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Les nuits mexicaines

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Une heure plus tard, on le rapportait mourant.

Par un hasard extraordinaire, une fatalité inouïe, le malheureux prince avait trouvé la mort, là ou il ne devait rencontrer que le plaisir.

Le duc témoigna une douleur extrême de la mort si affreuse de son frère.

Le testament du prince fut immédiatement ouvert, il nommait son frère légataire universel de tous ses biens, à moins que la princesse dont, ainsi que nous l'avons dit, la grossesse était avancée, ne donnât le jour à un fils; auquel cas, ce fils hériterait de la fortune et des titres de son père, et demeurerait jusqu'à sa majorité sous la tutelle de son oncle.

En apprenant la mort de son mari, la princesse fut saisie à l'improviste des douleurs de l'enfantement; elle accoucha d'une fille.

La seconde clause du testament se trouva ainsi annulée, le duc prit le titre de prince et s'empara de la fortune de son frère.

La princesse, malgré les offres les plus séduisantes que lui fit son beau-frère, ne voulut pas consentir à continuer à habiter, en étrangère, un palais où elle avait été dame et maîtresse, et elle se retira dans sa famille.

L'aventurier fit une pose.

– Comment trouvez-vous cette histoire? demanda-t-il à ses auditeurs avec un sourire ironique.

– J'attends répondit le comte, pour donner mon avis sur ce récit, que vous nous en donniez la contrepartie.

L'aventurier lui jeta un regard clair et perçant.

– Ainsi, dit-il, vous croyez que ce n'est pas tout.

– Toute histoire, répartit le comte, se compose de deux parties distinctes.

– C'est-à-dire?

– La partie fausse et la partie vraie.

– Expliquez-vous?

– Volontiers; la partie fausse est celle qui est publique, que tout le monde connaît et peut commenter et colporter à sa guise.

– Bien, fit-il avec un léger mouvement de tête, et la partie vraie?

– Celle-ci est la secrète, la mystérieuse, connue seulement de deux ou trois personnes au plus, la peau de l'agneau enlevée de dessus les épaules du loup.

– Ou le masque de vertu arraché de la face du scélérat; s'écria-t-il avec un éclat terrible, n'est-ce pas cela?

– Oui, c'est cela, en effet.

– Et vous attendez cette contrepartie de l'histoire?

– Je l'attends, répondit sévèrement le comte.

L'aventurier demeura deux ou trois minutes le front dans la main, puis il releva fièrement la tête, vida d'un trait le verre placé devant lui, et d'une voix nerveuse et saccadée:

– Eh bien, alors écoutez, dit-il, car, vrai Dieu, je vous jure que ce que vous allez entendre en vaut la peine, cette fois.

XXIV
LA RÉVÉLATION

Il y eut un silence assez long, pendant lequel les trois convives demeurèrent plongés dans de profondes méditations.

Enfin don Adolfo rompit le charme qui semblait les enchaîner, en reprenant tout à coup la parole.

– La princesse avait un frère, alors jeune homme de vingt-deux ans tout au plus, charmant cavalier, adroit à tous les exercices du corps, brave comme son épée, fort aimé des dames auxquelles du reste il le rendait bien, cachant, sous des dehors frivoles, un caractère sérieux, une grande intelligence et une indomptable énergie. Ce frère que nous nommerons Octave, si vous voulez, avait pour sa sœur un sincère attachement; il l'aimait de tout ce qu'elle avait souffert, et le premier il l'avait engagée à quitter le palais de son mari défunt, à rentrer dans sa famille en réclamant son douaire et rejetant les offres de service du prince, son beau-frère. Octave, sans que rien ne vînt aux yeux du monde justifier la conduite qu'il adoptait vis-à vis du prince, éprouvait pour celui-ci une vive répulsion.

Pourtant il n'avait pas rompu toutes relations avec lui; il le visitait quelquefois, mais rarement, à la vérité.

