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Les nuits mexicaines

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– Oh! Mon cousin, fit la jeune fille d'un ton de doux reproche, pourquoi avoir ainsi abusé d'un secret?

– Que vous ne m'aviez pas confié, mais que j'ai deviné, répondit-il.

– Traître! dit la jeune fille en se levant subitement et en menaçant son cousin du doigt, si vous avez deviné mon secret, j'ai surpris le vôtre.

Et elle disparut, s'envolant légère comme un oiseau, et laissant les deux hommes face-à-face. Dominique, étonné de cette fuite imprévue qu'il ne savait à quel motif attribuer, fit un mouvement pour s'élancer à sa poursuite, mais le comte l'arrêta.

– Demeure, lui dit-il; le cœur des jeunes filles a des mystères qui ne doivent pas être dévoilés. Que veux-tu de plus, maintenant que tu es sûr de son amour?

– Oh! Mon ami, s'écria-t-il en se jetant dans ses bras, je suis le plus heureux des hommes.

– Egoïste, lui dit doucement le comte, qui ne songe qu'à lui lorsque mon âme souffre peut-être sans espoir!

Doña Dolores n'avait fui aussi vite le bosquet que pour rétablir un peu d'ordre dans ses pensées, et se remettre de la trop forte émotion qu'elle venait d'éprouver.

Comme elle allait entrer dans la maison, Carmen en sortit.

Dolores se jeta dans ses bras en fondant en larmes. La jeune fille, effrayée de l'état dans lequel elle voyait son amie, la conduisît doucement jusqu'à sa chambre, où celle-ci se laissa mener machinalement sans opposer la plus légère résistance.

Doña Dolores demeura longtemps avant de pouvoir raconter à son amie ce qui s'était passé dans le bosquet, et comment l'arrivée imprévue de Dominique l'avait pour ainsi dire obligée à laisser échapper l'aveu de son amour.

Doña Carmen, qui était loin de s'attendre à un dénouement si prompt et surtout si heureux, fut au comble de la joie.

Plus de contrainte désormais, plus de malentendus, elles pourraient sans arrière-pensée se livrer à leurs doux rêves d'avenir. Qu'avaient-elles à redouter, maintenant qu'elles étaient sûres de l'amour des deux jeunes gens? Quel obstacle pourrait empêcher leur prompte union?

Ainsi raisonnait doña Carmen, pour rassurer la pudeur un peu effarouchée de son amie par l'aveu qui malgré elle lui avait échappé et la remplissait de honte.

Les jeunes filles sont ainsi, qu'elles consentent à ce que celui qu'elles aiment devine leur amour, mais qu'elles considèrent comme une impardonnable faiblesse d'en convenir devant lui.

Carmen, plus âgée de quelques années que Dolores et par conséquent plus forte contre ses propres émotions, railla doucement son amie de sa faiblesse, et l'amena peu à peu à convenir avec elle que, puisque l'aveu de son amour était fait, elle ne le regrettait pas.

Elles quittèrent alors leur chambrette, et, composant leur visage pour en effacer toute trace d'émotion, elles se rendirent au jardin.

Il était désert.

XXIX
LE COUP DE MAIN

En retournant de quelques pas en arrière, nous raconterons ce qui s'était passé depuis le jour où Miramón avait si librement disposé de l'argent des bons de la Convention déposé au consulat anglais jusqu'à celui où notre histoire est arrivée; car les événements politiques, non seulement ne furent pas étrangers, mais encore précipitèrent le dénouement de l'histoire que nous avons entrepris d'écrire.

Ainsi que don Jaime le lui avait prédit, la façon tant soit peu brutale dont le général Márquez avait exécuté ses ordres, et l'acte même foncièrement illégal de s'emparer des fonds de la Convention, avait fatalement entaché le caractère jusque-là si pur de tout arbitraire et de toute spoliation du jeune président.

