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Simon

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– Est-ce là tout ce que vous vouliez dire? reprit le comte toujours debout et tremblant.

– Quelle autre chose pourrais-je avoir à vous dire? répondit Fiamma avec une froideur dont l'autorité le força de se rasseoir.

– Continuez votre discours à grand effet, dit-il en levant les épaules et en se tournant de côté sur son fauteuil avec impatience; puisqu'il faut que j'avale votre récitatif, allez, que j'arrive au moins au finale le plus tôt possible.

– Je dis, monsieur, reprit Fiamma, insensible en apparence à une raillerie qui lui déchirait les entrailles, car rien n'est plus amer à une personne grave et de bonne foi que le reproche de charlatanisme; je dis, monsieur, qu'il y a vingt-deux ans que j'existe, et que vous ne vous occupez pas de moi. Il y en a six aujourd'hui (je vous prie de remarquer cet anniversaire) que je vis absolument seule, privée d'une mère adorable, sans conseil, sans appui, entièrement livrée à moi-même. Quoique vivant loin de moi depuis le jour de ma naissance, quoique séparé de moi parles Alpes durant cinq de ces dernières années, vous avez pu prendre sur moi assez d'informations pour savoir que jamais le soupçon d'une faute n'a effleuré ma vie, que jamais l'ombre d'un homme n'a passé sur le mur du parc où vous m'avez laissée à la garde d'une servante infirme et débonnaire; et depuis que je suis sous vos yeux, si vous avez daigné les jeter sur mes démarches, vous avez pu savoir que je n'ai eu que deux tête-à-tête en ma vie avec un homme: le premier fut amené avec M. Féline par l'effet d'un hasard que je vous ai raconté; le second, avec le marquis d'Asolo, fut amené par l'effet de votre désir et de votre volonté.

– Est-il vrai que cela soit ainsi? dit le comte, embarrassé de son rôle et craignant d'avoir à demander pardon.

– Vous m'avez fait l'honneur jusqu'ici, répondit Fiamma, de croire à ma parole et de ne pas la récuser.

– Et c'est peut-être une folie que j'ai faite, répliqua-t-il avec une aménité mêlée d'humeur. Vous êtes toujours là prête à vous emporter comme un cheval ombrageux ou à vous défendre comme un lion blessé! Que sais-je, après tout, moi, de votre vie passée? Je n'y étais pas…

– Puisque vous n'y étiez pas, monsieur, reprit Fiamma avec force, vous supposiez sans doute que vous n'aviez rien à craindre pour moi des dangers de la jeunesse et de l'isolement, ou bien…

– Sans doute! sans doute! certainement! interrompit le comte, honteux, terrassé et pressé d'échapper à cette logique rigoureuse. Eh bien! voyons; à quoi nous arrêtons-nous? Vous n'aimez pas votre cousin, et vous ne voulez pas vous marier? Vous ne voulez pas non plus de M. Féline, mais vous voulez le voir, me contraindre à le recevoir ici pour empêcher qu'on en jase, et passer votre vie chez la vieille femme à dire des oremus et à faire de la politique de village. Tout cela me serait fort égal s'il était possible qu'on connût l'inflexibilité de vos principes et la régularité de vos mœurs; mais vous n'avez pas daigné vous laisser connaître, et l'on fait déjà sur vous, dans le pays, des commentaires de toute sorte. Il faut donc que ces relations inconvenantes et cette intimité déplacée cessent absolument, ou bien je vous exhorterai à suivre la première intention que vous eûtes en arrivant en France, qui était de vous retirer dans un couvent, et à laquelle je m'opposai, espérant que vous prendriez le parti de vous établir plus avantageusement.

– Vous avez trop de bonté pour moi maintenant, monsieur, répondit Fiamma; mais je vous ferai observer qu'aucune loi ne condamne plus les filles à entrer au couvent malgré elles, et que, d'ailleurs, je suis majeure, par conséquent libre de fixer mon domicile où il me plaira. Le sentiment des convenances et la crainte du scandale m'ont engagée jusqu'ici à vous imposer le déplaisir de ma présence; mais si votre désir est de m'éloigner des lieux que vous habitez, je vous prierai de me laisser choisir ma retraité et vivre avec les 1500 livres de rente que ma mère m'a léguées et qui ont suffi jusqu'ici, même dans l'intérieur de votre riche maison, à toutes mes dépenses. Votre seigneurie le sait!..»

Elle appuya sur ces derniers mots avec affectation.

