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Césarine Dietrich

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Märgi loetuks
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Et Paul lut tout haut la lettre du marquis à Marguerite; puis il montra la bague et la posa, ainsi que l'acte de donation, sur la table, avec le plus grand calme, après quoi, et sans permettre au marquis de l'interrompre, il reprit:

– Cet homme qui m'a fait l'outrage de supposer, et d'écrire à ma maîtresse que ses présents me décideraient sans doute au mariage, c'est vous, monsieur le marquis de Rivonnière, j'imagine que vous reconnaissez votre signature?

– Parfaitement, monsieur.

– Pour cette insulte gratuite, vous reconnaissez aussi que vous me devez une réparation?

– Oui, monsieur, je le reconnais et suis prêt à vous la donner.

– Prêt?

– Je ne vous demande qu'une heure pour avertir mes témoins.

– Faites, monsieur.

Le marquis sonna, demanda ses chevaux, acheva sa toilette, et revint dire à Paul qu'il le priait de fumer ses cigares avec ses amis en l'attendant. Il y avait tant de courtoisie et de dignité dans ses manières qu'aussitôt son départ le jeune Latour essaya de parler en sa faveur. Il trouvait très-justes le ressentiment et la démarche de Paul; mais il pensait que les choses eussent pu se passer autrement. Si Paul eût engagé le marquis à expliquer le passage de sa lettre, peut-être celui-ci se fût-il défendu d'avoir eu une intention blessante contre lui. L'autre ami, plus réfléchi et plus sévère, jugea que la tentative de générosité envers Marguerite et l'appel à ses sentiments maternels étaient tout aussi blessants pour Paul que l'allusion maladroite et peut-être irréfléchie sur laquelle il motivait sa provocation.

– J'ai saisi cette allusion, répondit Paul, pour abréger et pour fixer les conditions du duel d'une manière précise. Je crois avoir fait comprendre à M. de Rivonnière que son action m'offensait autant que ses paroles.

Le jeune Latour se rendit, mais avec l'espérance que les témoins du marquis l'aideraient à provoquer un arrangement.

Ceux-ci ne se firent pas attendre. Il est à croire que le marquis les avait prévenus la veille qu'il comptait sur une affaire d'honneur au premier jour. L'heure n'était pas écoulée que ces six personnes se trouvèrent en présence.

M. de Rivonnière avait tout expliqué à ses deux amis. Ils connaissaient ses intentions. Il se retira dans son appartement, et Paul passa dans une autre pièce. Les quatre témoins s'entendirent en dix minutes. Ceux de Paul maintenaient son droit, qui ne fut pas discuté. Le vicomte de Valbonne, qui aimait le marquis autant que le point d'honneur, eut un instant l'air d'acquiescer au désir du jeune Latour en parlant d'engager l'auteur de la lettre à préciser la valeur d'une certaine phrase; mais l'autre témoin, M. Campbel, lui fit observer avec une sorte de sécheresse que le marquis s'était prononcé devant eux très-énergiquement sur la volonté de ne rien expliquer et de ne pas retirer la valeur d'un seul mot écrit et signé de sa main.

Une heure après, les deux adversaires étaient en face l'un de l'autre. Une heure encore et Césarine recevait le billet suivant, de l'homme de confiance du marquis.

«M. le marquis est frappé à mort; mademoiselle Dietrich et mademoiselle de Nermont refuseront-elles de recevoir son dernier soupir? Il a encore la force de me donner l'ordre de leur exprimer ce dernier voeu.

»P.S. M. Paul Gilbert est près de lui, sain et sauf. «DUBOIS.»

Frappées comme de la foudre et ne comprenant rien, nous nous regardions sans pouvoir parler. Césarine courut à la sonnette, demanda sa voiture, et nous partîmes sans échanger une parole.

Le marquis était, quand nous arrivâmes, entre les mains du chirurgien, qui, assisté de Paul et du vicomte de Valbonne, opérait l'extraction de la balle. Dubois, qui nous attendait à la porte de l'hôtel, nous fit entrer dans un salon, où le jeune Latour me raconta tout ce qui avait amené et précédé le duel.

