Tasuta

Les beaux messieurs de Bois-Doré

Tekst
iOSAndroidWindows Phone
Kuhu peaksime rakenduse lingi saatma?
Ärge sulgege akent, kuni olete sisestanud mobiilseadmesse saadetud koodi
Proovi uuestiLink saadetud

Autoriõiguse omaniku taotlusel ei saa seda raamatut failina alla laadida.

Sellegipoolest saate seda raamatut lugeda meie mobiilirakendusest (isegi ilma internetiühenduseta) ja LitResi veebielehel.

Märgi loetuks
Šrift:Väiksem АаSuurem Aa

XLIV

La nuit était assez douce et pas très-sombre, malgré de grands nuages noirs que le vent balayait, en ouvrant au ciel de longues trouées pleines d'étoiles, qui se fermaient tout d'un coup pour se rouvrir à une autre place.

On dit que nos aïeux gentilshommes ou bourgeois étaient certainement plus robustes que nous ne le sommes généralement aujourd'hui, tandis qu'au rebours, nos aïeux ouvriers et paysans l'étaient moins.

C'est la croyance des anciens de mon pays, et elle me paraît fondée: les gens aisés avaient des habitudes de grand air et d'activité dont la vie moderne nous dispense ou nous prive. Les classes pauvres étaient plus mal logées et plus mal nourries que de nos jours, sans parler de l'immense quantité de malheureux qui n'étaient pas nourris et pas logés du tout. Le Gentilhomme, avec son régime de guerre ou de chasse, conservait sa force et sa santé jusque dans un âge très-avancé.

Bois-Doré, malgré ses soixante-neuf ans et la mollesse, relative de ses habitudes, avait donc encore la vue bonne, la poitrine à l'abri d'un rhume et le pied assez ferme sur la terre nue ou sur les gazons mouillés.

Il fit bien quelques glissades le long des buissons, mais il se retint aux branches, en homme qui sait se diriger dans une localité dont les accidents sont homogènes sur une grande étendue de terrain.

Grâce à la petite coursière qu'il avait prise, il fut rendu, en dix minutes de marche, à la ferme de Brilbault.

Sachant le naturel craintif et superstitieux des paysans, il toussa et parla d'avance avant de frapper; puis il se nomma en frappant, et fut reçu, sinon sans surprise, du moins sans effroi.

Bien que le sort des cultivateurs fût encore très misérable, il l'était beaucoup moins, moralement parlant, en Berry, qui, d'ancienne date, était pays de franc-alleu, que dans les pays de servitude. En outre, dans cette partie que l'on appelle la Vallée-Noire, les ressources matérielles ont toujours assuré au fermier ou métayer un bien-être relatif qui l'a préservé des grands désastres et des grandes épidémies.

À cette époque, les maladreries (hospice des lépreux) étaient déjà vides; la peste, si fréquente encore dans la Brenne et aux alentours de Bourges, ne sévissait que rarement dans le Fromental. Les habitations, sordides et infectes dans la Marche et le Bourbonnais, étaient, du côté de chez nous, solides et bien établies, ainsi que l'attestent un grand nombre de vieilles maisons rustiques du xvie et du xve siècle, encore debout, et bien reconnaissables à leurs énormes toits de tuiles, à leurs huis encadrés de pierres taillées en prismes, et à leurs mansardes surmontées de gros épis historiés en terre cuite22.

Le marquis put donc entrer sans dégoût dans l'habitation des fermiers, s'y asseoir dans l'âtre et y causer quelques instants.

Aimé de tout le monde, le bon monsieur put confier sans crainte à Jean Faraudet et à sa femme le soin éventuel d'un sien ami tracassé, disait-il, pour un délit de chasse, et, lorsqu'il leur annonça que leur maître, M. Robin, voulait les voir, le lendemain matin, pour leur donner des ordres en conséquence, ils se montrèrent joyeux et empressés d'obéir, en répondant le mot sacramentel de bon vouloir et de bonne grâce en ce pays: «Il y a bien moyen!»

