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Les nuits mexicaines

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– Pardieu, général, ne suis-je pas à vous, corps et âme?

– Je le sais, mon ami, mais assez de politique: Quant au présent, accompagnez-moi, je vous prie, dans les appartements de madame Miramón; elle désire vivement vous voir.

– Cette gracieuse invitation me comble de joie, général, j'aurais cependant désiré vous parler d'une chose fort importante.

– Plus tard, plus tard, trêve je vous prie, aux affaires, peut-être s'agit-il d'une nouvelle défection ou d'un traître à punir? J'apprends depuis quelques jours assez de ces mauvaises nouvelles pour désirer jouir de quelques heures de répit: ainsi que disait cet ancien, à demain les affaires sérieuses.

– Oui, répondit don Jaime avec intention, et le lendemain il n'était plus temps.

– Soit, à la grâce de Dieu! Jouissons du présent. C'est le seul bien qui nous reste, puisque l'avenir ne nous appartient plus.

Et prenant don Jaime par dessous le bras, il l'entraîna doucement sans que celui-ci, osât résister davantage, dans les appartements de madame Miramón, charmante femme, aimante et timide, véritable ange gardien du général, que les grandeurs de son mari effrayait et qui ne se trouvait heureuse que dans la vie intime du foyer domestique, entre ses deux enfants.

XXXV
JESUS DOMINGUEZ

Au bout d'une heure, don Jaime sortit du palais et suivi de López il se rendit à la maison du faubourg, où il trouva le comte et son ami qui, tout entiers à leur amour et indifférents aux événements qui se passaient autour d'eux, passaient des journées entières avec celles qu'ils aimaient, jouissant avec cette heureuse insouciance de la jeunesse, du présent qui leur semblait si doux, sans vouloir songer à l'avenir.

– Ah! Vous voilà, mon frère, s'écria doña Maria avec joie, que vous devenez rare!

– Les affaires! répondit en souriant l'aventurier. La table était dressée au milieu de la salle, les deux domestiques du comte immobiles devant les dressoirs se disposaient à servir et Leo Carral, une serviette sur le bras, attendait qu'on se mît à table.

– Ma foi, puisque vous êtes servies, dit gaiement don Jaime, je ne vous laisserai pas souper seules avec ces caballeros, si toutefois vous daignez me permettre de vous tenir compagnie.

– Quel bonheur! s'écria doña Carmen.

Les cavaliers offrirent alors la main aux dames et les conduisirent aux sièges préparés pour elles, puis ils prirent place à leur côté.

Le souper commença.

Il fut ce qu'il devait être entre gens qui s'aimaient et se connaissaient de longue date, c'est-à-dire joyeux et plein d'entrain et de douce intimité.

Jamais les jeunes filles n'avaient été aussi heureuses, cet imprévu les charmait. Les heures s'écoulaient rapidement sans que personne songeât à en faire la remarque; tout à coup minuit sonna à une pendule placée sur une console dans la salle à manger même.

Les douze coups tombèrent les uns après les autres avec une majestueuse lenteur au milieu de la conversation qu'ils glacèrent subitement et arrêtèrent net.

– Mon Dieu! s'écria doña Dolores avec un léger mouvement de frayeur, déjà si tard!

– Comme le temps passe! dit nonchalamment don Jaime; il nous faut maintenant songer au départ.

On quitta la table et les trois amis, après avoir promis de revenir le plus tôt et le plus souvent possible faire visite aux trois recluses, se retirèrent enfin, laissant les dames libres de se livrer au repos.

López attendait son maître sous le zaguán.

– Que me veux-tu? lui demanda celui-ci.

– Nous sommes espionnés, répondit le peon. Il le conduisit à la porte et fit silencieusement glisser un guichet dans une rainure.

Don Jaime regarda; juste en face de la porte, presque confondu avec l'obscurité qui régnait dans un enfoncement produit par les déblais et les échafauds d'une maison en réparation, un homme, qui aurait échappé à un regard moins perçant que celui de l'aventurier, se tenait immobile.

– Je crois que tu as raison, dit don Jaime au peon; dans tous les cas, il est urgent de s'en assurer, et je m'en charge, ajouta-t-il entre ses dents avec une expression terrible. Change avec moi de manteau et de chapeau; tu accompagneras ces caballeros; cet homme a vu entrer trois hommes, il faut qu'il en voie sortir trois; maintenant à cheval et partez.

