Tasuta

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 3

Tekst
iOSAndroidWindows Phone
Kuhu peaksime rakenduse lingi saatma?
Ärge sulgege akent, kuni olete sisestanud mobiilseadmesse saadetud koodi
Proovi uuestiLink saadetud

Autoriõiguse omaniku taotlusel ei saa seda raamatut failina alla laadida.

Sellegipoolest saate seda raamatut lugeda meie mobiilirakendusest (isegi ilma internetiühenduseta) ja LitResi veebielehel.

Märgi loetuks
Šrift:Väiksem АаSuurem Aa

Sir W. Drummond, M. Hamilton, lord Aberdeen, le Dr. Clarke, le capitaine Leake, M. Geil, M. Walpole, et beaucoup d'autres personnes qui se trouvent maintenant en Angleterre, ont tout ce qu'il faut pour donner des renseignemens certains sur ce peuple déchu. Le petit nombre d'observations que j'ai publiées n'auraient pas vu le jour, si l'article en question, et, par-dessus tout, le lieu où je l'ai lu, ne m'avaient conduit à méditer attentivement ces pages, que l'avantage de ma situation présente me mettait à même d'éclaircir, ou au moins d'essayer de le faire.

Je me suis efforcé de repousser tous les sentimens personnels qui s'élèvent malgré moi dans tout ce qui concerne la Revue d'Édimbourg; non par le désir de me concilier la faveur de ses écrivains, ou pour effacer le souvenir d'une syllabe de ce que j'ai publié dans le tems; mais simplement parce que je sens l'inconvenance de mêler des ressentimens privés à une discussion de cette espèce, principalement à cette distance de tems et de lieux.

NOTE ADDITIONNELLE SUR LES TURKS

Les difficultés de voyager en Turquie ont été beaucoup exagérées, ou plutôt ont considérablement diminué depuis quelques années. Les musulmans ont été amenés à une espèce de civilité très-favorable aux voyageurs.

Il est hasardeux de s'étendre beaucoup au sujet des Turks et de la Turquie, puisqu'il est possible de vivre vingt ans parmi eux sans apprendre à les connaître, au moins par eux-mêmes. Autant que ma faible expérience m'a permis d'en juger, je n'ai pour ma part aucune plainte à former; mais je suis redevable de beaucoup de civilités (je puis dire aussi d'amitié) et d'une agréable hospitalité à Ali Pacha, à son fils Véli, pacha de Morée, et à beaucoup d'autres personnes de haut rang dans les provinces. Suleyman Aga, ex-gouverneur d'Athènes, et maintenant gouverneur de Thèbes, était un bon vivant; il était d'un caractère si sociable qu'il était toujours accroupi à table. Pendant le carnaval, lorsque nos compatriotes faisaient des mascarades, lui et son successeur étaient plus heureux de recevoir les masques, qu'aucune douairière de la place du Grand-Veneur (Grosvenor square). Dans une occasion où il soupait au couvent, son ami et son hôte, le cadi de Thèbes, se laissa tomber de table, tandis que le waywode lui-même semblait triompher de sa chute.

Dans toutes mes relations monétaires avec les musulmans, j'ai toujours rencontré l'honneur le plus strict, le plus grand désintéressement. En traitant d'affaires avec eux, on ne rencontre point ces honteuses retenues cachées sous le nom d'intérêt, de différence de change, de commissions, etc., que l'on éprouve uniformément en ayant affaire à un consul grec, qui vous donne des lettres de change même sur les premières maisons de Péra.

Quant à présent, d'après une coutume établie dans l'Orient, vous vous trouverez rarement en perte, parce qu'une bonne lettre de change est généralement retournée par une autre d'une semblable valeur, comme un cheval ou un shawll.

Dans la capitale et à la cour, les citoyens et les courtisans sont formés à la même école que ceux de la chrétienté; mais il n'existe pas un caractère plus honorable, plus aimable et plus courtois que le provincial aga, vraiment turk, ou le gentilhomme musulman de province. On n'entend pas désigner ici les gouverneurs des villes, mais ces agas qui, par une espèce d'alleu féodal, possèdent des terres et des maisons plus ou moins considérables en Grèce et dans l'Asie-Mineure.

Les basses classes sont dans un état de soumission aussi tolérable que le bas peuple dans des contrées qui ont des prétentions plus grandes à la civilisation. Un musulman, en parcourant les rues de nos villes de province, se trouverait plus gêné en Angleterre qu'un Frank dans une pareille situation en Turquie. L'uniforme militaire est le meilleur habillement pour voyager.