Cependant la femme Faraudet, que l'on appelait la Grand'Cateline, ne put s'empêcher de plaindre celui qui serait condamné à passer seulement une nuit dans le château de Brilbault.

Elle croyait fermement qu'il était hanté, et son mari, après s'être moqué d'elle pour complaire au scepticisme du marquis, finit par avouer qu'il aimerait mieux mourir que d'y mettre les pieds après soleil couché.

– La présence de mon ami, dit le marquis, vous rassurera, je l'espère, car je vous réponds qu'elle chassera les mauvais esprits; mais, puisque vous n'avez point trop de peur d'y entrer durant le jour, je vous prie de mettre dès demain du bois dans la cheminée et de dresser un lit dans la meilleure chambre.

– On y mettra tout ce qu'il faut, notre cher monsieur, répondit la Grand'Cateline; mais le pauvre chrétien qui viendra là n'y dormira pas la miette. Il entendra, la nuitée, des vacarmes et rebâtements, comme nous les entendons, mon bon Dieu! et comme vous les entendrez vous-même si vous voulez attendre seulement une petite heure d'horloge.

– Je ne puis attendre, dit le marquis, et d'ailleurs, me sachant là, les esprits ne bougeraient. Je connais bien leur couardise, n'ayant jamais pu entendre, à la nuit de Noël, les voix qui crient dans le haut du donjon de Briantes, non plus que les portes qui s'ouvrent toutes seules à la Motte-Seuilly, et la dame blanche qui ouvre les courtines des lits chez M. Guillaume d'Ars.

– C'est une chose imaginante, monsieur Sylvain, dit le métayer d'un air capable, qu'il y ait des apparaissances dans notre vieux château. On sait bien qu'il peut y en avoir dans les autres, parce qu'il n'en est point où quelque grand mal n'ait été fait ou enduré; ce qui est la cause que les pauvres chrétiens, tourmentés ou navrés de leurs corps dans ces maisons-là, reviennent s'y lamenter en âmes qui demandent prières ou justice. Mais, dans le château de Brilbault, qui n'a jamais été habité, oncques ne s'est fait ni bien ni mal, que je sache.

– Il faut croire, dit la femme, qui, tout en causant, filait lestement sa quenouille, que l'ancien seigneur aura péri au loin, de malemort et en péché; car vous savez la légende de Brilbault? Elle n'est pas longue. Un seigneur avait élevé ce manoir jusqu'au faîte, lorsqu'il partit pour la terre sainte avec ses sept fils, dont ni lui ni pas un ne revint. Le château fut vendu et revendu sans être jamais au goût de personne. On pensait qu'il porterait malheur aux familles; c'est pourquoi, de tout temps, il n'a servi qu'à engranger des récoltes. On y a mis une toiture qui n'est déjà plus bonne; mais il y a encore deux belles chambres et une salle si grande, si grande, que d'un bout à l'autre bout, deux personnes ne se reconnaissent quasiment point.

– Pouvez-vous me confier les clefs? dit le marquis. Je souhaiterais voir le dedans.

– Les clefs, les voilà; mais, mon cher monsieur Sylvain du bon Dieu, n'y allez point! C'est l'heure où le sabbat va commencer.

– Voyons, quel sabbat, mes braves gens? dit le marquis en riant; comment sont faits ces vilains diables.

– Je ne les ai point vus, monsieur, ni ne souhaite de les voir, dit le métayer; mais je les entends bien, je les entends trop! Les uns gémissent; les autres chantent. C'est des rires, et puis des cris, et des jurements et des pleurs, jusqu'au petit jour, que tout s'envole dans les airs; car c'est bien fermé, et personne d'humain n'y pourrait entrer sans licence ou office de moi.

– Ne seraient-ce point vos valets de ferme pour s'amuser, ou quelque pillard pour vous empêcher de surprendre ses larcins?