En apprenant cette nouvelle, les membres du corps diplomatique, entre autres l'ambassadeur d'Espagne et le chargé d'affaires de France, qui penchaient plutôt pour Miramón que pour Juárez, à cause de la noblesse de son caractère et de l'élévation de ses vues, avaient, dès ce moment, considéré la cause du parti modéré représenté par Miramón comme irrémissiblement perdue, à moins d'un de ces miracles si fréquents en révolution, mais dont rien ne faisait soupçonner la possibilité. D'ailleurs, la somme comparativement fort importante des bons de la Convention, jointe à celle que don Jaime avait fait remettre au président, n'avait pas suffi, non pas à combler le déficit, il était énorme, mais seulement à le diminuer sensiblement.

La plus grande partie de l'argent avait été employée à payer les soldats qui, n'ayant pas touché de solde depuis trois mois, commençaient à faire entendre des cris séditieux et menaçaient de déserter en masse.

L'armée payée ou à peu près, Miramón ouvrit des enrôlements dans le but de l'augmenter, afin de tenter une dernière fois la fortune des combats, résolu à défendre pied à pied le pouvoir qui lui était librement confié par les représentants de la nation.

Cependant, malgré la confiance qu'il affectait, le jeune et aventureux général ne se faisait pas illusion sur ce que sa position avait de déplorable, vis-à-vis des forces de plus en plus considérables et réellement imposantes des puros, ainsi que se nommaient eux-mêmes les partisans de Juárez; aussi, avant de jouer sa dernière partie, voulût-il essayer du dernier moyen en son pouvoir c'est-à-dire une médiation diplomatique.

L'ambassadeur d'Espagne, à son arrivée au Mexique, avait reconnu le gouvernement de Miramón; ce fut donc à ce diplomate, qu'en désespoir de cause, s'adressa le président aux abois, dans le but d'obtenir une médiation des ministres résidents afin de tenter par la conciliation d'arriver au rétablissement de la paix, proposant de se soumettre à certaines conditions dont voici les plus importantes:

Premièrement, les délégués choisis par les deux partis belligérants, conférant avec les ministres européens et celui des États-Unis, conviendraient de la façon de rétablir la paix.

Secondement: Ces délégués nommeraient la personne qui devrait conserver le gouvernement de toute la république pendant qu'une assemblée générale résoudrait les questions qui divisaient les Mexicains.

Troisièmement enfin: on déterminerait également la manière de convoquer le Congrès.

Cette dépêche, adressée le 3 octobre 1860 au ministre d'Espagne, se terminait par ces paroles significatives qui montraient bien la lassitude de Miramón et le désir réel qu'il avait d'en finir:

«Dieu veuille que cette convention, tentée confidentiellement, obtienne un meilleur résultat que celles qui jusqu'à ce jour ont été proposées.»

Ainsi que tout le faisait supposer, cette tentative suprême de réconciliation échoua.

Le motif en était simple et facile à comprendre pour les gens même les plus en dehors de la politique.

Juárez, maître de la plus grande partie du territoire de la république, se sentait dans son gouvernement de Veracruz trop fort par l'épuisement de son adversaire, pour ne pas se montrer intraitable sur le fond même de la question; il voulait non pas partager la position par des concessions réciproques, mais bien triompher intégralement.

Pourtant, comme un brave lion acculé par les chasseurs, Miramón avait toujours foi dans sa valeureuse épée si souvent victorieuse, il ne désespérait pas encore ou plutôt il ne voulait pas désespérer; afin de retenir les lambeaux épars de ses derniers défenseurs, le l7 novembre, il leur adressa un suprême appel, dans lequel il s'efforça de ranimer les étincelles mourantes de sa cause perdue déjà, essayant de donner à ceux qui l'entouraient encore l'énergie qu'il conservait intacte en lui-même.

Malheureusement, la foi avait fui, ces paroles tombaient dans des oreilles fermées par l'intérêt personnel et la peur; nul ne voulut comprendre ce cri suprême de l'agonie d'un grand et sincère patriote.

