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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 3

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31. Je pensai à toi et à ces milliers de braves qui ont laissé chacun dans le cœur de leurs parens et de leurs amis un vide effrayant; malheureux auxquels ce serait un bienfait d'enseigner l'oubli. La trompette de l'archange, et non celle de la gloire, devra seule réveiller ceux qu'ils pleurent; quoique le bruit de la gloire puisse pour un instant adoucir leurs douleurs, il ne peut éteindre la fièvre de leurs inutiles regrets, et le nom, ainsi honoré, ne fait que les rendre plus vifs et plus amers.

32. Ils gémissent, mais enfin ils reprennent leur sourire; et en souriant, ils gémissent encore: l'arbre se sèche long-tems avant de tomber; le navire dont les mâts sont brisés, vogue encore, quoique ses voiles soient déchirées; le toit d'une maison s'écroule, mais ses débris se consument lentement sur les voûtes qui résistent; une tour ruinée subsiste encore, quand ses créneaux ont été abattus par les vents; les fers survivent au captif qu'ils enchaînèrent; le jour continue de luire malgré les orages qui obscurcissent le soleil; ainsi le cœur peut être brisé, et cependant continuer de vivre dans cet état d'angoisse.

33. Comme un miroir brisé qui se multiplie dans chaque fragment, et répète un millier de fois l'image, d'une qu'elle était; et plus on brise le miroir, plus l'image se reproduit: ainsi plus le cœur est brisé, plus se multiplieront ses souvenirs amers; vivant comme en débris, calme, glacé, presque sans vie, tourmenté par des angoisses et des nuits sans sommeil, il se flétrit avant l'âge, sans manifester ses douleurs, car de pareilles choses sont indicibles.

34. Il y a une véritable vie dans notre désespoir, une vitalité de poison, – racine vivace qui nourrit ces branches desséchées et privées de vie, car ce ne serait rien si l'on pouvait mourir; mais la vie féconde elle-même le fruit le plus odieux du chagrin, semblable aux pommes des bords de la mer Morte105, qui sont toutes cendres au goût: si l'homme pouvait compter les jours de son existence par le bonheur, et s'il comparait le peu d'heures fortunées aux années de sa vie, – dites, voudrait-il la porter à soixante ans?

35. Le Psalmiste compta les années de l'homme; elles sont assez nombreuses; et si ton histoire est digne de croire, ô fatal Waterloo! toi qui abrégeas tant de vies si fugitives; elles sont même trop nombreuses! Des millions d'hommes parlent de toi, et les lèvres tremblantes de leurs enfans répéteront leurs paroles, et diront: – «C'est à Waterloo que les nations coalisées tirèrent l'épée, nos compatriotes combattirent dans ce jour mémorable!» Voilà tout ce qui ne sera pas entraîné par le tems dans le gouffre de l'oubli.

36. C'est là que tomba le plus grand, non le plus méchant des hommes, dont l'esprit formé de tous les contraires se fixait un instant sur les plus grandes choses, et descendait avec la même aptitude aux petits objets de détail; mortel extrême en tout! si tu avais su tenir un juste milieu, ton trône serait encore le tien, ou il ne l'aurait jamais été, car l'audace fit ton élévation et ta chute: tu cherches encore à reprendre ton attitude impériale, à ébranler de nouveau le monde, et à le foudroyer par tes tonnerres.

37. Tu es le conquérant et le captif de la terre! Tu la fais encore trembler106, et ton nom terrible ne fit jamais tant de bruit dans l'esprit des hommes qu'aujourd'hui que tu n'es plus rien, sinon le jouet de la renommée, qui autrefois te caressait comme son enfant chéri. Elle était ta vassale, et devint l'adulatrice de ta cruelle ambition, jusqu'à ce que tu te fus fait dieu dans toi-même107. Tu ne parus pas moins aux nations étonnées et stupéfaites, qui te crurent, pour un tems, tout ce qu'il te plut de leur faire croire.

38. Oh! tu fus toujours au-dessus ou au-dessous de l'homme, – dans la grandeur comme dans l'infortune; battant les nations, fuyant du champ de bataille; tantôt faisant du cou des rois ton marchepied, tantôt plus empressé de céder que le dernier de tes soldats; tu sus renverser, régir, relever un empire, mais tu ne sus pas gouverner tes petites passions. Instruit profondément dans l'art de connaître les hommes, tu ne sus point te connaître toi-même, ni modérer tes passions de guerre, ni apprendre que ce destin, trop souvent tenté, abandonne l'étoile la plus élevée et la plus brillante108.

39. Cependant ton ame a supporté les revers de la fortune avec cette philosophie naturelle et innée qui, soit sagesse, indifférence froide ou orgueil profond, est un fiel amer pour un ennemi. Quand toutes les haines acharnées de tes ennemis t'environnaient menaçantes pour te surveiller et te railler dans ton abaissement, tu n'as fait que sourire avec un front calme et résigné à tout. – Quand la fortune abandonna son enfant favori et dépouillé, il ne courba point sa tête sous le poids des malheurs amoncelés sur elle.