– J'étais fort inquiet, me dit-il, bien que Paul se fût exercé depuis longtemps à se servir du pistolet et de l'épée. Il m'avait dit souvent:

» – J'aurai probablement un homme à tuer dans ma vie, s'il n'est pas déjà mort.

» Je savais qu'il faisait allusion au premier amant de sa maîtresse, car j'avais été son confident dès le début de leur liaison. Je lui avais mainte fois conseillé de l'épouser quand même, à cause de l'enfant, qu'il aime avec passion. C'est du reste la seule passion que je lui aie jamais connue. Aussi c'est pour son fils, bien plus que pour la mère et pour lui-même, qu'il s'est battu. Il avait été réglé qu'il tirerait le premier. Il a visé vite et bien. Il ne prend jamais de demi-mesure quand il a résolu d'agir: mais, quand il a vu son adversaire étendu par terre et lui tendant la main, il est redevenu homme et s'est élancé vers lui les bras ouverts.

– » Vous m'avez tué, lui a dit le blessé, vous avez fait votre devoir.

Vous êtes un galant homme, je suis le coupable, j'expie!

» Depuis ce moment, Paul ne l'a pas quitté. Il m'a défendu d'avertir Marguerite, qui ne se doute de rien et ne peut rien apprendre; mais il m'avait remis conditionnellement une lettre d'adieux pour vous, écrite la nuit dernière. Comme il n'a même pas eu à essuyer le feu de son adversaire, cette lettre ne peut plus vous alarmer. Pendant que vous la lirez, je vais chercher des nouvelles du pauvre marquis. On n'espérait pas tout à l'heure, peut-être tout est-il fini!

– Je veux le voir, s'écria Césarine.

Dubois qui était debout, allant avec égarement d'une porte à l'autre, l'arrêta. M. Nélaton ne veut pas, lui dit-il; c'est impossible à présent! restez-la, ne vous en allez pas, mademoiselle Dietrich! Il m'a dit tout bas:

– La voir et mourir!

– Pauvre homme! pauvre ami! dit Césarine, revenant étouffée par les sanglots. Il meurt de ma main, on peut dire! Certes il n'a pas eu l'intention de provoquer ton neveu, il ne m'aurait pas manqué de parole. Il a été sincère en voulant réparer le tort qu'il avait fait à Marguerite… Il s'y est mal pris, voilà tout. C'est mon blâme qui l'aura poussé à cette réparation qu'il paye de sa vie…

– Dis-moi, Césarine, est-ce par l'effet du hasard qu'il a rencontré hier

Marguerite chez toi?

– Qu'est-ce que cela te fait? Vas-tu me gronder? ne suis-je pas assez malheureuse, assez punie?

– Je veux tout savoir, repris-je avec fermeté. Mon neveu pourrait être le blessé, le mourant, à l'heure qu'il est, et j'ai le droit de t'interroger. Ta conscience te crie que tu as provoqué le désastre. Tu savais la vérité, avoue-le; tu as voulu en tirer parti pour rompre le lien entre Paul et Marguerite.

– Pour empêcher ton neveu de l'épouser, oui, j'en conviens, pour le préserver d'une folie, pour te la faire juger inadmissible; mais qui pouvait prévoir les conséquences de la rencontre d'hier? N'étais-je pas d'avis de la cacher à M. Gilbert? N'ai-je pas donné toutes les raisons qui nous commandaient le silence? Pouvais-je admettre que le marquis ferait de si déplorables maladresses?

– Ainsi tu as prémédité la rencontre, tu l'avoues?

– Je ne savais vraiment rien, je me doutais seulement. Le marquis s'était confessé à moi, il y a longtemps, d'une mauvaise action. Le nom de Marguerite lui était échappé et n'était pas sorti de ma mémoire. J'ai voulu tenter l'aventure;… mais lis donc la lettre qu'on vient de te donner; tu sauras ce qu'il faut penser de ce désastre.

Je lus la lettre de Paul et la lui laissai lire, espérant que la dureté avec laquelle il s'exprimait sur son compte la refroidirait définitivement. Il n'en fut rien. Elle parut ne pas prendre garde à ce qui la concernait, et loua avec chaleur la forme, les idées et les sentiments de cette lettre.