On peut trouver des notions satisfaisantes sur la religion et les différentes sectes de l'islamisme dans l'ouvrage français de d'Hosson, et sur leurs manières, etc., peut-être dans l'ouvrage de l'anglais Thornton. Les Ottomans, avec tous leurs défauts, ne sont pas un peuple à mépriser. Égaux au moins aux Espagnols, ils sont supérieurs aux Portugais. S'il est difficile de dire ce qu'ils sont, on peut au moins dire ce qu'ils ne sont pas: ils ne sont pas traîtres, ils ne sont pas lâches, ils ne brûlent pas les hérétiques, ils ne sont pas assassins, quand même l'ennemi marcherait à leur capitale. Ils sont fidèles à leur sultan jusqu'à ce qu'il devienne incapable de gouverner, et ils sont dévoués à leur dieu sans inquisition. S'ils étaient chassés demain de Ste. – Sophie, et si les Russes ou les Français occupaient leur empire, ce serait une question de savoir si l'Europe gagnerait au change? L'Angleterre y perdrait certainement88.

Quant à cette ignorance dont ils sont si généralement, et quelquefois si justement accusés, on peut mettre en doute, en exceptant toujours la France et l'Angleterre, dans quels points usuels de connaissances ils sont surpassés par les autres nations. Est-ce dans les arts habituels de la vie? dans leurs manufactures? Un sabre turk est-il inférieur à un sabre de Tolède? ou un Turk est-il plus mal habillé, logé, nourri et instruit qu'un Espagnol? Leurs pachas sont-ils plus mal élevés qu'un grand d'Espagne? ou un effendi qu'un chevalier de Saint-Jacques? Je ne le crois pas.

Je me rappelle que Mahmout, le petit-fils d'Ali-Pacha, me demanda si mon compagnon de voyage et moi étions de la haute ou basse Chambre du Parlement. Cette question d'un enfant de dix ans prouve que son éducation n'avait pas été négligée. On pourrait douter si un jeune anglais de cet âge connaît la différence du divan et d'un collége de derviches; mais je suis bien sûr qu'un Espagnol ne la connaît pas. Comment le petit Mahmout, entouré entièrement comme il l'avait été par ses gouverneurs turks, eût-il appris qu'il y avait un Parlement en Angleterre, à moins de supposer que ses instituteurs ne bornaient pas ses études au Koran?

Dans toutes les mosquées, il y a des écoles établies qui sont régulièrement fréquentées; et les pauvres sont instruits sans que l'église turque soit en péril. Je crois que le système d'éducation n'est pas encore imprimé (bien qu'il existe déjà des presses turques, et que des livres soient imprimés pour l'instruction militaire du Nizam Gedidd); je n'ai pas entendu dire si le Muphti et les Mollas ont souscrit, ou si le Caïmacam et le Tefterdar ont pris l'alarme, dans la crainte que le jeune homme instruit du turban soit appris à ne pas demander à Dieu sa voie. Les Grecs aussi, espèce de papistes irlandais de l'Orient, ont un collége de leur propre religion à Maynouth, – non, à Haivali, où les chrétiens hétérodoxes reçoivent la même protection des Ottomans, que le collége catholique de la législation anglaise. Qui, alors, osera affirmer que les Turks sont d'ignorans bigots, lorsqu'ils montrent ainsi la même proportion de charité chrétienne qui est tolérée dans le plus prospère et le plus orthodoxe de tous les royaumes possibles? Mais, quoiqu'ils accordent toutes ces choses, ils ne souffriraient pas que les Grecs participassent à leurs priviléges; non: qu'ils se battent bien à la guerre, et paient exactement leur haratch (taxe); qu'ils soient battus dans ce monde et damnés dans l'autre. Émancipons-nous nos hilotes irlandais? Mahomet nous en défende! Nous serions alors de mauvais musulmans et d'indignes chrétiens. À présent, nous réunissons tout à la fois deux excellentes choses: la foi jésuitique, et quelque chose qui n'est pas beaucoup inférieur à la tolérance turque89.