40. Plus sage qu'aux jours de ta grandeur, lorsque l'ambition t'emportait jusqu'à montrer ce juste et habituel dédain qui méprise les hommes et leurs pensées. Il était sage de l'éprouver, mais non de le porter toujours sur ta lèvre et ton front, de rejeter avec mépris les instrumens de ta haute fortune, qui se sont tournés contre toi-même, et ont précipité ta chute. – Toutefois ce monde ne mérite guère d'être gagné ou perdu; tu l'as éprouvé toi-même ainsi que tous ceux qui ont choisi une destinée pareille.

41. Si, semblable à une tour élevée sur un rocher escarpé, tu t'étais soutenu seul, ou si tu étais tombé seul, ton mépris pour l'homme aurait pu t'aider à braver le choc des orages; mais les pensées des hommes t'avaient aplani la route du trône. Leur admiration était la plus redoutable de tes armes; la gloire du fils de Philippe était la tienne; alors (à moins de te dépouiller précédemment de la pourpre), il ne te fallait pas, comme le stoïque Diogène, te moquer des hommes; la terre serait une caverne trop vaste pour des cyniques portant le sceptre109.

42. Mais pour les ames actives, le repos est un enfer, et c'est que se sont trouvés tes germes de mort. Il est un feu et un mouvement de l'ame qui ne peuvent habiter dans leur prison étroite du corps, mais qui aspirent au-delà des limites convenables du désir. Une fois embrasées de ce feu à jamais inextinguible, ces ames implorent vivement les chances périlleuses et hautes, et rien ne les fatigue que le repos; c'est une fièvre qui consume, fatale à celui qui en est atteint, et à tous ceux qui l'ont éprouvée.

43. Elle fait les insensés qui rendent les hommes insensés par leur contagion; conquérans et rois, fondateurs de sectes et de systèmes, auxquels ajoutez les sophistes, les poètes, les hommes d'état, tous êtres inquiets, qui ébranlent trop fortement les ressorts cachés de l'ame, et qui deviennent même les jouets de ceux qu'ils ont rendus insensés. Ils sont enviés, et cependant qu'ils sont indignes de l'être! Que de douleurs secrètes les aiguillonnent! Un cœur semblable, laissé à découvert, serait un enseignement qui ferait passer aux hommes l'envie ambitieuse de briller ou de gouverner.

44. Leur souffle n'est qu'agitation, et leur vie une tempête qui les emporte jusqu'à ce qu'ils retombent enfin sur eux-mêmes; et cependant ils sont tellement nourris et fanatisés de cette lutte continuelle, orageuse, que, s'ils survivent aux périls passés, leurs jours s'éteignent dans un paisible crépuscule. Ils se sentent vaincus par le chagrin, et ils meurent de langueur et d'ennui, comme une flamme sans aliment qui s'éteint en jetant encore de vacillantes et menaçantes lueurs, ou comme une épée qui se ronge elle-même dans le fourreau, et se rouille sans gloire.

 

45. Celui qui gravit les cimes des montagnes, trouvera que les pins les plus élevés sont enveloppés de nuages et de neige; celui qui surpasse ou subjugue les hommes, doit s'attendre à la haine de ceux qu'il laisse en bas. Quoique le soleil de la gloire brille au-dessus de sa tête, et qu'au loin, à ses pieds, la terre et l'océan se développent, autour de lui sont des rochers de glace, des tempêtes menaçantes grondent sourdement sur sa tête nue; telle est la récompense des travaux qui conduisent à ces sommités.

46. Fuyons-les à jamais! le monde de la véritable sagesse ne se trouve que dans ses propres créations ou dans les tiennes, maternelle nature! car qui est aussi riche que toi en productions variées, comme sur les bords du Rhin majestueux? C'est là qu'Harold contemple un spectacle divin, un assemblage de toutes les beautés: des ruisseaux et des vallons, les fruits, le vert feuillage, des rochers, des bois, des champs de blés, des montagnes, des vignes, et des châteaux abandonnés, exhalant de sombres adieux du haut de leurs créneaux entourés de verdure, où la ruine a fait sa demeure.

47. Ils restent là debout, comme un esprit altier, miné par le malheur, mais qui refuse de s'abaisser devant la foule vulgaire. Ils ne sont habités que par les vents qui sifflent à travers les fentes des murs écroulés, et ils n'ont qu'une sombre communication avec les nuages. Il fut un jour où ils eurent la jeunesse et l'orgueil en partage; les bannières flottaient sur leurs tours, et les batailles s'engageaient à leur pied. Mais ceux qui combattirent reposent dans un sanglant linceul, et leurs bannières flottantes sont réduites en poussière. Ces vieilles tours crénelées ne soutiendront plus d'assauts.

