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Les Tourelles: Histoire des châteaux de France, volume I

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L’accusation était étrange dans la bouche de Bouchard; elle fut une inspiration pour le faux marchand de bœufs, qui, mettant sa confiance en Dieu, répondit: – Oui, je suis un voleur!

Barbe-Torte pâlit.

– N’aie pas peur, Bouchard, lui dit l’abbé, qui s’imaginait, dans l’excès de sa candeur, que le criminel avait réellement peur de lui. N’aie pas peur, répéta-t-il.

– Mon vœu est près de finir, s’écria Bouchard; voilà ma peur.

– Quel est donc ce vœu?

– J’ai juré de ne renoncer à la vie que je mène que le jour où ce château verrait entrer en même temps par sa porte deux voleurs, dont un saint. Nous sommes entrés cette nuit tous les deux par la même porte.

– Tu es voleur; mais es-tu saint? réponds!

Sommé de répondre s’il était voleur, l’abbé, par humilité et par espoir de sauver une ame, avait dit oui; mais avouer au même prix qu’il était saint lui semblait un sacrilége; c’était jouer gros jeu. Il répondit: – Non, je ne suis pas un saint.

– Tu m’as sauvé, reprit Barbe-Torte. Bois; car si tu eusses été un saint, que serais-je devenu, obligé de quitter cette vie dont tu connais tout le prix puisque tu es du métier, ou forcé, pour la continuer, d’être parjure? Oui, tu m’as sauvé. Fêtons un si beau moment. Buvons. – Attends! je vais chercher du meilleur. Nous boirons à notre santé et à l’heureux espoir de ne pas quitter de sitôt cette vie. Attends-moi; je vais à la cave et je remonte.

Resté seul, le prélat songea, dans l’amertume de son ame, à l’endurcissement de ce pécheur, qui plaçait son salut, comme tant de gens sans religion, dans l’accomplissement d’un vœu impossible à réaliser. Il fut sur le point de se repentir de n’avoir pas avoué qu’il était un saint. Il pria jusqu’au retour de Barbe-Torte, qui, en rentrant dans la salle, fou, désespéré, hors de lui, courut se précipiter aux pieds de l’abbé.

– Oui, je vous reconnais; vous n’êtes pas un marchand de bœufs, mais abbé de Saint-Denis. Comment en douter? Votre mule a un fer d’argent à l’un de ses sabots, un fer d’argent! ce que les abbés de Saint-Denis ont seuls le droit de faire porter à leur monture.

Mon vœu est fini.

Bouchard Barbe-Torte exhala un long soupir.

Sans raisonner le mérite d’une conversion résultant évidemment du vol des fers de sa mule qu’allait commettre Barbe-Torte, l’abbé, attendri jusqu’aux larmes, pardonna et bénit le pénitent.

Bouchard promit, de son côté, de vivre en chrétien, de faire ses pâques. Il reconnut l’abbé de Saint-Denis, qui, à son tour, le reconnut pour seigneur de Montmorency et d’Écouen. La paix fut faite, du moins pour quelques années. Les environs, pendant cette trêve, furent à l’abri de beaucoup de rapines.

Du même coup, l’abbé de Saint-Denis passa pour un saint, et Bouchard fit paisiblement souche de premiers barons chrétiens.

Ce Bouchard, qui vivait peut-être sous le roi Robert, en 998, n’est pas assurément, à moins qu’il n’ait vécu cent cinquante ans, le Bouchard dont Louis-le-Gros obtint la soumission en 1105, pendant qu’Adam, prédécesseur de l’abbé Suger, dirigeait le gouvernement de l’abbaye de Saint-Denis. Ce même abbé Suger nous apprend, dans la vie de Louis-le-Gros, qu’un des premiers exploits de ce jeune prince fut d’arrêter les violences de Bouchard de Montmorency. Appelé à l’audience du roi Philippe Ier, au château de Poissy, Bouchard promit de rentrer dans le devoir et n’en fit rien. Le prince Louis, à qui cette résistance parut un attentat contre la majesté royale, se mit en campagne avec une armée, dans le dessein de dompter le seigneur rebelle. Il ravagea ses terres; il l’assiégea dans son château de Montmorency, et le força enfin de se soumettre à tout ce qu’on voulut.