– C'est un homme, celui-là, disait-elle à chaque phrase en essuyant ses yeux humides, c'est vraiment un grand coeur, un héros doublé d'un saint!

L'arrivée de Dubois mit fin à cet enthousiasme. Le blessé avait supporté l'opération. Nélaton était parti content de son succès; mais le médecin ne répondait pas que le blessé vécût vingt-quatre heures. M. de Valbonne vint nous chercher un instant après.

– On doit consentir, nous dit-il, à ce qu'il vous voie toutes deux. Il s'agite parce que je n'obéis pas aux ordres qu'il m'avait donnés avant le duel. Il a toute sa tête, son médecin a compris qu'il ne fallait pas contrarier la volonté d'un homme qui, dans un instant peut-être, n'aura plus de volonté.

Nous suivîmes le vicomte dans la chambre du marquis. À travers la pâleur de la mort, il sourit faiblement à Césarine, et son regard éteint exprima la reconnaissance. Paul, qui était assis au chevet du moribond, s'en éloigna sans paraître voir Césarine.

Je compris que m'occuper de mon neveu en cet instant, c'eût été le féliciter d'avoir échappé au sort cruel que subissait son adversaire. Césarine s'approcha du lit et baisa le front glacé de son malheureux vassal. Le médecin, voyant qu'il s'agissait de choses intimes, passa dans une autre pièce, et M. de Valbonne fit entrer dans celle où nous étions l'autre témoin du marquis et les deux témoins de Paul, qu'il avait priés de rester. Alors, nous invitant à nous rapprocher du lit du blessé, M. de Valbonne nous parla ainsi à voix basse, mais distincte:

– Avant de me mettre, avec M. Campbel, en présence des témoins de M.

Gilbert, Jacques de Rivonnière m'avait dit:

«Je ne veux pas d'arrangement, car je ne puis assurer que je n'aie pas eu d'intentions hostiles et malveillantes à l'égard de M. Gilbert. J'avais contre lui de fortes préventions et une sorte de haine personnelle. La démarche qu'il a faite en venant me demander raison et la manière dont il l'a faite m'ont prouvé qu'il était homme de coeur, homme d'honneur et même homme de bonne compagnie, car jamais on n'a repoussé une injure avec plus de fermeté et de modération. Aucune parole blessante n'a été échangée entre nous dans cette entrevue. J'ai senti qu'il ne méritait pas mon aversion et que j'avais tous les torts. Je ne sais pas si j'ai affaire à un homme qui sache tenir autre chose qu'une plume, mais j'ai le pressentiment qu'il aura la chance pour lui. Je serais donc un lâche si je reculais d'une semelle. Vous réglerez tout sans discussion, et, si le sort m'est sérieusement contraire, vous ferez mes excuses à M. Paul Gilbert. Vous lui direz qu'après avoir essuyé son feu, je ne l'aurais pas visé, ayant, pour respecter sa vie, des raisons particulières qu'il comprendra fort bien. Vous lui direz ces choses en mon nom, si je suis mort ou hors d'état de parler; vous les lui direz en présence de ses témoins et de toutes les personnes amies qui se trouveraient autour de moi à mon heure dernière.

 

Espérons, ajouta M. de Valbonne, que cette heure n'est pas venue, et que Jacques de Rivonnière vivra; mais j'ai cru devoir remplir ses intentions pour lui rendre la tranquillité, et je crois voir qu'il approuve l'exactitude des termes dont je me suis servi.

Tous les regards se tournèrent vers le marquis, dont les yeux étaient ouverts, et qui fit un faible mouvement pour approuver et remercier. Nous comprimes tous que nous devions lui laisser un repos absolu, et nous sortîmes de la chambre, où Paul resta avec M. de Valbonne et le médecin. Tel était le désir du marquis, qui s'exprimait par des signes imperceptibles.

