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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 3

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98. Quel est le plus cruel des malheurs qui menacent la vieillesse? Quel est celui qui laisse sur le front les traces les plus profondes? C'est de voir tout ceux qu'on a aimés effacés du livre de la vie, et d'être seul sur la terre, comme moi maintenant. Je me prosterne humblement devant celui qui châtie, dont le bras s'est appesanti sur des cœurs divisés et a détruit toutes mes espérances. Roulez, passez rapidement, jours inutiles! vous n'emporterez pas mes regrets, puisque la mort a enlevé tout ce qui attachait mon ame, et condamné mes jeunes années à toutes les afflictions de la vieillesse.

ADDITIONS AUXQUELLES RENVOIE LA NOTE 33

I

Avant de rien dire d'une ville dont tout le monde, voyageur ou non, a cru nécessaire de dire quelque chose, je prierai Miss Owenson, si elle choisit bientôt une héroïne athénienne pour ses quatre volumes, d'avoir la bonté de la marier à quelqu'un de meilleure condition qu'un Disdar-Aga (qui, par parenthèse, n'est pas un aga), le plus impoli de tous les petits officiers, et le plus grand patron de rapine qu'Athènes ait jamais vu (excepté lord Elgin). C'est le plus indigne des habitans de l'Acropolis, qui reçoit un traitement annuel de 150 piastres (8 livres sterling), outre lequel on lui donne encore de quoi payer sa garnison, le corps le plus indiscipliné de tous les corps indisciplinés de l'empire ottoman. Je dis ceci par amitié, me rappelant que je fus autrefois la cause que le mari de l'Ida d'Athènes manqua de recevoir la bastonnade. Le dit Disdar est un turbulent mari qui bat sa femme, tellement que je supplie Miss Owenson de solliciter une séparation de corps pour son Ida. Ayant donné ces préliminaires, aux lecteurs de romans, sur une matière de cette importance, j'abandonne Ida pour parler de son lieu de naissance.

Mettant de côté la magie des noms et toutes ces associations d'idées qu'il serait pédantesque et superflu de récapituler, la seule situation d'Athènes suffirait pour la rendre la favorite de tous les hommes qui ont des yeux pour admirer l'art et la nature. Le climat, à moi du moins, paraît un printems perpétuel; pendant huit mois, je n'ai pas passé un jour sans monter plusieurs heures à cheval; la pluie est extrêmement rare, la neige ne séjourne jamais dans les plaines, et un jour nuageux est une agréable rareté. En Espagne, en Portugal, et dans tous les lieux de l'Orient que j'ai visités, excepté l'Ionie et l'Attique, je n'ai point trouvé de climat d'une telle supériorité au nôtre; et à Constantinople, où je passai mai, juin, et une partie de juillet (1810), on peut damner le climat et se plaindre du spleen cinq jours au moins sur sept.

L'air de la Morée est pesant et malsain; mais, du moment où vous passez l'isthme dans la direction de Mégare, le changement est très-sensible. Je crains bien qu'Hésiode ne soit encore trouvé exact dans sa description d'un hiver béotien.

Nous avons trouvé à Livadie un esprit fort, dans la personne d'un évêque grec. Ce digne hypocrite se moquait de sa propre religion avec une grande intrépidité (mais non pas devant son troupeau), et se riait de la messe comme d'une coglioneria. Il était impossible d'avoir meilleure idée de lui pour cela; mais, pour un Béotien, il était vif avec toute son absurdité. Ce phénomène (à l'exception de Thèbes, des ruines de Chéronée, de la plaine de Platée, d'Orchomène, de Livadie, et de sa grotte de Trophonius) fut la seule chose remarquable que nous vîmes avant de passer le mont Cythéron.

La fontaine de Dircé fait tourner un moulin: du moins mon compagnon (qui, ayant résolu d'être tout à la fois propre et classique, se baigna dans ses flots) assura que c'était la fontaine de Dircé, et toute personne qui le jugera convenable pourra le contredire. À Castri, nous goûtâmes de l'eau d'une demi-douzaine de petits ruisseaux (qui, dans quelques-uns, n'était pas des plus pures) avant de décider à notre satisfaction quelle était celle de Castalie; et celle sur laquelle notre choix s'arrêta avait un goût désagréable, qui venait probablement de l'alimentation des neiges; cette expérience ne nous jeta point dans une fièvre épique comme ce pauvre Dr. Chandler.