Notre Bouchard était, il y a lieu de le croire par la confrontation des dates, celui dont il est question dans une charte du roi Robert, où on lit tout au long l’accommodement de ce baron turbulent avec l’abbé de Saint-Denis. Voici l’origine de leurs éternels différends: «Dans l’île de la Seine, proche de Saint-Denis, il y avait un château que Bouchard tenait du chef de sa femme. Elle l’avait eu de son premier mari, Hugues Basseth, feudataire de l’abbaye. Comme ce lieu était fortifié, Bouchard prit de là occasion de maltraiter ses voisins. L’abbé et les religieux de Saint-Denis, après en avoir beaucoup souffert, se plaignirent au roi. Ordre de raser le château de Basseth. Bouchard n’en tint compte. Enfin, Robert et la reine Constance lui permirent de se fortifier dans Montmorency, à condition qu’il reconnaîtrait l’abbé de Saint-Denis et ses successeurs pour les biens qu’il tenait de leur église. Bouchard serait en outre obligé d’envoyer, tous les ans, aux fêtes de Pâques, deux vassaux qui resteraient comme otages à l’abbaye, pour les dégâts qui auraient pu être commis contre elle. Le contrat fut passé dans le monastère de Saint-Denis.»

Il n’est pas facile de dresser l’inventaire historique des innombrables salles du château d’Écouen, ouvrant l’une dans l’autre, glaciales à parcourir, sonores sous les pieds qui se lassent à les mesurer, muettes lorsqu’on les interroge. Elles sont bien mortes.

Dès que vous avez franchi le seuil de la première porte et gravi l’escalier en colimaçon du premier étage, vous êtes dans la salle des Gardes, où la tristesse du désert vous enveloppe. On y voyait autrefois des tableaux représentant des campagnes du grand Condé, entre autres le campement de Villeneuve-Saint-George, le siége de Gravelines et celui de Montmédi. Ces tableaux doivent être aujourd’hui dans la Galerie-des-Victoires de Chantilly, peinte par Vandermeulen. La salle des Gardes vous prépare au sentiment de lugubre viduité qui vous attend plus loin. Passez. Entrez dans les quatre autres salles. On se croirait dans une hypogée d’Égypte.

Rien n’offre un appui à l’imagination perdue dans ces solitudes de murailles. Il n’y a pas un vieux siége de chêne où asseoir quelque grand vassal pour le saluer en passant et lui baiser la main; pas un lambeau de rideau à faire crier sur sa tringle rouillée, et qui laisse à découvert un lit de parade, occupé par une pâle châtelaine, morte depuis des siècles. Quatre murs blancs comme une tombe, de hautes croisées de cachot, murées jusqu’aux dernières travées; un parquet efflorescent de moisissure; des poutres saillantes, décharnées, vieux ossemens d’un squelette de château; d’immenses cheminées pleines de vent: on a peur.

Graduellement l’esprit se familiarise avec ce sépulcre, et on ose en toucher les parois. Peu à peu, habitués au jour avare qui s’échappe, les yeux croient distinguer quelques nuances, quelques filets de peinture évanouie derrière la vapeur répandue autour des poutres; c’est de l’or. Prenez garde. Votre souffle l’enlèverait. Cet or serpentait autrefois au soleil et aux flambeaux en d’interminables arabesques. Quelles richesses resplendissaient donc ici, dans ces appartemens, pour que les poutres fussent d’or? De quoi étaient recouverts les murs, le plancher? qui logeait ici?

