Programme des Épouses Interstellaires Coffret

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« Natalie. » Je prononce doucement son prénom, comme un mantra. Tous lisent l’angoisse dans mes yeux.

Seton se penche afin que je puisse le voir à travers la vitre. « Je vais me téléporter sur l’Avant-poste Deux et partir à sa recherche pendant que tu reprends des forces. Je te jure que nous mettrons tout en œuvre pour savoir ce qui s’est réellement passé.

— Laissez-le. Il faut qu’il guérisse, il a déjà assez de mal à supporter le fait d’être dans le caisson. » Le docteur pousse Seton qui disparaît de ma vue, je reste là, à regarder droit devant moi. Je suis encerclé par des lumières jaune clair, je vais perdre connaissance dans quelques secondes, le temps de me soigner.

Je regarde le Commandant Loris, mes pensées et mes ordres tournent en boucle dans mon esprit. Où chercher. Qui emmener. Quelles armes choisir. Comment se déployer. J’ouvre la bouche pour donner mes ordres mais le seul mot qui franchit mes lèvres avant que le caisson ne s’empare du peu d’énergie qui me reste est son prénom.


Natalie

Le ronronnement du baby-phone posé sur le plan de travail de la cuisine est réconfortant et distrayant à la fois, je nettoie les traces laissées par la soupe aux tomates et fromage que la cuisinière a préparé pour le déjeuner. Je suis assise à la petite table dans la cuisine, les domestiques entrent et sortent, grignotent un morceau au passage et papotent. Je mangeais à cette table quand j’étais petite, je me sentais alors orpheline, étrangère dans la famille Montgomery, on m’envoyait à la campagne quand je rentrais de l’école, pour ne pas gêner les fêtes et les agendas très chargés.

Mes parents venaient me chercher à Noël, m’habillaient comme une princesse et m’exhibaient dans des fêtes organisées pour des enfants, avec des Pères Noël bedonnants aux joues roses, avec d’autres gosses de riches.

Je regardais les autres enfants et me demandais s’ils menaient la même vie que moi. Si leurs parents les aimaient ou si, tout comme moi, ils n’étaient que de simples objets qu’on exhibait à certaines périodes de l’année.

« Arrête ça tout de suite. » Je me parle à moi-même en regardant l’écran. Mon bébé dort, ces deux heures de sieste sont le seul moment que j’ai pour penser à moi. Je refuse que le personnel s’en occupe, lui donne à manger ou le baigne. Il est à moi et je l’aime.

Il ressentira mon affection tout au long de sa vie. Je serai toujours là pour lui. Il ne se demandera jamais si ses parents l’aimaient ou non. Il n’a que moi mais j’ai assez d’amour pour deux.

Je me lève et dépose mon assiette et le bol vides dans le grand évier en porcelaine blanche, en soupirant. Susan, la cuisinière, me remercie d’un signe de tête et remue la soupe de ce soir, ça sent délicieusement bon, un potage de nouilles et poulet.

Je la remercie pour le repas, prends le baby phone et vais dans ma chambre. Un panier plein de vêtements de Noah m’attend sur mon lit, attendant d’être pliés. Miranda, la domestique, m’a dit qu’elle le ferait mais j’ai refusé.

J’aime enfouir mon nez dans ses petits vêtements, sentir sa bonne odeur de bébé. J’adore son odeur. Ça sent l’amour.

Je sors de la cuisine et passe devant l’autre salle sans même regarder à l’intérieur. Je n’ai pas envie de voir la salle à manger austère dans laquelle j’ai pris tant de repas toute seule. La grande table en acajou polie est assez grande pour accueillir vingt convives. Un chandelier très travaillé est placé au centre. Les chaises ont de hauts dossiers rigides, à l’image de mes parents.

Je me demande comment ils ont fait pour avoir un enfant. C’est inconcevable. Je suis peut-être un bébé éprouvette. Je ne peux pas imaginer ma mère dans le cabinet aseptisé d’un médecin, ni en train de s’abandonner aux affres de la passion, offrant son corps à son amant.

