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Les nuits mexicaines

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– Hélas! Monsieur le comte, dit-il en baissant la voix, il est trop tard maintenant; j'aurais voulu…

– Parlez, et peut-être, ce dernier désir, le pourrai-je satisfaire.

– Eh bien! Soit. Ce n'est pas la mort qui m'effraie, c'est de monter sur un échafaud ignoble, d'être livré vivant à la risée et aux avanies de cette populace que, si longtemps, j'ai vu trembler devant moi; voilà ce qui trouble mes derniers moments, et me rend triste. Je voudrais tromper l'attente de cette foule féroce qui se délecte dans l'espoir de mon supplice, et que le moment arrivé, on ne trouve plus que mon cadavre; vous voyez bien que vous ne pouvez rien pour moi, monsieur le comte.

– Vous vous trompez, répondit-il vivement, je puis tout au contraire; non seulement je vous soustrairai au supplice, mais encore, s'ils le veulent, vos deux compagnons y échapperont aussi par une mort volontaire.

Un éclair de joie brilla dans l'œil fauve du condamné.

– Vous dites vrai? s'écria-t-il.

– Silence, fit le comte; quel intérêt aurai-je à vous tromper, lorsqu'au contraire mon plus vif désir est de vous prouver ma gratitude.

– C'est vrai, mais par quel moyen?

– Écoutez-moi: cette bague que je porte au doigt renferme un poison d'une force extrême, il ne faut qu'ouvrir le chaton et respirer son contenu pour tomber mort; ce poison tue sans souffrance avec la rapidité de la foudre. Un de mes ancêtres rapporta cette bague de la Nouvelle-Espagne, où il avait été vice-roi. Vous connaissez la science profonde des Indiens pour composer les poisons; voici la bague, je vous l'offre, la voulez-vous?

– Certes, s'écria-t-il en s'en emparant et la cachant vivement dans sa poitrine; merci, monsieur le comte, vous ne me devez plus rien, nous sommes quittes; vous faites plus pour moi par le don de cette bague que je n'ai fait pour vous; grâces vous soit rendues! Je vous devrai d'échapper, ainsi que mes pauvres amis, au sort ignominieux qui nous attend.

Ils se rapprochèrent alors des autres personnes qui, voyant leur entretien terminé, avaient aussitôt cessé le leur.

– Messieurs, dit Bras-Rouge, je vous remercie sincèrement d'avoir daigné assister à la révélation que ma conscience m'ordonnait de faire, maintenant je me sens plus tranquille; quelques instants bien courts me séparent de la mort. Serait-ce trop vous demander que de vous prier de me laisser passer ces quelques instants auprès de mes deux compagnons qui, condamnés comme moi, doivent eux aussi mourir aujourd'hui.

– C'est une suprême consolation, dit l'aumônier. Le directeur de la prison réfléchit une minute.

– Je ne vois aucun inconvénient à vous accorder cette demande, dit-il enfin; je vais donner les ordres nécessaires pour que vos compagnons soient amenés ici, vous demeurerez ensemble jusqu'au moment de l'exécution.

– Merci, monsieur, s'écria Bras-Rouge avec effusion, cette grâce, la seule que vous me puissiez accorder, est pour moi d'un grand prix; soyez béni pour tant de bonté!

Sur l'ordre du directeur de la prison, la sentinelle appela le geôlier qui accourut et ouvrit le cachot.

– Adieu, messieurs, dit le condamné, Dieu soit avec vous!

Ils sortirent.

Le comte, après avoir pris congé de l'aumônier et des deux autres personnes, quitta la prison, traversa la place encombrée d'une foule immense et se hâta de rentrer chez lui.

En ce moment, six heures sonnèrent: c'était l'heure désignée pour l'exécution.

Tout à coup, comme par enchantement, un silence de mort régna dans cette foule, un instant auparavant si bruyante et si agitée.

Sa vengeance allait enfin être satisfaite.