En portant de plus près mon attention sur la couche de plâtre qui voile les murs, et qui est si peu en harmonie avec les dorures du plafond, je remarquai des couleurs troubles sous ce plâtre. Je lavai par place le mur et je mis à nu, à mon grand étonnement, les merveilles d’une fresque. Primatice embellit le château d’Écouen. Primatice a donc peint ces fleurs, ces guirlandes aux plus gracieux enlacemens, ce jardin vertical sur lequel pèse un nuage de chaux. L’illusion n’avait plus rien à faire. Je vivais au milieu des pompeuses réalités que j’avais découvertes. En un instant, et sans effort, j’étendis, par la pensée, mon travail autour de moi. Les poutres dorées s’appuyèrent sur une salle royale. La vaste cheminée de marbre rouge s’alluma, les croisées s’ouvrirent sur le parc, plein de cerfs, plein d’oiseaux; les fauteuils, les tentures frisées sur frise, les portières de damas, venues d’Orient, gonflées, exhalant le musc, complétèrent cet ameublement. Quand je me tournai vers le concierge pour lui demander s’il savait qui, dans les temps passés, avait occupé cette salle, j’étais presque sûr de sa réponse.

– Chambre de Madame Claude, me dit-il.

– La femme de François Ier, n’est-ce pas?

– Oui, monsieur.

Je me recueillis.

Le premier janvier 1540, sous le règne de François Ier, Paris, qui était presque aussi vaste et aussi peuplé alors qu’aujourd’hui, s’éveilla au bruit du canon et des cloches. Les rues étaient jonchées de fleurs; peine de mort à qui aurait souillé le pavé d’un jet de paille; les fontaines coulaient du vin; moyen économique pour n’en donner à personne. Aux croisées chargées de curieux flottaient des tentures de mille couleurs. C’était plus beau que pour l’entrée d’un souverain; on le croira sans peine, puisque deux souverains entraient dans Paris.

L’un était François Ier; l’autre n’était pas, comme on serait tenté de le supposer, un roi allié, visitant, à la manière des anciens princes d’Orient un ami couronné. Le plus dangereux ennemi de François Ier, son vainqueur sans générosité à Pavie, son tyran implacable à Madrid, son détracteur en plein consistoire de Rome, son rival en tout, excepté en délicatesse, Charles-Quint, empereur d’Allemagne, roi d’Espagne et des Indes, passait, monté sur un beau cheval moreau, sous la porte Saint-Antoine. Et François Ier, ce qui n’était pas moins étonnant, était allé à la rencontre de Charles-Quint jusqu’à Chatellerault; il avait voyagé côte à côte avec lui jusqu’à Paris, et tous deux y faisaient leur entrée aux bruyans noëls de la noblesse et du peuple.

Voilà pourquoi les cloches sonnaient.

Contre l’avis de son conseil, plus prudent et non pas plus fin que lui, Charles-Quint avait demandé à François Ier la singulière permission de traverser la France, afin d’aller apaiser une révolte qui avait éclaté à Gand, où il était né, où il avait été baptisé, et dont il se disait le premier bourgeois. Les tisserands gantois apprirent plus tard ce qu’il en coûte d’accorder aux rois des titres de bourgeoisie. Le premier bourgeois fit pendre cinquante d’entre eux pour sceller la glorieuse pacification de la bonne ville de Gand.

 

Si Charles-Quint n’était pas directement descendu en Allemagne pour se rendre à Gand, c’est que ses finances n’étaient pas en assez bon état alors pour lui permettre de se montrer dans son empire avec la pompe convenable; s’il n’avait pas fait non plus le trajet par mer jusqu’en Hollande, c’est que Henri VIII, avec lequel il n’était plus dans de bons termes, depuis l’entrevue d’Aigues-Mortes, entretenait une flotte menaçante sur les mers d’Allemagne; et si, en dernière ressource, il s’était décidé à demander le passage par la France, c’est qu’il savait combien il flatterait l’orgueil de François Ier en se reposant sur sa foi chevaleresque. Il n’avait à redouter que de n’avoir pas assez blessé ce souverain. Il pouvait craindre de ne l’avoir pas suffisamment obligé à se montrer envers lui grand, magnanime, au-dessus des injures.