APPENDIX

Chez un peuple esclave, obligé d'avoir recours à des presses étrangères, même pour ses livres de religion, il est moins étonnant de trouver un si petit nombre de publications sur des sujets généraux, que d'en trouver quelques-unes sur un sujet quelconque. Le nombre total des Grecs, dispersés dans l'empire turc et partout ailleurs, peut s'élever tout au plus à trois millions; et cependant, pour un si petit nombre, il est impossible de trouver une nation riche d'une si grande proportion de livres et d'auteurs que les Grecs du siècle actuel. «Oui!» diront les généreux avocats de la servitude, qui, tandis qu'ils affirment l'ignorance des Grecs, désirent les empêcher de la dissiper. «Oui! ce sont pour la plupart, si ce ne sont tous, des traités ecclésiastiques, et, par conséquent, utiles à rien.» Fort bien! Que peuvent-ils écrire autre chose, je vous demande? Il est assez plaisant d'entendre un Frank, principalement un Anglais, qui abuse ainsi le gouvernement de son propre pays; ou un Français, qui peut abuser tout autre gouvernement, excepté le sien, et qui peut écrire à sa volonté sur chaque sujet philosophique, religieux, scientifique, sceptique ou moral, méprisant les légendes grecques! Un Grec ne peut écrire sur la politique, et ne peut esquisser aucune science, faute d'instruction; s'il doute, il est excommunié et damné: c'est pourquoi ses compatriotes ne sont pas empoisonnés par la philosophie moderne; et quant aux écrits moraux, remerciez-en les Turcs: ils ne connaissent pas ces choses-là. Que leur reste-t-il donc, si le cercle dans lequel ils peuvent écrire est tracé? La religion et la biographie sacrée; et il est assez naturel que ceux qui ont si peu de choses en partage dans cette vie jettent leurs regards sur la vie future. Alors on ne devra pas être surpris que dans un catalogue que j'ai maintenant sous les yeux, de cinquante-cinq écrivains grecs, dont la plupart étaient encore vivans il y a peu d'années, il ne s'en trouve pas plus de quinze qui aient traité autre chose que la religion. Le catalogue en question est contenu dans le vingt-sixième chapitre du quatrième volume de l'Histoire Ecclésiastique de Mélétius. J'extrais de ce catalogue une liste des auteurs qui ont écrit sur des sujets généraux; elle sera suivie de quelques spécimens en romaïque90.

 

LISTE D'AUTEURS ROMAÏQUES91

Néophitus, diakonos (le diacre) de la Morée, a publié une grammaire étendue et aussi quelques réglemens politiques, qui ont été laissés inachevés à sa mort.

Prokopius, de Moscopolis (ville de l'Épire), a écrit et publié un catalogue des Grecs savans.

Séraphin, de Périclée, est l'auteur de beaucoup d'ouvrages en langue turque, mais en caractère grec, pour les chrétiens de la Caramanie, qui ne parlent pas le romaïque, mais qui lisent ce caractère.

Eustathius Psalida, de Bucharest, médecin, fit le voyage de l'Angleterre dans le but de s'instruire (χάρευ μαθήσεως); mais quoique son nom soit cité, on ne dit pas qu'il ait publié quelque ouvrage.

Kalliuikus Torgeraus, patriarche de Constantinople. On a de lui plusieurs poèmes et des traités en prose, ainsi qu'une liste des patriarches, depuis la dernière prise de Constantinople.

Anastasius Macedon, de Naxos, membre de l'académie royale de Varsovie: c'est un biographe d'église.

Démétrius Pamperis, de Moscopolis, a écrit plusieurs ouvrages, particulièrement un commentaire sur le Bouclier d'Hercule, d'Hésiode, et deux cents contes (on ne dit pas sur quels sujets); et il a publié sa correspondance avec le célèbre George de Trébisonde, son contemporain.

Mélétius, célèbre géographe, auteur du livre d'où cette liste est tirée.

Dorothéus, de Mitylène, philosophe aristotélicien. Ses ouvrages helléniques sont en grande réputation, et il est estimé par les modernes (je cite les paroles de Mélétius): μετά τόν Θόυχυδίδην καἰ Ξενοψωντα ἀριϛοϛ Ελλἠνων. J'ajoute, sur l'autorité d'un Grec bien informé, qu'il était si célèbre parmi ses compatriotes, qu'ils avaient l'habitude de dire: Si Thucydide et Xénophon étaient perdus, il serait capable de réparer cette perte.

Marinus, comte Tharboures, de Céphalonie, professeur de chimie à l'académie de Padoue, et membre de cette académie, ainsi que de celles de Stockholm et d'Upsal. Il a publié, à Venise, un aperçu de quelques animaux marins, et un traité sur les propriétés du fer.

Marcus, frère du précédent, fameux dans les mécaniques. Il dirigea sur Saint-Pétersbourg l'immense rocher de marbre sur lequel la statue de Pierre-le-Grand fut posée en 1769. Voyez la dissertation qu'il publia à Paris en 1777.

George Constantin a publié un lexique en quatre langues.

George Ventote, un lexique en français, en italien et en romaïque.

Il existe beaucoup d'autres dictionnaires en latin, en romaïque, en français, etc., et des grammaires dans chaque langue moderne, excepté en anglais.