XXV
LE VENGEUR

Aussitôt arrivé chez lui, le comte donna ses ordres pour le départ; il avait complètement oublié l'affaire pour laquelle il était venu à Bruneck; d'ailleurs, quand bien même il en eût été autrement cette affaire si importante qu'elle eût été pour lui ne l'eût pas retenu; tant était grande la hâte qu'il avait de s'éloigner.

Cependant force lui fut de demeurer pendant quelques heures encore dans la ville; il était impossible d'avoir des chevaux avant trois heures de l'après-dîner.

Il profita de ce contre-temps pour prendre un peu de repos. En effet, il était accablé de fatigues.

Il tomba bientôt dans un sommeil si profond, qu'il n'entendit même pas les cris et les vociférations furieuses de la foule rassemblée sur la place, en voyant que, au lieu de trois criminels, que depuis si longtemps elle attendait pour se repaître de leur supplice et savourer avec délice une vengeance si désirée, on ne lui livrait que trois cadavres.

Au moment où ils étaient entrés dans le cachot des condamnés pour les conduire au supplice, le geôlier et les hommes de justice n'avaient plus trouvé que des cadavres: les condamnés étaient morts.

Lorsque le comte se réveilla, tout était fini, les boutiques s'étaient rouvertes, la ville avait repris son aspect accoutumé.

Le comte s'informa de sa voiture; elle était attelée et attendait à la porte de la maison.

Les derniers apprêts furent bien vite terminés; le comte descendit.

– Où allons-nous, Excellence? demanda le postillon, la main au chapeau.

– Route de Vienne, répondit le comte en s'accommodant de son mieux dans le fond de la voiture.

Le postillon fit claquer son fouet; on partit à fond de train.

Le comte avait réfléchi; voici quel avait été le résultat de ses réflexions.

Une seule personne était assez puissante pour lui faire rendre bonne et prompte justice; cette personne était l'Empereur.

C'était donc à l'Empereur qu'il devait s'adresser; voilà pourquoi, il se rendait à Vienne.

Il y a loin de Bruneck à Vienne; à cette époque surtout où les chemins de fer n'étaient encore qu'à leur commencement et n'existaient que sur certaines lignes forts restreintes, les voyages étaient longs, fatigants et dispendieux.

Celui-ci dura vingt-sept jours.

Le premier soin du comte en arrivant fut de s'informer de Sa Majesté Impériale.

La cour se trouvait à Schönbrunn.

Or, Schönbrunn, le Saint-Cloud des empereurs d'Autriche, n'est qu'à une lieue et demie de Vienne.

Seulement, afin de ne pas perdre un temps précieux en fausses démarches, il fallait obtenir le plus tôt possible une audience de l'empereur.

Le comte Octave était de trop grande race pour attendre longtemps: deux jours après son arrivée à Vienne, une audience lui était accordée.

Le palais de Schönbrunn s'élève, ainsi que nous l'avons dit, à une lieue ou une lieue et demie au plus de Vienne, au-delà du faubourg de Mariahilf et un peu sur la gauche.

Ce palais impérial, commencé par Joseph Ier et terminé par Marie-Thérèse, est d'une construction simple, élégante, gracieuse, qui cependant ne manque pas d'une certaine majesté.

Il se compose d'un grand corps de logis avec deux ailes en retour, un double escalier formant perron couronne le péristyle et donne sur le premier étage. Des constructions basses, parallèles au bâtiment principal, servent de communs et d'écuries, et se relient à l'extrémité de chacune des ailes, en laissant seulement dans l'axe du perron une ouverture d'une dizaine de mètres, de chaque côté de laquelle se dresse un obélisque, achevant ainsi d'enceindre et de dessiner la cour.

Un pont jeté sur la Vienne, mince filet d'eau qui va se perdre dans le Danube, donne accès au château, derrière lequel s'étend, disposé en amphithéâtre, un magnifique jardin surmonté d'un belvédère placé au sommet d'une immense pelouse flanquée, à droite et à gauche, de magnifiques taillis pleins d'ombre, de fraîcheur et de gazouillement d'oiseaux.