Du fort de Phylé, dont les ruines considérables existent encore, la plaine d'Athènes, le Pentélique, l'Hymette, l'Acropolis, et la mer Égée, apparaissent tout ensemble aux regards. Selon moi, cette perspective est plus magnifique encore que celle de Cintra et de Constantinople. La vue même de la Troade, qui embrasse l'Ida, l'Hellespont et le mont Athos dans le lointain, ne pourrait l'égaler, quoique supérieure en étendue.

J'avais beaucoup entendu parler de la beauté de l'Arcadie; mais, en exceptant la vue du monastère de Mégaspélion (qui est inférieur à Zitza pour dominer la contrée), et celle de la descente des montagnes sur la route de Tripolitza à Argos, l'Arcadie n'a guère que son nom de bien remarquable.

Sternitur, et dulces moriens reminiscitur Argos.

Virgile n'aurait pu mettre ce vers que dans la bouche d'un Argien; et (je le remarque avec respect) Argos ne mérite pas maintenant l'épithète. Si le Polynice de Stace: in mediis audit duo littora campis, pouvait actuellement entendre les bruits des deux rivages en traversant l'isthme de Corinthe, il aurait de meilleures oreilles qu'il n'en a jamais été porté depuis dans ce voyage.

«Athènes, dit un célèbre géographe, est encore la cité la plus polie de la Grèce.» Cela peut être de la Grèce, mais non des Grecs, car Yanina, dans l'Épire, est universellement regardée, même par eux, comme supérieure en richesse, en raffinement de luxe, en instruction, et par le dialecte de ses habitans. Les Athéniens sont remarquables par leur astuce; et les basses classes ne sont pas seules caractérisées dans ce proverbe qui les range parmi les juifs de Salonique et les Turcs de Négrepont.

Parmi les différens étrangers résidant à Athènes, Français, Italiens, Allemands, Ragusains, etc., il n'y eut jamais de différence d'opinion sur leur appréciation du caractère des Athéniens, quoique, sur tous les autres sujets, ils disputent avec une grande acrimonie.

M. Fauvel, consul français, qui a passé trente ans principalement à Athènes, et aux talens et aux manières duquel, comme artiste et comme homme de distinction, aucune des personnes qui l'ont connu ne refusera un public hommage, a souvent dit en ma présence que les Grecs ne sont pas dignes d'être émancipés; et il fondait son raisonnement sur les motifs de leur dépravation individuelle et nationale; tandis qu'il oublie que cette dépravation doit être attribuée aux causes qui peuvent seulement être éloignées par la mesure qu'il réprouve.

M. Roque, respectable marchand français qui habite depuis long-tems Athènes, me disait avec la plus amusante gravité: «Monsieur, c'est la même canaille qu'aux tems de Thémistocle!» Les anciens Grecs bannirent Thémistocle, et les modernes trompent M. Roque: c'est ainsi que les grands hommes ont toujours été traités!

En un mot, tous les Franks qui sont fixés dans ce pays, et la plupart des Anglais, des Allemands, des Danois, etc., qui ne font que passer, arrivent par degrés à la même opinion, avec autant de fondement qu'un Turk, venu en Angleterre, condamnerait la nation en masse, parce qu'il aurait été friponné par son laquais, ou surfait par sa blanchisseuse.

Certainement, ce n'est point un petit motif d'être ébranlé, quand les sieurs Fauvel et Lusieri, les deux plus grands démagogues du jour, qui se partagent entre eux le pouvoir de Périclès et la popularité de Cléon, et qui tourmentent le pauvre waiwode par leurs perpétuels différends, s'accordent à condamner les Grecs en général comme un peuple nulla virtute redemptum, et les Athéniens en particulier.

Pour moi, je n'ose hasarder mon humble opinion, sachant, comme je le sais, qu'il y a maintenant en manuscrit non moins de Cinq Tours80, de la première dimension et du plus menaçant aspect dans leur habillement typographique, faits par des personnes d'esprit et d'honneur, et qui prendront place au répertoire régulier des livres de cette espèce. Mais, si je puis exprimer mon opinion sans offenser personne, il me semble dur de déclarer si positivement, et si opiniâtrement, comme la plupart des personnes l'ont fait, que les Grecs, parce qu'aujourd'hui ils ne valent rien, ne seront jamais meilleurs.