Parmi les auteurs vivans, ceux qui suivent sont les plus célèbres92:

On trouvera des renseignemens plus étendus sur ce sujet à la fin des notes du quatrième chant.

Athanasius Parios a écrit un traité de rhétorique hellénique.

Christodoulos, Acarnanien, a publié à Vienne quelques traités sur la physique, en hellénique.

Panagiotes Kodrikas, Athénien, le traducteur romaïque de la Pluralité des mondes de Fontenelle (ouvrage en grande faveur parmi les Grecs), est destiné à une chaire de langues hellénique et arabe à Paris93, langues qu'il possède d'une manière distinguée.

Athanasius, de Paros, auteur d'un traité sur la rhétorique.

Vicenzo Damodos, de Céphalonie, a écrit: Εἰς το μεσοβάρβαρον, sur la logique et la physique.

Jean Kamarasis, Byzantin, a traduit en français, Ocellus, sur l'Univers. On le dit excellent helléniste et latiniste.

Grégoire Démétrius a publié, à Vienne, un ouvrage géographique. Il a aussi traduit plusieurs auteurs italiens, et a imprimé ses versions à Venise.

Des notices sur Coray et Psalida ont déjà été données précédemment.

Chant Troisième

Afin que cette application vous forçât de penser à autre chose: il n'y a en vérité de remède que celui-là et le tems.

(Lettre du roi de Prusse à d'Alembert, 7 septembre 1776.)

1. Ton visage est-il semblable à celui de ta mère, ma belle enfant! Ada! seule fille de ma maison et de mon cœur? Quand je vis la dernière fois tes jeunes yeux bleus, ils souriaient, et nous nous séparâmes alors, – non comme nous nous séparons aujourd'hui, mais avec une espérance. – M'éveillant en sursaut, je vois les vagues se soulever autour de moi, et dans les airs les voix des vents se font entendre: Je pars; où vais-je? – Je n'en sais rien; car le tems n'est plus où les rivages d'Albion, disparaissant à mes regards, pouvaient faire naître en moi de la tristesse ou de la joie.

2. Une fois encore sur les ondes! oui, une fois encore! Les vagues bondissent sous moi comme un fougueux coursier qui reconnaît son cavalier. Salut! salut à leur mugissement! rapide soit leur marche, quels que soient les lieux où elles me conduisent! Quand même le mât ployé du navire tremblerait comme un roseau, quand les voiles déchirées flotteraient en lambeaux emportés par les vents, je poursuivrais encore ma route sur les mers, car je suis comme l'algue marine, arrachée du rocher, et entraînée sur l'écume de l'Océan pour voguer partout où les lames se soulèvent et où règne le souffle de la tempête.

3. Dans l'été de mes jours j'entrepris de chanter un jeune homme, l'errant exil de son esprit sombre; je reprends un thème que j'avais à peine commencé. Je le porte avec moi, comme le vent fougueux porte et roule des nuages dans les airs; je retrouve dans cette histoire les traces de pensées qui ne sont plus, et de larmes taries qui n'ont laissé après elles que de stériles vestiges, sur lesquels toutes mes années voyageuses foulent lentement les derniers sables de la vie. – Désert stérile où n'apparaît aucune fleur.

4. Depuis mes jeunes jours de passion, – de joie et de douleur, peut-être mon cœur et ma lyre auront perdu leur secret d'harmonie. Peut-être serait-ce en vain que je voudrais essayer de chanter comme je chantais. Cependant, quelque tristes que soient mes accords, je veux y livrer mon ame, s'ils peuvent m'arracher au rêve accablant d'une douleur ou d'une gaîté personnelle; – s'ils peuvent répandre l'oubli autour de moi. – Alors ces chants, du moins pour moi, ne seront point sans quelque charme.

5. Celui qui a vieilli dans ce monde de douleurs par ses actions et non par ses années, perçant les profondeurs mystérieuses de la vie, à tel point qu'aucun étonnement ne peut désormais le surprendre, et dont l'amour, la douleur, la renommée, l'ambition, ne peuvent blesser le cœur avec le glaive aigu de la souffrance silencieuse et déchirante; celui-là pourra dire pourquoi la pensée cherche un refuge dans les grottes solitaires, peuplées, pour elle, d'images aériennes et de formes qui subsistent encore sans altération, malgré leur âge, dans la retraite fréquentée de l'ame.

