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Le lion du désert: Scènes de la vie indienne dans les prairies

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«Machinalement, avant que d'accomplir cet acte désespéré, je penchai la tête au dehors, sans doute pour mesurer l'abîme au fond duquel j'allais me briser.

«J'aperçus alors, à environ deux pieds au-dessous de moi, une barre de fer de trois pieds de long à peu près, grosse d'un pouce et demi, qui, scellée dans la muraille de la tour, s'avançait horizontalement dans l'espace en forme d'arc-boutant. A quoi avait pu jadis servir cette barre de fer? c'est ce dont je ne m'occupai guère en ce moment. Une idée subite m'avait traversé l'esprit et rendu l'espoir d'échapper aux assassins qui me poursuivaient et étaient sur le point de m'atteindre.

«Le temps pressait, je n'avais pas une minute à perdre; aussi, sans réfléchir davantage, j'enjambai le rebord de la plate-forme, et, saisissant à deux mains la barre de fer, je laissai mon corps pendre dans l'espace et j'attendis.

«J'avais à peine pris cette position que les bandits débouchèrent en tumulte sur la plate-forme; qu'ils se mirent à parcourir dans tous les sens.

«L'orage durait toujours, la pluie tombait à torrents, le vent soufflait avec force, et par intervalles d'éblouissants éclairs déchiraient la nue.

«Vous voyez, capitaine, il n'y a personne! s'écrièrent les salteadores.

« – C'est vrai, répondit le capitaine avec dépit.

« – Allons, descendons, du diable s'il fait bon ici, dit un des voleurs.

« – Descendons,» reprit le chef.

«Un soupir de soulagement s'exhala de ma poitrine oppressée à cette parole qui me prouva que les brigands, convaincus de l'inutilité de leurs recherches, se retiraient enfin.

«J'étais sauvé!..

«Du plus profond de mon cœur je remerciai Dieu du secours imprévu qu'il m'avait donné dans ma détresse, et je me préparai à remonter sur la tour.

«La position dans laquelle j'étais n'avait rien d'agréable, et à présent que le danger était passé, j'éprouvais une fatigue inouïe aux poignets et aux bras, et je ne sais si c'était illusion ou réalité, mais il me semblait que la barre de fer à laquelle j'étais suspendu, trop faible pour supporter longtemps le poids de mon corps et sans doute minée par la rouille, pliait et se courbait lentement, s'inclinant imperceptiblement vers l'abîme.

«Je devais donc me hâter.

«Le silence le plus complet régnait au sommet de la tour.

«Combinant les efforts que j'avais à faire, je levai la tête pour calculer la distance qui me séparait du faîte de la muraille.

«Le capitaine, nonchalamment appuyé sur le rebord de la plate-forme, fixait sur moi ses yeux fauves, et me regardait en souriant avec ironie.

«Ah! ha! fit-il.

« – Démon!» m'écriai-je avec rage.

«Sans me répondre, le Niño se pencha au dehors pour me saisir.

«Lâchant d'une main la barre qui me soutenait dans l'espace, je pris un des pistolets que j'avais mis tout armés à ma ceinture…

«Tu ne m'échapperas pas, compagnon, dit le bandit en ricanant.

« – Oh! je te tuerai!» murmurai-je en l'ajustant avec mon pistolet.

«En ce moment je sentis la barre qui se courbait, ma main glissa, je laissai échapper mon arme, et, par un effort suprême, je parvins à me cramponner des deux mains à cette barre maudite, qui pliait, pliait toujours.

«Oh! m'écriai-je avec désespoir, tout plutôt qu'une telle mort!»

«Et, me roidissant avec une force surhumaine, je m'élançai pour atteindre le faîte de la muraille.

«Non! dit le capitaine avec un rire aigre et strident, tu mourras là comme un chien!»

«Et il me repoussa au dehors.

