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Légendes rustiques

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Les Demoiselles

 
J'en viyons5 une, j'en viyons deux,
Que n'aviant ni bouches ni z'yeux;
J'en viyons trois, j'en viyons quatre,
Je les ârions bien voulu battre.
J'en viyons cinq, j'en viyons six
Qui n'aviant pas les reins bourdis6
Darrier s'en venait la septième,
J'avons jamais vu la huitième.
 
Ancien couplet recueilli par Maurice SAND.

Les Demoiselles du Berry nous paraissent cousines des Milloraines de Normandie, que l'auteur de la Normandie merveilleuse décrit comme des êtres d'une taille gigantesque. Elles se tiennent immobiles et leur forme, trop peu distincte, ne laisse reconnaître ni leurs membres ni leur visage. Lorsqu'on s'approche, elles prennent la fuite par une succession de bonds irréguliers très rapides.

Les demoiselles ou filles blanches sont de tous les pays. Je ne les crois pas d'origine gauloise, mais plutôt française du moyen-âge. Quoi qu'il en soit, je rapporterai une des légendes les plus complètes que j'aie pu recueillir sur leur compte.

Un gentilhomme du Berry, nommé Jean de La Selle, vivait, au siècle dernier, dans un castel situé au fond des bois de Villemort. Le pays, triste et sauvage, s'égaye un peu à la lisière des forêts, là où le terrain sec, plat et planté de chênes, s'abaisse vers des prairies que noient une suite de petits étangs assez mal entretenus aujourd'hui.

Déjà, au temps dont nous parlons, les eaux séjournaient dans les prés de M. de La Selle, le bon gentilhomme n'ayant pas grand bien pour faire assainir ses terres. Il en avait une assez grande étendue, mais de chétive qualité et de petit rapport.

Néanmoins, il vivait content, grâce à des goûts modestes et à un caractère sage et enjoué. Ses voisins le recherchaient pour sa bonne humeur, son grand sens et sa patience à la chasse. Les paysans de son domaine et des environs le tenaient pour un homme d'une bonté extraordinaire et d'une rare délicatesse. On disait de lui que plutôt que de faire tort d'un fétu à un voisin, quel qu'il fût, il se laisserait prendre sa chemise sur le corps et son cheval entre les jambes.

Or, il advint qu'un soir, M. de La Selle ayant été à la foire de la Berthenoux pour vendre une paire de bœufs, revenait par la lisière du bois, escorté par son métayer, le grand Luneau, qui était un homme fin et entendu, et portant, sur la croupe maigre de sa jument grise, la somme de six cents livres en grands écus plats à l'effigie de Louis XIV. C'était le prix des bestiaux vendus.

En bon seigneur de campagne qu'il était, M. de La Selle avait dîné sous la ramée, et comme il n'aimait point à boire seul, il avait fait asseoir devant lui le grand Luneau et lui avait versé le vin de crû sans s'épargner lui-même, afin de le mettre à l'aise en lui donnant l'exemple. Si bien que le vin, la chaleur et la fatigue de la journée et, par-dessus tout cela, le trot cadencé de la grise avaient endormi M. de La Selle, et qu'il arriva chez lui sans trop savoir le temps qu'il avait marché ni le chemin qu'il avait suivi. C'était l'affaire de Luneau de le conduire, et Luneau l'avait bien conduit, car ils arrivaient sains et saufs; leurs chevaux n'avaient pas un poil mouillé. Ivre, M. de La Selle ne l'était point. De sa vie, on ne l'avait vu hors de sens. Aussi dès qu'il se fut débotté, il dit à son valet de porter sa valise dans sa chambre, puis il s'entretint fort raisonnablement avec le grand Luneau, lui donna le bonsoir et s'alla coucher sans chercher son lit. Mais le lendemain, lorsqu'il ouvrit sa valise pour y prendre son argent, il n'y trouva que de gros cailloux et, après de vaines recherches, force lui fut de constater qu'il avait été volé.