6. C'est pour créer, et pour vivre, en créant, d'une vie plus intense, que nous donnons des formes à nos rêveries, obtenant nous-mêmes comme nous la donnons, la vie que nous rêvons, ainsi que je l'éprouve maintenant. Que suis-je? Rien; mais tu n'es pas ainsi, ame de ma pensée! avec toi, être invisible, mais doué de la faculté de contemplation, je traverse la terre; embrasé de ton esprit, partageant ton essence immortelle, et recouvrant avec toi une sensibilité qui paraissait avoir été brisée par le malheur.

7. Cependant je dois penser plus sagement: – j'ai pensé trop long-tems, j'ai eu des idées trop sombres, jusqu'à ce que mon cerveau soit devenu dans ses propres et tournoyantes ébullitions, un gouffre enflammé de conceptions et de rêveries extraordinaires. Ainsi, n'ayant point appris dans ma jeunesse à dompter mon cœur, les sources de ma vie ont été empoisonnées. Il est trop tard! cependant je suis bien changé; quoique je sois encore assez le même en force pour supporter ce que le tems ne peut abattre, et me nourrir encore de fruits plus amers sans accuser le sort.

8. J'en ai déjà trop dit sur ce sujet: – mais maintenant tout cela est passé, et le charme s'est fermé avec son sceau silencieux. Long-tems absent, Harold va reparaître enfin. Lui, dont le cœur sans peine eût voulu ne plus rien sentir, déchiré qu'il était par des blessures qui ne font point mourir, mais qui sont incurables. Toutefois, le tems, qui change tout, l'avait altéré dans son ame, dans ses traits comme dans son âge. Les années enlèvent son feu à l'esprit, comme aux membres leur vigueur, et la coupe enchantée de la vie ne pétille que près du bord.

9. Harold avait épuisé la sienne trop rapidement, et il trouva que la lie en était de l'absinthe; mais il l'avait remplie de nouveau à une source plus pure sur une terre sacrée, et il croyait cette coupe intarissable, mais c'était en vain!.. Une chaîne invisible, dont il sentait incessamment le poids, l'étreignait de ses anneaux d'airain; cette chaîne, dont le cliquetis ne se faisait point entendre, n'en était pas moins accablante. Épuisé par la douleur qu'il comprimait dans son sein, il la sentait devenir plus aiguë à chaque pas qu'il faisait dans la vie aventureuse qu'il avait adoptée.

10. Confiant dans sa froide indifférence, il s'était mêlé de nouveau à son espèce avec une sécurité imaginaire, et il crut son ame si bien affermie et si invulnérable que sinon le plaisir, du moins la douleur ne pourrait plus l'atteindre. Mêlé comme autrefois et ignoré dans la foule, il put chercher à y trouver des sujets de méditation, comme il en avait trouvé sur la terre étrangère dans les œuvres merveilleuses de Dieu et dans les beautés de la nature.

11. Mais qui peut voir la rose épanouie, et ne pas chercher à la cueillir? Qui peut contempler avec admiration la douceur et l'éclat de la joue de la beauté, et ne pas sentir que le cœur ne peut jamais vieillir tout entier? Qui peut voir la renommée à travers les nuages qui laissent percer l'étoile brillant sur son précipice, et ne pas s'efforcer de l'atteindre? Harold, entraîné encore une fois dans le tourbillon, avec le cercle étourdi de la foule, chassant le tems, avait un plus noble but, toutefois, que dans sa première jeunesse.

 

12. Mais il se reconnut bientôt de tous les hommes le moins propre à vivre en troupeau parmi les hommes, avec lesquels il n'avait presque rien de commun. Non instruit à soumettre ses pensées à celles des autres, quoique son ame dans sa jeunesse eût été domptée par ses propres pensées, resté insoumis, il ne voulait point céder la domination de son intelligence à des esprits contre lesquels le sien se révoltait; fier, quoique dans le malheur, il croyait pouvoir trouver une vie dans lui-même, et rester étranger au genre humain.

13. Où s'élevaient des montagnes, là se trouvaient pour lui des amis; où roulait l'Océan, là était sa demeure; où se déployaient un ciel bleu, un climat éblouissant, il avait la passion et la faculté d'y porter ses pas; le désert, la forêt, les cavernes, les récifs retentissans et écumeux étaient sa société chérie; ils lui parlaient un langage plus clair que les livres de sa langue maternelle, qu'il aurait voulu souvent oublier pour les pages du livre de la nature, réfléchies dans le lac par les rayons du soleil.

14. Comme le Chaldéen, il contemplait les astres, jusqu'à ce qu'il les ait eu peuplés d'êtres aussi brillans que leurs propres clartés; et la terre, les petites et misérables querelles de la terre, les humaines faiblesses étaient entièrement oubliées. S'il avait pu soutenir son esprit à cette hauteur, il eût été heureux; mais cette boue dont l'homme est formé appesantit sa divine étincelle, en lui enviant la lumière vers laquelle elle monte, comme pour briser les liens qui nous retiennent loin de ce ciel qui nous appelle avec amour.