Il arriva ainsi que Charles-Quint l’avait prévu. Excepté de le nommer roi à sa place, François Ier lui prodigua toutes les preuves d’amitié imaginables. Les récits du temps fourmillent de descriptions de fêtes, d’arcs de triomphe, de mystères joués dans les rues, de bals, de banquets, de largesses au peuple. Il y a là-dessus, à l’Hôtel-de-Ville de Paris, trente in-folios avec gravures, dédicaces et sonnets.

Contradiction étrange! faiblesse des résolutions humaines! une fois dans Paris, Charles-Quint fut surpris, dépaysé, ébloui; il eut peur de cette innombrable population, idolâtre de François Ier, et de la vivacité de laquelle il n’avait jamais eu aucune idée; population qui pouvait bien, sans crime, manquer de générosité, en se souvenant de celui qui en avait eu si peu pour le glorieux vaincu de Pavie. Charles-Quint perdit la tête sans trop le laisser voir pourtant. Sa crainte ne se manifesta, à plusieurs reprises et en termes pressans, que par le vif désir qu’il ressentait d’aller réprimer au plus vite la rébellion des Gantois.

Il raconta lui-même plus tard avec beaucoup de franchise le supplice comique de sa situation, lorsqu’il se trouva dans le guêpier de la ville de Paris, où il avait fait naître, treize ans auparavant, par la détention de François Ier, la famine, la peste, l’incendie et la guerre civile.

Quand le premier président du parlement de Paris le harangua, il s’imagina qu’il allait lui lire l’ordre du roi de l’arrêter et de le conduire à la Bastille. Il en fut quitte pour être comparé à Hercule.

En touchant aux clefs de la ville que le prévôt des marchands lui tendit dans un plat, il songea à la clef de l’Alcazar de Madrid qui était restée près d’un an sans ouvrir à François Ier. Il fut frappé de la mauvaise mine de ce prévôt.

Nombreuse aux croisées, pendue aux murs, serrée sur ses pas, tumultueuse, courant à ses flancs, lui faisant un rempart d’une lieue d’épaisseur devant, un rempart d’une lieue d’épaisseur derrière, la population parisienne l’envahit, et il se vit, non sans effroi, seul avec François Ier, le plus élevé sur ce socle hurlant. – Vous possédez une superbe population, dit-il à François Ier. – Mais vous n’avez encore rien vu, lui répondit celui-ci; – attendez.

S’il voyait de jeunes filles vêtues en nymphes chanter et danser autour de lui, il était forcé de se rappeler qu’il avait employé la même galanterie envers François Ier pendant les premiers jours de sa captivité. Ces jeunes filles lui parurent belles, mais perfides. Son imagination, ébranlée par les assauts continuels de la même préoccupation, lui montra dans chaque habitant l’acteur convenu de la comédie dont il était le jouet. Pourquoi n’avait-il pas préféré le trajet par mer? Quelles tempêtes égalaient en péril ces six ou huit cent mille rescifs bouillonnans?

A chaque coup de mousquet qu’on tirait à ses oreilles, en signe de réjouissance, il tressaillait, et regardait, pour se rasseoir un peu, François Ier, qui souriait. Évidemment il y avait de la raillerie dans ce sourire.

A la place Baudoyer, un échafaudage sur lequel on jouait un mystère s’étant écroulé, et cet accident ayant produit quelque agitation, il eut la fatale pensée que c’était un coup monté pour l’enlever à la faveur du tumulte.

A l’Hôtel-de-Ville, le corps des marchands lui ayant offert un bouillon, il le but avec appréhension. Il avait été soupçonné, en 1536, d’avoir fait empoisonner, par Montécuculli, le dauphin, fils aîné du roi. Ce bouillon lui parut avoir un goût étrange.

Enfin, arrivé au Louvre, comblé d’acclamations, rassasié d’effroi, il se trouva face à face avec tous les capitaines blessés, mutilés, faits prisonniers à la bataille de Pavie, avec le grand connétable Anne de Montmorency, contre l’avis duquel cette bataille avait été livrée, et dont la rançon fut estimée cent cinquante mille écus. François Ier les lui désigna tous par leur nom. Dans ce moment sa mémoire effrayée lui rappela qu’il avait osé dire à Rome, en présence du pape, du sacré collége, des ambassadeurs de France et de ceux de presque toute la république chrétienne, que si ses soldats et ses capitaines avaient le malheur de ressembler aux capitaines et aux soldats français, il irait, les mains liées et la corde au cou, implorer la clémence de son ennemi.

