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Les Tourelles: Histoire des châteaux de France, volume I

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Interrogé sur d’autres dettes qu’il aurait contractées avec des tailleurs et des marchands de vin, le marquis répondit qu’il avait été dupé par eux, et qu’en bonne morale les fripons devaient être interdits avant les dupes.

– N’avouez-vous pas vous-même enfin avoir dévoré votre fortune dans des folies dont il est temps d’arrêter le débordement?

– Ma fortune était à moi, monsieur le lieutenant civil, par mon père et par ma mère, dont j’ai été l’unique héritier. Folie ou non, je suis quitte avec tout le monde; je ne fais pas banqueroute et ne m’appelle pas Guéménée. Il est vrai que je n’ai pas dissipé ma fortune en maîtresses ni en galantes infamies comme un maréchal de Saxe ou un duc de Richelieu; ni en chevaux, le roi aurait payé mes dettes; ni en bâtimens; je suis bien plus coupable, j’ai doré mon église, ma pauvre église, qui a été ma maison du faubourg; j’ai nourri mes habitans; et si chaque province avait un fou comme moi, la France à cette heure ne languirait pas de misère, et le roi Louis XV serait en interdit. On m’interdit, moi, non parce que j’ai mangé toute ma fortune, mais parce qu’il me reste vingt millions d’immeubles au soleil. Qu’on m’interdise; j’ai parlé.

Il fut fait selon ses vœux: le Châtelet interdit le marquis de Brunoy.

Sans espoir dans la ressource extrême que lui conseillèrent ses amis, il appela de la sentence du Châtelet au parlement, qui, par un de ces miracles de justice dont il y a peu d’exemples, cassa l’arrêt d’interdiction et laissa au marquis la libre gestion de ses biens.

C’était ratifier solennellement tous les actes de sa vie.

Ses parens baissèrent honteusement la tête, la noblesse fut furieuse, le peuple applaudit. Il vit un héros dans le marquis. Il voulut l’avoir compris; il l’aima. Il se convainquit que le marquis, né du peuple, retournait au peuple, après avoir souffleté la noblesse de son temps sur sa propre joue. Ses fautes étaient des folies, car son cœur était bon; voilà comme le peuple pensait; tandis que les folies des autres étaient des crimes, car leur cœur était corrompu. Il était allé plus loin que tous les autres, pour montrer jusqu’où ils étaient allés. Il s’était jeté dans le gouffre, mais il l’avait ouvert, et en tombant il avait crié au peuple: Regardez comme c’est infect et profond.

Cet homme était un héros.

IX

A sa rentrée à Brunoy, il fut fêté comme un frère par les hommes, comme un père par les enfans. On était allé, croix et bannière en tête, le recevoir à deux lieues de Brunoy. On l’avait porté à bras jusqu’au château, ce bon seigneur!

Courte fut leur joie. M. le comte de Provence s’irritait beaucoup de tous ces délais qui le vieillissaient sans lui donner Brunoy, plus frais, plus ravissant d’année en année. – On comprit son impatience, comme il comprit de son côté le dépit des parens du marquis. Il y eut intelligence parfaite des deux parts.

Quelques nouveaux amis qui s’étaient introduits dans les bonnes grâces du marquis, chose facile en tous temps, le poussèrent un soir à boire plus que de raison, piége encore plus facile, et dans l’état d’ivresse où ils le mirent, ils lui firent signer la cession de Brunoy au comte de Provence.

A son réveil, il pleura comme un enfant; il dit qu’il ne se souvenait pas d’avoir rien signé. Cette fois il faillit réellement devenir fou.

C’était fait. M. le comte de Provence possédait Brunoy.

L’histoire ne dit pas si la lettre de cachet qui vint enlever le marquis à son château de Varise pour le conduire au prieuré d’Elmont, maison de génovéfains, près de Saint-Germain-en-Laye, fut la royale récompense de la nuit d’ivresse de Brunoy.

Interdit, emprisonné, cloîtré, le marquis trouva encore quelque douceur à sa captivité dans la permission que lui accordèrent les bons génovéfains de sonner les cloches, d’allumer les bougies, de servir la messe. N’ayant pu être prêtre dans sa prospérité, il se contenta d’être enfant de chœur dans l’infortune. Mais on était déchaîné contre lui; on ne voulut pas même qu’il fût consolé par ces distractions pieuses, parce qu’elles avaient autrefois masqué et protégé ses si rudes assauts contre sa propre dignité de gentilhomme. Une seconde lettre de cachet le fit transférer aux Loges, dans la forêt de Saint-Germain, dans une autre maison religieuse, desservie par des picpus, où il lui fut interdit d’être sacristain ni bedeau, ni quoi que ce soit d’église. C’était priver d’air un oiseau malade.