«En vérité, Fiamma, vous me rendrez fou, s'écria le comte en mettant ses deux mains sur ses tempes. Vous joignez à votre amertume de caractère des singularités inouïes. Vous vous obstinez à vivre misérablement au sein du luxe, pour faire croire apparemment que je suis avare envers vous.

– J'espère, monsieur, répondit-elle, que vous ne me supposez pas de si lâches pensées, et que vous voudrez bien attribuer à mes goûts seulement la modestie de mes habitudes.

– Enfin, vous dites, reprit le comte impatienté, que vous voulez vivre ici à votre guise, en dépit du déshonneur qui peut rejaillir sur moi, ou me couvrir d'une autre sorte de déshonneur en allant vivre seule et loin de moi? Il faut que je passe pour un lâche Cassandre ou pour un tyran domestique: charmante alternative, en vérité!

– Non, monsieur, répondit Fiamma, je ne veux point vous mettre dans cette alternative. S'il est vrai que mes relations avec la famille Féline soient un objet de scandale, vous avez le droit de m'en avertir, et je suis prête à les faire cesser s'il est nécessaire. Mais le hasard s'est chargé à point de remédier au mal. M. Féline est parti ce matin du village, pour se fixer à Guéret, où il va exercer sa profession, et où vous savez que je ne vais jamais. Nos entrevues ici deviendront donc assez rares et assez courtes pour n'attirer l'attention de personne.

– À la bonne heure, dit le comte de Fougères, heureux d'en être quitte à si bon marché. Maintenant, restons tranquilles, Fiamma, et n'ayons plus de querelles; car cela me fait un mal affreux, et voilà que je commence à tousser.

– Il me semble, monsieur, que ce n'est pas moi qui les provoque, répliqua-t-elle.»

Le comte affecta d'être suffoqué par son asthme, afin de terminer une discussion où, comme de coutume, il avait été forcé de battre en retraite. Il sortit en se maudissant de n'avoir pas su résister à un mouvement de colère, et en se promettant bien de ne plus s'occuper de longtemps de la conduite et de l'avenir de sa fille.

XII

Fiamma, non moins impatiente que le comte de voir arriver la fin d'une discussion où elle avait parlé cependant avec lenteur et gravité, courut chez la mère Féline. Elle la trouva triste et malade; elle lui dit qu'elle avait aperçu de loin Simon sur la route de Guéret, et demanda s'il reviendrait le soir, quoique, à voir son attirail, elle eût bien observé qu'il allait faire une longue absence. Le ton dont madame Féline lui répondit qu'il ne reviendrait pas même le lendemain lui fit comprendre qu'elle ne s'était pas trompée dans ses conjectures. Fiamma depuis plusieurs jours avait compris la douleur de Simon et n'avait cherché qu'une occasion pour la faire cesser. Cette impatience d'avoir une explication avec le marquis avait été remarquée et interprétée en sens contraire par l'infortuné Simon. Il était parti une heure trop tôt. Le cœur de Fiamma se brisait en songeant aux tortures qu'il avait dû éprouver et qu'il éprouvait sans doute encore; mais, d'un autre côté, ce départ étant devenu une chose nécessaire, elle devait maintenir son jeune ami dans sa résolution courageuse. Il lui restait à chercher un moyen de lui donner des consolations sans affaiblir ce courage: elle y songea un instant; c'était une position délicate que la sienne vis-à-vis de Jeanne. Il était facile de voir dans les traits et dans les manières de la vieille femme qu'elle avait deviné récemment le secret de son fils et qu'elle croyait ses douleurs sans remède.

«C'est le jour des départs, lui dit tout d'un coup Fiamma, sans paraître comprendre l'importance de celui de Simon. Mon cousin vient de partir tout à l'heure!

– De partir! sainte Vierge! s'écria la vieille femme avec la vivacité de l'amour maternel; votre cousin est parti, chère demoiselle? Chère enfant! et comment donc si vite?

– C'est un petit secret que je ne veux confier qu'à vous, ma chère vieille mère, répondit Fiamma;» et, approchant son escabeau de la chaise de Jeanne, elle lui parla ainsi en baissant la voix d'un petit air mystérieux: «Vous saurez que le cher cousin s'était mis en tête de m'épouser.

– Je le savais bien, interrompit Jeanne, nous en parlions avec Simon tous les soirs…

– Vous en parliez? qu'en disait-il?