Quelque haute idée qu’il eût de la loyauté de ces capitaines, Charles-Quint ne découvrit sur leurs figures martiales qu’un respect glacé.

Il passa la plus horrible nuit de sa vie au milieu des clartés, des illuminations et des feux de joie dont il était l’objet.

Et comme le matin, selon son habitude, il se promenait à cheval, feignant un calme qu’il n’avait pas, il sentit quelqu’un qui, ayant sauté derrière lui en croupe, le saisit, l’atteignit par-dessous les bras, et lui cria: —Ah! je vous tiens! – vous êtes mon prisonnier!

C’en était fait de Charles-Quint.

En se retournant il vit un bel enfant qui riait et s’appelait d’Orléans.

Il voulut rire: mais il se souvint qu’il avait retenu ce bel enfant en otage jusqu’à l’entier acquittement des promesses jurées par son père pour sortir de la prison de Madrid.

Brûlé par ces craintes toujours renaissantes, il obtint de François Ier, sous le prétexte d’aller le plus promptement possible apaiser les Gantois, qu’il partirait dans trois jours pour Gand. Il désira, en outre, passer ces trois jours à la campagne. L’air de Paris ne lui était pas bon.

François Ier s’empressa de mettre à sa disposition le château de Chantilly, qui appartenait alors au connétable de Montmorency.

Au connétable! recevoir l’hospitalité du maréchal de Montmorency, qui, quatre ans auparavant, l’avait chassé de la Provence, comme à coups de fourche, pendant que lui, le grand empereur, s’informait avec fatuité combien il y avait de journées pour se rendre à Paris; étouffer cette honte pour se loger chez celui qui lui avait tué ses meilleurs généraux: Antoine de Lève, Baptiste Gastaldo, le comte de Hornes, Garcilaso de la Véga! Pourtant il n’osa refuser. Il partit pour le château de Chantilly.

Chantilly n’est qu’à sept lieues d’Écouen.

La salle qui porte le nom de madame Claude est changée en chambre de conseil. Des généraux, des membres du parlement, les princes du sang, le connétable de Montmorency et le roi lui-même, François Ier, sont assis autour d’une table. A la clarté d’une lampe qui verse sa lueur du plafond, ils délibèrent au milieu du silence qui règne dans le château.

Il s’agit de décider si l’on retiendra Charles-Quint prisonnier en France jusqu’à ce qu’on ait obtenu de lui la restitution de la rançon qu’il fit payer au roi, l’investiture du Milanais pour le duc d’Orléans, ou bien si on le laissera sottement partir, au risque de recommencer avec lui une guerre ruineuse.

La délibération ouverte, François Ier débuta par les protestations chevaleresques passées en habitude chez lui; et il finit par dire qu’il ne prétendait pas se priver du droit de se plaindre toute sa vie du manque de foi de Charles-Quint en trahissant la sienne propre.

– De chevalier à chevalier ces maximes sont bonnes, s’écria la duchesse d’Étampes, que, par une faiblesse blâmée chez François Ier, ce prince admettait à ses conseils; – mais de chevalier à geôlier elles sont une duperie. Il vous a tenu dans une cage où vous avez été la risée du monde. Votre corps s’est voûté, votre tête a blanchi dans la captivité. Puis, pour garantie de la rançon promise, il a demandé vos fils en otage; pour rendre vos fils, il a exigé trois bateaux chargés d’or, et des provinces: puis il a voulu toutes vos provinces; et sans M. de Montmorency, nous serions tous Allemands à l’heure qu’il est. Quatre soldats à sa porte, une lettre à Henri VIII, un ambassadeur aux princes protestans, et ce nouveau Charlemagne ne sortira de la Picardie qu’à bonnes fins. Laissez ensuite crier à la violation de l’hospitalité. Vous demanderez à ceux qui vous accuseront de l’avoir violée si vous ne valiez pas bien la peine d’attirer leur pitié qui se tut parce que vous étiez le vaincu. Vous êtes vainqueur, faites: on se taira.