Ces entrevues, toujours froides et gênées de la part du jeune homme, étaient, au contraire, cordiales et empressées de celle du prince, qui essayait, par ses manières gracieuses, ses offres de service sans cesse renouvelées, de ramener à lui cet homme, dont il avait deviné la répulsion.

La princesse, retirée dans sa famille, élevait sa fille loin du monde, avec une tendresse et un dévouement absolu; à la mort de son mari, elle avait pris le deuil quelle n'a pas quitté depuis; mais ce deuil, elle le portait plus encore dans son cœur que sur ses habits, car la catastrophe qui l'avait privée de son époux était toujours présente à son souvenir, et, avec cette ténacité des cœurs aimants pour lesquels le temps ne marche pas, sa douleur était aussi vive qu'au premier jour; si parfois, dans la retraite où elle s'était volontairement confinée, le nom de son beau-frère venait par hasard à être prononcé, un tremblement convulsif agitait soudain tout son corps, son visage pâle devenait livide, et ses grands yeux, brûlés de fièvre et inondés de larmes, se fixaient alors sur son frère Octave avec une expression étrange de reproche et de désespoir, semblant lui dire que cette vengeance qu'il lui avait promise se faisait bien attendre.

Le prince, homme fait maintenant, avait réfléchi qu'il était le dernier de sa race et qu'il était urgent, s'il ne voulait pas que les biens et les titres de sa famille passassent à des collatéraux éloignés, d'avoir un héritier de son nom; en conséquence, il avait entamé des négociations avec plusieurs familles princières du pays, et à l'époque où nous sommes arrivés, c'est-à-dire huit ans environ après la mort de son frère, il était fortement question du mariage prochain du prince avec la fille d'une des plus nobles maisons de la confédération germanique.

Toutes les convenances se trouvaient réunies dans cette alliance, destinée à accroître encore l'importance et la richesse déjà proverbiale de la maison d'Oppenheim-Schlewig: la fiancée était jeune, belle et appartenait par alliance à la maison régnante de Hapsbourg; le prince attachait donc à cette union la plus haute importance et en hâtait par tous ses efforts la prompte conclusion.

Sur ces entrefaites, le comte Octave fut obligé, pour le règlement de certaines affaires d'intérêt, de quitter sa résidence et de se rendre pour quelques jours dans une ville éloignée d'une vingtaine de lieues au plus.

Le jeune homme fit ses adieux à sa sœur, monta en chaise de poste et partit.

Le surlendemain, vers huit heures du soir, il arriva à la ville de Bruneck et descendit dans une maison à lui appartenant, qui se trouvait sur la place principale de la ville, à quelques pas à peine du palais du gouverneur.

Bruneck est une fort jolie petite ville du Tyrol bâtie sur la rive droite de la Rienz dont la population, qui se monte à quinze ou seize cents habitants au plus, a conservé et conserve encore aujourd'hui les mœurs patriarcales, simples et sévères d'il y a soixante ans.

Le comte Octave remarqua avec surprise, à son entrée dans la ville, que la plus grande agitation y régnait; malgré l'heure avancée, les rues que sa chaise traversa étaient remplies d'une foule inquiète qui allait, venait, courait dans tous les sens, avec des vociférations singulières; la plupart des maisons étaient illuminées; sur la place, de grands feux étaient allumés.

Dès que le comte fut entré chez lui, il s'informa, tout en se mettant à table pour souper, de la cause de cette effervescence extraordinaire.

Voici ce qu'il apprit:

Le Tyrol est un pays excessivement montagneux, c'est la Suisse de l'Autriche; or, la plupart de ces montagnes servent de repaires à de nombreuses bandes de malfaiteurs, dont l'unique occupation est de rançonner les voyageurs que leur mauvaise étoile conduit à leur portée, piller les villages, et parfois même, d'assez gros bourgs.