– Il me demandait s'il ne me semblait pas que ce jeune homme fût amoureux de vous, et s'il était possible que, la chose étant, vous ne vous en aperçussiez pas… Je vous demande pardon de nos réflexions, ma petite, cela ne nous regardait pas; mais, moi, je vous aime tant que je ne puis me lasser de parler de vous et d'y penser.

– Eh bien! mère Féline, vous ne vous trompiez pas si vous supposiez que je m'en étais aperçue. Il y avait huit jours que je savais le beau secret de mon cousin et que je m'attendais à une déclaration, lorsque j'ai trouvé l'occasion de prévenir ses frais d'éloquence et de lui déclarer, moi, que je ne voulais me soumettre ni à l'amour ni au mariage.

– Il paraît que vous avez parlé clairement et prononcé sans appel, puisqu'il est parti tout de suite?

– Une heure après! Voyez comme l'amour est chose facile à guérir! À l'heure qu'il est, je suis sûre qu'il est à l'auberge de Guéret et qu'il se regarde dans un beau miroir de poche pour s'assurer que l'air de nos montagnes n'a pas altéré la fraîcheur de ses lèvres et la rondeur de ses joues. Mais pourquoi secouez-vous la tête, mère? On dirait que, dans votre jugement, l'amour est une chose plus sérieuse que cela?

– Quant à moi, je n'ai pas connu ses douleurs dans ma jeunesse, répondit Jeanne. J'aimai Pierre Féline, mon cousin, et je l'épousai. Nous étions pauvres tous deux; j'étais une paysanne comme lui; il n'y eut ni obstacles ni retards. Quand il est mort, j'étais vieille déjà; alors j'étais habituée au malheur, j'avais enterré successivement onze enfants, et, sans mon Simon, je n'avais plus qu'à mourir. La douleur est le fait de la vieillesse; je ne me révoltai pas d'être éprouvée après avoir été heureuse. Cependant, si j'étais appelée aujourd'hui à voir périr mon Simon, mon dernier bonheur, ma seule consolation!.. Ah! Dieu me préserve seulement d'y songer!

 

– Et pourquoi auriez-vous cette affreuse pensée? Simon est d'une bonne santé.

– Hélas! pas trop!

– Mais il a la force d'âme qui commande au corps de vivre.

– Il n'a bien que trop de force d'âme comme cela! elle le ronge! Mais parlons de vous, Fiamma.

– Non, parlons de lui, mère Jeanne. Moi, je suis forte, bien portante, tranquille, délivrée de mon cousin; occupons-nous de Simon. Il est parti triste, j'ai vu cela ces jours-ci. Je ne vous demande pas ce qu'il avait; je m'en doute.

– Vous vous en doutez? s'écria Jeanne en relevant sa tête inclinée par l'âge, et en fixant ses yeux encore vifs et beaux sur Fiamma.

– Sans doute, répondit la jeune hypocrite; je sais combien sa profession lui est antipathique, et je sais pourtant qu'il n'y a plus à reculer. Il m'a confié ses dégoûts, ses ennuis, ses craintes pour l'avenir.

– En effet, c'est là ce qui le tourmente, répondit Jeanne, et je suis fâchée qu'il ne vous ait pas parlé avant de partir; mais il avait tant de chagrin de nous quitter qu'il a craint de manquer de force s'il nous faisait ses adieux.

– Je comprends tout cela, reprit Fiamma; cependant je trouve qu'il est parti un peu brusquement; je lui aurais donné du courage s'il m'eût consultée.

– Oui, certes, dit Jeanne, s'il vous eût vue aujourd'hui, il serait parti moins malheureux.

– Il faudra qu'il revienne causer avec nous, dit Fiamma; mais pas avant quelques jours, afin de ne pas perdre le fruit de ce grand effort. En attendant ne pourriez-vous lui écrire, mère Féline?

– Hélas! je ne lui écris jamais, et pour cause.

– Oh bien! sainte femme, vous ne savez pas écrire; je pose les deux genoux devant vous, illettrée sublime!

– Qu'est-ce que vous dites-la, mon enfant? vous vous moquez de moi!

– Je baise le bas de ta robe, sainte Geneviève-des-Prés, paysanne sur la terre, reine dans les cieux! Mais voyons, je vais écrire à Simon sous votre dictée…

– Eh bien oui! mais non; j'ai bien des petits secrets à lui dire, dans lesquels vous êtes de trop, mignonne.