Et comme d’habitude, mes pensées s’enflamment. Roark. Mes pensées s’envolent vers mon homme, je suis excitée, en manque, la douleur entre mes cuisses est bien réelle. Mais ce n’est rien comparé à la douleur qui m’envahit.

Il est mort. Forcément. Je l’ai attendu longtemps, j’ai espéré. L‘espoir m’a aidé à tenir durant la grossesse. J’espérais qu’il me reviendrait, comme il l’avait promis. J’espérais qu’il survivrait à cette brutale attaque de Drovers, même si la Gardienne Egara m’a avertie du contraire.

Les jours sont devenus des semaines. Les semaines des mois, un an. Notre fils est venu au monde, il a crié. Mais mon mari est mort.

L’enquête menée par la Gardienne Egara n’a rien donné. L’Avant-poste deux est bel et bien perdu. Il n’y a aucun survivant.

Roark est mort. La Gardienne Egara doit se rendre à la Coalition Interstellaire sur la planète Prillon afin de rencontrer le Prime, le mec chargé de la Coalition, et demander une dérogation pour Noah et moi. Demander un autre Trion.

Je ne veux pas d‘un autre partenaire. J’ai le cœur brisé. Roark était l’homme idéal, il était à moi. Mon seul amour. J’ai immédiatement ressenti ce lien qui nous unissait, je me suis donnée à lui corps et âme. Je n’ai plus rien à offrir à un autre. Noah est le seul être qui compte. Je n’ai plus d’amour pour un autre. Rien de rien.

Je n’ai heureusement pas besoin d’un homme pour vivre. Lorsque mes parents ont appris pour le bébé, ils m’ont cédé cette propriété en quarante-huit heures à peine. J’ai un accès illimité à leurs nombreux comptes bancaires, remplis à ras bord de plus d’argent que je ne pourrais jamais utiliser dans toute ma vie. C’est pour toi, m’ont-ils dit. Afin que je sois à l’abri du besoin, ont-ils insisté.

Mais nous savons tous le fin mot de l’histoire.

La demeure n’est pas située au centre de Boston, où vivent mes parents. La maison de campagne est située à cinquante kilomètres à l’extérieur de la ville, en plein campagne, avec des chevaux, à l’écart des amis, collègues, connaissances du country club ou associés de mes parents. Un petit-fils illégitime—ils considèrent mon mariage comme illégal—c’est une chose.

Un bébé extraterrestre en est une autre.

Mieux vaut que Noah et moi— ils n’ont pas encore rencontré leur petit-fils —vivions cachés aux yeux de tous. J’ai tout l’argent dont j’ai besoin, un toit sur la tête, c’est une façon comme une autre de ne pas tout envoyer balader. Je vais pas m’en plaindre. Je resterai invisible, comme je l’ai toujours été.

Je me rue dans les escaliers pieds nus et les cheveux détachés, je me sens libre, comme du temps où j’étais avec Roark. Ma mère n’approuverait pas, elle insiste pour porter des chaussures en toutes occasions, sauf pour dormir. Mais je me contrefiche de ce que pense ma mère, de ce qu’elle fait et où elle est. Seul mon fils compte.

A ma demande, le couloir du haut, décoré de vases et d’œuvres d’art hors de prix, a été entièrement dépouillé. J’ai passé ma vie à ne toucher à rien, à faire attention de ne rien casser, à marcher dans ma maison sur la pointe des pieds, comme si j’étais un intrus.

J’ai pas envie que Noah vive cette vie. Il n’a pas encore quatre mois mais bientôt, il marchera à quatre pattes, cette maison sera son terrain de jeux. Tout est adapté pour un bébé, il partira à l’aventure en toute sécurité.

Il se sentira en sécurité et à l’aise. Il aura l’enfance que je n’ai jamais eue.

Ma chambre est magnifique, la moquette est ivoire et or, de la soie couleur chocolat sur le lit. Un grand baldaquin blanc et marron crée un cocon protecteur durant mon sommeil.