Depuis nombre d'années, un chef de bandits plus adroit et plus entreprenant que les autres, à la tête d'une troupe considérable d'hommes résolus et bien disciplinés, désolait la contrée, attaquant les voyageurs, brûlant et pillant les villages, et n'hésitant pas, le cas échéant, à tenir tête aux détachements de soldats expédiés à sa poursuite et qui, bien souvent, étaient revenus fort maltraités de leurs rencontres avec lui. Cet homme avait fini par inspirer une telle terreur à la population de cette contrée, que les habitants en étaient arrivés à reconnaître tacitement sa domination et à lui obéir en tremblant, dans la persuasion où ils étaient qu'il était impossible de le vaincre. Le gouvernement autrichien n'avait naturellement pas voulu admettre ce pacte conclu avec des brigands, et, résolu à en finir à tout prix, il avait employé les moyens les plus énergiques pour s'emparer du bandit.

Pendant un laps de temps assez long, tous ses efforts furent infructueux: cet homme, merveilleusement servi par ses espions, était tenu parfaitement au courant de tout ce qu'on tentait contre lui; il dressait ses plans en conséquence, et parvenait facilement à se soustraire aux recherches et à déjouer tous les pièges qui lui étaient tendus.

Mais ce que n'avait pu faire la force, la trahison le fit enfin: un des affiliés du Bras-Rouge (tel était le nom de guerre du bandit), mécontent de la part qui lui avait été donnée dans un riche butin fait quelques jours auparavant et se croyant lésé par son chef, résolut de se venger de lui en le trahissant.

Une semaine plus tard, le Bras-Rouge avait été surpris par les troupes et fait prisonnier ainsi que les principaux de sa bande.

Les quelques hommes qui avaient échappé, démoralisés par la capture de leur chef, n'avaient pas tardé à tomber à leur tour entre les mains des soldats, de sorte que la bande toute entière avait été détruite.

Le procès des bandits n'avait pas été long, ils avaient été condamnés à mort et exécutés immédiatement.

Le chef et deux de ses principaux lieutenants avaient seuls été réservés pour rendre leur supplice plus exemplaire.

Ils devaient être exécutés le lendemain. Voilà pour quel motif la ville de Bruneck était en liesse. Les populations voisines étaient accourues pour assister au supplice de l'homme devant lequel elles avaient si longtemps tremblé, et afin de ne pas manquer ce spectacle si attrayant pour elles, elles campaient dans les rues et sur les places, attendant avec impatience l'heure de l'exécution.

 

Le comte n'attacha que fort peu d'importance à ces nouvelles, et comme il se sentait fatigué d'avoir pendant deux jours voyagé à travers des routes exécrables, il se prépara, son souper terminé, à se livrer au repos.

Au moment où il entrait dans sa chambre à coucher, un domestique parut et échangea quelques mots à voix basse avec le valet de chambre.

– Qu'y a-t-il, demanda le comte Octave, en se retournant.

– Pardon, monsieur le comte, répondit respectueusement le domestique, un homme est là qui désire parler à votre Excellence.

– Me parler à cette heure? fit-il avec étonnement; c'est impossible, à peine suis-je ici que l'on sait déjà mon arrivée; dites à cet homme qu'il revienne demain, ce soir il est trop tard.

– Je le lui ai dit, monsieur le comte, et il a répondu que demain il ne serait plus temps.

– Voilà qui est extraordinaire! Quel est cet homme?

– Un prêtre, monsieur le comte, et il a ajouté que ce qu'il avait à dire à votre excellence, était fort grave et qu'il le priait instamment de le recevoir.

Le jeune homme, fort intrigué d'une semblable visite à une pareille heure, répara le désordre de sa toilette et se rendit au salon, curieux d'avoir le mot de cette énigme.

Un prêtre se tenait debout au milieu de la pièce.