Profitant de l’hésitation qu’avait fait naître dans l’esprit de François Ier l’opinion de la duchesse d’Étampes, le cardinal de Tournon se hâta d’y conformer la sienne. Il prouva que le roi n’avait pas eu raison de prendre des engagemens de générosité qui excédaient sa puissance; d’ailleurs, qu’une fois hors de la France, Charles-Quint se moquerait de la crédulité ajoutée à ses promesses de remboursement et d’investiture; que le peuple de Paris ne se montrait déjà que trop mécontent de ce que le roi avait eu l’inexplicable faiblesse de refuser sa protection aux Gantois.

Peu à peu François Ier se montra moins chevaleresque; il consulta ses capitaines, qui n’osèrent pas être d’un avis contraire à celui de la duchesse d’Étampes et du cardinal de Tournon, l’une maîtresse, l’autre confesseur du roi.

Ils se levaient déjà pour monter à cheval et aller s’emparer de Charles-Quint, quand le connétable, qui n’avait encore rien dit, parla:

– Je ne connais pas d’empereur, pas d’homme plus astucieux que Charles d’Autriche, plus faux que lui; il a l’âme d’un lansquenet et le cœur d’un reître; il vend le pape aux électeurs, les électeurs au pape, deux ou trois fois par an; il a trois récoltes de trahison, comme mes paysans de leur foin.

Il ne sait vaincre que par les autres. Il lui a fallu l’épée d’un Français pour triompher des Français; il spécule sur les prisonniers comme un boucher sur la chair; il fait la guerre pour avoir des rançons: c’est son métier. Il n’est pas un de nous qui n’ait à se plaindre des souffrances qu’il lui a fait subir dans la captivité; abhorré des Allemands, des Espagnols, des Italiens, des catholiques, des réformés, du ciel et de la terre, il prend l’argent des uns pour faire couler le sang des autres…

– Eh bien! qu’attendons-nous? s’écrièrent tous les membres du conseil à ces paroles du connétable; partons et emparons-nous-en....

– Eh bien! plus lâches que lui seraient ceux qui, trahissant l’hospitalité, toucheraient à un fil de son pourpoint. Ne comparons pas deux positions différentes, madame la duchesse, monsieur le cardinal, sire. A Madrid vous étiez son prisonnier, sire. C’est chance de guerre, et droit du vainqueur. Êtes-vous son vainqueur, êtes-vous en guerre avec lui? non. Il est menteur à sa parole… que Dieu le juge. Il est votre hôte; il a brûlé Rome, que Dieu le frappe; il est votre hôte. Permettez encore, sire. Charles a avec lui un de ses capitaines. Ce capitaine m’a ouvert le crâne d’un coup d’épée, et brisé l’épaule d’un coup de pistolet, sur le champ de bataille de Pavie. Irai-je aujourd’hui dans le parc de Chantilly le lier à un arbre pour lui ouvrir la tête et lui casser le bras? – Si jamais je le rencontre face à face à la guerre, j’acquitterai ma dette: mais ici, sur mes terres, sous ma tente, – protection et sauve-garde! – Je vous imite, sire! soldat, je fais pour un soldat ce que roi vous ferez pour un roi.

Tandis que la discussion s’échauffait ainsi dans le château d’Écouen, respirant sous le beau ciel de la Picardie, Charles-Quint comptait les heures qui le séparaient du moment de son départ. S’il n’avait craint d’être arrêté en route, il serait parti de Chantilly, au milieu de la nuit, tant il était peu rassuré sur l’issue de sa résidence. – Chaque bruit qu’il entendait le faisait tressaillir. – Il n’avait pas moins joué que sa couronne de Flandre et d’Italie dans cette témérité tout au plus pardonnable à l’étourderie de François Ier. – Puis le ridicule d’être pris au piége dressé par lui-même! En s’interrogeant il n’osait se rejeter sur la bonne foi de son hôte. – Il pensa qu’il était peut-être dans la prison qu’on lui destinait; que déjà les cavaliers gardaient les portes et les grilles.