Je m’assois au bord du lit près du panier à linge que j’ai laissé en plan il y a quelques heures. L’odeur d’adoucissant et de bébé m’enivre, je souris. A quelques pas de là, la porte menant à la chambre de Noah est entrebâillée. A peine, juste assez pour entendre mon bébé bouger alors qu’il se réveille de sa sieste.

Je vais le voir, incapable de résister. Sa chambre n’est pas comme les autres, pleine de peluches et de nounours géants. Noah est spécial, je veux qu’il sache d’où il vient.

Trois murs sont couverts d’étoiles et constellations. Sur le quatrième, juste au-dessus de sa tête, j’ai payé un artiste qui a reproduit les symboles de Roark, les épées croisées représentent son père, les deux boucliers assortis sont les armoiries de sa famille. Les domestiques n’ont rien demandé et je ne leur ai donné aucune explication. J’ai pris des photos des médaillons suspendus à la chaîne entre mes seins avec mon portable et les ai remises à l’artiste peintre lors de sa venue.

La femme a simplement hoché la tête et a transformé le mur au-dessus du berceau de Noah en une fresque aux teintes riches, vivement colorée. Un mobile suspendu au-dessus de sa tête joue « Brille Brille Petite Etoile », quand j’appuie sur le bouton. J’ai rangé dans le tiroir de ma table de chevet tout ce que j’ai récupéré de la planète Trion. C’est pas grand-chose, la Gardienne Egara m’a aidé, quelques photos de sa planète, de gens qui lui ressemblent, peau mate, cheveux noirs, regard intense. Noah va ressembler à son père quand il sera plus grand. Il pesait presque quatre kilos cinq à la naissance, il est tellement grand qu’il est mince malgré son poids. Il doit bien manger pour bien grandir, je m’empare du biberon afin de combler son appétit insatiable.

Noah ressemble à son père absent. Mon fils a les cheveux épais, la peau mate. Mais il a mes yeux. Ils étaient bleu foncé quand il est né, je pensais qu’ils allaient foncer mais ils ont éclairci de jour en jour, pour devenir aussi clairs que les miens. Le contraste est frappant, je sais que lorsqu’il sera grand, il faudra que j’éloigne les filles intriguées par son côté « exotique ».

 

Mais pour le moment, il est à moi. « Coucou mon grand. »

Il ouvre les yeux et m’aperçoit. Il me sourit, il a de bonnes joues dodues, son regard pétille de joie.

Une bouffée d’amour m’envahit, si forte qu’elle me bouleverse. Je le prends dans son berceau. Je le pose sur la table à langer et change sa couche. Il donne des coups de pieds et s’agite, il a hâte que je termine tandis que je chatouille son joli petit ventre.

Je repense à mes moments heureux sur Trion.

Ça me manque énormément lorsque je me retrouve le soir, seule dans mon lit. Mon mari. Roark. Noah remplace un peu Roark.

Bien déterminée à ne pas gâcher la journée, je me penche et dépose un baiser sur le ventre de Noah, je souffle sur sa peau douce comme un pétale. Il donne des coups de pieds et pousse des cris perçants, ses petits doigts potelés effleurent mon ventre, il se fraye un passage sous mon T-shirt en coton. Mon jean confortable est usé, je fais une taille de plus qu’avant. Ça va encore.

Je me penche et m’amuse à grogner, Noah crie et tape des pieds. Mais la partie de plaisir s’arrête net. Noah agrippe la chaîne en or suspendu à mes tétons et tire dessus. Fort. « Aïe ! » Je glousse, soulève mon T-shirt, sa petite main potelée agrippe le médaillon du milieu, celui que son père m’a donné. « Lâche-ça. C’est pas à toi, bébé. C’est à Maman. »

Je retire ses petits doigts du médaillon, un par un, il s’y agrippe fermement, essaie de porter le médaillon scintillant à sa bouche.

« Noah ! » Il me regarde d’un air innocent tout en glissant le médaillon dans sa bouche, bave à qui mieux mieux. Ce qui m’aide à défaire ses doigts sans me faire mal plus que de rigueur.