«Il se passa alors en moi quelque chose d'épouvantable; j'eus un moment d'angoisse terrible. La barre, devenue trop verticale, ne put me soutenir plus longtemps; malgré mes efforts frénétiques et désespérés, je sentis mes doigts crispés glisser lentement le long du fer, j'entendis un rire infernal, poussé sans doute par le bandit qui jouissait de mon supplice; alors, perdant tout espoir, je fermai les yeux pour ne pas voir le gouffre affreux dans lequel j'allais être précipité, et…

« – Et?.. s'écrièrent tous mes auditeurs, intéressés au dernier point, et ne comprenant pas pourquoi je m'arrêtais.

« – Et je m'éveillai, messieurs, continuai-je, car tout ceci n'était qu'un rêve. Échauffé par mes nombreuses libations du soir, je m'étais endormi en sortant de Cadix, et la tête pleine d'histoires de voleurs, j'avais rêvé tout ce que je viens de vous raconter, tandis que non cheval, qui, heureusement pour moi, ne dormait pas et connaissait son chemin sur le bout du doigt, m'avait tout doucement conduit jusqu'à ma maison, à la porte de laquelle il s'était arrêté, ce qui m'avait réveillé en sursaut, et, grâce à Dieu, débarrassé de l'épouvantable cauchemar qui me tourmentait depuis plus de deux heures.»

LA CRÉATION
D'APRÈS LES INDIENS TÉHUELS

Il y a environ un an j'assistai à la Naca, c'est-à-dire la fête de la coupe des cheveux, dans le principal village du Grand-Lièvre; cette cérémonie, l'une des plus anciennes et des plus révérées des Indiens Téhuels, qui se prétendent descendus des Incas, se célèbre tous les ans vers la moitié du mois de janvier, qu'ils nomment ouwikari-oni, mois de valeur.

Le jour désigné pour la cérémonie, à l'endit-ha, les guerriers se rassemblèrent devant la hutte de la prière, tenant sur leurs bras les papous âgés d'un an révolu, et restèrent plongés dans un profond recueillement jusqu'au moment où le soleil se leva radieux à l'horizon.

Alors les conques, les fifres, les chichikoués, en un mot, tous les instruments de musique indiens commencèrent à la fois un affreux charivari destiné à saluer l'apparition de l'astre du jour.

Le sayotkatta, vieillard vénérable, courbé par l'âge et les infirmités, sortit de la case, bénit les assistants, et se plaça debout devant la porte entre le totem et le calumet.

Le totem, ou kekeffiium, est la marque distinctive de chaque tribu, leur signe de ralliement et leur étendard lorsqu'elles sont en guerre.

Le totem représente l'animal emblème de la tribu, chacune ayant le sien propre.

C'est un long bâton avec des plumes de couleurs variées, attachées perpendiculairement de haut en bas; il est porté par le chef de la tribu.

Le calumet est une pipe dont le tuyau est long de quatre, de six, et même souvent de huit pieds; parfois il est rond, mais le plus souvent plat. Il est orné de chevelures humaines, d'animaux peints et de plumes d'oiseau et de porc-épic. Le fourneau du calumet est en marbre rouge ou blanc.

Comme c'est un instrument sacré, il ne doit jamais toucher la terre; aussi est-il, quand on ne s'en sert pas, placé sur deux bâtons fichés en terre dont les extrémités sont en forme de fourche.

L'on charge ordinairement de porter le calumet un guerrier renommé que des blessures graves empêchent de faire la guerre; sa personne est inviolable comme celle des anciens hérauts d'armes.

Le grand prêtre prit l'un après l'autre les enfants dans ses bras, s'inclina devant le totem et le calumet comme s'il les mettait sous la protection de ces deux symboles; puis, avec son couteau à scalper, il coupa à chacune de ces innocentes créatures une petite mèche de cheveux sur laquelle il prononça certaines paroles, et qu'il brûla immédiatement à la flamme d'un réchaud tenu par un prêtre d'un rang inférieur, dont il était suivi.

Puis chaque enfant reçut un nom approprié à quelque circonstance particulière qui lui arriva ce jour-là.

Ainsi l'histoire du Pérou rapporte que le septième Inca fut appelé Yaguar-Huacar, pleureur de sang, parce que, au moment de la cérémonie, l'on vit des gouttes de sang découler de ses yeux, et Huascar, le quatorzième Inca, fut ainsi nommé parce que les ulmenes, lui firent présent d'une chaîne d'or appelée huasca.