Eton et Sonnini ont faussé notre opinion par leurs projets et leurs panégyriques; mais, d'un autre côté, de Paw et Thornton ont rabaissé les Grecs au-delà de leurs démérites.

Les Grecs ne seront jamais indépendans; ils ne seront jamais souverains comme autrefois, et Dieu les empêche de le devenir! Mais ils peuvent être sujets sans être esclaves. Nos colonies ne sont pas indépendantes; mais elles sont libres et industrieuses; la Grèce peut devenir ainsi par la suite.

Maintenant, comme les catholiques d'Irlande et les Juifs qui couvrent la terre, ainsi que tout autre peuple hétérodoxe ou bâtonné, les Grecs souffrent tous les maux physiques et moraux qui peuvent affliger l'humanité. Leur vie est un combat contre la vérité; ils sont vicieux pour leur propre défense. Ils sont si peu habitués à être traités avec humanité, que, lorsqu'il leur arrive par hasard d'en ressentir les effets, ils soupçonnent celui qui l'emploie envers eux, comme un chien souvent battu mord la main qui essaie de le caresser. «Ils sont ingrats notoirement, et d'une ingratitude abominable!» Tel est le cri général; mais, au nom de Némésis! pour qui doivent-ils avoir de la reconnaissance? Où est la créature humaine qui a jamais accordé un bienfait à un Grec, ou aux Grecs? Ils doivent être sans doute reconnaissans envers les Turks pour les fers qu'ils leur imposent, et aux Franks pour leurs promesses violées et leurs conseils perfides! Ils doivent être reconnaissans envers l'artiste qui arrache leurs ruines et l'antiquaire qui les emporte; envers le voyageur qui les fait flageller par son janissaire, et l'écrivain qui les insulte dans son journal! C'est là le montant de leurs obligations envers les étrangers.

 
II

Au couvent Franciscain, à Athènes, 23 janvier 1811.

Parmi les restes de la politique barbare des premiers âges, on trouve les traces de l'esclavage qui subsiste encore dans différentes contrées, dont les habitans, quoique divisés dans leur religion et leurs habitudes, s'accordent presque tous dans l'oppression qu'ils exercent.

Les Anglais ont eu enfin compassion de leurs nègres; et, sous un gouvernement un peu moins empreint de bigoterie, le jour arrivera81 où ils affranchiront aussi leurs frères catholiques; mais l'intervention seule des étrangers peut émanciper les Grecs, qui, autrement, paraissent avoir peu de chances d'émancipation de la part des Turks, comme les Juifs de la part du genre humain en général.

Nous connaissons de reste les Grecs anciens; au moins les jeunes gens de l'Europe consacrent à l'étude de leurs écrits et de leur histoire une grande partie de leur tems, qu'ils pourraient employer plus utilement à étudier leurs propres écrivains et leur propre histoire. Pour les Grecs modernes, nous les négligeons peut-être plus qu'ils ne le méritent; et tandis que chaque individu de quelque prétention au savoir passe sa jeunesse, et souvent son âge mûr, dans l'étude de la langue et des harangues des démagogues athéniens en faveur de la liberté, les descendans réels ou supposés de ces fiers républicains sont abandonnés à la tyrannie actuelle de leurs maîtres, quoique un léger effort de la part des nations européennes pût suffire pour briser leurs chaînes.

De croire, comme les Grecs le font, au retour de leur ancienne supériorité, ce serait une prétention ridicule. Il faudrait pour cela que le reste du monde rentrât dans son ancienne barbarie, après avoir reconnu la souveraineté de la Grèce; mais il ne paraît pas y avoir de grands obstacles, excepté dans l'apathie des Franks, à ce que la Grèce devînt une utile dépendance de l'empire ottoman, ou même un état libre avec de convenables garanties. Cependant je n'avance cela que sauf correction, car beaucoup de personnes bien informées doutent que ce que je propose puisse être jamais mis en pratique.