Cependant, il fallait prendre une résolution quelconque, renoncer à continuer la lutte et déposer le pouvoir, ou tenter de nouveau le sort des armes et résister jusqu'à la dernière extrémité.

Ce fut cette dernière résolution qui après mûres réflexions fut adoptée par le général.

La nuit touchait à son terme; des lueurs bleuâtres filtraient à travers les rideaux et faisaient pâlir les bougies allumées dans le cabinet où une fois déjà nous avons conduit le lecteur pour le faire assister à l'entretien du général président et de l'aventurier.

Cette fois encore les deux mêmes interlocuteurs se trouvaient face-à-face dans le cabinet.

Les bougies presque entièrement brûlées montraient que la veillée avait été longue, les deux hommes courbés sur une immense carte semblaient l'étudier avec la plus sérieuse attention, tout en causant entre eux avec une certaine animation.

Tout à coup le général se redressa avec un mouvement d'humeur et se laissa tomber dans un fauteuil.

– Bah! murmura-t-il entre ses dents, à quoi bon s'obstiner contre la mauvaise fortune?

– Pour la vaincre, général, répondit l'aventurier.

– C'est impossible.

– Vous désespérez? Vous? dit-il avec intention.

– Je ne désespère pas; loin de là, je suis au contraire résolu à me faire tuer s'il le faut, plutôt que de subir la loi que prétend m'imposer ce misérable Juárez, cet Indien haineux et vindicatif ramassé par pitié sur le bord d'une route par un Espagnol, et qui ne se sert des connaissances qu'il a acquises, et de l'éducation de hasard qu'il a reçue, que pour déchirer sa patrie et la plonger dans un gouffre de malheurs.

– Que voulez-vous faire à cela, général? répondit railleusement l'aventurier. Qui sait? Peut-être l'Espagnol dont vous pariez n'a-t-il élevé cet Indien que dans le but d'accomplir une vengeance et dans la prévision de ce qui se passe aujourd'hui?

– Tout porterait à te croire, sur mon âme. Jamais homme n'a suivi avec une patience plus féline les plus ténébreux projets et n'a accompli plus d'odieuses actions avec un cynisme plus effronté.

– N'est-ce pas le chef des Puros? dit en riant l'aventurier.

 

– Maudit soit cet homme! s'écria le général dans un mouvement de généreuse indignation dont il ne fut pas maître; il veut la ruine de notre malheureux pays.

– Pourquoi ne pas vouloir suivre mon conseil?

Le général haussa les épaules avec impatience.

– Eh! Mon Dieu, dit-il, parce que le plan que vous m'avez soumis, est impraticable.

– Ce motif est-il bien réellement le seul qui vous empêche de l'adopter? demanda-t-il finement.

– Et puis, reprit le général avec un léger embarras, puisque vous m'y contraignez, parce que je le trouve indigne de moi.

– Oh! Général, permettez-moi de vous faire observer que vous ne m'avez pas compris.

– Allons donc, vous plaisantez, mon ami, je vous ai si bien compris au contraire que si vous y tenez je vous répéterai mot pour mot le plan que vous avez conçu, et, ajouta-t-il en riant, que par amour-propre d'auteur, vous tenez tant à me voir mettre à exécution.

– Ah! fit l'aventurier d'un air de doute.

– Eh bien, ce plan, le voici; sortir, de la ville à l'improviste, ne pas prendre d'artillerie avec moi, afin de marcher plus vite; à travers des chemins perdus, surprendre l'ennemi, l'attaquer.

– Et le battre, ajouta l'aventurier avec intention.

– Oh! Le battre… fit-il avec doute.

– C'est immanquable; remarquez donc, général, que vos ennemis vous supposent avec raison enfermé dans la ville, occupé à vous y fortifier dans la prévision du siège dont ils vous menacent; que, depuis la défaite du général Márquez, ils savent qu'aucun de vos partisans ne tient la campagne, que, par conséquent, ils n'ont pas d'attaque à redouter et qu'ils marchent avec la sécurité la plus entière.