48. Au pied de ces tours et dans leur enceinte, régnait un pouvoir qui n'avait de lois que ses passions. Dans leur domination orgueilleuse, tous ces brigands-seigneurs soutenaient par des rapines leurs manoirs crénelés, en n'écoutant que leur bon plaisir, et non moins fiers que des héros plus puissans et d'une plus ancienne renommée. Qu'a-t-il manqué à ces hommes sans lois110, pour être des conquérans? Rien qu'une page d'histoire achetée, qui les eût appelés des héros? Des domaines plus vastes, une tombe ornée d'un trophée? Leurs espérances ne furent pas moins ambitieuses; leurs ames ne furent pas moins actives et braves.

49. Dans les querelles et les guerres féodales de ces puissans barons, que de hauts faits, que de prouesses l'histoire a laissés périr dans l'oubli! L'amour aussi, qui blasonna leurs boucliers d'emblèmes ingénieux, inventés par une orgueilleuse tendresse; l'amour sut se glisser sous les cottes de mailles de leurs cœurs d'airain; mais leur flamme était encore sauvage, et faisait naître de sanglantes discordes, accompagnées des désolations et des ravages. Plus d'une tour prise d'assaut, pour quelque contestation d'amour, vit le Rhin ensanglanté couler au pied de ses murs en débris!

50. Mais toi, fleuve majestueux et fécond! dont les vagues sont un bienfait pour les bords qu'elles arrosent; ils conserveraient toujours leur beauté ravissante, si l'homme ne touchait point à tes brillantes créations, et ne détruisait point leurs belles promesses avec la faux tranchante des guerres cruelles; – alors, en voyant les vallées qu'arrosent tes ondes fertiles, on croirait la terre couverte des plus riches dons des cieux; et, pour qu'elle me paraisse un nouvel Élysée, que manque-t-il à tes flots? – d'être ceux du Léthé.

51. Des batailles sans nombre ont ravagé tes bords; mais ces batailles et la moitié de leur renommée sont tombées dans l'oubli; le carnage y a entassé des rangs épais de cadavres; leurs tombes ont disparu, et que sont devenus leurs ossemens? Tes flots lavèrent le sang de la veille, et il ne resta aucune souillure, et les rayons du soleil réfléchirent dans tes flots limpides leur mobile clarté; mais quelque purifians qu'ils soient, tes flots rouleraient en vain sur les rêves souillés et sombres du souvenir.

52. Ainsi pensait intérieurement Harold en suivant les bords du fleuve; cependant il n'était point insensible à tout ce qui réveillait les chants joyeux des oiseaux dans des vallons dont les charmes auraient pu même faire chérir l'exil. Quoique son front portât les lignes austères du chagrin, et une tranquille sévérité qui avait pris la place de sentimens beaucoup plus violens, mais moins graves; l'expression de la joie n'était pas toujours absente de son visage; mais parmi de semblables scènes, elle n'y laissait qu'une trace passagère.

53. Tout amour ne l'avait pas abandonné, quoique ses jours de passions se fussent consumés eux-mêmes. C'est en vain que nous voulons répondre par un froid regard au charme d'un sourire. Le cœur, emporté, retourne avec amour aux douces émotions, quoique les dégoûts l'aient sevré de toutes les jouissances terrestres: c'est ce qu'Harold éprouva; car il conservait un doux souvenir, une tendre confiance pour un cœur passionné, auquel le sien eût désiré s'unir dans ses heures de tendresse et de mélancolie.

54. Il avait appris (je ne sais pourquoi, car ce sentiment paraîtra étrange dans un cœur tel que le sien) à aimer les regards innocens de l'enfance, même au berceau. Il importe peu de connaître ce qui avait pu subjuguer, pour la changer ainsi, une ame si pénétrée de mépris pour l'homme! Mais il en était ainsi; et quoique, dans la solitude, les affections épuisées puissent difficilement renaître, celle-ci se ralluma dans Harold quand toutes les autres avaient cessé de jeter quelque éclat.

55. Il y avait aussi, comme on l'a déjà vu, un tendre cœur uni au sien par des liens plus forts que ceux des autels; et, quoique illégitime, cet amour était pur, éloigné de tout déguisement; il avait été témoin de mortelles inimitiés, sans en être affaibli; le péril des yeux des femmes, péril le plus redouté, n'avait fait que le fortifier davantage. Harold lui était resté fidèle; et, d'un rivage étranger, il adressa à ce cœur chéri ces vœux d'absence:

I

Le rocher fortifié de Drachenfels111 domine avec orgueil le Rhin large et sinueux, dont les eaux majestueuses se déroulent entre des bords couverts de pampres; les collines sont décorées d'arbres en fleurs, et les champs des prémices de la moisson et des vendanges. Ils sont couronnés par des villes dispersées, dont les blanches murailles brillent au loin: tout se réunit pour former un tableau que je contemplerais avec un double transport si tu étais avec moi!