Schönbrunn, rendu célèbre par le double séjour qu'y fit Napoléon Ier et la douloureuse agonie de son fils, porte en soi un cachet d'indicible tristesse et d'indéfinissable langueur, tout y est sombre, morne et désolé; la cour, avec sa formaliste étiquette et ses brillantes parades, ne réussit qu'imparfaitement, de loin en loin, à galvaniser ce cadavre, Schönbrunn, comme le palais de Versailles, n'est plus qu'un corps sans âme, rien ne saurait le rendre à la vie.

Le comte arriva à Schönbrunn dix minutes avant l'heure de son audience, fixée à midi.

Un chambellan de service l'attendait; il l'introduisit aussitôt près de Sa Majesté.

L'empereur était dans un salon particulier, il se tenait debout, appuyé à une cheminée.

La réception qu'il fit au comte fut des plus affables.

L'audience fut longue, elle dura près de quatre heures; nul n'a jamais su ce qui se passa entre le souverain et le sujet.

La dernière phrase de cet entretien confidentiel fut seule entendue.

Au moment où le comte prit enfin congé de l'empereur, Sa Majesté lui dit, en lui donnant sa main à baiser:

– Je crois que mieux vaut agir ainsi; il faut surtout, dans l'intérêt de toute la noblesse, éviter, à quelque prix que ce soit, le scandale affreux que soulèverait la publicité d'une aussi horrible affaire; mon appui ne vous manquera jamais; allez, monsieur le comte, Dieu veuille qu'avec les moyens que je mets à votre disposition vous réussissiez.

Le comte s'inclina avec respect et se retira.

Le soir même, il quitta Vienne et reprit le chemin qui devait le conduire chez lui.

En même temps que lui, un courrier de cabinet, expédié par l'empereur, partait sur la même route.

Arrivé à ce point de son récit, l'aventurier fit une pause, et, s'adressant au comte de la Saulay:

– Soupçonnez-vous, lui demanda-t-il, ce qui s'était passé entre l'empereur et le comte?

– A peu près, répondit celui-ci.

– Ah! fit-il avec étonnement, je serais curieux de connaître le résultat de vos observations.

– Vous m'autorisez donc à vous le dire?

– Certes.

– Mon cher don Adolfo, reprit le comte, ainsi que vous le savez, je suis de noblesse; en France, le roi n'est que le premier gentilhomme de son royaume, le primus inter pares, je suppose qu'il en doit être ainsi à peu près partout; or, une attaque quelconque contre un des membres de la noblesse touche aussi sérieusement le Souverain que tous les autres nobles de l'empire; lorsque le Régent de France condamna le comte de Horn à être rompu vif en place de Grève, pour avoir volé et assassiné un juif, rue Quincampoix, il répondit à un seigneur de la cour qui intercédait près de lui en faveur du coupable et lui représentait que le comte de Horn, allié à des familles souveraines, était son parent: lorsque j'ai du mauvais sang, je me le fais tirer, et il tourna le dos au solliciteur; ce qui n'empêcha pas la noblesse d'envoyer ses carrosses à l'exécution du comte de Horn. Or, le fait dont vous parlez est à peu près semblable; seulement, l'empereur d'Autriche, moins brave que le Régent de France, tout eu reconnaissant que justice devait être faite du coupable, a reculé devant une publicité qui, selon lui, devait frapper d'un stigmate d'infamie la noblesse tout entière de son pays; alors, comme tous les hommes faibles, il s'est arrêté à une demi-mesure, c'est-à-dire qu'il a probablement donné au comte un blanc-seing au moyen duquel celui-ci, sous le premier prétexte venu, pouvait courir sus à son noble parent, le tuer ou le faire assassiner même, sans autre forme de procès, et, de cette façon, obtenir, en supprimant son ennemi, la justice qu'il réclamait, puisque le prince mort, il serait facile de rendre à sa belle-sœur ou à son fils, si on parvenait à le retrouver, les titres et la fortune que son oncle lui avait si criminellement ravis. Voilà ce qui, à mon avis, a dû être convenu entre l'empereur et le comte dans cette longue audience donnée à Schönbrunn.