– C'est vrai, murmura le général.

– Aussi, rien ne sera-t-il plus facile que de les mettre en déroute; la guerre de partisan est la seule non seulement que vous puissiez faire aujourd'hui, mais qui vous offre des chances de succès à peu près certaines; en harcelant sans cesse vos ennemis, en les battant en détail, vous avez l'espoir de ressaisir la fortune qui vous abandonne et de vous délivrer de votre odieux compétiteur. Ayez seulement le dessus dans trois ou quatre rencontres avec ses troupes, et vos partisans qui vous abandonnent parce qu'ils vous croient perdu vous reviendront en foule, et cette formidable armée de Juárez fondra comme la neige au soleil.

– Oui, oui, je comprends ce qu'il y a de hardi dans ce plan.

– D'ailleurs, il vous offre une chance suprême.

– Laquelle?

– Celle, si vous êtes vaincu, d'anoblir votre chute en tombant les armes à la main sur un champ de bataille au lieu de vous laisser enfumer comme un renard dans un terrier par un ennemi que vous méprisez, et de vous voir dans quelques jours contraint d'accepter une capitulation honteuse, afin d'éviter à la capitale de la république, les horreurs d'un siège.

Le général se leva et commença à marcher à grands pas dans le cabinet; au bout d'un instant il s'arrêta devant l'aventurier.

– Merci, don Jaime, lui dit-il d'une voix affectueuse, merci! Votre rude franchise m'a fait du bien, elle m'a prouvé qu'il me reste au moins un ami fidèle dans la mauvaise fortune; eh bien, soit j'adopte votre plan, aujourd'hui même je le mettrai à exécution; quelle heure est-il?

– Pas tout-à-fait quatre heures du matin, général.

– A cinq heures, j'aurai quitté México.

L'aventurier se leva.

– Vous me quittez, mon ami, lui dit le président.

– Ma présence n'est plus nécessaire ici, général; permettez-moi de me retirer.

– Nous nous reverrons.

– Au moment de la bataille, oui, général. Où comptez-vous attaquer l'ennemi?

– Là, dit le général, en posant le doigt sur un point de la carte, à Toluca, où son avant-garde n'arrivera pas avant deux heures de l'après-dîner; en faisant diligence, je puis l'atteindre vers midi et avoir ainsi le temps nécessaire à tout préparer pour le combat.

– L'endroit est bien choisi, je vous prédis une victoire, général.

– Dieu vous entende! Moi je n'y crois pas.

– Encore votre découragement.

– Non, mon ami, vous vous trompez; ce n'est pas découragement de ma part, c'est conviction.

Et il tendit affectueusement la main à l'aventurier qui prit congé et se retira.

Quelques instants plus tard, don Jaime avait quitté México et penché sur le cou de son cheval il courait à fond de train en rase campagne.

XXX
LA SORTIE

Ainsi que Miramón l'avait dit à l'aventurier, à cinq heures précises il sortait de México à la tête de ses troupes.

Ses forces n'étaient pas nombreuses; elles ne se composaient que de trois mille cinq cents hommes, infanterie et cavalerie, sans artillerie, à cause des chemins perdus à travers lesquels il devait marcher.

Chaque cavalier portait un fantassin en croupe, afin de rendre la marche plus rapide.

C'était réellement un coup de main que le président allait tenter, coup de main des plus hasardeux, mais qui, pour cette raison même, avait de nombreuses chances de succès.

Le général Miramón chevauchait en tête de l'armée, au milieu de son état major avec lequel il causait gaiment; on aurait dit, à le voir allant ainsi calme et souriant, que nulle préoccupation n'attristait son esprit, il semblait en quittant México avoir repris cette heureuse insouciance de la jeunesse que les soucis du pouvoir lui avaient si vite fait oublier.