– En vérité! eh bien! je vais lui écrire de ma part, et vous lui porterez ma lettre.

– Bonté divine! que lui écrirez-vous donc?

– Rien d'important ni d'efficace pour le consoler, malheureusement. L'avenir seul peut apporter le remède à ses maux; mais je lui parlerai de mon amitié, de celle de son parrain, de celle de Bonne… Je lui dirai qu'il se doit à nous tous, à vous surtout, sa mère chérie… qu'il faut espérer, prendre courage, soigner sa santé, surmonter ses peines, vivre enfin, et nous aimer comme nous l'aimons.

– Écrivez donc tout cela, cher ange, et je le porterai moi-même; car j'ai quelque chose en outre à lui dire.

– Quoi donc? dit malicieusement Fiamma.

– Rien qui vous concerne, dit la vieille femme.

– Oh! je le crois!» reprit l'enfant avec un sourire.

Elle se plaça dans un coin pour écrire, et la vieille se prépara au départ; elle mit son jupon rayé, sa cape de molleton blanc et ses mitons de laine tricotée.

«Mais, comment irai-je? s'écria-t-elle tout d'un coup; il a emprunté le cheval de M. Parquet pour s'en aller, et la mule de mademoiselle Bonne est en campagne.

– Je vous prêterai Sauvage.

– Oh! oh! non pas, je ne suis pas lasse de vivre tant que j'aurai mon Simon!

– Comment donc faire? dit Fiamma; chercher un cheval dans le village? Cela va nous retarder. Il est déjà quatre heures. Et si nous n'en trouvons pas, il faudra que Simon passe cette soirée dans la tristesse!

– Et cette nuit, dit Jeanne, oh! c'est cette nuit que je redoute pour lui; la dernière a été si terrible!

– Pauvre Simon! dit Fiamma. Allons, mère Féline, il n'y a qu'un moyen. Vous monterez sur Sauvage; il est doux comme un mouton quand je suis avec lui. Je le tiendrai par la bride, et je vous conduirai à pied jusqu'à la ville.

– Il y a trois lieues! Je ne le souffrirai jamais. Prenez-moi en croupe.

– Sauvage n'est pas habitué à cela; il pourrait nous jeter toutes deux par terre; d'ailleurs il est si petit que nous serions fort mal à l'aise sur son dos. Allons, je cours le chercher; êtes-vous prête?

– Je ne me laisserai jamais conduire par vous.

– Il le faut pourtant bien; ce sera charmant, nous aurons l'air de la Fuite en Égypte.

– Mais que va-t-on dire? Il ne faut pas nous montrer ainsi dans le village.

– Traversez-le à pied, et attendez-moi au grand buis, à l'entrée de la montagne; nous irons par la Coursière, nous ne rencontrerons personne. Allons, partez; j'y serai aussitôt que vous.»

Un quart d'heure après, ces deux femmes cheminaient sur le sentier sinueux de la montagne, Jeanne assise sur le petit cheval et enveloppée dans sa cape. Fiamma marchait devant elle, un petit manteau espagnol jeté sur l'épaule, la bride passée au bras, et de temps en temps parlant à Sauvage pour le calmer; car il était fort ennuyé d'aller ainsi au pas, et de n'être pas sollicité à caracoler de temps en temps. Cependant, le sentier devenant de plus en plus difficile et escarpé, la nuit commençant à tomber, l'instinct de la prudence le rendit calme et attentif à tous ses pas. Quoique Fiamma marchât comme un Basque, franchissant les roches et se débarrassant des broussailles avec plus de légèreté que Sauvage lui-même, il était sept heures du soir lorsqu'elle aperçut les lumières de la ville. Elle engagea sa vieille amie à mettre pied à terre pour descendre le versant rapide de la dernière colline; et tandis que Sauvage les suivait de lui-même comme un chien, elle soutint Jeanne de son bras robuste, et la conduisit jusqu'aux premières maisons. Là, elle lui remit sa lettre pour Simon, et, après l'avoir embrassée, elle remonta sur son cheval.

«Bon Dieu! dit Jeanne, si je ne craignais pas les mauvaises langues, je vous emmènerais avec moi coucher à la ville. Voilà le vent qui se lève; il fait noir comme dans l'enfer, et si la neige venait à tomber! Hélas! je suis effrayée de vous voir partir ainsi, seule, à cette heure, par ce froid mortel.