15. Mais dans les demeures de l'homme, Harold devint un être inquiet et abattu, sombre et ennuyeux, languissant comme un faucon sauvage, à qui on a coupé les ailes, et dont l'air libre et sans limites était la seule demeure. Et dans de soudains transports de délivrance, comme l'oiseau captif qui bat de son sein et de son bec les barreaux de sa cage, jusqu'à ce que le sang teigne ses plumes brisées, l'ame enchaînée d'Harold aurait voulu s'échapper violemment de son sein qui la retenait captive.

16. Ce pélerin, cet exilé volontaire va de nouveau errer au loin, privé d'espérance, et cependant moins sombre. L'intime conviction qu'il avait vécu en vain, que tout était de ce côté-ci de la tombe94, avait fait sourire son désespoir. Quelque extraordinaire qu'ait été ce sentiment, – comme on voit les matelots attendre follement leur sort en s'abandonnant à l'ivresse sur les débris de leur vaisseau près de s'engloutir – il lui inspira une gaîté qu'il ne chercha point à repousser.

17. Arrête! – tu foules la poussière d'un empire! les débris d'un immense tremblement de terre sont ensevelis sous tes pieds! Ce lieu n'est-il point indiqué par une statue colossale? Aucune colonne triomphale n'est-elle élevée à l'orgueil des vainqueurs? Non; mais la vérité toute simple parle d'une voix plus austère; que cette plaine reste telle qu'elle était avant. – Comme la pluie de sang a fait croître ces moissons! est-ce là tout le fruit que tu as fait recueillir au monde, ô toi, le premier et le dernier des champs de batailles! – victoire dispensatrice des couronnes!

18. Harold est là sur cette plaine d'ossemens humains95, la tombe de la France, le terrible Waterloo! Comme dans une heure le pouvoir qui les donne, retire ses dons, transportant la renommée d'un camp dans un autre! Porté à la place d'honneur9697, ici l'aigle prit son dernier essor, et déchira de ses serres sanglantes la plaine sillonnée par les batteries, lorsqu'il fut percé par la flèche des nations liguées; la vie et les efforts de l'ambition, tout fut vain! L'oiseau impérial traînait après lui quelques anneaux épars de la chaîne brisée du monde!

19. Juste rétribution! la France mord son frein, et écume dans ses fers; – mais la terre est-elle plus libre? Les nations n'ont-elles combattu que pour vaincre un seul homme? Ou ne se sont-elles coalisées que pour apprendre à tous les rois leur vraie souveraineté? Quoi! l'esclavage sera-t-il de nouveau l'idole replâtrée de nos jours de lumière? Irons-nous rendre hommage au loup après avoir terrassé le lion? et exprimant une basse admiration, fléchir un genou servile devant les trônes? Non; attendez les preuves98 avant de faire éclater vos louanges!

20. Autrement cessez de vous réjouir de la chute d'un despote! En vain de belles joues furent sillonnées par des larmes brûlantes; en vain les champs et les vignes de l'Europe auront été foulés aux pieds dans la saison des fleurs; en vain des années de mort, la dépopulation, l'esclavage et la terreur ont-ils été supportés et repoussés par des millions d'hommes qui se sont levés contre eux; tout ce qui peut faire le plus chérir la gloire, c'est de voir le myrte couronner l'épée dont Harmodius99 frappa le tyran d'Athènes.

21. Le bruit d'une fête nocturne se faisait entendre, et la capitale de la Belgique avait rassemblé ses beautés et ses chevaliers dans des appartemens où la clarté resplendissante des lustres faisait briller de belles femmes et des hommes braves; mille cœurs battaient pour le bonheur; et quand la musique produisait ses voluptueux accords, des yeux languissans d'amour rencontraient des yeux qui leur parlaient le même langage, et tous se livraient à la joie comme au bruit des instrumens de noce100. Mais silence! écoutez! un son terrible retentit comme le glas de la mort!

22. Ne l'avez-vous pas entendu? – Non; ce n'était que le souffle du vent, ou le roulement d'un char sur le pavé de la rue, continuons la danse! que rien ne trouble notre joie; point de sommeil jusqu'au matin, puisque la jeunesse et le plaisir s'unissent pour chasser les heures brillantes qui fuient d'un pied léger. – Mais, écoutez! – ce son bruyant et sourd retentit encore, comme si les nuages en répétaient l'écho; il approche, il devient plus distinct, plus terrible! Aux armes! aux armes! c'est, – c'est le rugissement du canon des batailles.