La matinée bien qu'un peu fraîche présageait un beau jour: un transparent brouillard s'élevait de la terre pompé par les rayons de plus en plus ardents du soleil. Quelques rares troupeaux apparaissaient çà et là dans les plaines; des recuas de mules, conduites par des arrieros et se dirigeant vers México, croisaient incessamment la marche des troupes; la terre bien cultivée ne présentait aucune trace de la guerre, la campagne semblait au contraire jouir d'un calme profond.

Quelques Indiens couraient le long des chemins conduisant des bœufs à la ville, d'autres amenaient des fruits et des légumes, tous se hâtaient, et chantaient insouciamment, pour charmer les ennuis et la longueur de la route.

En croisant le président qu'ils connaissaient bien, ils s'arrêtaient étonnés, se découvraient, et le saluaient avec un affectueux respect.

Cependant, sur l'ordre de Miramón, les troupes s'étaient engagées dans des sentiers perdus, presqu'infranchissables, où les chevaux n'avançaient qu'avec une difficulté extrême.

Le paysage se fit alors plus abrupte et plus accidenté; la marche devint plus rapide, le silence se rétablit dans les rangs des soldats: on approchait de l'ennemi.

Vers dix heures du matin, le président ordonna une halte pour faire reposer les chevaux, et donner aux soldats le temps de déjeuner. Ordinairement rien de curieux comme une armée mexicaine; chaque soldat est accompagné de sa femme, chargée de porter les provisions de bouche, et de préparer les repas. Ces malheureuses, dévouées à toutes les affreuses conséquences de la guerre, campent à quelques distances des troupes lorsqu'elles s'arrêtent; ce qui donne aux armées mexicaines l'apparence d'une émigration de barbares. Lorsqu'on livre bataille, elles demeurent spectatrices impassibles de la lutte, sachant d'avance qu'elles deviendront la proie du vainqueur, mais acceptant, ou plutôt se soumettant avec une philosophique indifférence à cette dure nécessité.

Cette fois, il n'en avait pas été ainsi; le président avait expressément défendu qu'aucune femme suivît l'armée; les soldats avaient donc emporté leurs provisions de bouche toutes préparées dans les alforjas, ou doubles poches de toile attachées à l'arrière de leur selle; précaution qui, en évitant une perte de temps considérable sur celui marqué pour le repas, avait en outre cet avantage qu'elle évitait qu'on allumât du feu.

A onze heures on sonna le boute-selle et chacun se mit en devoir de reprendre son rang.

On approchait de Toluca, lieu où le président avait résolu d'attendre l'ennemi.

Le chemin coupé de ravins profonds, à travers lesquels on ne pouvait passer qu'avec des difficultés extrêmes, devenait presqu'impraticables; cependant les soldats ne se décourageaient pas, c'était l'élite des troupes de Miramón, ses plus fidèles partisans, ceux qui l'avaient accompagné depuis le commencement de la guerre; ils redoublaient d'ardeur devant les obstacles qu'ils surmontaient en riant, encouragés par l'exemple de leur jeune général qui marchait bravement en avant, et leur donnait ainsi l'exemple de la patience et de l'abnégation.

Le général Cobos avait été détaché en éclaireur avec une vingtaine d'hommes résolus afin de surveiller la marche de l'ennemi, et d'avertir le président dès qu'il l'apercevrait, en se repliant aussitôt sans se laisser voir sur le gros de l'armée.

Soudain Miramón aperçut trois cavaliers qui accouraient à toute bride vers lui; supposant avec raison que ces cavaliers étaient porteurs d'une nouvelle importante, il éperonna son cheval et s'élança au devant d'eux.

Bientôt il les eut rejoints.

De ces trois hommes deux étaient des soldats, le troisième bien monté et armé jusqu'aux dents, paraissait être un paysan.

– Quel est cet homme? demanda le président en s'adressant à un des soldats.

– Excellence, répondit l'un d'eux, cet individu s'est présenté au général en demandant à être conduit vers vous, il est porteur, dit-il, d'un pli qui doit vous être remis personnellement.