– Allons, bonne mère, ne craignez rien; donnez-moi votre bénédiction, elle me préservera de tout danger. Je vous salue, je vous aime, et, comme une véritable héroïne de roman, je m'élance à cheval dans la nuit orageuse.»

Jeanne, transie de froid, resta pourtant immobile à l'entrée de la rue jusqu'à ce qu'elle eût cessé d'entendre le galop de Sauvage sur la terre durcie par la gelée. «O neige! ne tombe pas, murmura la vieille femme en se signant; lune blanche, lève-toi vite; et vous, sainte Vierge, veillez sur elle!»

Lorsqu'elle arriva au domicile de maître Parquet, elle fut enchantée d'apprendre de la servante que l'avoué était au café, et que Simon était seul dans l'étude. Elle entra, et le vit appuyé contre le poêle, la tête dans ses mains. Le bruit des petits sabots plats de sa mère le fit tressaillir. Avant qu'elle eût parlé, il avait reconnu son pas encore égal et ferme. Il s'élança dans ses bras, et pour la première fois de sa vie il s'abandonna au besoin de se laisser consoler par la tendresse maternelle. Un torrent de larmes coula de ses yeux sur le sein de la vieille Jeanne.

«Vous avez fui votre mère, et votre mère court après vous, lui dit-elle avec l'accent grondeur de la tendresse. Autrefois vous n'eussiez pas agi ainsi, votre mère était votre seul amour; à présent j'ai une rivale, un ange que j'aime aussi, mais que j'aime moins que vous. Pourquoi l'aimez-vous plus que moi?

– Oh! ma bonne vieille, ma sainte mère! ne me faites pas de reproches, répondit Simon; je suis trop malheureux. N'empoisonnez pas cet instant où la seule vue de vos cheveux blancs suffit à me donner de la joie au milieu de mon désespoir. Ne croyez pas que je vous aime moins que par le passé. Tant que je vous aurai, je pourrai tout supporter; quand vous mourrez, je mourrai.

– Tais-toi, enfant. Il y a quelqu'un qui saura bien te consoler!.. Tais-toi, écoute. Le cousin est parti; on ne l'aime pas, on ne veut pas de lui; il ne reviendra pas.

– Grand Dieu! ma mère, ne me trompez-vous pas pour me consoler?» s'écria Simon.

Et il se fit raconter les moindres détails de l'entrevue de Fiamma avec sa mère. Il était si ému, si oppressé, qu'il écoutait à peine la réponse à ses mille questions, tant il avait hâte d'en faire de nouvelles! Il ne comprenait pas la plupart du temps, et se faisait répéter cent fois la même chose. Ce ne fut qu'au bout d'une heure de conversation qu'il comprit la manière dont Fiamma avait accompagné sa mère; et alors seulement Jeanne, rassurée sur le désespoir de son fils, sentit se réveiller ses inquiétudes pour Fiamma, et laissa échapper ces mots:

«O mon Dieu! je ne m'effraye pour elle ni de la nuit ni de la solitude; elle a un bon cheval, elle est brave et forte comme lui; mais s'il venait à tomber de la neige avant qu'elle fût rentrée! C'est si dangereux dans nos montagnes!»

Simon pâlit et fit signe à Jeanne d'écouter. Le vent sifflait avec violence autour de cette maison bien close et bien chauffée. Simon pensa au froid qui devait glacer les membres de Fiamma durant cette nuit rigoureuse; l'angoisse passa dans son cœur, il courut ouvrir la fenêtre: des flocons de neige, amoncelés sur la vitre, tombèrent à ses pieds. Un cri sympathique partit de son sein et de celui de sa mère; puis ils restèrent immobiles et pâles à se regarder en silence.