C'était un homme déjà fort âgé, ses cheveux blancs comme la neige tombaient en longues mèches sur ses épaules et lui donnaient une apparence vénérable, complétée par l'expression de bonté et de calme grandeur répandue sur son visage.

Le comte le salua respectueusement en l'invitant du geste à s'asseoir.

– Excusez-moi, monsieur le comte, répondit-il en s'inclinant et en demeurant debout. Je suis aumônier de la prison, monsieur; vous avez sans doute entendu parler de l'arrestation de certains malfaiteurs?

– En effet, monsieur, on m'a donné de vague renseignements à ce sujet.

– Plusieurs de ces malheureux, reprit-il, ont déjà subi le châtiment terrible auquel les avait condamnés la justice humaine; le plus coupable de tous, leur chef doit à son tour, subir le sien demain au lever du soleil.

– Je le sais, monsieur.

– Cet homme, continua l'aumônier, sur le point de comparaître devant Dieu, son juge suprême, auquel il a à rendre un compte terrible, a senti, grâce à mes efforts pour le ramener au repentir, le remords entrer dans son cœur. Votre arrivée en cette ville, qu'il a apprise je ne sais comment, lui a paru être un avertissement de la Providence; il m'a fait mander aussitôt, et m'a prié de me rendre auprès de vous, monsieur le comte.

– Auprès de moi! s'écria le jeune homme avec étonnement; que peut-il exister de commun entre moi et ce misérable?

– Je l'ignore, monsieur le comte, il ne m'a rien dit à ce sujet, seulement il vous supplie de vous transporter à son cachot, désirant vous révéler un secret de la plus haute importance.

– Ce que vous me dites me confond, monsieur; cet homme m'est complètement étranger, je ne comprends pas de quelle façon ma vie peut se trouver mêlée à la sienne.

– Il vous l'expliquera sans doute, monsieur le comte; mais je vous le conseille, consentez à l'entrevue que vous demande cet homme, monsieur le comte, répondit le prêtre sans hésiter. Depuis bien des années déjà, je suis aumônier des prisons, j'ai vu hélas mourir bien des criminels. On ne ment pas devant la mort, l'homme le plus fort et le plus brave devient bien petit et bien faible en face de cet inconnu qui se nomme l'Éternité; il se prend à trembler, et n'osant plus espérer en la bonté des hommes, il espère en celle de Dieu. Bras-Rouge, le malheureux, qui doit mourir demain, sait que rien ne peut le soustraire au sort terrible qui l'attend, dans quel but vous demanderait-il cette entrevue sur le seuil de la mort, si ce n'est dans celui de racheter par la révélation qu'il désire vous faire, peut être un de ses crimes les plus horribles, bien qu'il soit peut-être le plus ignoré de tous. Croyez-moi, monsieur le comte, le doigt de la Providence est dans tout ceci; ce n'est pas le hasard qui vous a amené dans cette ville juste au moment de cette expiation terrible; consentez à me suivre et à descendre avec moi dans le cachot où ce malheureux attend sans doute avec la plus vive anxiété et en comptant les minutes, que vous vous présentiez à lui. En supposant même que cette révélation n'ait pas pour vous l'importance que suppose ce malheureux, refuserez-vous de donner cette dernière consolation à un homme qui va si fatalement être rayé du nombre des vivants; je vous en supplie, monsieur le comte, consentez à me suivre.

La détermination du jeune homme fut bientôt prise.

Le comte s'enveloppa dans un manteau et partit de l'hôtel en compagnie du prêtre.

Malgré l'heure avancée, car il était près de minuit, la place était pleine de monde, la foule loin de diminuer augmentait au contraire à chaque instant, par l'arrivée de nouveaux individus qui accouraient des villages voisins; des bivouacs étaient établis partout.

Le comte et son guide se frayèrent assez difficilement un passage à travers la foule, jusqu'à la prison, devant laquelle veillaient de nombreux factionnaires.