– Qui t'envoie vers moi? demanda le président à l'inconnu, immobile devant lui.

– Que votre Excellence lise d'abord cette lettre, répondit-il, en retirant un pli cacheté de son dolman et le présentant respectueusement au général.

Miramón le décacheta et le parcourut rapidement des yeux.

– Ah, ah! fit-il en l'examinant avec attention, comment te nommes-tu, mon brave?

– López, mon général.

– Bien! Ainsi il est près d'ici?

– Oui, général, embusqué avec trois cents cavaliers.

– Alors, il te met à ma disposition?

– Oui, général, pour tout le temps que vous aurez besoin de moi.

– Dis-moi, López, tu connais ce pays?

– J'y suis né, Excellence.

– Ainsi, tu es capable de nous guider?

– Où il vous plaira.

– Connais-tu la position de l'ennemi?

– Parfaitement, Excellence; les têtes de colonnes des généraux Berriozábal et Degollado, ne sont qu'à une lieue environ de Toluca, où elles doivent faire une grande halte.

– A quelle distance sommes-nous de Toluca, nous autres?

– En suivant cette route, à trois lieues environ, Excellence.

– C'est bien long; il y a un autre chemin plus court?

– Il y en a un qui raccourcit la distance de plus des deux tiers.

– ¡Caray! s'écria le général, il faut le prendre.

– Oui, mais il est étroit, dangereux et impraticable à l'artillerie, la cavalerie même n'y passera qu'à grand peine.

– Je n'ai pas d'artillerie.

– Alors, la chose est possible, général.

– Je n'en demande pas davantage.

– Seulement, si votre Excellence me le permet, je lui soumettrai un avis que je crois bon.

– Parle.

– Le chemin est rude; il serait préférable de démonter la cavalerie, de laisser marcher l'infanterie en avant, et de la faire suivre par les cavaliers, conduisant leurs chevaux en bride.

– Cela va bien nous retarder.

– Au contraire, général, nous irons plus vite à pied.

– Soit; dans combien de temps serons-nous à Toluca?

– Dans trois quarts d'heure… est-ce trop, général?

– Non; si tu tiens ta promesse, je te donnerai dix onces.

– Bien que ce ne soit pas l'intérêt qui me dirige, répondit López, en riant, je suis tellement certain de ne pas me tromper, que je regarde l'argent comme gagné.

– Eh bien, puisqu'il en est ainsi, prend-le tout de suite, dit le général en lui donnant sa bourse.

– Merci, Excellence; maintenant nous partirons quand vous voudrez; seulement, recommandez le plus grand silence aux soldats, afin que nous arrivions à l'improviste sur l'ennemi, et que nous l'attaquions avant qu'il ait le temps de se reconnaître.

Miramón expédia un soldat au général Cobos, pour lui donner l'ordre de se replier au plus vite, puis il fit mettre pied à terre aux soldats, plaça les fantassins en avant, sur quatre de front, ce qui était la plus grande largeur dont on pouvait disposer; la cavalerie démontée forma l'arrière-garde.

Le général Cobos ne tarda pas à rejoindre; en quelques mots, Miramón le mit au fait.

Le président, faisant tenir en bride derrière lui son cheval et celui du guide, se plaça en tête de la troupe, malgré les prières de ses amis.

– Non, répondit-il à leurs sollicitations, je suis votre chef: en cette qualité, la plus grande part de péril me revient, ma place est ici et j'y reste.

 

Ils furent contraints de le laisser agir à sa guise.

– Partons-nous? dit Miramón à López.

– Allons, général.

Ils se mirent en marche; tous ces mouvements avaient été exécutés dans le plus grand silence, avec une rapidité et un ensemble admirable.

López ne s'était pas trompé: le sentier qu'il avait fait prendre aux troupes était si rocailleux et si difficile, que les troupes avançaient beaucoup plus rapidement à pieds.

– Ce sentier se prolonge-t-il ainsi longtemps? demanda le président au guide.