J’ai essayé d’enlever la chaîne et les anneaux quand je suis revenue sur Terre. J’ai essayé avec des tenailles et des pinces coupantes. J’ai tout essayé, rien n’a fonctionné. Il faudrait en passer par une intervention chirurgicale mais j’ai pas envie d’en arriver là. Je m’y suis habituée au bout d’un mois ou deux. A la naissance de Noah, ça m’a permis de me souvenir de mon court séjour auprès de Roark. Noah a remplacé la chaîne et ses médaillons, tel un cadeau en guise de ce que nous avons partagé, le fruit de notre amour.

La chaîne est mon tourment et mon plaisir, mon seul lien avec l’homme que j’aimais et qui est mort.

Avec une infinie patience, j’ai pas du tout envie qu’il tire sur mes seins de cette façon, j’arrive enfin à ôter le médaillon de ses doigts potelés et baveux.

« Tu vas avoir des ennuis, toi. » Je glisse l’or sous mon t-shirt et le remets en place afin que ses petites mains baladeuses ne le trouvent pas.

« Viens mon amour. On va manger. »

Je le prends dans mes bras et descends les escaliers, mon fils lové contre moi.

10


Roark, Avant-poste Neuf, Continent Nord

Après douze heures passées dans le caisson ReGen, je suis, d’après les scanners, remis à quatre-vingt-douze pour cent. J’ai des ecchymoses, des blessures encore rouges à peine cicatrisées. Je ne suis pas remis à cent pour cent comme si j’étais resté dans le caisson le temps nécessaire. Mais j’ai pas le temps de me remettre à cent pour cent. Je dois savoir ce qui est arrivé à Natalie. Si elle est morte, je dois en avoir le cœur net. Je ne trouverai pas le repos tant que je ne connaîtrais pas la vérité. Comment puis-je trouver le repos si je la sais en train d’errer quelque part, blessée, seule sur Trion. Elle peut être aux mains des Drovers, torturée. Violentée. Blessée.

Je dois la trouver. Si je tombe sur un cadavre, j’attendrai que les tests ADN confirment qu’il s’agit bien de ma femme.

Je lui ai donné ma parole, je lui ai promis de venir la chercher, de la protéger, je tiendrai promesse jusqu’à mon dernier souffle.

« Laisse tomber. Abandonne, » lance ma mère en entrant sous ma tente. Assis à mon bureau, j’examine les rapports de recherche et les comptes rendus de l’attaque de l’Avant-poste Deux. L’Avant-poste Neuf est plus grand que le petit Avant-poste Deux situé en plein désert, où gît le corps de ma compagne. Ici, aucun risque d’attaque. Les tentes qui entourent l’Avant-poste Neuf sont une vraie ville en plein désert. C’est ici que la femme du Haut Conseiller Tark est arrivée.

Je n’aurais jamais imaginé que Natalie court un tel danger en se téléportant sur un avant-poste plus petit et moins sécurisé. Ça fait des années qu’on n’avait pas eu d’attaques de Drovers. J’aurais dû connaître les dangers encourus et leurs conséquences. C’est ma femme, sa sécurité aurait dû passer en premier. Pas selon mes convenances.

Je n’aurais jamais dû lui faire courir ce risque. J’aurais dû attendre mon retour sur Xalia, un millier d’hommes aurait veillé sur elle nuit et jour, au palais. J’étais impatient et pressé. J’ai tout perdu par manque d’autodiscipline.

Ma mère est plantée là, le visage tiré, avec une liste de candidates potentielles, elle insiste pour que j’en choisisse une originaire de la capitale. Ma mère me croit prêt à passer à autre chose. Que j’aurais oublié la seule femme que j’aimais de tout mon cœur en une dizaine de jours.

Je ne me retourne pas, craignant qu’elle voie ma colère. C’est ma mère, je dois la respecter. Mais je ne suis plus un gamin qu’elle peut mener à sa guise. Je suis un Conseiller. Personne ne me forcera à faire quoi que ce soit. Ma mère refuse d’écouter, je lui sors la seule excuse qui la fera changer d’avis. « Tu aurais tiré un trait sur Père aussi facilement ? L’homme de ta vie ?

— C’est différent, mon fils.