Sur un mot de l'aumônier, la porte de la prison fut ouverte aussitôt; le comte entra, précédé par le digne prêtre, et suivi par un geôlier, ils se dirigèrent vers le cachot du condamné à mort.

Le geôlier, un falot à la main, guida silencieusement les deux visiteurs à travers une longue suite de corridors, puis, arrivé devant une porte doublée de fer du haut en bas, il s'arrêta en disant ce seul mot:

– Entrez.

Ils pénétrèrent dans le cachot.

Nous employons cette locution consacrée, cependant rien ne ressemblait moins à un cachot que la chambre dans laquelle ils entrèrent.

C'était une cellule assez grande, éclairée par deux fenêtres en ogives garnies de forts barreaux en dehors; l'ameublement se composait d'un lit, c'est-à-dire d'un cadre sur lequel était tendu un cuir de vache, d'une table et de plusieurs chaises, un miroir était pendu au mur. Dans le fond de la pièce un autel était dressé et tout tendu de noir, le condamné était en chapelle; chaque jour, depuis le prononcé du verdict, un prêtre, l'aumônier de la prison, disait deux messes basses; une le matin, l'autre le soir pour le condamné.

A ce détail singulier de la chapelle, coutume qui n'existe qu'en Espagne et dans les colonies qui en dépendent, les deux auditeurs échangèrent à la dérobée un regard d'intelligence que ne remarqua pas l'aventurier.

Celui-ci continua sans se douter de la faute que, sans y songer, il avait commise.

– Le condamné était assis sur un equipal, la tête dans la main; le coude appuyé sur la table, il lisait à la lueur d'une lampe fumeuse.

A l'entrée des visiteurs il se leva aussitôt et les salua avec la plus exquise politesse.

– Messieurs, veuillez prendre des sièges et me faire l'honneur d'attendre quelques instants l'arrivée des personnes que j'ai fait demander, dit-il en approchant des butacas, leur présence est indispensable, il faut que plus tard nul ne puisse révoquer en doute la véracité de la révélation que je désire vous faire.

L'aumônier et le comte firent un geste d'assentiment et s'assirent.

Il y eut un silence de quelques minutes, silence troublé seulement par les pas cadencés de la sentinelle placée dans le corridor pour veiller sur le condamné et qui passait et repassait devant son cachot.

Le Bras-Rouge s'était remis sur son equipal, et semblait réfléchir.

Le comte profita de cette circonstance pour l'examiner avec soin.

C'était un homme de trente-cinq à quarante ans au plus.

Sa taille élevée était bien prise et fortement charpentée, ses gestes avaient de l'ampleur et de l'élégance. Sa tête un peu forte était par l'habitude du commandement sans doute rejetée en arrière, ses traits étaient beaux, fortement accentués, son regard tombait de haut et avait une fixité extraordinaire; une expression singulière de douceur et d'énergie répandue sur son visage, lui imprimait un cachet d'étrangeté impossible à rendre; ses cheveux d'un noir bleu, plantés drus et frisant naturellement, tombaient en grosses boucles sur ses larges épaules.

Son costume tout de velours noir, d'une coupe exceptionnelle, tranchait avec la pâleur mate de son teint, et ajoutait encore s'il est possible à l'aspect saisissant de tout son individu.

Un bruit de pas se fit entendre au dehors, une clé grinça dans la serrure et la porte s'ouvrit: deux hommes parurent.

Le geôlier, après les avoir introduits dans le cachot sans prononcer une parole, sortit en refermant la porte derrière lui.

Le premier de ces deux hommes était le directeur de la prison, vieillard encore vert malgré ses soixante-dix ans, aux traits calmes, à l'aspect vénérable, dont les cheveux blancs coupés assez courts et rares sur les tempes retombaient par derrière sur le collet de son habit.