– Jusqu'à demi-portée de fusil à peu près de Toluca, général, répondit celui-ci; arrivé là, il monte par une pente assez rapide, en s'élargissant beaucoup, jusqu'à dominer Toluca, où il est facile de descendre même avec la cavalerie au galop.

– Hum! Il y a du bon et du mauvais dans ce que tu m'apprends-là.

– Je ne comprends pas, Excellence.

– Dam, c'est assez clair cependant, il me semble: suppose que les Puros aient placé un cordon de sentinelles sur la hauteur, notre projet sera éventé et notre expédition inutile, tu n'as pas réfléchi à ce que tu faisais en nous conduisant par ici.

– Pardon, Excellence, les Puros savent qu'aucun corps d'armée ne bat la campagne, ils se croient certains de n'avoir pas d'attaque à redouter; ils ne prennent donc pas des précautions, qu'ils considèrent comme inutiles; de plus, les hauteurs dont vous parlez, sont trop éloignées de l'endroit où ils camperont, et surtout trop élevées pour qu'ils songent à les couronner.

– Enfin, murmura le général, à la grâce de Dieu! Maintenant que je suis ici, je ne reculerai pas.

Ils continuèrent à s'avancer en redoublant de précautions.

Depuis vingt-cinq minutes environ ils étaient engagés dans le sentier, lorsque López, après avoir jeté autour de lui un regard scrutateur, s'arrêta subitement.

– Que fais-tu? lui demanda le général.

– Vous le voyez, Excellence, je m'arrête; de l'autre côté de ce coude, qui est là devant nous, le sentier commence à monter, nous ne sommes plus qu'à une portée de fusil au plus de Toluca; si vous me le permettez, je vais me lancer en avant, en enfant perdu, afin de m'assurer que les hauteurs ne sont pas surveillées et que vous avez le passage libre.

Le général le regarda attentivement.

– Vas, lui dit-il enfin, nous attendrons ton retour pour pousser en avant, je me fie à toi.

López se débarrassa de ses armes et de son chapeau, qui non seulement lui étaient inutiles, mais encore auraient pu le trahir, et s'étendant sur le sol, il commença à ramper à la mode indienne et ne tarda pas à disparaître au milieu des halliers qui bordaient le sentier.

Cependant, sur un signe du président, le mot de halte avait rapidement circulé dans les rangs et l'armée s'était arrêté presqu'instantanément.

Quelques minutes s'écoulèrent.

Les généraux s'étaient rapprochés, ils entouraient le président.

Le guide ne revenait pas. L'anxiété était au comble.

– Cet homme nous trahit, dit le général Cobos.

– Je ne le crois pas, répondit aussitôt Miramón, je suis sûr de celui qui me l'a adressé.

En ce moment, les buissons s'écartèrent et un homme parut.

Cet homme était López, le guide.

Son visage était calme, son œil clair, sa démarche assurée; il s'approcha du président, s'arrêta à deux pas de lui, le salua et attendit qu'il lui adressât la parole.

– Eh bien? demanda Miramón.

– Je me suis avancé jusqu'à la crête même de la hauteur, Excellence, répondit-il, j'ai vu distinctement le bivouac des Puros; ils ne soupçonnent pas votre présence: je crois que vous pouvez agir.

– Ainsi, ils n'ont pas établi de cordon de sentinelles sur la hauteur?

– Non, général.

– Bien, conduis-moi jusqu'à l'entrée du sentier, il me faut voir les lieux afin de dresser mon plan d'attaque en conséquence.

López ramassa son fusil et son chapeau.

– Je suis prêt, dit-il.

Ils s'avancèrent; derrière eux, à une courte distance venait l'armée.

Tout était désert, ainsi que le guide l'avait annoncé.

Miramón examina le terrain avec la plus sérieuse attention.

– Bon, murmura-t-il, je sais maintenant ce qui me reste à faire, et s'adressant au guide:

– Ainsi, ton maître est embusqué de façon à prendre l'ennemi à revers, dit-il.