Le grand Luneau, appelé et consulté, jura sur son chrême et son baptême, qu'il avait vu l'argent bien compté dans la valise, laquelle il avait chargée et attachée lui-même sur la croupe de la jument. Il jura aussi sur sa foi et sa loi, qu'il n'avait pas quitté son maître de l'épaisseur d'un cheval, tant qu'ils avaient suivi la grand'route. Mais il confessa qu'une fois entré dans le bois, il s'était senti un peu lourd, et qu'il avait pu dormir sur sa bête environ l'espace d'un quart d'heure. Il s'était vu tout d'un coup auprès de la Gâgne-aux-Demoiselles et, depuis ce moment, il n'avait plus dormi et n'avait pas rencontré figure de chrétien.

– Allons, dit M. de La Selle, quelque voleur se sera moqué de nous. C'est ma faute encore plus que la tienne, mon pauvre Luneau, et le plus sage est de ne point se vanter. Le dommage n'est que pour moi, puisque tu ne partages point dans la vente du bétail. J'en saurai prendre mon parti, encore que la chose me gêne un peu. Cela m'apprendra à ne plus m'endormir à cheval.

Luneau voulut en vain porter ses soupçons sur quelques braconniers besogneux de l'endroit. – Non pas, non pas, répondit le brave hobereau; je ne veux accuser personne. Tous les gens du voisinage sont d'honnêtes gens. N'en parlons plus. J'ai ce que je mérite.

– Mais peut-être bien que vous m'en voulez un peu, notre maître…

– Pour avoir dormi? Non, mon ami; si je t'eusse confié la valise, je suis sur que tu te serais tenu éveillé. Je ne m'en prends qu'à moi, et ma foi, je ne compte pas m'en punir par trop de chagrin. C'est assez d'avoir perdu l'argent, sauvons la bonne humeur et l'appétit.

– Si vous m'en croyez, pourtant, notre maître, vous feriez fouiller la Gâgne-aux-Demoiselles.

– La Gâgne-aux-Demoiselles est une fosse herbue qui a bien un demi-quart de lieue de long; ce ne serait pas une petite affaire de remuer toute cette vase, et d'ailleurs qu'y trouverait-on? Mon voleur n'aura pas été si sot que d'y semer mes écus!

– Vous direz ce que vous voudrez, notre maître, mais le voleur n'est peut-être pas fait comme vous penser!

– Ah! Ah! mon grand Luneau, toi aussi tu crois que les demoiselles sont des esprits malins qui se plaisent à jouer de mauvais tours!

– Je n'en sais rien, notre maître, mais je sais bien qu'étant là un matin, devant jour, avec mon père, nous les vîmes comme je vous vois; mêmement que, rentrant à la maison bien épeurés, nous n'avions plus ni chapeaux, ni bonnets sur nos têtes, ni chaussures à nos pieds, ni couteaux dans nos poches. Elles sont malignes, allez! Elles ont l'air de se sauver, mais, sans vous toucher, elles vous font perdre tout ce qu'elles peuvent et en profitent, car on ne le retrouve jamais. Si j'étais de vous, je ferais assécher tout ce marécage. Votre pré en vaudra mieux et les demoiselles auraient bientôt délogé; car il est à la connaissance de tout homme de bon sens qu'elles n'aiment point le sec et qu'elles s'envolent de mare en mare et d'étang en étang, à mesure qu'on leur ôte le brouillard dont elles se nourrissent.

– Mon ami Luneau, répondit M. de La Selle, dessécher le marécage serait, à coup sûr, une bonne affaire pour le pré. Mais, outre qu'il y faudrait les six cents livres que j'ai perdues, j'y regarderais encore à deux fois avant de déloger les demoiselles. Ce n'est pas que j'y croie précisément, ne les ayant jamais vues, non plus qu'aucun autre farfadet de même étoffe; mais mon père y croyait un peu, et ma grand-mère y croyait tout à fait. Quand on en parlait, mon père disait: «Laissez les demoiselles tranquilles; elles n'ont jamais fait de mal à moi ni à personne.» et ma grand-mère disait: «Ne tourmentez et ne conjurez jamais les demoiselles; leur présence est un bien dans une terre, et leur protection est un porte-bonheur pour une famille.»