Le second était un officier, un major ainsi que le prouvaient ses épaulettes d'or, il était jeune et paraissait à peine trente ans, ses traits n'avaient rien de fort remarquable; c'était un de ces hommes nés pour porter l'uniforme, et qui revêtus d'un costume bourgeois sembleraient ridicules, tant ils sont créés pour le harnais du soldat.

Tous deux saluèrent poliment et attendirent, sans prononcer un mot, qu'on leur adressât la parole pour expliquer la prière qui leur avait été faite de se rendre dans ce cachot.

Le condamné le comprit ainsi; les premières salutations échangées, il se hâta de leur faire connaître le motif qui l'avait engagé à les prier de se rendre auprès de lui, à ce moment suprême où il n'avait plus rien à espérer des hommes.

– Messieurs, leur dit-il d'une voix ferme, dans quelques heures à peine j'aurai satisfait à la justice humaine, et je comparaîtrai devant celle bien plus terrible de Dieu. Depuis le jour où a commencé pour moi cette lutte implacable que j'ai soutenue contre la société, j'ai commis bien des crimes, servi bien des haines, et me suis rendu complice d'un nombre incalculable d'attentats odieux. L'arrêt qui me frappe est juste, et bien que résolu à subir, en homme que la mort n'a jamais effrayé, le supplice auquel je suis condamné, je crois devoir vous avouer avec la sincérité la plus grande et la plus profonde humilité que je me repens de mes crimes, et que, loin de mourir impénitent, j'expirerai en suppliant Dieu non pas de me pardonner, mais de prendre en pitié mon repentir.

– Bien, mon fils, dit doucement l'aumônier, réfugiez-vous en Dieu, sa bonté est infinie.

Il y eut un silence de quelques minutes. Bras-Rouge le rompit enfin.

– J'aurais voulu à ce moment suprême, dit-il, réparer le mal que j'ai fait! Hélas cela est impossible, mes victimes sont bien mortes, aucune puissance humaine ne saurait leur rendre cette vie que je leur ai si lâchement ravie, mais parmi ces crimes il en est un, le plus affreux de tous peut-être, que je ne puis entièrement réparer il est vrai, mais dont j'espère neutraliser les effets, en vous en révélant les sinistres péripéties et en vous divulguant le nom de l'homme qui fut mon complice. Dieu, en conduisant à l'improviste dans cette ville, le comte Octave a voulu sans doute m'obliger à cette expiation, je me soumets sans murmures à sa volonté, peut-être daignera-t-il en faveur de mon obéissance me prendre en pitié! En vous priant, messieurs, de vous rendre près de moi, j'ai voulu procurer à la personne la plus intéressée à mon récit, les témoins indispensables, pour que plus tard la justice humaine pût, sans craindre de se tromper, sévir contre le coupable. Donc, Messieurs, prenez note de mes paroles, car je vous le jure, sur le bord de ma tombe, elles seront de la plus exacte vérité.

Le condamné s'arrêta et parut recueillir ses souvenirs.

Les assistants attendaient en proie à la curiosité la plus vive; le comte surtout essayait vainement de dissimuler sous des dehors froids et sévères l'anxiété qui lui serrait le cœur. Un secret pressentiment l'avertissait que la lumière allait luire enfin et que ce secret impénétrable jusque-là, qui enveloppait sa famille et dont il poursuivait vainement la connaissance depuis si longtemps, allait lui être divulgué.

Bras-Rouge reprit en choisissant parmi les divers papiers qui encombraient sa table un cahier assez volumineux qu'il ouvrit et plaça devant lui.

– Bien que huit ans se soient écoulés, dit-il, depuis l'époque où se sont passés ces événements, ils sont cependant demeurés si présents à ma pensée, que dès que j'ai appris l'arrivée de monsieur le comte Octave en cette ville, quelques heures m'ont suffi pour en écrire le récit détaillé; c'est de cette affreuse histoire que vous allez, Messieurs, entendre la lecture; puis chacun de vous apposera au-dessous de la mienne sa signature à la fin de ce manuscrit, afin de lui donner la notoriété et l'authenticité nécessaire pour l'usage que monsieur le comte jugera devoir en faire plus tard dans l'intérêt de sa famille et la punition du coupable; moi je n'ai été dans tout cela que le complice payé et l'instrument dont on s'est servi pour frapper la victime.