— Non. C’est pareil. Tu es sa femme, Mère. Unis via le même système que Natalie et moi. C’était ma femme. La femme idéale. Je me suis uni à elle. La première nuit.

— C’était une histoire d’un soir, Roark. Si tu avais passé une nuit avec—

— Non. Abandonner Natalie ? Jamais. Rien ne prouve qu’elle soit morte.

— Ils ont retrouvé sa robe.

— Ça ne prouve rien. Je ne vais pas abandonner aussi facilement. Je me lève et me plante devant elle. Je lui ai donné mon cœur, Mère. Laisse-moi le temps de guérir. »

Ma mère garde longuement le silence, je finis par penser qu’elle ne me répondra pas. « Non. Je n’aurais pas pu oublier ton père. Excuse-moi. Je n’avais pas réalisé à quel point tu l’aimais. Je ne l’ai vue que brièvement et elle dormait. Nier son existence serait bien trop facile, je vois à quel point tu y étais attaché.

— J’avoue avoir été sceptique mais c’était la femme … idéale. Je veux— »

Mon père fait irruption sous la tente, les yeux écarquillés, son visage … possède une expression indéfinissable.

« Le Commandant Loris est là. Ton médaillon a tinté. Il est activé. » Il a le souffle court, comme s’il avait couru. Mais je sais qu’il n’en est rien, il est tout excité.

Je me fige, une énergie nouvelle pulse dans mes veines, je ne m’étais pas rendu compte à quel point j’étais plombé par la frustration, l’attente et le désespoir. « Quoi ? »

Je traverse la pièce et rejoins mon père, mille questions m’assaillent. L’espoir.

Il indique l’extérieur de la tente. « Viens fiston. Il est au poste de commandement.

— Ça a tinté ? Je croyais que tu portais le médaillon autour du cou ? » demande ma mère.

J’aurais dû les laisser passer devant par politesse mais je ne peux pas attendre. Je pousse presque mon père hors de mon passage et me rue hors de la tente. Le sable roule sous mes pieds, les deux soleils me font cligner des yeux. Le commandant est au milieu du poste de commandement, dans la tente que j’ai identifiée comme telle l’autre jour.

« Vous avez du nouveau. » Ce n’est pas une question.

Le Commandant Loris hoche brièvement la tête. « Le poste de commandement central de Xalia a envoyé un message urgent. Votre médaillon est activé. Je suis venu sur le champ assurer votre sécurité. En vous voyant, je les informerai que vous êtes visiblement vivant et en bonne santé. »

Mon cœur s’accélère, mes doigts se referment sur du vide. Rien. « Le médaillon n’est plus en ma possession. Je l’ai offert à Natalie.

— A Natalie ? Votre femme ? Vous le lui avez remis ? Le commandant reste bouche bée. Pourquoi avoir fait un truc pareil ? Vous connaissez la valeur que revêt ce médaillon sur cette planète ? »

Je sais pertinemment qu’il n’est pas en train de me manquer de respect mais je m’adresse à lui d’un ton sec. « Oui je sais, merci. Vous avez une idée de la valeur que Natalie revêt à mes yeux ? Il s’agit de la femme d’un Conseiller, commandant. Surveillez votre langage quand vous vous adressez à moi. »

Il pivote sur ses talons et s’éloigne à distance respectueuse, regarde d’un air concentré derrière mon épaule. « Je vous présente mes excuses, Conseiller.

— Acceptées, Commandant. » Je le dépasse et avance vers le poste de commandement de l’Avant-poste Neuf.

Trois gardes se trouvent dans la grande tente. Ils se lèvent et me saluent. Au vu de leurs uniformes, le commandant est le plus haut gradé.

Si le médaillon a tinté, ça veut dire—

« Elle est vivante, » dis-je in petto, j’ai hâte de sortir de la tente pour la retrouver, où qu’elle soit. Tout le monde m’observe faire les cent pas dans la tente.

« Seul votre ADN peut activer le médaillon, Conseiller, pas le sien. Le commandant marque une pause.

— Elle a le médaillon.