– Pas moins, reprit le grand Luneau en hochant la tête, elles ne vous ont point garé des voleurs!

Environ dix ans après cette aventure, M. de La Selle revenait de la même foire de la Berthenoux, rapportant sur la même jument grise, devenue bien vieille, mais trottant encore sans broncher, une somme équivalente à celle qui lui avait été si singulièrement dérobée. Cette fois, il était seul, le grand Luneau étant mort depuis quelques mois; et notre gentilhomme ne dormait pas à cheval, ayant abjuré et définitivement perdu cette fâcheuse habitude.

Lorsqu'il fut à la lisière du bois, le long de la Gâgne-aux-Demoiselles, qui est située au bas d'un talus assez élevé et tout couvert de buissons, de vieux arbres et de grandes herbes sauvages, M. de La Selle fut pris de tristesse en se rappelant son pauvre métayer, qui lui faisait bien faute, quoique son fils Jacques, grand et mince comme lui, comme lui fin et avisé, parût faire son possible pour le remplacer. Mais on ne remplace pas les vieux amis, et M. de La Selle se faisait vieux lui-même.

Il eut des idées noires; mais sa bonne conscience les eut bientôt dissipées, et il se mit à siffler un air de chasse, en se disant que, de sa vie et de sa mort, il en serait ce que Dieu voudrait.

Comme il était à peu près au milieu de la longueur du marécage, il fut surpris de voir une forme blanche, que jusque-là il avait prise pour un flocon de ces vapeurs dont se couvrent les eaux dormantes, changer de place, puis bondir et s'envoler en se déchirant à travers les branches. Une seconde forme plus solide sortit des joncs et suivit la première en s'allongeant comme une toile flottante; puis une troisième, puis une autre et encore une autre; et, à mesure qu'elles passaient devant Monsieur de La Selle, elles devenaient si visiblement des personnages énormes, vêtus de longues jupes, pâles, avec des cheveux blanchâtres traînant plutôt que voltigeant derrière elles, qu'il ne put s'ôter de l'esprit que c'étaient là les fantômes dont on lui avait parlé dans son enfance. Alors, oubliant que sa grand-mère lui avait recommandé, s'il les rencontrait jamais, de faire comme s'il ne les voyait pas, il se mit à les saluer, en homme bien appris qu'il était. Il les salua toutes, et quand ce vint à la septième, qui était la plus grande et la plus apparente, il ne put s'empêcher de lui dire: Demoiselle, je suis votre serviteur.

 

Il n'eut pas plutôt lâché cette parole, que la grande demoiselle se trouva en croupe derrière lui, l'enlaçant de deux bras froids comme l'aube, et que la vieille grise, épouvantée, prit le galop, emportant M. de La Selle à travers le marécage.

Bien que fort surpris, le bon gentilhomme ne perdit point la tête. «Par l'âme de mon père, pensa-t-il, je n'ai jamais fait de mal, et nul esprit ne peut m'en faire,» Il soutint sa monture et la força de se dépêtrer de la boue où elle se débattait, tandis que la grand'demoiselle paraissait essayer de la retenir et de l'envaser.

M. de La Selle avait des pistolets dans ses fontes, et l'idée lui vint de s'en servir; mais, jugeant qu'il avait affaire à un être surnaturel et se rappelant d'ailleurs que ses parents lui avaient recommandé de ne point offenser les demoiselles de l'eau, il se contenta de dire avec douceur à celle-ci: «Vraiment, belle dame, vous devriez me laisser passer mon chemin, car je n'ai point traversé le vôtre pour vous contrarier, et si je vous ai saluée, c'est par politesse et non par dérision. Si vous souhaitez des prières ou des messes, faites connaître votre désir, et, foi de gentilhomme, vous en aurez!»