 

– Cette précaution est fort bonne, dit alors le directeur de la prison; nous signerons sans hésiter cette révélation quelle qu'elle soit.

– Merci, Messieurs, répondit le comte, bien que je sois aussi ignorant que vous des faits qui vont être révélés, cependant, pour certaines raisons particulières, j'ai la quasi-certitude que ce que je vais apprendre est d'une haute importance pour le bonheur de certaines personnes de ma famille.

– Vous allez en juger, monsieur le comte, dit le condamné, et il commença aussitôt la lecture de son manuscrit.

Cette lecture dura près de deux heures.

De l'ensemble des faits il résultait ceci: d'abord que lorsque le prince d'Oppenheim-Schlewig avait été tué, la balle était sortie du fusil de Bras-Rouge embusqué dans un buisson, et payé par le fils cadet du prince pour commettre ce parricide. Une fois engagé sur cette voie glissante du crime, le jeune homme s'y était jeté à corps perdu sans hésitation comme sans remords pour atteindre le but qu'il s'était tracé, celui de s'emparer de la fortune paternelle; après un parricide, un fratricide n'était rien pour lui, il l'exécuta avec un machiavélisme de précautions atroces; d'autres crimes plus affreux encore s'il est possible étaient racontés avec une vérité de détails tellement saisissante et appuyés de preuves si irrécusables que les témoins, appelés par le condamné, se demandaient avec épouvante, s'il était possible qu'il existât un monstre si atroce et quel horrible châtiment lui réservait cette justice divine dont il se jouait avec un si affreux cynisme depuis tant d'années. La princesse, en apprenant la mort de son mari, avait été prise des douleurs de l'enfantement, et avait accouché non pas d'une fille, ainsi que tout le monde le croyait, mais de deux jumeaux dont l'un le garçon avait été enlevé, et que le prince avait fait disparaître afin d'annuler la clause du testament de son père qui donnait au fils à naître les titres et la fortune totale de la famille.

Le comte, le visage dans ses mains, se croyait en proie à un cauchemar horrible; malgré les préventions que toujours il avait eues contre son beau-frère, jamais il n'aurait osé le soupçonner capable de commettre ainsi de sang froid et à de longs intervalles une suite de crimes odieux patiemment ourdis, et médités sous l'impulsion de la plus vile et de la plus méprisable de toutes les passions, celle qui ne saurait admettre d'excuse! La soif de l'or. Il se demandait si, malgré les preuves irrécusables qu'il possédait ainsi à l'improviste, il se trouverait dans tout l'empire un tribunal qui oserait assumer sur soi la responsabilité de poursuivre de si honteux forfaits et si en dehors de la nature humaine. D'un autre côté, cette révélation rendue publique déshonorait irrésistiblement une famille à laquelle la sienne était alliée de fort près; ce déshonneur ne rejaillirait-il pas sur sa famille?

Toutes ces pensées tourbillonnaient dans le cerveau du comte, en lui causant d'horribles douleurs et accroissant encore sa perplexité, car il ne savait à quelle résolution s'arrêter; dans un cas aussi grave, il n'osait demander conseil à personne ni chercher d'appui en dehors de lui-même.

Bras-Rouge se leva, et s'approchant du comte:

– Monsieur, lui dit-il, prenez ce manuscrit; maintenant il est à vous.

Le comte prit machinalement le manuscrit qui lui était présenté.