– Non, monsieur, non! Nos valets et servantes ont si grand'peur, que, pour tout l'argent que vous avez, vous ne les feriez point approcher du château de deux portées d'arquebuse après soleil couché; et mêmement vous voyez qu'ils ne couchent plus dans notre logis, parce qu'ils disent qu'il est encore trop près de cette maudite bâtisse. Ils dorment tous dans la grange, là-bas, au fond de la cour.

– Tant mieux pour le petit secret que nous avons ce soir ensemble, dit le marquis; mais tant mieux aussi peut-être pour ceux qui font les revenants à seules fins de vous larronner!

– Et que pourraient-ils larronner, monsieur Sylvain? Il n'y a rien dans le château. Quand j'ai vu que le diable y promenait des feux, j'ai eu crainte de l'incendie, et j'ai retiré toute ma récolte, sauf quelques méchants fagots et une dizaine de bottes de foin et paille, pour ne les point trop choquer, car on dit que les follets aiment bien batifoler dans les bois et le fourrage; et, de vrai, j'y trouvais bien du dérangement et de la foulaison: c'était comme si une cinquantaine de personnes vivantes y avaient passé.

Le marquis savait Faraudet très-véridique et incapable d'inventer quoi que ce fût pour se dispenser de lui rendre service.

Il commença donc à penser que, si des lumières se montraient dans le vieux manoir, si des voix se faisaient entendre, et si, surtout, des pas ou des corps foulaient et dérangeaient le fourrage, il y avait plus de réalité que de diablerie dans ces faits, et que le château, où le métayer et sa femme avouèrent enfin n'avoir pas osé entrer depuis plus de six semaines, pouvait bien servir de refuge déjà à quelques fugitifs.

– Intéressants ou malfaisants, je veux les voir, se dit-il.

Et, mettant son épée nue sous son bras, tenant d'une main les clefs du manoir et de l'autre une lanterne, il se dirigea, à travers les prés, vers l'enceinte ruinée et silencieuse.

Faraudet, voyant sa femme se lamenter de la hardiesse du bon monsieur, eut honte de le laisser aller seul et se décida à le suivre.

Mais, quand le marquis eut franchi le pont dormant, il vit le pauvre paysan trembler si fort, qu'il craignit d'être plus embarrassé que secondé par un homme si malade, et qu'il le pria de ne pas aller plus avant.

La plupart des châteaux de la Vallée-Noire, même ceux du moyen âge primitif, sont situés dans le plus creux des vallons, au lieu d'être placés sur les hauteurs, comme dans la Marche et le Bourbonnais. La raison de cette anomalie est fort plausible.

 

Dans un pays qui n'offre pas d'escarpements considérables, on dut chercher dans le cours d'eau le principal moyen de défense.

Donc, à Brilbaut comme à Briantes, comme à la Motte-Seuilly, à Saint-Chartier, à la Motte-de-Presles, etc., le manoir s'était planté au milieu des méandres d'une rivière capable d'alimenter de ses eaux courantes le double fossé circulaire de l'enceinte.

Le pont qui donne entrée à la première de ces enceintes est fort étroit, et porté sur des arcades indécises entre le plein cintre et l'ogive.

Tout le château est d'une architecture de transition: la façade est d'une forme étrange; la porte et les fenêtres superposées de l'escalier rentrent de quelques mètres dans le massif général, comme pour s'abriter des attaques du dehors.

Le sommet de l'édifice a dû être mascherolé en cet endroit, mais la construction inachevée est tronquée par un toit hors de proportion avec l'édifice, qui annonce un plan assez grandiose resté en chemin.

Le marquis arriva au pied du manoir, à vol d'oiseau; les murs d'enceinte étaient si écroulés et percés de tant de brèches, les fossés tellement comblés en mille endroits, qu'il n'était pas nécessaire d'en chercher les portes.

Il ouvrit sans bruit celle du château, qui était petite et basse sous un arc rampant surmonté d'une ogive fleurie.

Là, il ouvrit à demi sa lanterne pour voir à ses pieds, car le métayer l'avait averti de se méfier de l'escalier.