Alors, M. de La Selle entendit au-dessus de sa tête une voix étrange qui disait: «Fais dire trois messes pour l'âme du grand Luneau et va en paix!»

Aussitôt la figure du fantôme s'évanouit, la grise redevint docile et M. de La Selle rentra chez lui sans obstacle.

Il pensa alors qu'il avait eu une vision; il n'en commanda pas moins les trois messes. Mais quelle fut sa surprise lorsqu'en ouvrant sa valise, il y trouva, outre l'argent qu'il avait reçu à la foire, les six cents livres tournois en écus plats, à l'effigie du feu roi.

On voulut bien dire que le grand Luneau, repentant à l'heure de la mort, avait chargé son fils Jacques de cette restitution, et que celui-ci, pour ne pas entacher la mémoire de son père, en avait chargé les demoiselles… M. de La Selle ne permit jamais un mot contre la probité du défunt, et quand on parlait de ces choses sans respect en sa présence, il avait coutume de dire: «L'homme ne peut pas tout expliquer. Peut-être vaut-il mieux pour ici être sans reproche que sans croyance.»

Les Laveuses de nuit ou Lavandières

A la pleine lune, on voit, dans le chemin de la Font de Fonts (Fontaine des Fontaines), d'étranges laveuses; ce sont les spectres des mauvaises mères qui ont été condamnées à laver, jusqu'au jugement dernier, les langes et les cadavres de leurs victimes.

Maurice SAND.

Voici, selon nous, la plus sinistre des visions de la peur. C'est aussi la plus répandue; je crois qu'on la retrouve en tous pays.

Autour des mares stagnantes et des sources limpides, dans les bruyères comme au bord des fontaines ombragées dans les chemins creux, sous les vieux saules comme dans la plaine brûlée du soleil, on entend, durant la nuit, le battoir précipité et le clapotement furieux des lavandières fantastiques. Dans certaines provinces, on croit qu'elles évoquent la pluie et attirent l'orage en faisant voler jusqu'aux nues, avec leur battoir agile, l'eau des sources et des marécages. Il y a ici confusion. L'évocation des tempêtes est le monopole des sorciers connus sous le nom de meneux de nuées. Les véritables lavandières sont les âmes des mères infanticides. Elles battent et tordent incessamment quelque objet qui ressemble à du linge mouillé, mais qui, vu de près, n'est qu'un cadavre d'enfant. Chacune a le sien ou les siens, si elle a été plusieurs fois criminelle. Il faut se bien garder de les observer ou de les déranger car, eussiez-vous six pieds de haut et des muscles en proportion, elles vous saisiraient, vous battraient dans l'eau et vous tordraient ni plus ni moins qu'une paire de bas.

Nous avons entendu souvent le battoir des laveuses de nuit résonner dans le silence autour des mares désertes. C'est à s'y tromper. C'est une espèce de grenouille qui produit ce bruit formidable. Mais c'est bien triste d'avoir fait cette puérile découverte et de ne plus pouvoir espérer l'apparition des terribles sorcières, tordant leurs haillons immondes, dans la brume des nuits de novembre, à la pâle clarté d'un croissant blafard reflété par les eaux.

Cependant, j'ai eu l'émotion d'un récit sincère et assez effrayant sur ce sujet.

Un mien ami, homme de plus d'esprit que de sens, je dois l'avouer, et pourtant d'un esprit éclairé et cultivé, mais je dois encore l'avouer, enclin à laisser sa raison dans les pots; très brave en face des choses réelles, mais facile à impressionner et nourri, dès l'enfance, des légendes du pays, fit deux rencontres de lavandières qu'il ne racontait qu'avec répugnance et avec une expression de visage qui faisait passer un frisson dans son auditoire.

Un soir, vers onze heures, dans une traîne charmante qui court en serpentant et en bondissant, pour ainsi dire, sur le flanc ondulé du ravin d'Urmont, il vit, au bord d'une source, une vieille qui lavait et tordait en silence.