– Mais, dit Dominique, il serait plus simple, il me semble, de tuer cet homme.

– Cela pourra venir, répondit don Jaime, mais je tiens avant tout à m'assurer que c'est bien un espion; je ne me soucie pas de commettre une méprise. Ne vous inquiétez pas de moi, avant une demi heure je vous rejoindrai et je vous rendrai compte de ce qui se sera passé entre cet homme et moi.

– A bientôt, dit le comte en lui serrant la main.

– A bientôt.

Ils sortirent alors suivis de Leo Carral et des deux domestiques du comte.

Le vieux serviteur de doña Maria referma bruyamment la porte derrière eux, mais il eut le soin de la rouvrir aussitôt sans bruit.

Don Jaime s'était replacé au guichet d'où il lui était facile de suivre tous les mouvements de l'espion supposé.

Au bruit causé par le départ des jeunes gens, celui-ci s'était vivement penché en avant afin, sans doute, de remarquer la direction qu'ils prenaient, puis il s'était renfoncé dans l'obscurité, et il avait repris son immobilité de statue. Près d'un quart d'heure s'écoula sans que cet homme fît le moindre mouvement; don Jaime ne le perdait pas de vue, enfin il s'avança avec précaution hors de sa cachette, regarda avec soin autour de lui, et rassuré par la solitude de la rue, il se hasarda à faire quelques pas en avant, puis après un moment d'hésitation, il s'avança résolument vers la maison en traversant la rue en ligne droite; tout à coup la porte s'ouvrit et il se trouva face-à-face avec don Jaime.

Il fit un brusque mouvement de retraite et voulut fuir, mais l'aventurier le saisit par le bras qu'il lui serra comme dans un étau, et l'entraînant à sa suite malgré la résistance opiniâtre qu'il opposait, il le conduisit auprès d'une statuette de la vierge placée dans une niche au-dessus d'une boutique, et devant laquelle brûlaient quelques cierges, puis, d'un revers de main, il fit tomber le chapeau de son prisonnier et examina curieusement ses traits.

– Eh, señor Jesús Domínguez, dit-il au bout d'un instant d'une voix ironique, est-ce donc vous? Vive Dios, je ne comptais guère vous rencontrer ici.

Le pauvre diable regarda piteusement celui entre les mains duquel il se trouvait, mais il ne répondit pas.

L'aventurier attendit un instant, puis voyant que décidément son prisonnier s'obstinait à ne pas lui parler:

– Ah çà, drôle, lui dit-il en le secouant rudement, répondras-tu à la fin?

Celui-ci fit entendre un gémissement sourd.

– C'est el Rayo ou c'est le diable! murmura-t-il avec effroi, en levant un regard atone sur le visage masqué de l'homme qui le tenait si solidement.

– C'est l'un ou l'autre en effet, reprit l'aventurier en ricanant, ainsi tu es en bonnes mains, sois tranquille; maintenant veux-tu me dire comment il se fait que de guérillero et voleur de grands chemins, tu es devenu espion et sans doute assassin, au besoin, dans cette capitale.

– Des malheurs, Excellence, on m'a calomnié, j'étais trop honnête, répondit Domínguez.

– Toi? Du diable si j'en crois un mot, je te connais trop bien, drôle, pour que tu puisses essayer de me tromper; décides-toi donc à me dire la vérité, et cela tout de suite et sans plus tergiverser, ou sinon je te tue comme un lâche zopilote que tu es.

– Vous serait-il égal, Excellence, de me serrer le bras un peu moins fort, vous me le tordez si cruellement qu'il doit être démis.

– Soit, dit-il en le lâchant, mais n'essaie pas de fuir, car il t'en cuirait; maintenant parle, je t'écoute.

Jesús Domínguez en se sentant délivré de la rude étreinte de l'aventurier poussa un soupir de soulagement, remua son bras à plusieurs reprises afin de rétablir la circulation, puis il se décida à parler.

– Je vous annoncerai d'abord, Excellence, dit-il, que je suis toujours guérillero, et de plus je suis monté en grade puisque j'ai le grade de lieutenant.

– Tant mieux pour toi. Mais que fais-tu ici?