23. L'infortuné prince de Brunswick était assis dans l'embrasure d'une fenêtre de cette grande salle; le premier, au milieu de la fête éblouissante, il entendit le bruit du canon avec l'oreille prophétique de la mort; et comme la foule souriait parce qu'il avait jugé ce bruit voisin du bal, son cœur plus pénétrant reconnut trop bien le coup mortel qui venait d'étendre son père sur une bière sanglante, et qui demandait une vengeance que le sang seul pouvait éteindre: il se précipite dans le champ de bataille, et tombe au premier rang des combattans.

24. Le désordre se met dans les salles de fête; on va, on court çà et là; les beautés versent des larmes, tremblent d'effroi; leurs joues, qui rougissaient il y a une heure aux éloges des jeunes hommes sur leurs grâces et leur fraîcheur, sont devenues pâles comme la mort. Les uns disparaissaient par de soudains départs, emportés par l'ardeur de leurs jeunes cœurs, en laissant échapper des soupirs qui ne seront jamais répétés. Qui peut prévoir si jamais ces yeux pleins d'amour pourront se rencontrer de nouveau, lorsque sur une nuit si délicieuse se lève une aurore si terrible!

25. Là, on voyait se réunir en hâte la cavalerie; les chevaux, les escadrons formés en rangs de bataille, et les chars de guerre retentissans se précipitent avec impétuosité vers le lieu du combat. Le canon, comme un lourd et profond tonnerre, hâte ses détonnations dans le lointain; et dans la ville le tambour d'alarme réveille le soldat avant l'étoile du matin, tandis que les citoyens, frappés de terreur, se rassemblent silencieux, ou se disent tout bas, les lèvres pâles: «Les ennemis! ils arrivent! ils arrivent!»

26. L'appel du Caméron fait retentir ses sauvages accords, le chant de guerre de Lochiel, qu'entendirent souvent les collines d'Albyn, et souvent aussi les Saxons ennemis: – Que les airs de ce chant sont sauvages et éclatans au milieu des ténèbres de la nuit! mais comme le souffle qui fait résonner leur cornemuse, ce chant remplit les montagnards d'une native et belliqueuse audace qui leur rappelle le souvenir encore vivant des années qui ne sont plus, et fait retentir aux oreilles de chaque homme de clan les exploits des Évan101 et des Donald102!

27. Les Ardennes103 balancent sur leurs têtes leurs rameaux verdoyans, couverts de la rosée des larmes de la nature qui semblent exprimer leurs plaintes (comme si la nature inanimée devait aussi gémir) sur ces braves qui vont au combat et qui, hélas! ne reviendront plus. Avant l'arrivée du soir, ils seront foulés aux pieds, comme le gazon qui se flétrit sous leur marche, mais qui les couvrira bientôt d'une verdure nouvelle, quand cette masse, enflammée d'une valeur impétueuse, se précipitant sur l'ennemi avec les plus brillantes espérances, sera abattue et glacée par le froid de la mort.

28. La veille encore, ils étaient pleins de vie et de jeunesse, ils s'enorgueillissaient de leur bonheur dans un cercle de beautés; minuit apporte, au bruit du canon, le signal du combat; le matin ils se rangent en ordre de bataille; – le jour les voit dans la pompe majestueuse et menaçante du combat; mais des nuages qui portaient la foudre se forment sur eux; ces nuages se déchirent; la terre est jonchée de cadavres que les leurs vont bientôt recouvrir… Le cavalier et son cheval, l'ami, l'ennemi, sont mêlés dans la même tombe sanglante!

29. Leur gloire a été célébrée par des lyres plus illustres que la mienne; cependant il en est un parmi cette foule de braves, que je voudrais célébrer; en partie pour les liens du sang qui l'unissaient à ma famille; en partie pour quelques offenses dont je me rendis coupable, envers son père, en partie parce que les noms illustres consacrent les chants, et le sien fut le nom du plus brave des braves. Quand les traits de la mort, pleuvant sur notre armée, éclaircirent d'une manière si terrible ses rangs épais; au lieu où la tempête de la guerre exerça son plus horrible ravage, ils n'atteignirent pas un cœur plus noble que le tien, jeune et valeureux Howard!

30. Il y a eu pour toi des cœurs brisés et des larmes répandues; les miennes, si je pouvais en verser, seraient inutiles. Mais quand je fus sous l'arbre au vert feuillage, sous lequel tu cessas de vivre; quand je vis autour de moi la vaste plaine renaître avec ses fruits et ses fertiles promesses, que le printems ramenait avec tout son cortége joyeux; je détournai les regards de ce spectacle enchanteur, pour penser à ceux qu'il ne charmera plus104.