Césarine ne voulait pas quitter la maison; elle écrivit à son père pour lui annoncer cette malheureuse affaire et le prier de venir la rejoindre. Dès qu'il fût arrivé, je courus chez Marguerite afin de la préparer à ce qui venait de se passer. Paul m'avait fait dire par le jeune Latour de vouloir bien prendre ce soin moi-même et de remettre en même temps à Marguerite, lorsqu'elle serait bien rassurée sur son compte, la lettre de pardon et d'amitié qu'il lui avait écrite durant la nuit.

Pour la première fois, je vis Marguerite comprendre la grandeur du caractère de Paul et se rendre compte de toute sa conduite envers elle. La vérité entra dans son esprit en même temps que le repentir et la douleur s'exhalaient de son âme. Je lui dissimulai la gravité de la blessure du marquis. Je la trouvais bien assez punie, bien assez épouvantée. La lettre de Paul acheva cette initiation d'une nature d'enfant aux vrais devoirs de la femme. Elle me la fit lire trois ou quatre fois, puis elle la prit, et, à genoux contre mon fauteuil, elle la couvrit de baisers en l'arrosant de larmes. Je dus rester deux heures auprès d'elle pour l'apaiser, pour la confesser et aussi pour l'enseigner, car elle m'accablait de questions sur sa conduite future.

– Dites-moi bien tout, s'écriait-elle. Je ne dois plus recevoir de lettres, je ne dois plus voir personne sans que Paul le sache et y consente, même s'il s'agissait de mademoiselle Dietrich?

– C'est surtout avec mademoiselle Dietrich que vous devez rompre dès aujourd'hui d'une manière absolue. Renvoyez-lui ses dentelles. Je me charge de vous procurer un ouvrage aussi important et aussi lucratif. D'ailleurs il faut que Paul sache que votre travail ne vous suffit pas. Pourquoi le lui cacher?

– Pour qu'il ne se tue pas à force de travailler lui-même.

– Je ne le laisserai pas se tuer. Il reconnaîtra que, dans certaines circonstances comme celle-ci, il doit me laisser contribuer aux dépenses de son ménage.

– Non, il ne veut pas; il a raison. Je ne veux pas non plus. C'est lâche à moi de vouloir être bien quand il se soucie si peu d'être mal. J'avais accepté sa pauvreté avec joie, mon honneur est de me trouver heureuse comme cela. Il m'a gâtée; je suis cent fois mieux avec lui, même dans mes moments de gêne, que je ne l'aurais été sans lui, à moins de m'avilir. Je n'écouterai plus les plaintes de la Féron. Si elle ne se trouve plus heureuse avec nous, qu'elle s'en aille! Je suffirai à tout. Qu'est-ce que de souffrir un peu quand on est ce que je suis? Mais dites-moi donc pourquoi Paul est mécontent des bontés que mademoiselle Dietrich avait pour moi? Voilà une chose que je ne comprends pas, et que je ne pouvais pas deviner, moi.

Je fus bien tentée d'éclairer Marguerite sur les dangers personnels que lui faisait courir la protection de Césarine; cependant pouvait-on se fier à la discrétion et à la prudence d'une personne si spontanée et si sauvage encore? Sa jalousie éveillée pouvait amener des complications imprévues. Elle haïssait en imagination les rivales que son imagination lui créait. En apprenant le nom de la seule qui songeât à lui disputer son amant, elle ne se fût peut-être pas défendue de lui exprimer sa colère. Il fallait se taire, et je me tus. Je lui rappelai que Paul ne voulait l'intervention de qui que ce soit dans ses moyens d'existence, puisqu'il refusait même la mienne. Mademoiselle Dietrich était une étrangère pour lui; il ne pouvait souffrir qu'une étrangère pénétrât dans son intérieur et fit comparaître Marguerite dans le sien pour lui dicter ses ordres.

– Donnez-moi les guipures, ajoutai-je, et l'argent que vous avez reçu d'avance; je me charge de les reporter. Demain vous aurez la commande que je vous ai promise, et qui passera par mes mains sans qu'on vienne chez vous.

Elle fit résolument le sacrifice que j'exigeais. Je dois dire que, pour le reste, elle était vraiment heureuse et comme soulagée de ne rien devoir au marquis; elle approuvait la sévérité de Paul, et, si elle regrettait en secret quelque chose, car il fallait bien que l'enfant reparût en elle, c'était plutôt la vue de la bague que la propriété de la terre.