 

Erreur de son imagination exaltée par la peur ou réalité, il vit passer devant ses fenêtres un homme couvert d’une cuirasse, armé d’une longue épée, et s’acheminant vers la porte de son appartement. Il se leva. – Ce n’était pas une illusion. Quand cet homme se trouva devant lui, – il se découvrit avec respect, et se nomma.

C’était le connétable Anne de Montmorency.

– Sire, dans le conseil du roi qui vient de se tenir dans mon château d’Écouen, il a été discuté si l’on vous retiendrait prisonnier en France ou si l’on vous laisserait partir.

L’avis du roi a été qu’on vous laisserait libre.

Le mien qu’on devait vous retenir prisonnier.

Charles-Quint frémit.

– En donnant ce conseil, j’ai rempli mon devoir de sujet.

En vous en faisant part, je remplis celui de votre hôte.

Sire, tenez-vous pour averti.

Charles-Quint partit le lendemain de Chantilly.

On sait qu’il ne lui arriva rien, – qu’il parvint sain et sauf à Gand, où il n’exécuta aucune des promesses qu’il avait jurées, mais où son premier soin fut de priver la ville de ses priviléges, après avoir fait trancher la tête à cinquante maîtres tisserands, qui étaient bourgeois comme lui.

Le connétable fut disgracié.

Depuis qu’il n’y a plus en France de grandes familles, à prendre cette expression dans le sens de large confédération qu’elle présentait autrefois, le souvenir s’est perdu de l’influence dont elles jouissaient dans l’état, et par suite s’est évanouie la mémoire des bons services qui justifiaient cette influence. On ne sait plus, et c’est de l’ingratitude autant que de l’ignorance, ce que ces familles tenaient en réserve de force, d’intelligence, de fidélité et d’union, pour venir en aide au pays, quand il était compromis soit par les atteintes de l’étranger, soit par les empiètemens du souverain. Le peuple est aujourd’hui l’unique appui des royautés: la confiance est bien placée; mais si l’on ne faisait rien pour le peuple alors, c’est qu’on s’en passait; il n’était jamais appelé à partager les fatigues ni les dangers de la guerre, cette situation violente et pourtant continuelle de la constitution française. Aux gentilshommes exclusivement était dévolu le périlleux privilége de mourir pour défendre le territoire, pour l’agrandir, pour en chasser l’étranger.

Anne de Montmorency, qui fit bâtir Écouen, est le formidable représentant, s’il en est la personnification expirante, de cette assistance infatigable, toujours en haleine, quelquefois brutale, qu’avait la noblesse à la disposition de la royauté. Il réunit les fières et rudes vertus du soldat, du vassal, du négociateur, du prince et de l’ami. Il naît presque la même année que son roi, en signe de la fraternité qui l’attachera à lui. Ce roi est François Ier, le dernier souverain en qui la valeur personnelle, le courage isolé, soient encore utiles au moment où ils vont disparaître pour toujours, et faire place à la lutte des armées. Le roi et le baron sont de taille à fermer la carrière. Celui-là a six pieds; celui-ci oblige un cheval à ployer en le pressant des genoux. Marignan, la bataille des géans, les voit combattre tous deux et demeurer vainqueurs; Pavie les ramasse tous deux vaincus et prisonniers.

Un moment, il n’y a plus de roi en France: Charles-Quint retient en prison François Ier, qui va mourir. Montmorency vend pour cent cinquante mille écus de terre, se rachète, vient à Paris et gouverne. Tout ce qui eut lieu de décisif contre l’étranger, qui essaya de profiter de l’absence du roi pour rentrer en France, fut l’œuvre de Montmorency. Il régna près d’un an. François Ier, au retour de sa captivité, nomma Montmorency grand-maître de France; il serait tout aussi exact de dire que Montmorency nomma François Ier roi de France au retour de sa captivité.