Les Grecs n'ont jamais perdu l'espoir de leur délivrance, quoiqu'ils soient maintenant très-divisés d'opinions au sujet de leurs probables libérateurs. Leur religion leur inspire de la confiance dans les Russes; mais ils ont déjà été deux fois trompés et abandonnés par cette puissance, et la leçon terrible qu'ils ont reçue après la désertion des Russes dans la Morée n'a pas encore été oubliée. Ils n'aiment pas les Français, quoique la soumission du reste de l'Europe doive être probablement suivie par la délivrance de la Grèce continentale. Les insulaires attendent des secours de l'Angleterre, en voyant qu'elle vient dernièrement de prendre possession de la république Ionienne, à l'exception de Corfou. Mais, quelle que soit la puissance qui prêtera le secours de ses armes aux Grecs, elle sera bienvenue par eux. Quand ce jour arrivera, que le ciel ait merci des Ottomans! ils ne peuvent compter sur la pitié des Giaours.

Mais, au lieu de rappeler ce qu'ils ont été autrefois, ou de disserter sur ce qu'ils peuvent être à l'avenir, considérons comme ils sont présentement.

Et ici il est impossible de concilier la divergence des opinions qui ont été manifestées par les marchands, en décriant les Grecs de toute leur force; par les voyageurs en général, en tournant nombre de périodes à leur louange, et en publiant de curieuses spéculations greffées sur leur premier état de splendeur, qui ne peut avoir plus d'influence sur leur sort actuel que l'existence des Incas n'en aura sur les destinées futures du Pérou.

Un écrivain très-spirituel a nommé les Grecs les alliés naturels des Anglais; un autre, non moins ingénieux, avance qu'ils ne peuvent être les alliés de personne, et qu'ils ne descendent point des anciens Grecs; un troisième, plus ingénieux encore que les deux premiers, bâtit un empire grec sur des fondemens russes, et réalise (sur le papier) toutes les chimères de Catherine II. Quant à la question de leur origine, qu'importe que les Mainotes soient ou ne soient pas les descendans en ligne directe des Lacédémoniens; ou que les Athéniens actuels soient aussi indigènes que les abeilles de l'Hymette, ou que les cigales auxquelles ils se comparaient autrefois? Quel Anglais s'informe s'il est d'un sang danois, saxon, normand ou troyen? ou qui, excepté un Welche, est affligé du désir d'être descendu de Caractacus?

Les pauvres Grecs ne sont déjà pas si abondamment pourvus des biens de la terre pour que leurs prétentions à une antique origine soient un objet d'envie. Alors il est bien cruel, dans M. Thornton, de les troubler dans la possession de tout ce que le tems leur a laissé, c'est-à-dire leur descendance, chose à laquelle ils sont le plus attachés, comme c'est la seule chose qu'ils puissent appeler leur bien propre. Il serait curieux, dans cette circonstance, de publier et de comparer les ouvrages de MM. Thornton et de Paw, Éton et Sonnini; paradoxes d'un côté et prévention de l'autre. M. Thornton prétend qu'il a des droits à la confiance publique, par une résidence de quatorze années à Péra. Cela pourrait être au sujet des Turks; mais ce long séjour ne lui a pas plus donné de lumières sur le véritable état de la Grèce et de ses habitans, que plusieurs années passées dans le quartier des marins de Londres ne lui eussent fait connaître les montagnes de l'Écosse occidentale.

Les Grecs de Constantinople habitent le fanal; et si M. Thornton n'a pas plus souvent traversé la Corne Dorée que ses confrères les marchands n'ont coutume de le faire, je n'ai pas une grande confiance dans ses renseignemens. J'ai entendu dernièrement un de ces messieurs se vanter de leurs communications très-rares avec la cité, et assurer avec un air de triomphe que pour sa part il n'avait été que quatre fois à Constantinople dans un pareil nombre d'années.

Pour ce qui regarde les voyages de M. Thornton dans la mer Noire sur des vaisseaux grecs, ils doivent lui donner la même idée de la Grèce qu'une navigation à Berwick sur un bateau pêcheur anglais lui donnerait des extrémités de l'Écosse. Alors sur quels fondemens s'arroge-t-il le droit de condamner en masse un peuple dont il connaît si peu d'individus? C'est un fait curieux que M. Thornton, qui blâme si souvent Pouqueville toutes les fois qu'il parle des Turks, recoure cependant à lui comme une autorité en parlant des Grecs, et le nomme un observateur impartial. Et pourtant le Dr. Pouqueville n'a pas plus de droit à ce titre que M. Thornton n'en a à le lui conférer.