Dès que les noms furent donnés, le sayotkatta se tourna vers la natte de feu, fit une courte prière à laquelle se joignirent les guerriers, puis il rentra dans la hutte de la prière, et les danses commencèrent accompagnées de copieuses libations de chicha conservée pour cette occasion.

Au coucher du soleil, tous les enfants furent portés dans la hutte de la prière, où ils devaient passer la nuit; le sayotkatta sortit de sa poitrine un de ces colliers de coquillages entremêlés de perles qui servent de livres aux Indiens et forment les archives de la nation. Il s'accroupit sur le seuil de la cabane et les guerriers se groupèrent en silence autour de lui pour écouter les instructions qu'il se préparait à leur donner.

Les simples paroles de ce vieillard, prononcées d'un accent onctueux, doux et persuasif, en face de cette nature puissante, majestueuse et grandiose, pour ces hommes à l'organisation de feu, au cœur droit et aux instincts bons et crédules, que la civilisation n'a pas encore flétris de son souffle empoisonné, produisirent sur moi un effet qu'il m'est aujourd'hui encore impossible de m'expliquer, et me causèrent une sensation étrange, mêlée de plaisir et de peine dont je ne pus me rendre compte, mais qui, malgré moi, mouilla mes yeux et me rendit heureux pendant quelques minutes.

«Au commencement des âges, dit le sayotkatta en faisant filer entre ses doigts les grains du collier, le monde n'existait pas; Guatèchù planait seul sur l'immensité, jetant parfois un regard de mépris sur six hommes rebelles, génies déchus, rejetés par lui de l'Eskennane, et qui, ballotés au gré des vent, vaguaient sans but sur les nuages.

«Ces hommes étaient tristes, car ils comprenaient qu'abandonnés par Guatèchù, leur race ne tarderait pas à disparaître.

Un jour que, plus sombres et plus abattus que de coutume, ils se trouvaient réunis sur une nuée, suivant d'un œil mélancolique le vol audacieux des oiseaux vers les régions éthérées, Maboya, le tokki des génies rebelles, parut tout à coup devant eux.

 

« – Pourquoi désespérer, leur dit-il, hommes au cœur de gazelle? votre sort est dans vos mains; reprenez courage, je viens à votre secours, et, si vous voulez suivre mon conseil, non-seulement votre race ne s'éteindra pas, mais encore elle deviendra plus puissante que Guatèchù lui-même.

«A ces paroles de l'esprit du mal, les hommes sentirent l'espérance renaître dans leur cœur, et ils le pressèrent de s'expliquer.

«Maboya sourit de son rire nerveux et caustique, qui fige de terreur la moelle dans les os, et continua ainsi:

«Guatèchù possède dans l'Eskennane une créature dont les yeux brillent comme des étoiles, et dont le corps est plus beau qu'un rayon de soleil glissant sur les nuages; cette créature, appelée femme, est destinée à perpétuer votre race; Guatèchù le sait aussi, il la surveille avec le plus grand soin, car il se repent de vous avoir créés, et il veut que vous disparaissiez du nombre des êtres.

«Que l'un de vous, le plus beau, le plus adroit et le plus entreprenant s'introduise dans l'Eskennane et séduise la femme, alors vous serez sauvés. J'ai dit.»

«Les hommes, demeurés seuls, sentirent fermenter en eux les conseils pernicieux du démon; ils réfléchirent pendant de longues heures à ce qu'ils venaient d'entendre, et résolurent enfin de charger le Petit-Loup de la mission difficile de séduire la femme.

«Ils commencèrent alors à entasser les nuées les unes sur les autres, afin d'escalader le ciel.

«Mais Guatèchù riait de leurs vains efforts, et, de son souffle puissant, les rejetait dans l'abîme chaque fois qu'ils se croyaient près d'atteindre leur but.

«Qui peut dire combien de lunes dura cette lutte insensée des hommes contre Dieu, et combien de siècles elle aurait duré encore, si les oiseaux du ciel, émus de compassion, n'avaient résolu d'y mettre un terme.