 

– Les choses se passèrent ainsi, en effet, monsieur le comte; seulement, l'empereur exigea que les hostilités ne commenceraient entre le comte et le prince que lorsque celui-ci serait hors des frontières de l'empire, et le comte demanda à l'empereur de mettre à sa disposition tous les moyens d'action dont il disposait, afin d'essayer de retrouver son neveu, si par hasard il existait encore, ce à quoi l'empereur avait consenti.

Le comte retournait donc à son château muni d'un blanc-seing de Sa Majesté, lequel blanc-seing lui donnait les pouvoirs les plus étendus pour poursuivre sa vengeance, et, en outre, d'un ordre écrit tout entier de la main de Sa Majesté, pour se faire prêter à volonté le concours de tous les agents impériaux, en Autriche comme à l'étranger, et cela à sa première réquisition.

Le comte, ainsi que vous le comprenez sans doute, n'était que médiocrement satisfait des conditions que lui avait imposées l'empereur; mais reconnaissant l'impossibilité d'obtenir davantage, force lui fut de se résigner.

Pour lui, il eût certes préféré, quelles qu'en dussent être les conséquences, un procès au grand jour à la vengeance honteuse et mesquine qu'on lui permettait; mais mieux valait encore, dans l'intérêt de sa sœur et de son neveu, avoir obtenu ces demi concessions que de s'être inutilement brisé contre un parti pris et un refus formel.

Il se mit donc immédiatement en mesure de chercher son neveu; pour cette recherche, les papiers que lui avait remis Bras-Rouge contenaient des renseignements précieux; sans rien dire à sa sœur, de crainte de lui donner de fausses espérances, il se mit immédiatement en campagne. Que vous dirai-je de plus, mes amis? Ses recherches furent longues, elles durent encore; cependant la situation commence à s'éclaircir, le comte a été assez heureux pour retrouver son neveu; depuis cette découverte, il n'a jamais perdu ce jeune homme de vue, bien que celui-ci ignore encore aujourd'hui les liens sacrés qui l'attachent à l'homme qui l'a élevé et qu'il aime comme un père; le comte a gardé ce secret même vis-à-vis de sa sœur, ne voulant le lui révéler qu'en lui annonçant en même temps que justice est faite enfin et que le mari qu'elle pleure depuis tant d'années est vengé.

Bien souvent, depuis cette époque, les deux ennemis se sont trouvés en présence; bien des occasions se sont offertes au comte de tuer son ennemi, jamais il ne s'est laissé emporter par sa haine, ou, pour être plus vrai, sa haine lui a donné la force d'attendre; le comte veut tuer son ennemi, mais il veut auparavant que celui-ci se soit déshonoré et qu'il tombe, non pas vaincu dans une lutte honorable, mais frappé justement, comme un criminel qui reçoit enfin le châtiment de ses forfaits.

Après avoir prononcé ces dernières paroles, l'aventurier se tut.

Il y eut un long silence entre les trois interlocuteurs.

La nuit finissait; des lueurs blanchâtres commençaient à filtrer à travers les fenêtres entr'ouvertes; la lueur des bougies pâlissait; de sourdes rumeurs annonçaient que la ville s'éveillait et les cloches éloignées des couvents et des églises appelaient les fidèles à la première messe.

L'aventurier quitta sa chaise et marcha de long en large dans la salle, jetant parfois à la dérobée un regard perçant sur ses deux compagnons.

Dominique renversé en arrière sur le dos de sa butaca, les yeux à demi fermés, fumait machinalement dans sa pipe indienne. Le comte de la Saulay tambourinait du doigt une fanfare sur la table, tout en suivant du coin de l'œil les évolutions de l'aventurier.

– Don Adolfo, lui dit-il enfin brusquement en relevant la tête et le regardant bien en face, votre récit est-il donc terminé?

– Oui, répondit laconiquement l'aventurier.

– Vous n'avez rien à ajouter?

– Non.

– Eh bien, excusez-moi, mon ami, mais je crois que vous vous trompez.