En redescendant l'escalier, je rencontrai Paul, qui rentrait pour voir un instant sa famille, se promettant de retourner vite auprès du marquis. Césarine était rentrée chez elle avec son père. M. de Rivonnière n'allait pas mieux. À chaque instant, on craignait de le voir s'éteindre. M. Dietrich ne voulait pas laisser sa fille assister à cette agonie.

Je retrouvai Césarine fort agitée. Opiniâtre dans ses desseins (parfois en dépit d'elle-même), elle s'était arrangé une nuit d'émotions avec Paul au chevet du mourant. Rien ne la détournait de son but, et cependant elle pleurait sincèrement le marquis. Elle lui devait ses soins, disait-elle, jusqu'à la dernière heure. Elle ne pouvait pas être compromise par cette sollicitude. Les amis et les parents qui à cette heure entouraient le blessé savaient tous la pureté de son amitié pour lui, et ne pouvaient trouver étrange qu'elle mit à leur service son activité, sa présence d'esprit, son habileté reconnue à soigner les malades.

– Et quand même on en gloserait, disait-elle, c'est en présence d'un devoir à remplir qu'il ne faut pas se soucier de l'opinion, à moins qu'on ne soit égoïste et lâche. Je ne comprends pas que mon père ne m'ait pas permis de rester, sauf à rester avec moi, ce qui eût écarté toute présomption malveillante. On sait bien qu'il chérissait M. de Rivonnière; on n'a pas su leur différend de quelques jours. Je le guetterai, et si, comme je le pense, il y retourne, il faudra bien qu'il me laisse l'accompagner ou le rejoindre à quelque heure que ce soit.

Elle l'eût fait, si Dubois ne fût venu nous dire dans la soirée que le blessé avait éprouvé un mieux sensible. Il avait dormi, le pouls n'était plus si faible, et, s'il ne survenait pas un trop fort accès de fièvre, il pouvait être sauvé. Après avoir retenu M. de Valbonne et M. Gilbert jusqu'à huit heures, il les avait priés de le laisser seul avec son médecin et sa famille, qui se composait d'une tante, d'une soeur et d'un beau-frère, avertis par télégramme et arrivés aussitôt de la campagne. Le médecin avait quelque espoir, mais à la condition d'un repos long et absolu. Le marquis remerciait tous ceux qui l'avaient assisté et visité, mais il sentait le besoin de ne plus voir personne. Dubois nous promit des nouvelles trois fois par jour, et prit l'engagement de nous avertir, si quelque accident survenait durant la nuit.

Le mieux se soutint, mais tout annonçait que la guérison serait très-lente. Le poumon avait été lésé, et le malade devait rester immobile, absolument muet, préservé de la plus légère émotion durant plusieurs semaines, durant plusieurs mois peut-être.

Césarine, voyant que la destinée se chargeait d'écarter indéfiniment un des principaux obstacles à sa volonté, reprit son oeuvre impitoyable, et tomba un jour à l'improviste dans le ménage de Paul. Il y était, elle le savait. Elle entra résolûment sans se faire pressentir.

– À présent que notre malade est presque sauvé, dit-elle en s'adressant à Paul sans autre préambule que celui de s'asseoir après avoir pressé la main de Marguerite, il m'est permis de songer à moi-même et de venir trouver mon ennemi personnel pour avoir raison de sa haine ou pour en savoir en moins la raison. Cet ennemi, c'est vous, monsieur Gilbert, et votre hostilité ne m'est pas nouvelle; mais elle a pris dans ces derniers temps des proportions effrayantes, et si vous vous rappelez les termes d'une lettre écrite à votre tante la veille du duel, vous devez comprendre que je ne les accepte pas sans discussion.

– Si vous me permettez de placer un mot, répondit Paul avec une douceur ironique, vous m'accorderez aussi que je ne veuille pas réveiller devant ma compagne des souvenirs qui lui sont pénibles et des faits dont elle ne doit compte qu'à moi. Vous trouverez bon qu'elle aille bercer son enfant, et que je supporte seul le poids de votre courroux.