Quoique cette jolie fontaine soit mal famée, il ne vit rien là de surnaturel et dit à cette vieille: «Vous lavez bien tard, la mère!»

Elle en répondit point. Il la crut sourde et approcha. La lune était brillante et la source éclairait comme un miroir. Il vit alors distinctement les traits de la vieille: elle lui était complètement inconnue, et il en fut étonné, parce qu'avec sa vie de cultivateur, de chasseur et de flâneur dans la campagne, il n'y avait pas pour lui de visage inconnu, à plusieurs lieues à la ronde. Voici comme il me raconta lui-même ses impressions en face de cette laveuse singulièrement attardée:

«Je ne pensai à la légende que lorsque j'eus perdu cette femme de vue. Je n'y pensais pas avant de la rencontrer. Je n'y croyais pas et je n'éprouvais aucune méfiance en l'abordant. Mais, dès que je fus auprès d'elle, son silence, son indifférence à l'approche d'un passant, lui donnèrent l'aspect d'un être absolument étranger à notre espèce. Si la vieillesse la privait de l'ouïe et de la vue, comment était-elle venue de loin toute seule laver, à cette heure insolite, à cette source glacée où elle travaillait avec tant de force et d'activité? Cela était au moins digne de remarque; mais ce qui m'étonna encore plus, c'est ce que j'éprouvai en moi-même. Je n'eus aucun sentiment de peur, mais une répugnance, un dégoût invincibles. Je passai mon chemin sans qu'elle détournât la tête. Ce ne fut qu'en arrivant chez moi que je pensai aux sorcières des lavoirs, et alors j'eus très peur, j'en conviens franchement, et rien au monde ne m'eut décidé à revenir sur mes pas.»

Une autre fois, le même ami passait auprès des étangs de Thevet, vers deux heures du matin. Il venait de Linières, où il assure qu'il n'avait ni mangé ni bu, circonstance que je ne saurais garantir. Il était seul, en cabriolet, suivi de son chien. Son cheval étant fatigué, il mit pied à terre à une montée, et se trouva au bord de la route, près d'un fossé où trois femmes lavaient, battaient et tordaient avec une grande vigueur, sans rien dire. Son chien se serra tout à coup contre lui sans aboyer. Il passa lui-même sans trop regarder. Mais à peine eut-il fait quelques pas, qu'il entendit marcher derrière lui, et que la lune dessina à ses pieds une ombre très allongée. Il se retourna et vit une des femmes qui le suivait. Les deux autres venaient à quelque distance comme pour appuyer la première.

«Cette fois, dit-il, je pensai bien aux lavandières maudites, mais j'eus une autre émotion que la première fois. Ces femmes étaient d'une taille si élevée, et celle qui me suivait de près avait tellement les proportions, la figure et la démarche d'un homme, que je ne doutai pas un instant d'avoir affaire à de mauvais plaisants de village, mal intentionnés peut-être. J'avais une bonne trique à la main, je me retournai en disant: Que voulez-vous?

Je ne reçus point de réponse, et ne me voyant pas attaqué, n'ayant pas de prétexte pour attaquer moi-même, je fus forcé de regagner mon cabriolet, qui était assez loin devant moi, avec cet être désagréable sur les talons. Il ne me disait rien et semblait se faire un malin plaisir de me tenir sous le coup d'une provocation. Je tenais toujours mon bâton, prêt à lui casser la mâchoire au moindre attouchement, et j'arrivai ainsi à mon cabriolet avec mon poltron de chien qui ne disait mot et qui y sauta avec moi. Je me retournai alors et, quoique j'eusse entendu, jusque-là, des pas sur les miens et vu une ombre marcher à côté de la mienne, je ne vis personne. Seulement je distinguai, à trente pas environ en arrière, à la place où je les avais vues laver, les trois grandes diablesses sautant, dansant et se tordant comme des folles sur le bord du fossé. Leur silence, contrastant avec ces bonds échevelés, les rendait encore plus singulières et pénibles à voir.