– Je ne vous comprends pas, mon cher comte.

– Je m'explique, mais à une condition.

– Laquelle?

– Que vous ne m'interromprez point.

– Soit, si vous l'exigez, maintenant je vous écoute.

Et il recommença sa promenade.

– Mon ami, dit le comte, le premier visage sympathique que j'ai rencontré en débarquant en Amérique a été le vôtre; bien que placés tous deux dans des situations fort différentes, le hasard s'est plu à nous réunir avec tant de persistance, que ce qui n'était d'abord entre nous qu'une liaison passagère est devenu, sans que ni vous ni moi ne sachions comment, une affection sincère et profonde; on ne se lie pas avec un homme comme je l'ai fait avec vous, sans étudier un peu le caractère de cet homme, c'est ce que j'ai fait et ce que de votre côté vous avez fait sans doute à mon égard; or, je crois vous connaître assez particulièrement, mon ami, pour être convaincu que vous n'êtes pas arrivé ainsi cette nuit à l'improviste dans notre maison, dans le seul but de souper, tranchons le mot, de faire une débauche qui n'est ni dans votre caractère ni dans vos mœurs, vous l'homme le plus sincèrement sobre que jamais j'ai fréquenté; en sus, je me demande pourquoi vous, si avare de vos paroles et surtout de vos secrets, vous nous avez fait ce récit fort intéressant, j'en conviens, mais qui en apparence ne nous touche en aucune façon et ne doit avoir pour nous qu'un intérêt fort secondaire; à ceci je réponds, que si vous êtes ainsi venu ce soir nous demander un souper dont vous vous seriez très bien passé, à part le plaisir que nous a causé votre visite, vous êtes venu expressément pour nous faire ce récit; que ce récit vous intéresse plus que nous peut-être, et je conclus que vous avez encore quelque chose à nous dire, ou pour être plus clair, à nous demander.

– Ma foi, c'est évident, dit Dominique.

– Eh bien, oui, tout ce que vous avez supposé est vrai; le souper n'était qu'un prétexte, et je ne suis en réalité venu cette nuit ici que dans l'intention de vous raconter l'histoire que vous avez entendue.

– A la bonne heure, au moins, dit joyeusement Dominique, voilà de la franchise.

– Seulement je vous l'avoue, reprit l'aventurier avec tristesse, maintenant j'hésite parce que j'ai peur.

– Vous avez peur, vous, et de quoi? s'écrièrent les deux jeunes gens avec surprise.

– J'ai peur, parce que cette histoire si longue doit prochainement avoir un dénouement, que ce dénouement sera terrible, qu'en venant ici j'avais l'intention de vous demander votre concours, que depuis j'ai réfléchi, et que je recule devant la pensée, vous si jeunes, si heureux et si insouciants, de vous mêler indirectement à cette horrible histoire, à laquelle vous devez demeurer étrangers; je vous en prie, mes amis, oubliez tout ce que vous avez entendu; ce n'est qu'un récit fait après boire.

– Non, sur mon honneur, don Adolfo, s'écria le comte avec énergie, il n'en sera pas ainsi, je vous le jure, je parle pour moi et pour Dominique; vous avez besoin de nous, nous voici; je ne sais quel intérêt mystérieux vous avez dans cette affaire, je ne veux même pas essayer d'approfondir les motifs qui vous font agir, mais je vous le répète, nous éloigner de vous lorsque vous allez courir un grand danger, qu'en le partageant nous pouvons peut-être vous faire éviter, serait nous prouver que vous n'avez pour nous ni estime ni amitié et que vous nous considérez plutôt comme des jeunes gens sans consistance que comme des hommes de cœur.

– Vous allez trop loin, mon cher comte, s'écria vivement l'aventurier, jamais je n'ai eu de telles idées; loin de là, seulement, je vous le répète, je tremble à la pensée de vous mêler à cette affaire qui ne vous regarde pas.

– Pardonnez-moi, mon ami, de l'instant où elle vous intéresse, elle nous regarde, et nous avons le droit de nous y mêler.