— Ça ne prouve pas qu’elle soit en vie, réplique le commandant. Ça prouve seulement qu’un membre de votre famille détient le médaillon. »

Mon père avance. « Toi, moi, ta sœur ou ses enfants, sommes les seuls membres de la famille capables de déverrouiller le médaillon. » Je ne l’ai pas vu entrer sous la tente mais il dit vrai. « Ta sœur est avec son mari et le Haut Conseiller Tark. Il n’y a aucune chance que Natalie ait atterri chez eux. Tark nous l’aurait dit.

— Comment aurait-elle pu atterrir chez eux ? Savoir qui est Sari ? » ajoute ma mère, elle parle de Sari, ma sœur. C’est vrai. Je n’ai jamais parlé du Haut Conseiller Tark ni de ma sœur à Natalie. Tous sont perplexes. Les trois gardes tenant les émetteurs-récepteurs gardent le silence. Ce ne sont que des messagers, ils ne peuvent rien ajouter.

« Vos spéculations sont déplacées. Le tintement ne provient pas de Trion, » ajoute le commandant.

Je pivote sur mes talons et le regarde bien en face. « Personne ne sortira de cette tente tant que je n’aurais pas la réponse. Commandant, où voulez-vous en venir ? »

Il inspire profondément. « Les émetteurs ont reçu un message de réactivation de votre médaillon il y a peu. Mais le signal ne provient pas de Trion, monsieur. Mais de la planète Terre. »

Je suis pétrifié. « De la Terre ? » Natalie.

Je regarde mes parents, ils semblent dubitatifs. Ma mère est renfrognée. Mon père reste impassible. « C’est impossible.

— Je n’ai pas d’explication, monsieur, poursuit le commandant. C’est de ma faute, je l’ai interrompu. L’écran de contrôle sur Xalia l’a notifié une fois les codes de transmission validés. Il ne fait état d’aucun dysfonctionnement. Cela confirme que le médaillon se trouve bien sur Terre.

— Natalie doit être vivante. » Ma mère plaque sa main sur sa bouche, elle est sous le choc, ses doigts tremblent légèrement.

« Mais comment aurait-elle pu activer le médaillon ? » Mon père pose une question évidente. Je n’ai pas la réponse. Je me tourne vers le Commandant Loris, j’exige un complément d’informations. « Ma femme a échappé à l’embuscade tendue par les Drovers en se téléportant sur Terre ? Pourquoi n’a-t-on trouvé aucune trace du transport quand on a fouillé l’Avant-poste Deux ? »

Le Commandant Loris inspire profondément. « Le terminal de téléportation était fermé, Conseiller. Les données ont été effacées. Les seuls codes de téléportation en circulation sont les vôtres. L’unique raison pour laquelle nous détenons les codes de téléportation sur Terre est parce que la femme du Haut Conseiller Tark provient de cette planète, vos épouses proviennent du même centre de recrutement. »

Natalie. Vivante. « Pourquoi ne pas être revenue ? Pourquoi le terminal de téléportation sur Terre ne m’a pas contacté ? Putain qu’est-ce qui se passe ? »

Je sais que je déballe tout un tas de questions qui demeurent sans réponse. Personne ne pourra y répondre hormis Natalie. Elle est à moi, c’est une citoyenne Trion à part entière. C’est une femme mariée. Elle m’appartient. Si elle est vivante, je ne m’arrêterais pas tant que je ne l’aurais pas serrée dans mes bras, tant qu’elle ne sera pas à sa place, dans mon lit.

 

Je me dirige d’un pas raide vers la porte et hurle au garde le plus proche de contacter Seton. Je le charge de veiller sur le Continent Sud durant mon périple. Il se portera certainement volontaire pour m’accompagner. Je préfère le savoir ici, vu la menace Drover qui plane. Il faudra qu’il rentre dare-dare dans le sud. Le Haut Conseiller Tark et les patrouilles de Drovers attendront que je ramène ma femme chez moi.