Simon courut seller le cheval de M. Parquet, et bientôt il fut sur le sentier de la montagne, courant à toute bride sur les traces de Sauvage. Hélas! la neige les avait couvertes. Jeanne n'avait pas dit un mot pour l'empêcher de partir. Mais, quand elle se trouva seule, le poids d'une double inquiétude tombant sur son cœur, elle leva les bras vers le ciel et lui demanda de ne pas voir lever le jour si son fils ne devait pas revenir. Cependant elle se rassura peu à peu en voyant que la neige n'épaississait pas. Simon rentra à deux heures du matin. Il avait été loin sans atteindre la trace de Fiamma. Elle avait été rapide comme le vent et les nuages. Mais la neige ayant cessé de tomber et la lune s'étant levée dans tout son éclat, il avait reconnu la piste de Sauvage, et, un peu en arrière, celle de plusieurs loups qui avaient dû le suivre assez longtemps; car il avait remarqué ces traces jusqu'à l'entrée du village de Fougères. Là les sabots du cheval s'étaient montrés délivrés de leur sinistre cortège, et il avait espéré atteindre la brave amazone, mais en vain. Il avait conduit sa monture à la cabane pour la faire reposer un instant, et, pendant ce temps, il s'était glissé dans les cours du château. Il avait vu, à la lueur des flambeaux, Sauvage fumant de sueur, entre deux palefreniers empressés à le frotter et à l'envelopper de couvertures. Il avait même entendu dire à un de ces laquais: «Diable! voilà une drôle de promenade! Heureusement que M. le comte est couché. Sa toux nerveuse l'occupe plus que sa fille.» L'autre avait répondu: «C'est bon! cela ne nous regarde pas. Mademoiselle n'est pas ce qu'elle paraît, ni monsieur non plus. Mademoiselle est bonne, il ne faut pas parler d'elle. Monsieur a le diable au corps, il faut avoir soin d'en dire du bien.»

Simon était revenu à Guéret par la grande route. C'était le plus long, mais il y avait moins de dangers et de difficultés. En attendant, M. Parquet s'était fait raconter toute l'histoire, et, quoique madame Féline eût caché le secret de Simon, il avait tout compris et tout deviné d'avance. Ils soupèrent tous trois ensemble, et, tout en buvant la presque totalité du vin chaud qu'il avait fait préparer pour son filleul, M. Parquet parla ainsi:

«Enfant, tu es amoureux de mademoiselle de Fougères, et tu ne lui déplais pas. Elle a fait vœu de célibat, tu as fait vœu de ne lui parler jamais de ton amour, M. de Fougères ne consentira jamais à te la donner; voilà trois obstacles à ton mariage. Cependant ces trois-là ne pèsent pas une once si tu viens à bout de lever le quatrième; et celui-là, c'est ta misère et ton obscurité. Il faut sortir d'incertitude; il faut plaider d'aujourd'hui en huit. Si tu n'as pas de talent, il faut en acquérir; si tu en as, il n'y a plus qu'un peu de patience à prendre, un peu d'argent à gagner, et mademoiselle de Fougères est à toi.»

Simon, dont le cœur frémissait durant ce discours, supplia son cher parrain de ne point le leurrer de ces chimères. Mais M. Parquet était un optimiste absolu après boire.

 

«Cela sera comme je te dis, s'écria-t-il avec colère; tu as du talent, j'en suis sûr. Quand j'avance une chose pareille on doit me croire. Tu seras un jour célèbre, et par conséquent riche et puissant. C'est assez reculer, il faut sauter; il faut jeter ton anneau ducal dans l'Adriatique; il faut être le doge de notre dogaresse. Tu as tout ce qu'il faut dans ta cervelle et dans ta poitrine, dans ton âme et dans tes poumons pour être orateur. Dans huit jours la question sera résolue, ou bien il faudra poser une nouvelle question sans se rebuter.»

Simon, craignant que le vin chaud et les divagations décevantes de son parrain ne vinssent à lui porter à la tête, alla se coucher. En se déshabillant, il trouva dans son gilet la lettre que sa mère lui avait remise de la part de Fiamma, et que, dans son effroi à l'aspect de la neige et dans les agitations qui en avaient été la suite, il n'avait pas pu lire. A ce surcroît de bonheur, il baisa la lettre avec effusion; il l'ouvrit d'une main tremblante. Il croyait y trouver une amicale semonce; il n'y trouva que ces mots:

«Simon, travaillez. Je vous aime.»

Pendant que, brisé de fatigue, mais heureux comme il ne l'avait jamais été de sa vie, il s'endormait dans un bon lit, sa mère, conduite galamment par l'avoué jusqu'à la porte de la meilleure chambre de la maison, lui adressait quelques reproches.

«Vous échauffez trop la tête de mon pauvre enfant, lui disait-elle. Vous lui promettez comme certaines des choses presque impossibles. Au premier obstacle, vous le verrez perdre courage pour s'être trop vite flatté; et ce sera votre faute, voisin.

– Ne craignez donc rien, répondit M. Parquet; il lui faut un aiguillon. L'ambition s'est endormie; il faut se servir de l'amour pour l'aider à poser hardiment les fondements de sa destinée. Il importe peu qu'il épouse sa belle, pourvu qu'il épouse sa profession.»