L'aventurier baissa la tête et recommença à marcher avec agitation dans la salle.

– Eh bien, soit, dit-il au bout d'un instant, puisque vous l'exigez, mes amis, nous agirons de concert, vous m'aiderez dans ce que j'ai entrepris, j'ai l'espoir que nous réussirons.

– Moi, j'en ai la conviction, dit le comte.

– Partons alors, dit Dominique en se levant de table.

– Pas encore, mais le moment est proche; je vous jure que vous n'aurez pas longtemps à attendre; maintenant une dernière santé et adieu. – Ah! J'oubliais: au cas où je ne pourrais pas venir moi-même voici le mot de ralliement; un et deux font trois. C'est bien simple, vous vous en souviendrez, n'est-ce pas?

– Parfaitement.

– Alors, adieu!

Cinq minutes plus tard, il avait quitté la maison.

XXVI
HEURES DE SOLEIL

La petite maison du faubourg dans laquelle doña Dolores avait trouvé un si sûr abri, entre doña Maria et doña Carmen, bien que simple et comparativement très peu importante, était une délicieuse habitation, meublée fort simplement; mais avec un goût parfait. Par derrière, chose rare à México, s'étendait une huerta mignonne, mais bien dessinée, garnie de taillis touffus, pleins d'ombrages et de fraîcheur, qui offraient de charmantes retraites contre les ardeurs du soleil à l'heure torride de midi.

C'était au fond de ces bosquets odorants que les deux jeunes filles se venaient cacher pour caqueter et gazouiller en liberté, répondant par les doux éclats de leurs rires cristallins aux chants joyeux des oiseaux.

Trois personnes avaient seules entrée dans cette maison; ces trois personnes étaient l'aventurier, le comte et Dominique.

L'aventurier, sans cesse absorbé par ses mystérieuses occupations, n'y faisait que de rares et courtes apparitions.

Il n'en était pas de même des jeunes gens.

Pendant les premiers jours, ils s'étaient strictement conformés aux recommandations de leur ami, et n'avaient fait que des visites courtes, et pour ainsi dire furtives; mais peu à peu entraînés par le charme invisible gui les attirait à leur insu, les visites s'étaient multipliées, étaient devenues plus longues et, inventant toutes sortes de prétextes, ils en étaient arrivés à passer leurs journées presque tout entières auprès des dames.

Un jour, tandis que les habitants de la petite maison, retirés au fond de leur jardin, causaient gaiement entre eux, un tumulte affreux se fit entendre au dehors.

Le vieux domestique accourut tout effarés prévenir sa maîtresse qu'une bande de bandits, rassemblés devant la maison, exigeaient qu'on leur en ouvrît la porte, menaçant de la briser si on ne voulait pas y consentir.

Le comte rassura doña Maria, lui dit de ne rien craindre, et après l'avoir engagée à ne pas sortir du jardin, ainsi que les jeunes filles, lui et Dominique s'avancèrent vers la porte de la maison.

Raimbaut était par hasard venu quelques instants auparavant apporter une lettre à son maître, sa présence, en cette circonstance, était fort précieuse.

Les trois hommes prirent leurs fusils doubles et leurs revolvers, et après s'être concertés entre eux en quelques mots, le comte s'approcha de la porte contre laquelle on frappait du dehors à coups redoublés et ordonna au vieux domestique de l'ouvrir.

 

A peine la porte fût-elle entr'ouverte, qu'il y eut une poussée épouvantable, et une dizaine d'individus se précipitèrent dans le zaguán, avec des cris et des hurlements furieux.

Mais tout à coup ils s'arrêtèrent.

Devant eux, à dix pas au plus, trois hommes se tenaient immobiles, le fusil à l'épaule, prêts à lâcher la détente.

Sans armes, pour la plupart, tant ils étaient convaincus de ne pas rencontrer de résistance, et ne possédant que les couteaux passés à leurs ceintures, les bandits demeurèrent frappés d'épouvante à la vue des fusils dirigés contre eux.