Il languit dans ce jeûne de cloches, de chapes, de cire verte; il se sentit mourir; mais avant d’expirer il ramassa toutes ses forces pour dicter son convoi funèbre. Le dénombrement fut triomphant. On eût dit qu’il se voyait passer, qu’il s’accompagnait lui-même derrière le corbillard. Il ajouta même: Je veux que le clergé boive amplement au retour du cimetière.

Il s’endormit au bras de Dieu, dans une belle soirée de mars, en 1781, à peine âgé de trente-trois ans.

Si toute tradition n’était suspecte, de son cachot de Pierre-en-Cize, où le peuple veut que le marquis de Brunoy ait été enfermé par le comte de Provence, depuis Louis XVIII, il eût entendu le canon de la Bastille, il eût vu de sa triste lucarne passer et repasser, courir, plus effrayé que lui, ce troupeau de nobles, et même les plus fiers, gagnant la frontière, sous le fouet du peuple, pasteur terrible sorti de sa caverne. Derrière ses barreaux, il leur aurait dit son nom, et ils se seraient maudits mutuellement; eux maudits par lui pour n’avoir pas compris cet homme, artisan infatigable de leur ruine, qui s’était assis dans la boue pour les salir; lui maudit par eux pour être sorti de leurs rangs et pour n’avoir plus voulu y rentrer.

Il vaut mieux qu’il soit mort, comme tout prouve qu’il est mort au mois de mars 1781, après vêpres, au bruit mourant des cloches qu’il avait tant aimées.

Oui, cela vaut mieux, sa fin en a été plus paisible. Car, s’il se fût éteint plus vieux de quelques années, il eût vu, lui, qui avait tant fait de bien à Brunoy, Brunoy son bosquet gracieux, sa tonnelle chérie, sa chapelle dorée, son château de Cocagne, il eût vu ses paysans tordre les grilles de fer qui ne s’étaient pourtant jamais fermées sur eux, les méchans; broyer les glaces qui avaient répété ces festins où seuls ils étaient assis, les ingrats; briser ces quatre cent mille francs de pots de fleurs, effeuillées sur leurs pas à ces grandes processions du moyen âge, où ils étaient à la fois les personnages et les spectateurs. Et combien son cœur eût saigné quand il eût vu son clocher si laid, mais bâti par lui, – c’était son enfant, il le trouvait beau, – remuer comme lui, ce bon marquis, quand il avait un peu bu, et vomir ses cloches pour être fondues en billon révolutionnaire! Il se fût évanoui sur les dalles cerises et blanches de son église, en voyant son beau tableau de Saint-Médard, qui guérit pourtant la rage, lézardé par le tranchant d’une faux de moissonneur, et ses beaux lustres à girandoles de Bohême, tomber en poussière de verre sur les bancs de chêne où il figurait si bien en chape d’or massif. Oui! il vaut mieux qu’il soit mort; car il eût été tué.

Il eût vu ce que nous avons vu soixante ans après lui, un pauvre village montueux, dont l’enchantement s’est évaporé; triste, sans fumée sur les toits, sans canards dans la rue, où les petits-fils jeûnent pour tous les bons repas qu’ont pris les grands-pères. Cependant ces descendans affamés d’une race de Cocagne savent le nom de M. de Brunoy comme s’il les eût tous invités hier à dîner au château. Ce nom rend les habitans pensifs; les vieillards se souviennent, les mères racontent, les enfans ouvrent la bouche. Ce nom est immortel, là sur ce tas de chaumières. Napoléon n’est pas autrement immortel dans l’univers.

Qu’est-ce donc que la gloire?

C’est peut-être cela, beaucoup de folie.

Mais, voilà à l’entrée de Brunoy, où la pluie vient de me surprendre caché sous un arbre, écrivant ces dernières lignes au crayon, un enfant assis sur une botte de foin, qu’un âne porte, et qui va passer sur le pont de Brunoy; sans ce pont l’enfant qui se hasarderait à traverser la rivière à pieds se noierait par l’eau qui tombe dans l’eau qui court; à défaut il serait forcé d’aller un quart de lieue plus loin pour trouver le gué, et sa mère est en peine.

Passe, mon bel enfant, toi, ton âne et ta botte de foin.

Ce pont, c’est M. le marquis de Brunoy qui l’a fait construire. Voilà ce qui reste de quarante millions.

C’est peut-être cela la gloire.

L’utile, – un pont où passe un enfant.

FIN DU PREMIER VOLUME