II

De jeunes paysans aux yeux bleus, et dont les mains offrent des fleurs nouvelles, s'avancent en souriant dans ce paradis de la pensée. Sur les collines, de nombreuses tours féodales élèvent, à travers le feuillage, leurs murs couverts de lierre; plus d'un rocher à la pente rapide, plus d'une noble arcade, tombant orgueilleusement en ruine, regarde par dessus ces vallées de berceaux de pampres; mais il me manque un bonheur sur ces bords du Rhin: c'est de pouvoir serrer ta douce main dans la mienne!

III

Je t'envoie les lis que l'on m'a donnés. Quoique je sache que bien long-tems avant que ta main les touche ils seront déjà flétris, ne les rejette pas cependant, car je les ai reçus avec transport, en pensant qu'ils pourraient rencontrer tes yeux et guider ton ame vers la mienne, quand tu les verras se faner près de toi, et que tu sauras qu'ils furent cueillis sur les bords du Rhin, et offerts par mon cœur au tien.

IV

Le fleuve écume et roule avec majesté, en répandant sur ses bords un charme ravissant; il découvre sans cesse, dans ses mille détours, quelque beauté plus fraîche et plus variée. L'ame la plus altière aimerait à borner ici ses désirs, et à y couler une vie pleine de délices. Je ne pourrais trouver sur la terre un lieu aussi cher à la nature et à mon cœur, si tes yeux chéris, en suivant les miens, rendaient encore plus délicieuses ces rives du Rhin!

56. Il est, près de Coblentz, une petite et simple pyramide qui couronne le sommet d'un tertre verdoyant: sous sa base reposent les cendres d'un héros, notre ennemi; – mais n'en rendons pas moins hommage à Marceau! Sur sa tombe prématurée les rudes soldats répandirent d'abondantes larmes, déplorant et enviant la destinée de celui qui mourut pour la France, et combattit pour conquérir et défendre ses droits.

57. Courte, brave et glorieuse fut sa jeune carrière; – deux armées, ses amis et ses ennemis pleurèrent à ses funérailles. Que l'étranger s'arrête avec recueillement près de sa tombe, et y prie pour le brillant repos de son ame valeureuse; car il fut le défenseur de la Liberté, et un de ceux, en petit nombre, qui n'outrepassèrent pas le mandat de châtier qu'elle donne à ceux qui tirent son épée; Marceau avait conservé la blancheur de son ame; c'est pourquoi les hommes ont pleuré sur lui112.

58. Voici Ehrenbreitstein113 avec ses murs écroulés et noircis par l'explosion de la mine. De sa hauteur menaçante cette forteresse en ruine montre encore ce qu'elle était jadis, quand les bombes et les boulets rebondissaient sur elle sans pouvoir l'ébranler. Tour de victoire! tu vis tes assaillans repoussés s'enfuir dans la plaine. Mais la paix a détruit ce que la guerre n'avait jamais pu ébranler; et elle a livré aux orages de l'été ces voûtes orgueilleuses sur lesquelles, pendant de longues années, une grêle de bombes et de boulets était tombée en vain.

 

59. Adieu, à toi, beau Rhin! Avec quelles délices l'étranger s'arrête sur tes rives! C'est dans des lieux comme ceux que tu arroses, que des ames unies, ou la contemplation solitaire, aimeraient à s'égarer. Ah! si d'insatiables vautours cessaient de ronger des cœurs tourmentés de remords, c'est ici que la nature, ni trop sombre, ni trop gaie, sauvage sans rudesse, imposante, mais non redoutable, serait aux autres contrées de la terre ce que l'automne est à l'année.

60. Adieu donc encore une fois! vain adieu! Il n'en est point pour des lieux comme ceux que tes ondes arrosent. L'ame reste empreinte de toutes tes couleurs; et si malgré eux les yeux se résignent à cesser de te contempler, Rhin séduisant! c'est avec un dernier regard de reconnaissance et d'admiration. Des lieux d'un charme plus puissant peuvent se rencontrer, on en peut voir de plus éblouissans; mais aucun ne réunit dans un site si enchanteur le brillant, le beau, le doux, – les gloires des anciens jours,

61. Le grand plein de simplicité, la fleur abondante d'une récolte prochaine, le vif éclat des blanches cités, le torrent qui tombe des rochers, la profondeur obscure des précipices, la féconde verdure des forêts, les châteaux gothiques apparaissant çà et là, des rochers sauvages taillés en forme de tours comme pour se moquer de l'art des hommes; et, au milieu de toutes ces beautés, des habitans dont les visages expriment autant de bonheur que la scène qui les entoure. Ces dons fertiles de la nature embellissent éternellement tes bords, quoiqu'ils entendent autour d'eux la chute des empires.

62. Mais ils ont disparu. Au-dessus de moi sont les Alpes, palais de la nature, dont les vastes remparts élèvent leurs crêtes neigeuses jusque dans les nuages, et ont fait à l'Éternité un trône de montagnes de glace et de froidure sublime, ou se forme l'avalanche, – cette foudre de neige! Tout ce qui agrandit l'ame et la frappe de terreur est réuni autour de ces sommets, comme pour montrer comment la terre peut s'approcher du ciel, et laisser l'homme orgueilleux dans son chétif abaissement.