Le fait est que nous sommes déplorablement privés de renseignemens certains sur les Grecs, et particulièrement sur leur littérature; et il n'y a pas de probabilité que nous en recevions avant que nos relations ne deviennent plus intimes, ou que leur indépendance soit consommée. Les rapports des voyageurs sont aussi peu dignes de confiance que les invectives passionnées des traficans. Mais, jusqu'à ce que nous puissions en avoir de meilleurs, nous devons nous contenter du peu que nous pouvons apprendre de certain à de pareilles sources.

Quelque défectueuses qu'elles puissent être cependant, elles sont préférables aux paradoxes des hommes qui n'ont lu que superficiellement les anciens, et qui n'ont rien vu des modernes, comme de Paw, qui, lorsqu'il affirme que la race des chevaux anglais est ruinée par New-Market82, et que les Spartiates furent lâches sur le champ de bataille, trahit une égale connaissance des chevaux anglais et des anciens Spartiates. Ses Observations philosophiques auraient une prétention plus juste au titre de Rêveries. On ne doit pas attendre que celui qui condamné si libéralement quelques-unes des plus célèbres institutions des anciens, ait quelque indulgence pour les Grecs modernes; et il arrive heureusement que l'absurdité de ses hypothèses sur leurs ancêtres réfute ses assertions sur eux-mêmes.

Ainsi, croyons qu'en dépit des prophéties de de Paw, et des doutes de M. Thornton, il existe une espérance raisonnable de délivrance en faveur d'un peuple qui, quelles que puissent être les erreurs de sa politique et de sa religion, a été amplement puni par trois siècles et demi de captivité.

III

Athènes, au couvent Franciscain, le 17 mars 1811.

Je dois avoir un entretien avec ce savant Thébain.

Quelque tems après mon départ de Constantinople pour venir ici, je reçus le trente-et-unième numéro de la Revue d'Édimbourg, qui, à cette distance, était une faveur dont j'étais redevable au capitaine d'une frégate anglaise qui était dans les eaux de Salamine. L'article 3 de ce numéro contenait la revue d'une traduction française de Strabon; on y avait ajouté quelques remarques sur les Grecs modernes et leur littérature, avec une courte notice sur Coray, un des auteurs de la version française. Je me bornerai à un petit nombre d'observations sur les remarques, et le lieu où je les écris me justifiera, je l'espère, de les introduire dans un ouvrage lié, sous plusieurs rapports, à ce sujet. Coray, le plus célèbre des Grecs vivans, au moins parmi les Européens, naquit à Scio (dans la Revue on le fait naître à Smyrne, j'ai des raisons de croire que c'est inexact), et, outre la traduction de Beccaria, et d'autres ouvrages mentionnés par l'écrivain de la Revue, il a publié un lexique en romaïque et en français, si je dois en croire l'assurance que m'en ont donnée quelques voyageurs danois nouvellement arrivés de Paris. Mais le dernier lexique que nous ayons vu ici, en français et en grec, est celui de Grégoire Zolikoglou83. Coray a été récemment engagé dans une désagréable controverse avec M. Gail84, commentateur parisien et éditeur de quelques traductions de poètes grecs; parce que l'Institut de France lui avait adjugé le prix pour sa version d'Hippocrate: Περί ύδἀτων, etc., au désappointement, et par conséquent au mécontentement de M. Gail. Des éloges sont indubitablement dus aux travaux littéraires et au patriotisme de Coray, mais une part de ces éloges ne doit pas être enlevée aux deux frères Zozimado (marchands établis à Livourne), qui l'ont envoyé à Paris, et l'y ont maintenu, dans le but exprès de chercher à éclaircir les obscurités des anciens Grecs, et d'ajouter aux recherches modernes de ses compatriotes. Coray toutefois n'est pas aussi célèbre parmi ses compatriotes que quelques-uns qui vivaient dans les deux derniers siècles; plus particulièrement Dorothéus de Mitylène, dont les écrits helléniques sont si estimés par les Grecs, que Meletius les nomme: Μετα τόν Θουχύδιδην καί Ξενοφώντα άριστος Ελληνωυ. (P. 224, Histoire Ecclésiastique, vol. 4.)