– Je comprends votre étonnement et votre épouvante, monsieur, continua le condamné, ces choses sont tellement horribles que, malgré leur cachet de vérité, les circonstances exceptionnelles où elles ont été écrites, et l'autorité des personnes qui ont signé après lecture, elles courent le risque d'être révoquées en doute; aussi je veux vous mettre à l'abri de tout soupçon d'imposture, monsieur le comte, en ajoutant à ce manuscrit ce qu'on est convenu de nommer des pièces à l'appui, et que moi j'appellerai des preuves irrécusables.

– Vous avez des preuves? dit le comte en tressaillant.

– J'en ai. Donnez-vous la peine d'ouvrir ce portefeuille; il contient vingt et quelques lettres de votre beau-frère, adressées à moi et toutes se rapportant aux faits racontés dans ce manuscrit.

– Oh! Mon Dieu! Mon Dieu! s'écria le comte en joignant les mains; mais se tournant tout à coup vers Bras-Rouge: Ceci est bien étrange, dit-il.

Le condamné sourit.

– Je vous comprends, répondit-il, vous vous demandez, n'est-ce pas, comment il se fait que, détenteur de lettres aussi compromettantes pour le prince d'Oppenheim, celui-ci ne se soit pas servi de la puissance qu'il possède pour me faire disparaître et rentrer en possession de ces preuves de sa culpabilité.

– En effet, répondit le comte étonné de se voir si bien deviné, le prince, mon beau-frère, est un homme d'une prudence extrême, il avait un trop grand intérêt à anéantir ces preuves accablantes pour lui.

– Certes, et il n'eût pas manqué, j'en suis convaincu, à employer les moyens les plus expéditifs pour réussir à cela; mais d'abord le prince ignorait que ces preuves fussent restées entre mes mains. Voici comment; chaque fois que, dans une lettre, il m'assignait un rendez-vous, dès qu'il arrivait je brûlais en sa présence une lettre en tout semblable à celle que j'avais reçue de lui, pour lui prouver avec quelle bonne foi j'agissais et quelle confiance j'avais en lui, de sorte que jamais il n'a supposé que je les eusse conservées; ensuite, aussitôt après l'accouchement de votre belle-sœur, supposant avec raison que le prince étant parvenu à son but, désirerait se défaire de moi, je le prévins en quittant le pays à l'improviste; je demeurai pendant trois ans à l'étranger. Au bout de ce temps, je fis courir le bruit de ma mort; je m'arrangeai de façon à ce que cette nouvelle parvint au prince, tout naturellement, et comme une chose certaine; puis je revins ici. Le prince n'avait jamais su mon nom; nous autres gentilshommes d'aventure, nous avons la coutume non seulement de changer souvent de pseudonyme, car l'incognito est pour nous une sauvegarde, mais encore d'en porter toujours trois ou quatre à la fois afin d'établir à notre égard une confusion, grâce à laquelle nous nous trouvons parfaitement en sûreté; en sorte que malgré ses démarches, si, ce que j'ignore, le prince en a tenté jamais, il n'a pas réussi, je ne dirai pas à me découvrir, mais seulement à constater mon existence.

– Mais dans quel but aviez-vous conservé ces lettres?

– Dans le but fort simple de m'en servir auprès de lui, afin de l'obliger par la crainte d'une révélation à me fournir les sommes dont j'aurais besoin, lorsque la fantaisie me prendrait de renoncer à ma périlleuse carrière. Surpris à l'improviste, je n'ai pu en faire l'usage que je désirais, mais maintenant je ne le regrette pas.

– Je vous remercie, répondit le comte avec effusion, mais afin de reconnaître un si grand service, n'est-il donc rien que je puisse faire pour vous, en l'extrémité où vous êtes?

Bras-Rouge jeta à la dérobée un regard autour de lui; afin de laisser au comte entière liberté de s'entretenir avec le condamné, l'aumônier et les deux militaires s'étaient retirés dans l'angle le plus éloigné du cachot, où ils paraissaient causer avec beaucoup d'animation.