craquer et se fendre, et le plomb brûlant découler en pluie de feu des toits embrasés et noircis, dont l'épaisseur ne put échapper à ma vengeance. Ceux qui concoururent à mon supplice pensaient peu, lorsqu'ils m'insultaient par leurs railleries, et qu'ils me lançaient dans les bras de la destruction comme sur un trait de foudre, qu'un jour je reviendrais avec dix mille cavaliers, pour remercier ce comte du voyage peu courtois qu'il m'avait fait faire. Ils s'étaient fait une fête cruelle, lorsque, en me donnant le cheval sauvage pour guide, ils m'avaient attaché sur ses flancs écumans. À mon tour je me fis une fête de leur rendre avec prodigalité leurs bons traitemens; – car le tems vient qui met toutes choses à son niveau. – Et si nous attendons seulement l'heure, il n'y a pas de pouvoir humain qui puisse éviter la patience vengeresse et les longues veilles de celui qui conserve comme un trésor les souvenirs vivans d'un outrage.



11. «Mon cheval et moi nous volions sur les ailes des vents; laissant derrière nous toutes les demeures des hommes, nous allions avec la rapidité d'un météore dans les cieux quand avec ses bruits éclatans la nuit en est chassée par l'aurore boréale: ville, – village, rien n'apparaissait sur notre route qu'une plaine immense et sauvage, bornée par une noire forêt, et, excepté sur des hauteurs éloignées quelques rares créneaux de forteresses, bâties anciennement contre l'irruption des Tartares, pas de traces d'hommes. L'année précédente une armée turque l'avait traversée; et partout où le pied des chevaux des Spahis l'avait foulée, la verdure fuyait le gazon ensanglanté. – Le ciel était sombre, obscur et gris, et une légère brise faisait entendre par intervalle ses gémissemens. – Je désirais répondre par un soupir; – mais aussi vite que nous fuyions, je ne pouvais ni soupirer, ni prier. Mes gouttes froides de sueur tombaient comme de la pluie sur la crinière hérissée du cheval. Mais se précipitant avec plus de rage encore et de fureur, les naseaux écumans, il poursuit sa brûlante carrière. Quelquefois je pensais qu'il devait ralentir la vitesse de sa course; mais non: – mon corps léger, attaché sur son dos, n'était rien pour sa vigueur irritée, et ne servait qu'à l'exciter comme un éperon. Chaque mouvement que je faisais pour délivrer de leur torture mes membres enflés, augmentait sa fureur et son épouvante. J'essayai ma voix: – elle était languissante et faible, et pourtant elle faisait sur lui l'effet d'un coup de fouet; et frémissant à chacun de mes accens, il s'élançait comme au son subit de la trompette. Cependant mes liens étaient trempés du sang qui, suintant à travers tous mes pores; s'écoulait sur eux; et la soif devint dans ma bouche desséchée plus dévorante que la flamme.



12. «Nous atteignîmes une forêt sauvage. – Elle était si vaste que d'aucun côté je ne pus en découvrir les bornes. Elle était remplie de vieux arbres robustes, dont la vigueur ne se pliait point sous les vents impétueux qui mugissent des déserts de la Sibérie, et ravagent les forêts dans leur passage. – Mais ces arbres étaient rares, et entre eux croissaient de jeunes arbustes épais et touffus, qui étaient couverts avec abondance de leurs feuilles vertes du printems, car on était loin de ces soirs d'automne qui balaient le feu