C'était tout ce que désirait Césarine, et Marguerite ne se méfiait pas; au contraire, elle souhaitait que la belle Dietrich, comme elle l'appelait, dissipât les préventions de Paul, afin de pouvoir l'aimer et la voir sans désobéissance.

– Puisque vous rendez notre explication plus facile, dit Césarine dès qu'elle fut seule avec Paul, elle sera plus nette et plus courte. Je sais quelle inconcevable folie s'est emparée de l'esprit de ma chère Pauline, et il est probable qu'elle vous l'a inoculée.

– Je ne sais ce que vous voulez dire, mademoiselle Dietrich.

– Si fait! il est convenable que vous ne m'en fassiez pas l'aveu, mais moi je vous épargnerai cette confusion, car je ne puis supporter longtemps l'horrible méprise dont je suis la victime. Mademoiselle de Nermont, qui est un ange pour vous et pour moi, n'en est pas moins, – vous devez vous en être souvent aperçu, vous en avez peut-être quelquefois souffert, – une personne exaltée, inquiète, d'une sollicitude maladive pour ceux qu'elle aime, et plus elle les aime, plus elle les tourmente, ceci est dans l'ordre. Elle s'agite et se ronge autour de moi depuis bientôt sept ans, désespérée de voir que je n'aime personne et ne veux pas me marier. Il n'a pas tenu à elle que mon père ne partageât ses anxiétés à cet égard. Si je n'eusse eu plus d'ascendant qu'elle sur son esprit, j'aurais été véritablement persécutée. Comme il n'y a pas de perfections sans un léger inconvénient, j'ai aimé, j'aime ma Pauline avec son petit défaut, et jusqu'à ces derniers temps il n'avait point altéré ma quiétude; mais, je vous l'ai dit, c'est un peu trop maintenant, et je commence à en être blessée, je l'ai même été tout à fait en découvrant qu'elle vous avait communiqué sa chimère. À présent me comprenez-vous?

– Pas encore.

– Pardon, monsieur Gilbert, vous me comprenez, mais vous voulez que je vous dise avec audace le motif de mon déplaisir. Ce n'est pas généreux de votre part. Je vous le dirai donc, bien que cela paraisse une énormité dans la bouche d'une femme parant à l'homme qui se méfie d'elle. Pourtant il est fort possible que, quand j'aurai parlé, je ne sois pas la plus confuse de nous deux. Monsieur Gilbert, votre tante croit que j'ai pour vous une passion malheureuse, et vous le croyez aussi. Ah! je ne rougis pas, moi, en vous le disant, et vous, vous perdez contenance! J'étais fort ridicule à vos yeux tout à l'heure: si j'étais méchante, je me permettrais peut-être en ce moment de vous trouver ridicule tout seul.

Paul s'attendait si peu à ce nouveau genre d'assaut qu'il fut réellement troublé; mais il se remit très-vite et lui dit:

– Il me semble, mademoiselle Dietrich, que vous venez de plaider le faux pour savoir le vrai. Si ma tante avait commis l'erreur dont vous parlez et qu'elle me l'eût fait partager, je ne serais ridicule que dans le cas où j'en eusse tiré vanité. Si au contraire j'en avais été contrarié et mortifié, je ne serais que sage; mais tranquillisez-vous, ni ma tante ni moi n'avons jamais cru que vous fussiez atteinte d'une passion autre que celle de railler et de dédaigner les hommes assez simples pour prétendre à votre attention.

– Ceci est déjà un aveu des commentaires auxquels vous vous livrez ici sur mon compte!