La fière contenance de ces trois hommes leur imposa, ils hésitèrent, et finalement s'arrêtèrent en se jetant l'un à l'autre des regards effarés.

Ce n'était pas ce qu'on leur avait annoncé: cette maison, si calme en apparence, renfermait une garnison formidable.

Le comte donna son fusil à tenir au vieux domestique et s'armant d'un revolver à six coups, il s'avança résolument vers les bandits.

Ceux-ci, par un mouvement contraire, commencèrent à reculer pas à pas, si bien que bientôt ils touchèrent la porte, alors se retournant d'un bond, ils s'élancèrent au dehors.

Le comte ferma tranquillement la porte derrière eux.

Les jeunes gens rirent aux éclats de leur facile victoire, et rejoignirent les dames blotties toutes tremblantes, au fond d'un bosquet.

Cette leçon avait suffi; depuis, le calme des habitants de la petite maison n'avait plus été troublé.

Néanmoins, doña Maria, reconnaissante du service que lui avaient rendu les jeunes gens, non seulement ne trouvait plus qu'ils lui faisaient de trop longues visites, mais encore, lorsqu'ils voulaient, par convenance, prendre congé, elle les engageait à demeurer davantage.

Il est vrai que les jeunes filles joignaient leurs prières aux siennes, de sorte que le comte et son ami, se laissaient facilement convaincre de demeurer, et passaient ainsi la plus grande partie de leurs journées auprès d'elles.

C'était le lendemain même de la nuit passée par don Adolfo chez ses amis à souper si copieusement; midi avait depuis longtemps déjà sonné à toutes les églises de la ville, et les jeunes gens, qui d'ordinaire se présentaient vers onze heures du matin chez doña Maria, n'avaient point encore paru.

Les deux jeunes filles réunies dans la salle à manger, feignaient de ranger et d'épousseter les meubles pour ne pas aller rejoindre doña Maria, qui depuis longtemps déjà les attendait au jardin.

Bien qu'elles ne se parlassent pas, les jeunes filles tout en rangeant ou plutôt dérangeant les meubles, avaient sans cesse les yeux fixés sur la pendule.

– Comprenez-vous, Carmencita, dit enfin doña Dolores en faisant une moue charmante, que mon cousin ne soit pas encore venu.

– C'est inconcevable, querida, répondit aussitôt doña Carmen, je vous avoue que je suis fort inquiète, la ville est, dit-on, bouleversée en ce moment; pourvu qu'il ne soit rien arrivé de fâcheux à ces pauvres jeunes gens.

– Oh! Ce serait affreux qu'il leur fût arrivé malheur.

– Que deviendrions-nous seules et sans protection dans cette maison? Où sans leurs secours déjà nous aurions été assassinées.

– D'autant plus que nous ne pouvons compter sur don Jaime, qui toujours est absent.

Les deux jeunes filles poussèrent un soupir, se regardèrent un instant en silence, puis tombèrent dans les bras l'une de l'autre en fondant en larmes.

Elles s'étaient comprises.

Ce n'étaient pas pour elles qu'elles craignaient.

– Tu l'aimes donc? demanda enfin doña Dolores d'une voix base et entrecoupée à l'oreille de son amie.

– Oh! Oui, répondit-elle doucement, et toi?

– Moi, aussi.

L'aveu était fait, elles s'entendaient maintenant et n'avaient plus rien à se cacher.

– Depuis quand l'aimes-tu? reprit doña Carmen.

– Je ne sais pas, il me semble que je l'ai aimé toujours.

– C'est comme moi.

Rien n'est aussi doux et aussi pur qu'un naïf amour de jeune fille. C'est l'âme à peine éveillée aux sensations humaines, qui cherche ses belles ailes d'ange pour s'envoler vers les régions inconnues de l'idéal.

– Et lui, t'aime-t-il? demanda doucement Carmen.

– Puisque je l'aime.

– C'est vrai, fit-elle convaincue.

L'amour a cela d'adorable en soi, qu'il est essentiellement illogique, sans cela ce ne serait pas l'amour. Soudain les deux jeunes filles se redressèrent en portant la main à leur cœur.