Confiant quant à l’exécution de mes ordres, je retourne dans la salle de transport et me place sur le sas de téléportation. « Contactez le terminal de téléportation sur Terre. Je pars chercher ma femme. »


Natalie, Banlieue de Boston, MA, planète Terre

On sonne à la porte, je vais ouvrir en portant Noah sur la hanche. Je viens juste de changer sa couche et je ne lui ai pas remis son pantalon. Il porte un body, j’aime voir les bourrelets de ses petites cuisses potelées. Il tient des clés en plastique dans sa main serrée, les secoue et les porte à sa bouche.

J’ouvre la porte en grand et soupire. Je ne suis pas d’humeur à voir Curtis. Je me demande ce qui a pu me passer par la tête en voyant cet homme émacié. Mais qu’est-ce que j’ai bien pu lui trouver ? Ses quelques cheveux bruns vraisemblablement mouillés se raréfient. Il est pâle, les joues légèrement bouffies, comme remplies d’eau. Il a pris un médicament ? Son caviar était trop salé ? Il porte un polo de golf blanc avec de minuscules homards roses brodés sur les manches. Son pantalon pendouille comme un sac vide. Il porte des mocassins un peu sales et au poignet gauche, une montre griffée gauche qui coûte plus cher que le salaire mensuel moyen. Y’a rien, strictement rien d’attirant chez cet homme. Pas étonnant que je n’aie jamais pris mon pied avec lui. Il aurait fallu un miracle. Sans compter que son eau de toilette me donne la migraine et la nausée.

Ma tolérance aux odeurs ne s’est pas améliorée depuis la naissance de Noah. C’est mon nouveau super pouvoir. Dès que je suis tombée enceinte, je jure que j’aurais pu sentir l’odeur de la viande à vingt pas. Je croyais que mon hyper-sensibilité aux odeurs aurait cessé à la naissance du bébé mais j’ai pas eu cette chance. J’essaie de ne pas vomir en sentant l’odeur du cèdre et du musc et j’ouvre la porte en grand, non pas pour laisser entrer mon visiteur mais pour aérer.

« Curtis, » dis-je en soupirant. J’espérais que ce serait le plombier, un des robinets de la cuisine a lâché et il y a de l’eau partout. Quand la cuisinière a voulu se servir de l’évier, on aurait dit le Old Faithful. « Quelle surprise. »

Curtis s’est pointé sans prévenir et contre mon gré à plusieurs reprises, au cours de l’année passée. Je ne l’intéressais guère avant d’adhérer au Programme des Epouses. Lorsqu’il a eu vent de mon retour—non, lorsqu’il a su que mes parents m’avaient offert leur immense baraque— il s’est soudainement montré très intéressé.

« Comment va Mandy ? » Je lui demande des nouvelles de sa sœur, le seul sujet de conversation que je puisse aborder. Je n’ai pas envie de connaître la raison de sa présence ici. Sa vie, sa journée, son moral ne m’intéressent pas.

Ce n’est pas moi qu’il regarde, mais Noah. En général, les gens regardent mon bébé d’un air doux et souriant, mon fils est vraiment hyper mignon. Qui n’aimerait pas un bébé ? Personne, hormis Curtis. Non, pas parce que Noah est un bébé. Ni parce que Noah est un bébé extraterrestre. Du moins c’est ainsi que Curtis et mes parents voient Roark. Un extraterrestre. Non, pas comme étant le chef respecté de presque toute la planète de la Coalition Interstellaire. Non, pas comme mon conjoint. Comme un extraterrestre.

« Je voulais savoir si tu aimerais m’accompagner au Bal d’Hiver du country club. »

Il n’attend pas que je le fasse entrer, il me dépasse et pénètre dans le vestibule. Il a deux étages et un escalier en colimaçon qui lui plaît énormément. Je le laisse faire et referme la porte derrière lui, non pas qu’il soit le bienvenu chez moi, mais Noah a ses petites cuisses nues et il fait froid dehors.

« Non merci, Curtis. » Je fais passer Noah sur mon autre hanche. C’est un gros bébé, il pèse aux bras. Il sera grand comme son père. « Si t’as fini, je vais coucher Noah pour sa sieste. » Je lui fais savoir que sa présence ici n’est plus désirée. Crier risquerait d’effrayer Noah et pour le moment, mon fils est tout content avec ses clés.