 

Panagiotes Kodrikas, le traducteur de Fontenelle, et Kamarasis, qui a traduit en français l'ouvrage d'Ocellus Lucanus, sur l'Univers; Christodoulos, et plus particulièrement Psalida, avec qui je me suis entretenu à Yanina, ont aussi beaucoup de réputation parmi les lettrés de leur pays. Le dernier a publié en romaïque et en latin un ouvrage sur le vrai bonheur, dédié à Catherine II. Mais Polyzoïs, qui est désigné par l'écrivain de la Revue comme le seul moderne, excepté Coray, qui se soit distingué par sa connaissance de l'hellénique, si c'est le Polyzoïs Lampanitziotis de Yanina, qui a publié nombre d'ouvrages en romaïque, il n'est ni plus ni moins qu'un marchand de livres ambulant, avec le contenu desquels livres il n'a rien de commun que son nom placé sur la page du titre pour lui en garantir la propriété dans la publication, et c'est, de plus, un homme entièrement dépourvu de connaissances classiques. Cependant, comme ce nom est commun, quelque autre Polyzoïs peut avoir été l'éditeur des lettres d'Aristhainetus.

Il est à regretter que le système du blocus continental ait fermé toutes les communications par lesquelles les Grecs pouvaient faire imprimer leurs livres, particulièrement à Venise et à Trieste. Les grammaires communes à l'usage des enfans sont devenues même trop chères pour les basses classes. Parmi les livres originaux des Grecs modernes, on doit consulter la Géographie de Mélétius, archevêque d'Athènes, et une multitude d'in-quarto théologiques et de brochures ou pamphlets poétiques. Leurs grammaires et lexiques en deux, trois et quatre langues, sont nombreux et excellens. Leur poésie est rimée. La plus singulière pièce que j'en aie vue, il y a peu de tems, est une satire dialoguée entre un Russe, un Anglais et un Français, voyageurs, le waiwode de la Wallachie (ou Blakbey, comme ils le nomment), un archevêque, un marchand, et un Çogïa-Bachi (ou primat). Ils paraissent successivement dans la pièce, et l'écrivain leur attribue à tous l'avilissement actuel des Grecs sous les Turks.

Leurs chants sont quelquefois gracieux et pathétiques; mais les airs sont généralement désagréables aux oreilles d'un Frank. Le meilleur de tous est le fameux: Δεύτε, παἵδες τὤν Ελλἠνων85! par l'infortuné Riga. Mais, dans un catalogue de plus de soixante auteurs que j'ai sous les yeux, on en peut trouver tout au plus quinze qui aient traité autre chose que de la théologie.

Je suis chargé d'une commission par un Grec d'Athènes, nommé Marmarotouri, à l'effet de prendre des arrangemens, s'il est possible, pour faire imprimer à Londres une traduction en romaïque du Voyage d'Anacharsis de Barthélemy. Il n'a pas d'autres moyens de publier sa traduction, si ce n'est d'envoyer son manuscrit à Vienne par la mer Noire et le Danube.

L'écrivain de la Revue mentionne une école établie à Hécatonesi, et supprimée à l'instigation du général Sébastiani86. Le critique veut sans doute parler de Cidonie, ou en turc Haivali, ville située sur le continent, où cette institution, qui renferme une centaine d'étudians et trois professeurs, subsiste encore. Il est vrai que cet établissement a été inquiété par la Porte, sous le ridicule prétexte que les Grecs construisaient une forteresse au lieu d'un collége. Mais, après quelques démarches et le paiement de quelques bourses au Divan, la permission a été accordée de continuer l'enseignement. Le professeur principal, nommé Veniamin (c'est-à-dire Benjamin), est regardé comme un homme de talent, mais comme un franc penseur. Il est né à Lesbos, et a étudié en Italie: il enseigne l'hellénique, le latin, et quelques langues franques; outre cela, il a quelques notions sur les sciences.

Quoique ce ne soit pas mon intention de m'étendre plus loin sur ce sujet que ce qui concerne l'article en question, je ne puis m'empêcher d'observer que les lamentations du critique de la Revue sur la décadence des Grecs paraissent singulières, lorsqu'il les termine par ces mots: «Ce changement doit être attribué à leurs infortunes plutôt qu'à une dégradation physique.» Il peut être vrai que les Grecs ne soient pas physiquement dégénérés, et que Constantinople contenait, le jour où elle changea de maîtres, autant d'hommes de six pieds et au-dessus que dans ses jours de prospérité. Mais l'histoire ancienne et les publicistes modernes nous enseignent que quelque chose de plus que la perfection physique est nécessaire pour conserver un état dans sa force et son indépendance; et les Grecs, en particulier, sont un triste exemple des rapports intimes qui existent entre la dégradation morale et la décadence d'une nation.