– Le voilà, dit Dolores.

– Il vient, fit Carmen.

Comment le savaient-elles? Le plus profond silence régnait au dehors.

Abandonnant alors la salle à manger, elles s'envolèrent au jardin comme deux colombes effarouchées.

Presqu'aussitôt on heurta à la porte.

Le vieux domestique reconnut sans doute qui frappait ainsi, car il se hâta d'ouvrir.

Le comte et son ami entrèrent.

– Ces dames? demanda le comte.

– A la huerta, Excellence, répondit le domestique eu refermant la porte derrière eux.

Les dames étaient assises dans un bosquet, doña Maria brodait, les jeunes filles lisaient fort attentivement en apparence, si attentivement, même, que bien qu'elles fussent subitement devenues rouges, elles n'entendirent pas crier les pas des visiteurs sur le sable des allées, et furent fort surprises en les apercevant.

Ceux-ci se découvrirent en entrant sous le bosquet et saluèrent respectueusement les dames.

– Vous voici donc enfin, messieurs, dit en souriant doña Maria; savez-vous que vous nous avez fort inquiétées?

– Oh! fit doña Carmen en avançant les lèvres.

– Pas beaucoup, murmura doña Dolores, ces messieurs ont sans doute trouvé autre part une occasion de se divertir, et ils en ont profité.

Le comte et Dominique regardèrent les jeunes filles avec surprise, ils ne comprenaient pas.

– Voyons, voyons, petites folles, dit doucement doña Maria, ne tourmentez pas ainsi ces pauvres jeunes gens, vous les rendez tout confus, il est probable que s'ils ne sont pas venus plus tôt c'est que cela leur a été impossible.

– Oh! Ces messieurs sont parfaitement libres de venir lorsque cela leur plaît, dit dédaigneusement doña Dolores.

– Nous nous garderons bien de les chicaner pour si peu, ajouta Carmen sur le même ton.

Ce fut le coup de grâce pour les jeunes gens, ils perdirent complètement contenance.

Les moqueuses enfants les regardèrent un instant à la dérobée, puis elles éclatèrent d'un rire si franc, si soudain, que le comte et Dominique en pâlirent de dépit.

– Vive Dieu! s'écria le vaquero, en frappant du pied avec colère, c'est aussi être trop méchant de nous punir ainsi d'une faute que nous n'avons pas commise.

– Don Adolfo nous a retenu malgré nous, dit le comte.

– Vous avez vu don Jaime? demanda doña Maria.

– Oui, madame, cette nuit vers onze heures il est venu nous visiter.

Les jeunes gens prirent alors des sièges et la conversation continua sur un ton enjoué.

Doña Carmen et Dolores continuèrent à les lutiner; elles étaient heureuses de leur avoir fait perdre aussi complètement contenance, bien qu'elles leur gardassent intérieurement rancune de ne pas avoir été comprises, sur le sentiment qui dictait leurs reproches.

Quant au comte et à Dominique, ils se sentaient heureux de se trouver près de ces belles et naïves jeunes filles; ils s'enivraient au feu de leurs regards, écoutaient avec ravissement la douce musique de leur voix, sans penser à autre chose qu'à jouir le plus longtemps possible du facile bonheur qui leur était ainsi procuré.

Toute l'après-dîner s'écoula ainsi pour eux avec la rapidité d'un songe.

A neuf heures du soir ils se retirèrent.

Ils regagnèrent leur maison sans échanger une parole.

– As-tu envie de dormir? demanda le comte à son ami dès qu'ils furent dans leur appartement.

– Ma foi non, répondit celui-ci; pourquoi?

– C'est que je désirerais causer avec toi.

– Ma foi, mon ami, cela se trouve parfaitement; moi aussi j'ai à te parler.

– Ah! fit le comte; eh bien, si tu le veux nous causerons tout en fumant un cigare et en buvant un grog.

– Je ne demande pas mieux.

Les deux jeunes gens s'installèrent en face l'un de l'autre et allumèrent leurs cigares.