– Ici? Mettez tout à fait Marguerite de côté dans cette supposition: vous l'avez fascinée. La pauvre enfant fait peut-être sa prière en ce moment pour que le ciel nous réconcilie. Quant à moi, je ne me défendrai en aucune façon d'avoir été fort irrité contre vous, et il n'est pas nécessaire de me supposer une fatuité stupide pour découvrir la cause de mon mécontentent. Je crois, d'après ma tante, que vous êtes serviable et libérale pour le plaisir de l'être; mais ceci ne vous justifie pas à mes yeux d'un défaut que, pour ma part, je trouve insupportable: le besoin de servir les gens malgré eux et de leur imposer des obligations envers vous. Vous avez été élevée dans une atmosphère de bienfaisance facile et de bénédictions intéressées qui vous a enivrée. C'est peut-être l'erreur d'une âme portée au dévouement; mais quand ce dévouement veut s'imposer, la bonté devient une offense. Depuis que ma tante vit près de vous, vous avez sans cesse tenté de m'amener à vous devoir de la reconnaissance, et mon refus vous a surprise comme un acte de révolte. Vous me l'avez fait sentir en me raillant très-amèrement la seule fois que je me suis présenté chez vous, et c'est dans cette entrevue que je vous ai connue et jugée beaucoup plus et beaucoup mieux que ma tante ne vous juge et ne vous connaît. Vous avez tenté de me persuader que ma fierté vous causait un grand chagrin, vous avez joué une petite comédie d'un goût douteux, et vous avez même un peu souffert dans votre orgueil en voyant que je ne la prenais pas au sérieux. Vous avez oublié cette légère contrariété à la première contredanse, j'en suis, bien certain; mais vos caprices de reine ne vous quittent jamais tout à fait. Vous avez voulu me forcer à me prosterner comme les autres, et vous avez travaillé à vous emparer de ma pauvre compagne. Vous eussiez réussi, si de mon côté je n'eusse fait bonne garde, et maintenant je vous dis ceci, mademoiselle Dietrich:

 

«Je ne vous devrai jamais rien; vous n'allégerez pas mon travail, vous ne donnerez pas à manger à mon enfant, vous ne serez pas son médecin, vous ne vous emparerez pas de mon domicile, de mes secrets, de ma confiance, de mes affections. Je ne cacherai pas mon nid sur une autre branche pour le préserver de vos aumônes; je vous les renverrai avec persistance, et, quand vous les apporterez en personne, je vous dirai ce que je vous dis maintenant:

»Si vous ne respectez pas les autres, respectez-vous au moins vous-même, et ne revenez plus.»

Toute autre que Césarine eût été terrassée; mais elle avait mis tout au pire dans ses prévisions. Elle était préparée au combat avec une vaillance extraordinaire. Au lieu de paraître humiliée, elle prit son air de surprise ingénue; elle garda le silence un instant, sans faire mine de s'en aller.

– Vous venez de me parler bien sévèrement, dit-elle avec cette merveilleuse douceur d'accent et de regard qui était son arme la plus puissante; mais je ne peux pas vous en vouloir, car vous m'avez rendu service. J'étais venue ici par dépit et très en colère. Je m'en irai très-rêveuse et très-troublée. Voyons, est-ce bien vrai, tout cela? Suis-je une enfant gâtée par le bonheur défaire le bien? Le dévouement peut-il être en nous un élément de corruption? On a dit, il y a longtemps, que l'orgueil était la vertu des saints. Est-ce qu'en cherchant et sanctifier ma vie par la charité j'aurais perdu la modestie et la délicatesse? Il faut qu'il y ait quelque chose comme cela, puisque je vous ai cruellement blessé. Entre l'orgueil qui offre et l'orgueil qui refuse, y a-t-il un milieu que ni vous ni moi n'avons su garder? C'est possible, j'y songerai, monsieur Gilbert. Je vous sais gré de m'avoir fait cette lumière. Que voulez-vous? on ne nous dit jamais la vérité à nous autres, les heureux du monde. Je comprends maintenant que j'ai dépassé mon droit en voulant m'intéresser au fils de mon amie malgré lui. J'ai cru que c'était par méfiance personnelle contre moi, et il est possible que j'aie pris ma vanité froissée pour un sentiment généreux. Soyez tranquille à présent sur mon compte, je n'agirai plus sans m'interroger sévèrement. Je n'aurai plus la coquetterie de ma vertu, je refoulerai mes sympathies, j'apprendrai la discrétion. Pardonnez-moi les soucis que je vous ai causés, monsieur Gilbert; chargez-vous d'apaiser Pauline, qui m'en veut depuis qu'elle s'imagine… Oh! sur ce dernier point, défendez-moi un peu, je vous prie! Dites-lui de ne pas prendre ses songes pour des réalités. Dites à Marguerite que je désire sincèrement le succès de ses voeux les plus chers, car… vous m'avez donné une bonne et utile leçon, monsieur Paul; mais vous devez reconnaître que vous pouvez aussi, à l'occasion, recevoir un bon conseil. Voici le mien: épousez Marguerite, légitimez votre enfant; vous en avez conquis le droit les armes à la main, et tout droit implique un devoir.