Comme toutes les supériorités, qui n’ont que faire des petits suffrages du cœur, il ne fut jamais aimé; il ne parut à la cour que pour chasser les courtisans du revers de son gantelet. Il préférait à la cour son château d’Écouen, retraite solitaire, où il lisait Plutarque, plantait des chênes et causait, assis par terre, avec ses vassaux. Des années s’écoulaient sans qu’il allât au Louvre. Entouré de sa maison, composée de la fleur de la noblesse militaire, il présidait, avec une simplicité pleine de religion, aux travaux dont il embellissait sa demeure. Il faisait construire par Bullant et décorer par Jean Goujon une merveilleuse chapelle, peinte, sculptée, dorée et ciselée comme les basiliques de l’Orient. Après trois cents ans sa gracieuse austérité la protège encore. Aux murs il suspendait une Cène de Léonard de Vinci et la Femme adultère, par J. Belin. Bernard Palissy coulait avec sa terre cuite, sur un pavé de faïence, tous les Actes des apôtres. Quand le dimanche sonnait, il s’agenouillait devant l’autel de cette chapelle, avec sa famille, ses artistes et ses gentilshommes. Et ce devait être d’un aspect pieux que cette prière, sévère distraction du château, faite sous ces voûtes aux pendentifs dorés, sur ce pavé bleu et jaune, par le premier baron chrétien et sa femme, Madeleine de Tende, fille des Lascaris, empereurs de Constantinople.

Quand il sortait de son château d’Écouen, ce n’était que pour aller représenter le roi de France auprès de Henri VIII, ou pour mesurer sa longue épée avec les armées de Charles-Quint, auquel rien ne manquait pour abaisser la gloire de François Ier, ni les troupes, ni l’or, ni les capitaines, – les meilleurs capitaines du temps, Antoine de Lève, le duc d’Albe, Fernand de Gonzague, André Doria. Au comble de sa puissance, envieux de réaliser son rêve de domination, qui était d’unir le midi de la France à ses états d’Italie et d’Espagne, Charles-Quint opéra une descente en Provence. Le voilà en France, à quelques journées de marche de la capitale. Quand tous les plans de défense sont reconnus impuissans pour repousser l’étranger, on appelle Montmorency. Chargé dès ce moment de la responsabilité entière du pays, il s’établit dans le comtat. Là, il commence un plan d’attaque dont les moyens épouvantent par leur désespoir; il rase tout ce qui s’élève sur le sol; il coupe les forêts, abat les bourgs, passe le râteau, fait courir la flamme sur les moissons, arrache les plantes; il ne laisse debout que des soldats auxquels, sous peine de mort, il défend de tirer un seul coup de fusil, et que des arbres chargés de fruits mûrs: c’était pendant l’été; puis il consigne le roi dans sa tente, se retire dans la sienne et attend. L’attente dura plusieurs mois. L’impétuosité française l’accuse enfin de faiblesse, d’ignorance, presque de lâcheté; car l’empereur avance toujours: il est partout, à Arles, à Toulon, à Marseille. François Ier, qui bouillonne dans sa cuirasse, se mêle aux clameurs soulevées contre Montmorency; il veut se battre; il écrit au maréchal qu’il n’a pas une épée pour remplir la charge d’un commissaire de vivres. – Vous ne vous battrez pas, répond froidement Montmorency. Malheur à qui touchera à un cheveu de l’ennemi! malheur à qui cueillera un des fruits mûrs qui pendent aux arbres!

Enfin, accablés par six mois de chaleur, les soldats de l’empereur se jettent sur la seule nourriture qui leur a été laissée, au milieu d’une contrée torride, sans ombre, sans abris; ils mangent des fruits, dorment au soleil et meurent au même instant. Ces fruits les ont tués; vingt mille cadavres jonchent les routes; le reste regagne l’Espagne, mutilé dans la plus désastreuse retraite qui ait jamais été exécutée.