63. Mais, avant d'oser gravir ces hauteurs sans égales, il est un lieu qui ne doit pas être oublié, – Morat! le champ d'orgueil et de patriotisme! où l'homme peut contempler les horribles trophées du carnage sans rougir pour ceux qui sont restés vainqueurs dans cette plaine. C'est ici que la Bourgogne abandonna ses soldats à la faim des vautours; monceau d'ossemens qui a traversé les âges, étant eux-mêmes leur monument; – privés de sépulture, ils errent maintenant sur les bords du Styx, où chaque ombre errante pousse des cris de douleur114.

64. Tandis que Waterloo le dispute au carnage de Cannes, les noms réunis de Morat et Marathon passeront à la postérité. Ces deux victoires sans tache sont couronnées d'une véritable gloire. Elles furent remportées par une troupe de citoyens, de frères, d'hommes fiers de leurs droits, sans aucune ambition personnelle; tous défenseurs non salariés d'une cause qui n'était point celle des rois, dont le vice et la corruption sont les mobiles. Ils ne condamnèrent aucune nation à déplorer le blasphème de ces lois, qui, par une disposition draconienne, proclament divins les droits des monarques.

65. Près d'un mur solitaire, une colonne plus solitaire encore, s'élève, entourée de lierre, et présente l'aspect des anciens jours. C'est le dernier débris du ravage des ans. On dirait, à la voir, un malheureux que la terreur aurait pétrifié, mais qui conserve encore dans ses regards sombres et égarés un sentiment de vie. Elle est là debout, excitant l'étonnement sur sa durée; tandis que, œuvre contemporaine de la main de l'homme, l'orgueilleuse Avanticum115, nivelée par le tems, a couvert de débris ses anciens domaines.

66. C'est ici, – oh! doux et sacré soit à jamais ce nom! – c'est ici que Julia, l'héroïne du dévouement filial, avait consacré sa jeunesse au ciel. Son cœur, ayant rempli les devoirs les plus saints après ceux qu'exige la Divinité, se brisa sur la tombe d'un père. La justice avait juré de repousser toutes larmes, et celles de Julia imploraient la vie de celui qui lui avait donné la sienne: mais le juge fut fidèle à la justice. Alors elle mourut après celui qu'elle n'avait pu sauver. Leur tombe fut simple et sans ornement; et leur urne ne contient qu'une ame, un cœur et une même poussière116.

67. Ce sont là des actions dont le souvenir ne devrait jamais s'effacer, et des noms qui ne peuvent périr, quoique la terre oublie ses empires et leur décadence, les oppresseurs et les opprimés, leur naissance et leur mort. La haute, la sublime majesté de la vertu devrait survivre, et survivra à ses malheurs; et, du sein de son immortalité, elle brillera aux rayons du soleil comme cette neige des Alpes117, impérissable et pure, au-dessus de toutes les choses d'ici-bas.

68. Le lac Léman m'attire avec sa surface de cristal, miroir paisible où les étoiles et les montagnes contemplent la tranquillité de leur aspect, la profondeur transparente de leurs sommités et leurs diverses couleurs. Il y a encore ici trop de l'homme, pour considérer avec un esprit dispos tout ce que j'aperçois de grand; mais bientôt la solitude me rappellera des pensées oubliées, et qui ne me sont pas moins chères qu'autrefois, avant qu'en me mêlant au troupeau des hommes, j'eusse fait partie de leur bercail.

69. Pour le fuir, il n'est pas nécessaire de haïr le genre humain. Chacun n'est pas propre à s'agiter avec lui et à partager ses travaux. Ce n'est pas montrer de la misanthropie que de contenir son ame dans ses émotions intimes, de crainte qu'elle ne se perde dans la foule ardente, où nous devenons la proie de notre propre contagion, jusqu'à ce que trop tard et trop long-tems nous venions à déplorer et à combattre cet état de misère dans lequel nous passons d'un malheur dans un autre malheur, au milieu d'un monde ennemi, où personne n'est exempt de faiblesse.

70. Là, dans un moment, nous pouvons plonger nos années dans un fatal regret, et, dans la dégradation de notre ame, changer tout notre sang en larmes, ou teindre l'avenir des sombres couleurs de la nuit. La course de la vie devient une fuite sans espérance pour ceux qui marchent dans l'obscurité. Sur la mer, le plus hardi nocher vogue toujours, mais il se dirige où un port connu l'invite; tandis que, sur l'océan de l'éternité, il est des voyageurs égarés dont la barque erre çà et là, et ne pourra jamais reposer à l'ancre.