L'écrivain de la Revue parle d'un plan qu'il croit, dit-il, imaginé par Potemkin pour perfectionner le romaïque. J'ai fait d'inutiles efforts pour me procurer des renseignemens sur son existence. Il y avait une académie à St. – Pétèrsbourg pour les Grecs; mais elle a été supprimée par Paul, et n'a point été rétablie par son successeur.

C'est par une distraction de la plume du critique, et ce ne peut être qu'une distraction de sa plume (a slip of the pen) que, à la page 58, nº 31 de la Revue d'Édimbourg, on trouve ces mots: «Nous savons que, lorsque la capitale de l'Orient céda à Solyman…» Il est à présumer que, dans une seconde édition de la Revue, ce dernier mot sera remplacé par celui de Mahomet II87. «Les dames de Constantinople, ajoute la Revue, parlaient, à cette époque, un dialecte qui n'aurait pas défiguré les lèvres d'une Athénienne.» Je ne sais pas comment cela pourrait être; mais, il m'est pénible de le dire, les dames en général, et les Athéniennes en particulier, sont bien déchues maintenant, étant aussi loin de choisir leur dialecte ou leurs expressions, que toute la race athénienne ne justifie le proverbe:

Ω Αθηνα πρστη χωρα

Τι γαιδαρους τρεψεις τωρα.

Dans Gibbon, vol. 10, p. 161, on trouve le passage suivant: «Le dialecte vulgaire de Constantinople était grossier et barbare, quoique les compositions d'église et de palais affectassent quelquefois de copier la pureté des modèles attiques.» Quoi qu'on ait pu dire à ce sujet, il est difficile de concevoir que les dames de Constantinople parlassent, sous le règne du dernier César, un dialecte plus pur que celui dans lequel Anna Comnène avait écrit trois siècles avant, et ces royales pages ne sont pas regardées comme les meilleurs modèles de composition, bien que la princesse γλωτταν ειχεν ΑΚΡΙΒΩΣ αττιχιζουσαν. C'est au fanal et à Yanina que l'on parle le meilleur grec; à Yanina, il y a une école florissante sous la direction de Psalida.

Il vient d'arriver à Athènes un élève de Psalida, qui fait un voyage d'observation dans la Grèce; il est intelligent et mieux instruit qu'un pensionnaire de la plupart de nos colléges. Je rapporte ceci comme une preuve que l'esprit de recherche et d'observation ne sommeille pas chez les Grecs.

L'écrivain de la Revue désigne M. Wright, l'auteur du beau poème intitulé: Horœ Ionicœ, comme propre à donner des détails sur ces Romains de nom et Grecs dégénérés, ainsi que sur leur langue. Mais M. Wright, quoique bon poète et homme capable, a commis une erreur en assurant que le dialecte albanais du romaïque approche le plus de l'hellénique; cependant les Albanais parlent un dialecte aussi notoirement corrompu que l'écossais du comté d'Aberdeen, ou l'italien de Naples. Yanina (où l'on parle le grec le plus pur après le Fanal), quoique la capitale des possessions d'Ali-Pacha, n'est point en Albanie, mais en Épire; et au-delà de Delvinachi, dans l'Albanie propre, jusqu'à Argyrocastro et Tépalin (au-delà de laquelle je ne suis point allé), on parle un grec encore plus mauvais qu'à Athènes même. J'ai eu à mon service, un an et demi, deux de ces singuliers montagnards, dont la langue mère est l'illyrien, et je ne les ai jamais entendu louer, ni leurs compatriotes (que j'ai vus, non-seulement dans leurs demeures, mais au nombre de vingt mille dans l'armée de Veli-Pacha), pour leur grec; mais ils étaient souvent raillés pour leurs barbarismes de province.

J'ai en ma possession près de vingt-cinq lettres (parmi lesquelles il s'en trouve quelques-unes du bey de Corinthe) qui me furent écrites par Notaras, le Cogia-Bachi, et d'autres par le drogman du Caïmacam de la Morée (qui gouverne maintenant en l'absence de Véli-Pacha). On m'a dit que c'étaient de favorables spécimens de leur style épistolaire. J'en ai aussi reçu quelques-unes à Constantinople de la part de quelques particuliers; elles sont écrites dans le style le plus hyperbolique, mais avec le vrai caractère antique.