« J’aimerais que tu mettes la robe rose que tu portais pour nos fiançailles. »

Je lève les yeux au ciel. Ce truc horrible plein de dentelle, tulle et sequins ? Non. Hors de question. Même pas dans un million d’années. J’ai toujours détesté ce machin acheté par ma mère. « Je viens de te le dire et je te le répète, ça m’intéresse pas. Demande à Ashley ou à Bambi. Peu importe les prénoms de tes dernières conquêtes. »

Il lève les yeux en direction du chandelier fixé au plafond, Noah ne pourra pas l’attraper et se faire mal avec—et me regarde. « Elles ne comptaient pas quand on était ensemble. Et c’est toujours le cas.

— Oh ? Ce connard a toujours de quoi se mettre les couilles au chaud. Je croyais que les femmes avec lesquelles tu baises comptent un tant soit peu. »

La conversation commence à s’enliser.

« C’est quoi cette mère qui parle comme ça devant son fils ?

— Depuis quand Noah te concerne ? » Je lui demande, sarcastique. Je remonte Noah contre moi, le love contre ma hanche et embrasse sa petite tête. « Il n’a que quatre mois. Je pense qu’il a quelques mois devant lui avant de savoir dire des gros mots. Je me dirige vers la porte, pose ma main sur la poignée. Va-t’en, Curtis.

— Accompagne-moi au bal. Laisse le bébé à une baby-sitter, à une bonne, peu importe. T’es obsédée par ce bébé, va faire la fête. Tu peux pas rester cloîtrée dans cette maison à vie.

— Je suis pas cloîtrée, espèce de con. Ça m’intéresse pas. Je tourne la poignée et ouvre la porte. Va-t’en. Inutile de revenir. »

Les pleurnicheries de Curtis me tapent sur les nerfs. Comment ai-je pu perdre autant de temps avec ce type ?

Il s’approche lentement et regarde Noah d’un air malveillant. « Sans ce sale gosse d’extraterrestre, tu te comporterais pas comme une salope, Natalie. »

Pour le coup je commence à m’énerver. « Dégage de chez moi. Immédiatement.

— Certainement pas. Tout se passait bien avant que tu tombes enceinte. Débarrasse-toi de lui et on reprendra notre vie comme avant. »

Que je me débarrasse de lui ? « Tu deviens fou ? Tu veux tuer un pauvre enfant innocent.

— Un extraterrestre. » Curtis s’approche plus près, j’ouvre très grand la porte, je sors à l’extérieur, les pieds dans le froid, dans l’angle de la caméra de surveillance placée sur le perron. Je fourre les jambes de Noah sous mes bras pour essayer de le prémunir du froid.

« On est filmés, Curtis. Sors de chez moi. Si tu te pointes encore une fois ici, j’appelle les flics. »

Curtis aimerait rétorquer mais il regarde derrière moi, l’air paniqué.

« Dégage de chez ma femme avant que je te tue. »

Je connais cette voix. Je l’entends dans mes rêves. Je pousse un cri, tous mes poils se hérissent. Je me retourne très lentement.

Roark. Je ne peux plus parler, même pas murmurer. J’en crois pas mes yeux. Il est là.

Il est là.

Il est vivant !

« Qui êtes-vous ? » demande Curtis, les mains sur les hanches, comme s’il était chez lui.

Roark se place devant moi, bloquant la voie à Curtis. « Conseiller Roark de Trion, le mari de Natalie. Si tu dégages pas de chez elle vite fait, je te tue.

— Vous n’avez pas le droit. Vous irez en prison. Je suis l’ami de Natalie. Elle m’a invité.

— Tu mens, Curtis. Va-t’en, » je lui crie dessus. Ce n’est pas lui que je regarde, mais Roark.

Roark se tourne et me pousse vers la porte d’entrée afin que je me mette au chaud et à l’abri à l’intérieur. « Je crois que ma femme t’a ordonné de dégager et de plus jamais remettre les pieds ici. »