– Et vous, mademoiselle Dietrich, répondit Paul, recevez aussi, pour que nous soyons quittes, un conseil qui vaut le vôtre. Je sais par les amis de M. de Rivonnière que vous l'avez rendu très-malheureux. Réparez tout en l'épousant, puisqu'on espère le sauver.

– J'y songerai; merci encore, – répondit-elle avec grâce et cordialité.

Elle sortit et referma la porte sur elle, défendant à Paul de la reconduire, avec tant d'aisance et une si suave dignité qu'il resta frappé de surprise et d'hésitation. Il n'était pas vaincu, il était apprivoisé. Il croyait ne devoir plus la craindre et n'eût pas été fâché de l'observer davantage sous cette face nouvelle qu'elle venait de prendre.

Il parla d'elle avec douceur à Marguerite, et, sans lever la consigne qu'il lui avait imposée, il lui laissa espérer qu'elle reverrait dans l'occasion sa belle Dietrich. Il mit peut-être une certaine complaisance à prononcer ce mot, car pour la première fois Césarine, sage et douce, lui avait paru réellement belle.

Ce jour-là, Césarine avait frappé juste, elle s'était purgée du ridicule attaché à l'amour non partagé. Elle s'était relevée de cette humiliation qui donnait trop de force à la révolte de son antagoniste; elle avait diminué sa confiance en moi. Gilbert avait maintenant des doutes sur la lucidité de mon jugement. Il m'en voulait peut-être un peu d'avoir essayé de le mettre en garde contre un péril imaginaire. Il se méfiait de ma sollicitude maternelle et croyait y reconnaître une certaine exagération qui n'était pas sans danger pour lui. Aussi défendit-il à Marguerite de me parler de la visite de Césarine, afin de ne pas m'alarmer de nouveau.

M. de Rivonnière semblait entrer en convalescence quand un grave accident se produisit et mit encore sa vie en danger. C'est alors que Césarine conçut un projet tout à fait inattendu, dont elle me fit part quand la chose fut à peu près résolue.

– Tu sauras, me dit-elle, qu'avant deux semaines je serai probablement marquise de Rivonnière. Allons, n'aie pas d'attaque de nerfs! Ce n'est pas si surprenant que cela! C'est très-logique au contraire. Apprends ce qui s'est passé il y a trois jours.

M. de Valbonne, qui est le meilleur ami du marquis, est venu me voir de sa part, et il m'a dit ceci:

«Il n'y a plus d'illusions à entretenir; une consultation des premiers chirurgiens et des premiers médecins de France a décrété ce matin que le mal était incurable. Jacques peut vivre trois mois au plus. On a caché l'arrêt à sa famille, on ne l'a communiqué qu'à moi et à Dubois, en nous conseillant, si le malade avait des affaires à régler, de l'y décider avec précaution.

»Les précaution, étaient inutiles: Jacques s'est senti frappé à mort dès le premier jour, et il a dès lors envisagé sa fin prochaine avec un courage stoïque. Aux premiers mots que j'ai hasardés, il m'a pris la main et me l'a serrée d'une certaine manière qui signifiait: Oui, je suis prêt, car il faut dire que, sur des signes fort légers et un simple mouvement de ses lèvres ou de ses paupières. Je suis arrivé à deviner toutes ses volontés et même à lire clairement dans sa pensée. Je lui ai demandé s'il avait des intentions particulières: il a dit oui avec les doigts, appuyant sur les miens, et il a prononcé sans émission de voix;