L'écrivain de la Revue, après quelques remarques sur la langue grecque dans son état passé et présent, arrive à ce paradoxe (page 59) que la connaissance de sa langue maternelle à dû être très-nuisible à Coray pour apprendre l'ancien grec; comme s'il était moins capable de le comprendre à cause qu'il sait parfaitement le moderne! Cette observation suit un paragraphe où l'on recommande en termes explicites l'étude du romaïque comme un puissant auxiliaire, non-seulement au voyageur et au marchand étranger, mais aussi à celui qui fait ses études classiques; en un mot, à toute personne, excepté seulement celle qui peut s'en rendre l'usage familier; et, par une parité de raisonnement, notre vieux langage est regardé comme plus facile à acquérir par les étrangers que par nous-mêmes! Je suis toutefois porté à croire qu'un Allemand, étudiant l'anglais (quoique lui-même d'un sang saxon), serait fort embarrassé pour expliquer Sir Tristrem, ou quelque autre des Auchinlech manuscrits, avec ou sans le secours d'une grammaire ou d'un glossaire. Il paraîtra évident à tous les esprits qu'il n'y a qu'un natif qui puisse obtenir une connaissance compétente, je ne dis pas complète, de nos idiomes tombés en désuétude. Nous devons avoir confiance dans le critique pour son ingénuité, mais nous ne le croirons pas plus que le Lismahago de Smollet, qui soutient que l'anglais le plus pur se parle à Édimbourg. Que Coray ait pu se tromper, c'est possible; mais, s'il en est ainsi, la faute en est à l'homme plutôt qu'à sa langue maternelle, qui est, comme cela doit être, du plus grand secours à l'étudiant grec. Ici l'écrivain de la Revue arrive à l'œuvre des traducteurs de Strabon; j'y termine aussi mes remarques.

80Variété du titre de voyage, terme que l'on affectionne en Angleterre comme plus distingué. Chacun y veut faire son tour. (N. du Tr.)
81Ce jour est arrivé, mais peut-être par la force des choses. (N. du Tr.)
82Endroit où se font les courses de chevaux.
83J'ai en ma possession un excellent lexique, τριγλωσσον, que j'ai reçu de S.G., esq., en échange d'une petite pierre précieuse. Mes amis, antiquaires, ne l'ont jamais oublié, et ne me l'ont pas encore pardonné.
84Dans le pamphlet de M. Gail contre Coray, il parle de jeter l'insolent helléniste par les fenêtres. Sur ce, un critique français s'écrie: «Oh! mon Dieu! jeter un helléniste par les fenêtres, quel sacrilége!» C'eût été certainement une sérieuse affaire pour les auteurs qui habitent dans des mansardes. Je n'ai cité ce passage que pour faire voir la ressemblance de style des controversistes de toutes les contrées policées. Londres et Édimbourg soutiendraient avantageusement, dans ce sens, le parallèle avec cette ébullition parisienne.
85Écoutez, enfans des Grecs, etc. Ce chant sublime a beaucoup de rapport avec la fameuse Marseillaise: on pense que Riga s'en était inspiré. (N. du Tr.)
86Alors notre ambassadeur près la Porte-Ottomane. (N. du Tr.)
87Dans un précèdent numéro de la Revue d'Édimbourg, 1808, il est dit: «Lord Byron a passé quelques-unes de ses premières années en Écosse. Il aurait pu y apprendre que le mot pibroch ne signifie point une cornemuse, pas plus que duo ne signifie un violon.» Dites-moi, était-ce en Écosse que les jeunes gens de l'Edinburgh Review ont appris que Solyman signifie Mahomet II? et encore que critique signifie infaillibilité? mais voilà comme: Cœdimus inque vicem prœbemus crura sagittis. L'erreur semble si bien une distraction de plume (par la grande ressemblance des deux mots, et l'absence totale d'erreur du leviathan littéraire), que je l'aurais passée ici sous silence, ainsi que dans le texte, si je n'avais aperçu dans la Revue d'Édimbourg beaucoup de gaîtés facétieuses, à propos de telles découvertes, particulièrement une récente, dans laquelle les mots et les syllabes sont discutés et transposés. Le passage ci-dessus mentionné me porte involontairement à lui apprendre qu'il est plus facile de critiquer que de bien faire. Ces messieurs ayant si souvent joui d'un triomphe après de semblables victoires, qu'ils me permettent cette petite ovation pour le présent.