71. N'est-il pas plus sage alors de rester solitaire, et d'aimer la terre seulement pour ses charmes terrestres? Aux bords des flots azurés du Rhône rapide118, auprès du lac qui nourrit ses ondes, comme une mère prodigue ses soins à un enfant beau, mais indocile, apaisant ses cris par ses caresses aussitôt qu'il s'éveille, – n'est-il pas plus sage de passer ainsi nos vies, que de nous joindre à la foule bruyante, pour être condamnés à être oppresseurs ou opprimés?

72. Je ne vis plus en moi-même, mais je deviens une partie de tout ce qui m'entoure; et les hautes montagnes sont pour moi une sympathie; mais le bruit des cités m'est une torture. Je ne puis rien voir de si odieux dans la nature, que d'être un anneau involontaire de la chaîne des êtres, classé parmi les créatures, quand mon ame peut prendre son essor et se mêler avec les cieux, la cime des monts, la plaine mobile de l'Océan et les étoiles du firmament!

73. C'est absorbé dans de telles pensées que je trouve une vie réelle. Je contemple le désert populeux que j'ai quitté, comme un lieu d'agonie et de combat, où je fus, pour quelque péché sans doute, jeté en proie au malheur, pour agir et souffrir, mais enfin pour remonter en haut avec des ailes nouvelles. Je les sens déjà qui s'agitent, quoique jeunes, et cependant vigoureuses et fortes, comme la tempête avec laquelle elles doivent lutter avec délices, en dédaignant les froids liens d'argile qui entourent ici-bas notre être.

74. Et lorsqu'un jour l'ame sera entièrement affranchie de tout ce qu'elle hait dans sa forme dégradée, n'ayant conservé de sa vie charnelle que ce qu'il en reste de purifié au papillon dépouillé de ses formes grossières; – quand les élémens se réuniront aux élémens pareils, et que la poussière sera poussière; ne verrai-je pas dans leur essence, mais avec moins d'éblouissemens, tout ce que j'aperçois maintenant comme à travers l'avenir: la pensée incorporelle, le génie de chaque lieu, dont, maintenant même, je partage parfois la destinée immortelle?

75. Les montagnes, les vagues, les cieux ne sont-ils pas une partie de mon ame; comme moi d'eux? L'amour que je ressens pour eux, n'est-ce pas une passion profonde et pure de mon cœur? ne mépriserais-je pas tous les objets si je les comparais à ces créations puissantes? et ne braverais-je pas toutes les souffrances plutôt que de repousser de tels sentimens, pour la dure et mondaine indifférence de ces hommes dont les yeux sont incessamment tournés vers la terre, et dont les pensées n'osent jamais s'élever à un généreux enthousiasme?

76. Mais je m'écarte de mon sujet; je retourne à ce qui le concerne immédiatement, et j'invite ceux qui trouvent du charme à contempler une urne à venir méditer sur une dont la poussière fut jadis toute de flamme. Celui dont elle contient la cendre naquit dans la contrée dont je respire pour un instant l'air pur, – comme un hôte passager. C'est d'ici que ses désirs prirent leur vol vers la gloire; ambition insensée! à laquelle, pour en jouir, il sacrifia tout son repos.

77. C'est ici que le sauvage Rousseau, ce sophiste qui se torturait lui-même, l'apôtre de la douleur, qui jeta des enchantemens sur les passions, et fit parler le malheur avec une éloquence irrésistible, commença sa vie de trouble et de misères. Il sut rendre cependant le délire admirable, et jeter sur des actions et des pensées coupables un coloris céleste d'élocution, qui éblouit les yeux comme les rayons du soleil, et leur fait répandre des larmes abondantes et sympathiques.

78. Son amour était l'essence de la passion; – comme un arbre embrasé par la foudre, il fut consumé par une flamme éthérée; car d'être ainsi embrasé, et d'aimer, n'étaient qu'un pour lui. Mais son amour n'avait point pour objet une femme vivante, ni une ombre chérie qui nous apparaît dans nos songes, mais une beauté idéale qui revêtit pour lui des formes mortelles; et cet amour se répandit à grands flots dans ses pages brûlantes, quelque extraordinaire que cela nous paraisse.

79. Ce fut cet amour qui se réalisa dans Julie, ce fut lui qui la doua de tout ce que la passion a d'impétueux et de tendre. C'est lui encore qui lui rendait si cher ce mémorable baiser que ses lèvres brûlantes allaient prendre chaque matin sur les lèvres d'une femme qui ne l'accordait qu'avec un sentiment d'amitié; mais ce doux baiser portait dans son cœur et dans son imagination la flamme dévorante de l'amour. Il fut peut-être plus heureux dans cet absorbant soupir, que ne le sont les ames vulgaires dans la possession de tout ce qu'elles désirent119.

80. Sa vie fut une longue guerre avec des ennemis, qu'il se créait lui-même, ou des amis par lui-même repoussés; car son ame était devenue le sanctuaire du soupçon, et choisissait pour son propre et cruel sacrifice l'ami contre lequel il se déchaînait avec une étrange et aveugle furie. Mais il était en délire; – qui pourrait l'affirmer? Il y a des phénomènes que la science ne peut jamais expliquer. Mais il était égaré par la détresse et le malheur; égarement le pire de tous, puisqu'il porte une apparence de raisonnement.