88Cet aveu est remarquable dans la bouche de Lord Byron.
89Il y a un fait qui a eu lieu depuis ces sarcasmes de Lord Byron contre sa patrie: c'est l'émancipation des catholiques d'Irlande. Quant à la foi jésuitique et à la tolérance dont il parle, nous n'en sommes pas juges. (N. du Tr.)
90On doit observer que les noms cités ne le sont pas dans un ordre chronologique; mais ils sont pris au hasard parmi ceux qui ont brillé depuis la prise de Constantinople jusqu'au tems de Mélétius.
91Nous avons cru inutile de reproduire à la fin de cette liste les spécimens romaïques dont parle Byron. Le très grand nombre de nos lecteurs n'y auraient rien compris; et les savans les chercheront plus naturellement dans le texte original. (N. du Tr.)
92Ces noms ne sont tirés d'aucune publication. (Note de Lord Byron.)
93M. Kodrikas n'a point été nommé professeur de langue arabe à Paris, depuis cette note de Lord Byron. Les événemens politiques qui ont eu lieu l'en ont peut-être empêché. (N. du Tr.)
94That all was over on this side the tombe.
95Place of skulls, place de crânes.
96Pride of place.
97Place d'honneur (pride of place) est un terme de fauconnerie, et il signifie le plus haut point du vol. Voyez Macbeth, etc. An eagle towering in his pride of placeWas by a mousing owl hawk'd at and kill'd. Un aigle s'élevant à sa place d'honneur fut, par un hibou aux aguets, poursuivi et tué.
98Sens probable ici de prove, en italique dans le texte.
99Voyez le fameux chant d'Harmodius et d'Aristogiton. La meilleure traduction qui en ait été faite en anglais est celle de M. Denman, dans l'Anthologie de Bland.
100Dans la nuit qui précéda la bataille, un bal, dit-on, fut donné à Bruxelles.
101Sir Evan Caméron et son descendant, Donald, le beau Lochiel, des quarante-cinq.
102Sir Evan Caméron et son descendant, Donald, le beau Lochiel, des quarante-cinq.
103On suppose que le bois de Soignies est un reste de la forêt des Ardennes, fameuse dans l'Orlando de Boïardo, et immortalisée dans le As you like it (Comme il vous plaira) de Shakespeare. Elle est aussi célébrée dans Tacite, comme étant le lieu où les Germains se défendirent avec succès contre les usurpations des Romains. J'ai hasardé d'adopter le nom qui est associé à de nobles souvenirs plutôt que celui qui ne rappelle dans son origine que des idées de carnage.
104Le guide qui me conduisit du mont Saint-Jean sur le champ de bataille paraissait intelligent et exact. L'endroit où tomba le major Howard n'était pas éloigné de deux grands arbres isolés (il y en avait un troisième, mais il fut coupé ou brisé pendant la bataille) qui sont à peu de distance l'un de l'autre, sur le bord d'un chemin. Il mourut et fut enterré sous ces arbres. Son corps a été depuis transporté en Angleterre. Un petit enfoncement de terrain marque encore l'endroit où il fut enseveli, mais il sera probablement bientôt nivelé. La charrue a passé dessus, et il y a maintenant du blé de semé. Après m'avoir indiqué les différens endroits où Picton et d'autres braves militaires ont péri, le guide me dit: «Voici où tomba le major Howard; j'étais près de lui quand il fut blessé.» Je lui racontai qu'il était mon parent; alors il me sembla encore plus empressé de m'indiquer d'une manière précise le lieu et les circonstances de ce cruel événement. Ce lieu est un de ceux qui peuvent se reconnaître le plus facilement sur ce champ de bataille, à cause de la particularité des deux arbres déjà mentionnés. J'ai parcouru deux fois à cheval le champ de bataille de Waterloo, en le comparant avec mes souvenirs de scènes semblables. Comme plaine, Waterloo semble marqué pour être le théâtre de quelque grande action, quoique cela puisse être un pur effet de mon imagination. J'ai visité attentivement celles de Platée, de Troie, de Mantinée, de Leuctres, de Chéronée et de Marathon; et la plaine qui entoure Mont-Saint-Jean et Hougoumont semble ne manquer que d'une meilleure cause et de cette indéfinissable, mais impressive auréole que le laps des tems répand autour d'un lieu illustré, pour le disputer en intérêt à toutes celles que j'ai nommées, excepté peut-être à la dernière.