XLV

Cet escalier en spirale est fort beau, large pour six personnes et léger comme les branches d'un éventail. Il est d'une pierre blanche assez friable; beaucoup de marches sont entièrement rompues par la chute de quelque partie supérieure de l'édifice; mais celles qui restent semblent fraîchement taillées et ne portent aucune trace d'usure. À chaque demi-tour de la spirale, une marche d'engagement est soutenue par une figure grimaçante, une bête fantastique, ou un demi-corps d'homme armé, sculpté en relief sur la muraille.

Le marquis s'amusa à regarder ces figures, qui semblaient s'agiter à la lueur vacillante de sa lanterne.

Il montait lentement, profitant de chaque repos pour écouter; et, comme aucun autre bruit que celui du vent dans la toiture ne se faisait entendre, comme les portes des salles devant lesquelles il passait étaient fermées au cadenas, il doutait de plus en plus de la présence d'habitants quelconques. Il parvint ainsi jusqu'au dernier étage, où étaient situées les deux chambres destinées jadis au châtelain.

L'usage étant, au moyen âge, de se placer ainsi sous le faîte, et de rompre l'escalier, pour soutenir, en cas de besoin, un siége jusque dans son appartement, souvent les marches étaient interrompues dans la construction, et le châtelain n'entrait chez lui que par une échelle que l'on retirait le soir après lui. D'autres fois, les marches du dernier étage étaient, à dessein, tellement minces, qu'il suffisait de quelques coups de pic pour les briser.

C'était le cas, au château de Brilbaut; mais les brisures dont le marquis avait à se méfier ne provenaient, comme nous l'avons dit, que d'accidents fortuits, et il put, avec ses grandes jambes, escalader les lacunes sans danger sérieux.

Ces deux chambres, dont le métayer lui avait parlé, étant celles que devait, au besoin, habiter Lucilio, le premier mouvement de Bois-Doré fut d'y entrer pour voir si elles avaient des châssis, ou tout au moins des volets pleins aux croisées; car toutes celles de l'escalier, étroites et profondes, avec leur banc de pierre placé en biais dans l'embrasure, envoyaient des bouffées d'air impétueux contre lesquelles il avait eu de la peine à préserver sa lumière.

Mais, au moment d'ouvrir ces chambres seigneuriales, dont il avait les clefs, le marquis hésita.

Si le manoir servait de refuge à quelqu'un, ce quelqu'un était là, et, surpris dans son repos, il se mettrait en défense sans attendre d'explication. Cette exploration exigeait donc quelque prudence. Le marquis ne croyait pas aux esprits et avait d'autant moins de peur des vivants qu'il ne les cherchait pas à mauvaises intentions. Si quelque malheureux se trouvait caché là, quel qu'il fût, il était décidé à l'y laisser en paix et à ne pas trahir le secret qu'il aurait surpris.

Mais la première terreur du réfugié pouvait être hostile. Le marquis n'avait fait aucun bruit appréciable en entrant et en montant, puisque rien ne bougeait. Il devait, autant que possible, s'assurer de la vérité sans se laisser voir ni entendre, ou du moins sans se montrer brusquement.

À cet effet, il entra dans une salle sans porte, où régnait la plus profonde obscurité, les fenêtres étant toutes bouchées de planches ou de paille. Le plancher était couvert d'une couche de poussière et de ciment pulvérisé, d'une telle épaisseur, que les pas y étaient amortis comme sur de la cendre.

Bois-Doré marcha longtemps, voyant tout au plus à se conduire. Il avait fermé sa lanterne, qui n'était garnie ni de vitre ni de corne, mais d'un demi-cylindre de fer battu percé de petits trous, suivant l'usage du pays. Il ne se hasarda à la rouvrir que quand il eut atteint une extrémité de cet immense local, et après s'être bien assuré qu'il était en un lieu absolument tranquille et muet.

Il plaça alors son luminaire sur le plancher devant lui, et recula jusque dans une grande cheminée qui se trouvait près de lui.

De là, il put habituer peu à peu ses regards à une si faible clarté dans un si vaste espace, et distinguer une salle qui tenait toute la longueur du château.