81. Alors il était inspiré; et de sa bouche éloquente sortirent, comme jadis de celle de la pythonisse, ces oracles qui embrasèrent la terre, et dont l'incendie ne se ralentit que lorsque des royaumes eurent cessé d'être. N'a-t-elle pas été telle, la destinée de la France? Avant lui, cette nation était courbée depuis long-tems sous le joug d'une ancienne tyrannie. Tremblante et soumise, elle se plia à ce joug humiliant, jusqu'au jour où la voix de Rousseau et celles d'autres écrivains120 firent naître ces redoutables colères qui suivent de longs ressentimens.

82. Ces colères, une fois déchaînées, s'élevèrent un terrible monument avec les débris des vieilles opinions qui datent de l'origine des tems. Elles déchirèrent le voile, et la terre put voir tout ce qu'il dérobait aux regards. Mais elles détruisirent en même tems le bon et le mauvais, ne laissant que des ruines, avec lesquelles on vit bientôt se relever, sur les mêmes fondemens, des donjons et des trônes qui ramenèrent la même tyrannie qu'auparavant, parce que l'ambition ne pensait qu'à ses propres succès.

83. Mais ces choses ne peuvent désormais être endurées! Les hommes ont senti leur force et l'ont fait sentir. Ils auraient pu en user plus sagement, mais, entraînés par leur vigueur nouvelle, ils se sont attaqués avec violence. La pitié avait cessé d'exercer son empire; mais ces hommes, qui avaient été élevés dans les ténèbres de l'oppression, ne s'étaient point, comme les aigles, nourris de l'air libre des cieux: pourquoi donc s'étonner si quelquefois ils se trompèrent de proie?

84. Quelles profondes blessures se sont jamais fermées sans laisser de cicatrices? Ce sont celles du cœur, qui saignent le plus long-tems, et dont les traces sont les plus difficiles à effacer. Les hommes pleins d'espérances, et qui, dans leur défaite, les ont vues s'évanouir, gardent le silence, mais ne sont point soumis. Le ressentiment, contenu dans son repos, retient son souffle, jusqu'à l'heure d'expiation. Personne ne doit désespérer; il est venu, il vient, et il viendra, – le jour qui donne le pouvoir de punir, ou de pardonner: – l'une de ces facultés sera lente à s'exercer.