«Ils se réunirent en une troupe innombrable, et, sur leurs ailes étendues, ils enlevèrent le Petit-Loup dans l'Eskennane.

«Une fois dans ce lieu de délices, l'homme, ému malgré lui par la majesté divine qui éclatait de toutes parts à ses yeux, tomba à deux genoux et resta en adoration pendant la nuit entière.

«Au lever du soleil, il se releva, le cœur raffermi par la prière, et résolu à tout entreprendre pour sauver sa race.

«Devant lui s'élevait la hutte habitée par la femme.

«Le Petit-Loup réfléchit que, probablement, elle ne tarderait pas à sortir pour remplir à une source peu éloignée la cruche destinée à ses ablutions du matin; alors il se cacha derrière le tronc d'un gigantesque nopal, et, l'œil fixé sur la hutte, le cœur rempli de crainte et d'espoir, il attendit.

«Au bout de deux heures, la femme sortit, portant une cruche sur son épaule et se dirigeant vers la source, l'air rêveur et le pas incertain.

«Le Petit-Loup la laissa s'approcher jusqu'à une faible distance de l'endroit où il se cachait, et alors, paraissant tout à coup devant elle, il se jeta à ses pieds en implorant son amour.

«La femme, effrayée à cette apparition subite d'un être inconnu, recula en poussant un grand cri, et voulut prendre la fuite.

«Mais le Petit-Loup la retint par sa robe de bison, et lui parla d'une voix si douce et si persuasive, que la femme, émue malgré elle, finit par l'écouter en souriant.

«Cependant, quelque pressantes que fussent les prières de l'homme, la femme ne voulait pas consentir à le suivre, et le Petit-Loup désespérait de vaincre sa résistance, lorsqu'il se souvint d'une petite boîte en écorce de chêne-liège pleine de graisse d'ours gris qu'il portait sur lui.

«A la vue de la graisse d'ours gris, la chose la plus précieuse qui existe, la femme ne se sentit pas le courage de résister plus longtemps. Honteuse et heureuse à la fois de sa défaite, elle cacha son visage dans le sein de l'homme, et pleura en se donnant à lui pour toujours.

«A cet instant, la voix terrible de Guatèchù résonna comme un tonnerre lointain dans l'Eskennane.

«Les deux amants, effrayés de l'énormité de leur faute, se cachèrent, éperdus, croyant pouvoir échapper au regard puissant du grand être.

«Mais il ne tarda pas à les découvrir; à l'aspect des coupables, un sourire d'une tristesse infinie obscurcit la face du Créateur; deux larmes jaillirent de ses yeux, et, sans leur adresser un mot de reproche, il les lança dans l'espace.

«Déjà depuis neuf jours et neuf nuits l'homme et la femme tombaient à travers les astres qui tressaillaient d'épouvante à la vue de cette chute incommensurable, lorsque la grande tortue de mer eut pitié des deux misérables, et, venant à la surface des grandes eaux, se glissa sous leurs pieds et les maintint immobiles.

«Alors le castor et la loutre prirent de la vase, du gravier et de la boue, en formèrent un ciment, et commencèrent à le coller sans relâche autour de l'écaillé de la tortue; ils travaillèrent tant, qu'ils finirent par former la terre ainsi qu'elle existe aujourd'hui.

«Voici pourquoi la tortue est sainte et révérée, car elle est le centre du monde, et son écaille le soutient.

«Nos premiers ancêtres sauvés par la tortue lui firent l'offrande de leurs chevelures.

«Telle est guerriers téhuels, l'histoire de la création du monde ainsi que nos pères nous l'ont enseignée d'âge en âge; révérons leur sagesse, et ne discutons pas leur croyance, que nous devons vénérer.»

Après avoir parlé ainsi aux Indiens attentifs, le vieillard serra son collier dans sa poitrine, ramena un pan de sa robe de bison sur son visage, et tomba dans une profonde rêverie.

Alors il se fit un silence solennel, troublé seulement par le frémissement du vent à travers les arbres et le chant plaintif de la hulotte bleue qui annonçait les premières ombres de la nuit.