Il examina la cheminée où il se trouvait. Elle était, comme tout le reste, en pierre blanche, et les socles angulaires, pénétrant dans le massif de la base, avaient leurs saillies si fraîches, qu'elles semblaient découpées de la veille; les doubles baguettes de l'encadrement n'avaient ni entailles ni souillures d'aucune sorte, non plus que l'écusson vierge d'armoiries qui couronnait le manteau. Le tuyau même de la cheminée et l'âtre, non revêtu de plaque, n'avaient traces de feu, de fumée, ni de cendre. La construction inachevée n'avait jamais servi, cela devenait évident. Personne n'avait jamais occupé, personne n'occupait cette salle froide et nue.

Après s'être assuré de ce fait, le marquis s'enhardit à aller voir de près pourquoi une barrière de planches, à hauteur d'appui, coupait transversalement cet énorme vaisseau vers la moitié de sa profondeur. Arrivé là, il trouva le vide devant lui. Le plancher était tombé ou avait été supprimé tout entier, ainsi que celui des étages inférieurs, dans toute une moitié de l'édifice, peut-être pour faciliter l'engrangement des blés.

L'œil plongeait donc dans les ténèbres d'un local qui paraissait aussi grand qu'une église.

Bois-Doré était là depuis quelques instants, cherchant à se faire une idée de l'ensemble, lorsque, des profondeurs que son œil interrogeait en vain, une sorte de gémissement monta jusqu'à lui.

Il tressaillit, ferma et cacha sa lanterne derrière les planches, retint son haleine et prêta l'oreille, qu'il avait un peu dure et qui pouvait le tromper sur la nature des sons.

Était-ce une porte, un volet poussé par le vent?

Il n'y avait pas trois minutes qu'il attendait, lorsque la même plainte, plus marquée encore, se répéta, et, en même temps, il lui sembla qu'un faible rayon de lumière, partant de bien loin au-dessous de ses pieds, illuminait ce fond d'édifice, qui, par rapport à lui, était bien littéralement un abîme.

Il s'agenouilla pour ne pas être vu, et regarda à travers les planches qui lui servaient de balustrade.

La clarté augmenta rapidement et bientôt devint assez vive pour lui permettre de voir, ou plutôt de deviner, dans un vague heurté d'ombre et de lumière, le fond d'une salle de rez-de-chaussée aussi grande que celle où il était, mais qui, avant l'écroulement des étages intermédiaires, avait dû être beaucoup plus élevée, ainsi qu'il en pouvait juger par la naissance des nervures de la voûte qui portaient sur des consoles chargées d'animaux et de personnages fantastiques, plus grands et plus saillants que ceux déjà vus dans l'escalier.

Pour tout ameublement, on distinguait quelques tas de fourrages secs, et des ais placés en barrière, vers le fond, avec des restes des crèches. Ce rez-de-chaussée avait longtemps servi d'étable à bœufs. Au milieu de ces ais, on apercevait des débris de jougs et de socs. Puis tout cela rentra dans l'ombre, et la clarté, en montant, vint frapper la grand pan de mur qui formait tout le pignon de l'édifice, et que le marquis voyait en face de lui sur une étendue d'une quarantaine de pieds.

Cette lumière, tantôt rougeâtre, tantôt blafarde, partait d'un foyer non visible, placé sous la voûte du rez-de-chaussée, c'est-à-dire dans la partie non écroulée, correspondant à celle d'où le marquis observait ce tableau sombre et flottant.

Tout à coup, il se fit un bruit de portes, de pas et de voix sous cette voûte, et une confusion d'ombres mouvantes et agitées, tantôt immenses, tantôt trapues, se dessina de la manière la plus bizarre sur le grand mur, comme si un grand nombre de personnes, allant et venant devant un vaste foyer, en eussent tour à tour masqué et démasqué le rayonnement.

– Voici, pensa le marquis, un jeu de cligne-musette assez curieux, et l'on ne saurait nier que ce château ne soit rempli d'ombres errantes et parlantes. Sachons ce qu'elles disent.