105Les pommes (fabuleuses) des bords du lac Asphaltes étaient, disait-on, belles au dehors, et toutes de cendre au dedans. Voyez Tacite, Hist. 1. 5, 7.
106Napoléon vivait encore à Sainte-Hélène, lorsque ces vers furent écrits.
107Till thou wert a God unto thiself.
108Frangitur assiduâ fictilis urna viâ.
109La grande erreur de Napoléon (si nos histoires sont véridiques) fut son continuel mépris pour le genre humain, parce qu'il n'avait aucune communauté de sentiment avec eux ou pour eux; mépris peut-être plus offensif pour la vanité humaine que la cruauté active de la tyrannie la plus tremblante et la plus soupçonneuse. Tels furent ses discours aux assemblées publiques, ainsi que ses conversations avec les individus; et les seules paroles que l'on suppose qu'il a dites à son retour à Paris, après que l'hiver de Russie eut détruit son armée, en se frottant les mains près du feu: «Il fait meilleur ici qu'à Moscow,» lui ont probablement aliéné plus de cœurs que les revers désastreux qui l'avaient amené à faire cette remarque.
110What wants that knaveThat a king should have?De quoi manque ce coquinPour qu'il ne soit roi demain? Fut la question du roi Jacques en rencontrant Johnny Armstrong et ses compagnons dans leur complet accoutrement. Voyez la ballade.
111Le château de Drachenfeld est situé sur le plus haut sommet des Sept Montagnes, sur les bords du Rhin. Il tombe en ruines, et il s'y rattache quelques singulières traditions. C'est le premier que l'on aperçoit sur la route de Bonn, mais sur le côté opposé de la rivière. Presque en face de ce curieux monument, sont les restes d'un autre château nommé le Château du Juif, et une large croix plantée en commémoration du meurtre d'un chef par son frère. Le nombre des châteaux et des villes qui sont situés sur les deux rives du Rhin est très-grand, et leurs situations remarquablement belles.
112Le monument du jeune et malheureux général Marceau (tué par un biscayen à Alterkirchen, le dernier jour de l'an 4 de la république française) existe encore comme je l'ai décrit. Les inscriptions gravées sur ce monument sont trop longues, et elles n'étaient pas nécessaires: son nom suffisait. Les Français l'adoraient, et ses ennemis l'admiraient. Les uns et les autres pleurèrent sur lui. – Ses funérailles furent accompagnées de généraux et de détachemens des deux armées. Le général Hoche est enterré dans le même tombeau. C'était aussi un brave dans le vrai sens du mot. Mais quoique lui-même se fût distingué dans les batailles, il n'eut pas l'honneur d'y être tué. Sa mort fut soupçonnée d'être causée par le poison. Un monument séparé (qui ne renferme pas son corps, puisqu'il est enterré avec celui de Marceau) lui est élevé près d'Andernach, vis-à-vis duquel eut lieu un de ses plus mémorables exploits, lorsqu'il jeta un pont sur le Rhin. Ce monument diffère, par la forme et le style, de celui de Marceau; l'inscription est plus simple et plaît davantage. L'ARMÉE DE SAMBRE-ET-MEUSEÀ SON GÉNÉRAL EN CHEFHOCHE Voilà tout, il n'en fallait pas davantage. Hoche était placé au premier rang des premiers généraux de la République, avant que Bonaparte eût monopolisé ses triomphes. – Il était destiné à commander l'armée d'invasion dirigée contre l'Irlande.
113Ehrenbreitstein (Ehren-breit-stein), c'est-à-dire la grande pierre d'honneur, une des plus puissantes forteresses de l'Europe, fut démantelée et détruite par les Français à la trêve de Léoben. – Elle fut réduite par la famine ou la trahison, et ne pouvait l'être que par elles. Elle céda à la première, aidée par une surprise. Après avoir vu les fortifications de Malte et de Gibraltar, elle perd beaucoup à la comparaison, mais sa situation est avantageuse. Le général Marceau l'assiégea en vain pendant quelque tems; et j'ai couché dans une chambre où l'on me montra une fenêtre à laquelle on me dit que Marceau se plaça pour observer au clair de la lune les progrès du siége, lorsqu'un boulet vint frapper immédiatement au-dessous.
114La chapelle est détruite, et la pyramide d'ossemens a été beaucoup diminuée par la légion bourguignonne au service de France, qui avait à cœur d'effacer le souvenir de l'invasion malheureuse de leurs ancêtres. Un petit nombre de ces ossemens subsiste encore, malgré tous les efforts des Bourguignons pendant des siècles (tous ceux qui passaient par-là en emportaient chacun un dans leur pays), et les larcins moins pardonnables des postillons suisses, qui les prenaient pour les vendre à des couteliers, qui les recherchaient beaucoup, parce que, étant blanchis par les années, ils en étaient devenus plus précieux. Je me suis permis d'emporter à peu près le quart des ossemens d'un héros; et ma seule excuse, c'est que, si je n'avais pas enlevé ces os, le premier passant les eût pris pour en faire un indigne usage, tandis que je me propose de les conserver religieusement.
115Aventicum (près de Morat) était la capitale romaine de l'Helvétie, où Avenche est maintenant situé.
116Julia Alpinula, jeune prêtresse d'Aventicum, mourut peu après les vaines tentatives qu'elle fit pour sauver son père, condamné à mort comme traître par Aulus Cæcina. Son épitaphe a été découverte depuis plusieurs années; la voici: Julia AlpinulaHic jaceo,Infelicis patris infelix proles,Deæ Aventiæ sacerdos;Exorare patris necem non potui,Malè mori in fatis illi erat.Vixi annos XXIII. Je ne connais aucune composition humaine si touchante que cette épitaphe, ni une histoire d'un plus haut intérêt. Voilà des noms et des actions qui ne devraient pas périr, et vers lesquels on revient toujours avec une vraie et consolante émotion, en détournant les regards des misérables détails de cette masse confuse de batailles et de conquêtes, qui excitent quelque tems dans l'ame une fiévreuse et fausse sympathie, qui finit par un profond dégoût, résultat d'une semblable folie.
117Ceci fut écrit à la vue du Mont-Blanc. (3 juin 1816), qui, même à cette distance, éblouissait mes yeux. (20 juillet). J'ai observé aujourd'hui, pendant quelque tems, la réflexion distincte du Mont-Blanc et du Mont-Argentière, dans les eaux paisibles du lac Léman, que je traversais dans mon bateau. La distance de ces montagnes au lac est de soixante milles.
118La couleur du Rhône, à Genève, est bleue; mais à une profondeur de teinte que je n'avais jamais vue si forte dans aucune eau douce ou salée, excepté dans la Méditerranée et dans l'Archipel.
119Ceci se rapporte à un passage de ses Confessions, dans lequel il raconte sa passion pour Mme d'Houdetot (la maîtresse de Saint-Lambert), et sa longue promenade chaque matin dans le but de jouir de ce seul baiser, qui était le salut ordinaire de l'amitié française. La description que Rousseau fait des sentimens qu'il éprouvait dans cette occasion peut être considérée comme la peinture la plus passionnée, sans être impure, de l'amour, qui respire même dans les mots, lesquels cependant sont impuissans pour exprimer ses transports dans toute leur force: un tableau ne peut donner une idée suffisante de l'Océan.
120En anglais: his compeers.