– Oui, Excellence.

– Mais comment le prévenir, afin que son attaque coïncide avec la nôtre?

– Rien de plus facile, Excellence; vous voyez cet arbre, qui s'élance solitaire et dont le faîte, seul, domine la hauteur?

– Oui, je le vois, eh bien?

– J'ai l'ordre de couper la tête de cet arbre au moment précis ou vous commencerez l'attaque, la disparition de l'arbre, sera pour lui le signal de charger l'ennemi.

– Vive Dieu! s'écria-t-il, cet homme est né général, rien ne lui échappe; vas à cet arbre, monte dessus, et tiens-toi prêt, lorsque tu me verras lever mon épée en l'air, d'un coup de ta machette tu trancheras la cime de l'arbre: tu m'as compris?

– Parfaitement, Excellence, mais après que ferai-je?

– Ce que tu voudras.

– Bon, alors je rejoindrai mon maître.

Il prit son cheval des mains de l'assistant qui le tenait en bride, et se dirigea tranquillement vers l'arbre.

Miramón divisa son infanterie en trois corps, et plaça sa cavalerie en réserve.

Toutes les dispositions prises, les troupes commencèrent l'ascension de la hauteur.

Lorsqu'elles atteignirent le sommet.

– En avant! En avant! s'écria Miramón en brandissant son épée et s'élançant sur la descente.

Toute l'armée roula derrière lui comme une avalanche.

En voyant le président lever son épée, d'un seul coup López avait tranché la cime de l'arbre au sommet duquel il se tenait, puis, cet exploit accompli, il s'était laissé glisser en bas, avait sauté sur son cheval et s'était élancé au galop à la suite de l'armée.

L'apparition subite des troupes de Miramón avait causé un désordre affreux dans le bivouac des Puros, qui étaient loin de s'attendre à une attaque aussi brusque et aussi vigoureuse, leurs espions leur ayant assuré qu'aucun corps d'armée ne tenait la campagne.

Les soldats sautèrent sur leurs armes, et les officiers essayèrent d'organiser la résistance, mais avant même que les rangs fussent formés, déjà les troupes du président étaient sur eux, et les chargeaient avec furie, aux cris de…

– Vive México! Miramón! Miramón!

Cependant les généraux qui commandaient les Puros, officiers braves et intelligents, se multipliaient pour résister; à la tête des soldats qui déjà s'étaient armés et avaient, tant bien que mal, formé leurs rangs; ils engagèrent une fusillade meurtrière, les canons avaient été mis en batterie et ouvrirent un feu terrible contre l'infanterie du président.

L'affaire devenait sérieuse. Les Juaristas avaient l'avantage du nombre; remis de la panique qu'ils avaient d'abord éprouvée, il était à craindre si le combat se prolongeait, qu'ils prissent l'offensive.

En ce moment, de grands cris se firent entendre sur leurs derrières, et une troupe nombreuse de cavaliers se rua sur eux la lance en avant.

Pris entre deux ennemis, les Juaristas se crurent trahis; ils perdirent la tête et commencèrent à se débander.

La cavalerie de Miramón apparut en ce moment et chargea vigoureusement l'ennemi.

Le combat dégénéra dès lors en massacre, ce ne fut plus une lutte, mais une boucherie; les Juaristas pris en avant, en flanc et en arrière, ne songèrent plus qu'à s'ouvrir passage.

La retraite commença, et bientôt se changea en déroute complète.

Le général Berriozábal, le général Degollado, ses fils, deux colonels, tous les officiers composant leur état major, quatorze pièces de canon, une grande quantité de munitions et d'armes, et plus de deux mille prisonniers tombèrent entre les mains de Miramón. Le président avait eu sept hommes tués et onze légèrement blessés.

La bataille n'avait duré que vingt-cinq minutes. La victoire était complète.

La fortune capricieuse accordait un dernier sourire à celui dont elle avait résolu la perte.