Il écouta; mais, au milieu d'un murmure de paroles, de chants, de plaintes et de rires, il ne parvint pas à saisir une phrase, un mot, une intention.

L'effroyable sonorité de la voûte, qui renvoyait les sons comme les ombres sur la muraille opposée, confondait toutes les voix en une seule, toutes les interpellations en un bruissement confus.

Le marquis n'était pas sourd; mais il avait la sensibilité auditive des vieillards, qui entendent très-bien une gamme de sons modérés et de paroles articulées, et qu'un vacarme, un pêle-mêle de voix trouble et offense sans résultat.

Il saisissait donc des inflexions et rien de plus: tantôt celle d'une grosse voix éraillée qui semblait faire un récit, tantôt un refrain de chanson interrompu brusquement par des accents de menace, et puis une voix claire qui semblait railler et contrefaire les autres, et qui soulevait un orage de rires violents et brutaux.

Parfois, c'étaient d'assez longs monologues, puis des dialogues à deux, à trois, et, tout à coup, des cris de colère ou de gaieté qui ressemblaient à des rugissements. En somme, il se pouvait que ces gens parlassent une langue que le marquis ne connaissait pas.

Il se persuada qu'il n'y avait là qu'une troupe de truands ou de bateleurs sans emploi, vivant de maraude et laissant passer les mauvais jours de l'hiver à l'abri de cette ruine, peut-être encore s'y cachant par suite de quelque méfait.

Ces rires, ces costumes bizarres qui se dessinaient devant lui en ombres chinoises, ces longs discours, ces dialogues animés avaient peut-être rapport à quelque étude d'un art burlesque.

– Si j'étais plus près d'eux, pensa-t-il, je m'en pourrais divertir; il n'est point d'homme mal reçu en une compagnie, si mauvaise qu'elle soit, lorsqu'il entre en offrant sa bourse de bonne grâce.

Il reprit donc sa lanterne et se préparait à descendre, lorsque les conversations, les chants et les rires se changèrent en cris d'animaux si réels et si parfaitement imités, qu'on eût dit une basse-cour en rumeur. C'était le bœuf, l'âne, le cheval, la chèvre, le coq, le canard et l'agneau braillant tous ensemble. Puis tout se tut comme pour écouter les aboiements d'une meute, le son du cor, tous les bruits d'une chasse.

Était-ce un jeu? Les acteurs songeaient-ils à se regarder sur la muraille? Ils ne paraissaient pas simuler une action en rapport avec leur tapage.

Un enfant criait d'une voix aiguë au milieu de tout cela, soit pour faire comme les autres, soit effrayé dans son sommeil, et Bois-Doré vit passer l'ombre menue d'un petit corps qui avait des mouvements de singe. Ensuite, ce fut une grosse tête coiffée d'une sorte de morion empanaché, profilant sur le mur lumineux un nez grotesque, puis une tête chevelue qui semblait surmontée d'une calotte de prêtre, et qui parlait à une longue silhouette longtemps immobile comme celle d'une statue.

Puis tous les bruits cessèrent brusquement, et l'on n'entendit qu'une plainte sourde, qui ressemblait aux gémissements de la souffrance, et que Bois-Doré avait toujours saisie, revenant par intervalles, comme un douloureux point d'orgue dans les pauses de ce charivari effréné.

 

Le tumulte apaisé, l'ombre d'un crucifix gigantesque coupa en croix toute la muraille.

La lumière parut changer de place, et cette croix devint toute petite; enfin, elle disparut, et une seule figure très-nettement dessinée prit sa place, tandis qu'une voix sépulcrale récitait d'un ton monotone une prière qui semblait être celle des agonisants.

22Ces épis, qui sont d'une rareté curieuse pour les archéologues, sont restés, en certaines localités, une mode traditionnelle; les potiers de Verneuil en fabriquent de fort jolis sur les modèles anciens. Le petit vase à quatre ou six anses, monté sur plusieurs pièces et surmonté de fleurs ou d'oiseaux, se retrouve dans leur système d'ornement.