Si l'on essayait, après ce récit, d'adresser au narrateur quelque question de détail, ou de lui faire entendre qu'il avait été le jouet d'une hallucination, il secouait la tête et disait: «Parlons d'autre chose. J'aime autant croire que je ne suis pas fou.» Et ces mots, jetés d'un air triste, imposaient silence à tout le monde.

Il n'est point de mare ou de fontaine qui ne soit hantée, soit par les lavandières de nuit, soit par d'autres esprits plus ou moins fâcheux. Quelques-uns de ces hôtes sont seulement bizarres. Dans mon enfance, je craignais beaucoup de passer devant un certain fossé où l'on voyait les pieds blancs. Les histoires fantastiques qui ne s'expliquent pas sur la nature des êtres qu'elles mettent en scène, et qui restent vagues et incomplètes, sont celles qui frappent le plus l'imagination. Ces pieds blancs marchaient, dit-on, le long du fossé à certaines heures de la nuit; c'était des pieds de femme, maigres et nus, avec un bout de robe blanche ou de chemise longue qui flottait et s'agitait sans cesse. Cela marchait vite et en zigzag, et si l'on disait: «Je te vois! veux-tu te sauver!» cela courait si vite qu'on ne savait plus où ça avait passé. Quand on ne disait rien, cela marchait devant vous; mais quelque effort que l'on fit pour voir plus haut que la cheville, c'était chose impossible. Ça n'avait ni jambes, ni corps, ni tête, rien que des pieds. Je ne saurais dire ce que ces pieds avaient de terrifiants; mais, pour rien au monde, je n'eusse voulu les voir.

Il y a, en d'autres lieux, des fileuses de nuit dont on entend le rouet dans la chambre que l'on habite et dont on aperçoit quelquefois les mains. Chez nous, j'ai ouï parler d'une brayeuse de nuit, qui broyait le chanvre devant la porte de certaines maisons et faisait entendre le bruit régulier de la braye d'une manière qui n'était pas naturelle. Il fallait la laisser tranquille, et si elle s'obstinait à revenir plusieurs nuits de suite, mettre une vieille lame de faux en travers de l'instrument dont elle avait coutume de s'emparer pour faire son vacarme, elle s'amusait un moment à vouloir broyer cette lame, puis elle s'en dégoûtait, la jetait en travers de la porte et ne revenait plus.

Il y avait encore la peillerouse de nuit qui se tenait sous la guenillière de l'église. Peille est un vieux mot français qui signifie haillon; c'est pourquoi le porche de l'église, où se tiennent, pendant les offices les mendiants porteurs de peilles, s'appelle d'un nom analogue.

Cette peillerouse accostait les passants et leur demandait l'aumône. Il fallait se bien garder de lui rien donner; autrement elle devenait grande et forte, de cacochyme qu'elle vous avez semblé, et elle vous rouait de coups. Un nommé Simon Richard, qui demeurant dans l'ancienne cure et qui soupçonnait quelque espièglerie des filles du bourg à son intention particulière, voulut batifoler avec elle. Il fut laissé pour mort. Je le vis sur le flanc, le lendemain, très rossé et très égratigné, en effet. Il jurait n'avoir eu affaire qu'à une petite vieille «qui paraissait cent ans, mais qui avait la poigne comme trois hommes et demi.»

 

On voulut en vain lui faire supposer qu'il avait eu affaire à un plus fort que lui, qui, sous un déguisement, s'est vengé de quelque mauvais tour de sa façon. Il était fort et hardi, même querelleur et vindicatif. Pourtant, il quitta la paroisse aussitôt qu'il fut debout et n'y revint jamais, disant qu'il ne craignait ni homme ni femme. Mais bien les gens qui ne sont pas de ce monde et qui n'ont pas le corps fait en chrétiens.

5Nous en vîmes.
6Fatigués à force de sauter.