– Je suis en expédition, Excellence.

– En expédition, ainsi tout seul, à México? Ah ça, tu te moques de moi, bribón?

– Je vous jure, sur la part que j'espère en paradis, Excellence, que je vous dis la stricte vérité; d'ailleurs je ne suis pas seul ici, mon capitaine m'accompagne, c'est même sur son ordre exprès que je suis venu.

– Ah! Ah! Et quel est ce capitaine?

– Oh! Vous le connaissez, Excellence.

– C'est probable, mais il a un nom je suppose?

– Certainement, Excellence: il se nomme don Melchior de la Cruz.

– Je m'en doutais; maintenant je devine tout: tu es chargé d'espionner doña Dolores de la Cruz, n'est-ce pas?

– Oui, Excellence.

– Bon, après?

– Après, mais voilà tout, Excellence.

– Oh! Que non pas, mon drôle, il y a encore quelque chose.

– Mais je vous assure.

– Bien, je vois qu'il faut que j'emploie les grands moyens, dit-il en armant froidement un pistolet.

– Mais que faites-vous donc, Excellence? s'écria-t-il avec effroi.

– Tu le vois, il me semble, je me prépare tout simplement à te brûler la cervelle; ainsi, si tu veux essayer de jeter ton âme à la tête du bon Dieu, dépèche-toi de le faire, tu n'as plus que deux minutes à vivre.

– Mais ce n'est pas le moyen de me faire parler, cela! s'écria-t-il naïvement.

– Non, répondit froidement l'aventurier, mais c'est celui de te faire taire.

– Hum! fit-il, vous disposez de si bons arguments, Excellence, qu'il n'y a pas moyen de vous résister, je préfère tout vous dire.

– Tu auras raison.

– Donc, voici en deux mots: j'étais non seulement chargé d'espionner doña Dolores, mais encore de surveiller la vieille dame et la jeune fille chez lesquelles elle demeure et de plus toutes les personnes qui leur font visite.

 

– Diable! C'était là bien de la besogne pour un homme seul.

– Pas trop, Excellence; elles ne reçoivent presque personne.

– Et depuis quand fais-tu cet honorable métier, drôle?

– Depuis dix ou douze jours, Excellence.

– Ainsi tu faisais partie des bandits qui ont essayé de s'introduire de vive force dans cette maison?

– Oui, Excellence, mais cela ne nous a pas réussi.

– Je le sais; es-tu au moins bien payé par celui qui t'emploie?

– Il ne m'a encore rien donné, je dois en convenir, mais il m'a promis cinquante onces.

– Oh! Les promesses ne coûtent rien à don Melchior; il lui est plus facile de promettre cinquante onces que de donner dix piastres.

– Vous croyez, Excellence? Il n'est donc pas riche?

– Lui? il est plus gueux que toi.

– Hum! Alors c'est triste, car je n'ai encore réussi à économiser que des dettes.

– Je dois convenir que tu es un rude imbécile et que tu mérites bien ce qui t'arrive.

– Moi, Excellence?

– Pardieu! Qui donc? Comment, drôle, tu t'attèles à la suite d'un misérable qui n'a ni sou ni maille, qui est ruiné sans ressources, au lieu de prendre parti pour ceux qui te pourraient payer.

– Qui sont donc ceux-là, s'il vous plaît, Excellence? je vous avoue que j'ai les dents très longues et que je servirais ces personnes avec enthousiasme.

– Je n'en doute pas; te figures-tu par hasard que je vais m'amuser à te donner des conseils?

– Ah! Si vous vouliez, Excellence, je vous servirais avec bonheur.

– Toi, allons donc.

– Pourquoi pas, Excellence?

– Dam, puisque tu es l'ennemi de ceux que j'aime, tu dois être le mien.

– Oh! Si je l'avais su.

– Qu'aurais-tu fait?

– Je ne sais pas, mais pour sûr je ne les aurais pas espionné; employez-moi, Excellence, je vous en supplie.

– Tu n'es bon à rien.

– Mettez-moi à l'épreuve, vous verrez, Excellence, je ne vous dis que cela.

L'aventurier feignit de réfléchir; Jesús Domínguez attendait avec anxiété.

– Non, dit-il enfin; tu es un homme sur lequel on ne saurait compter.

– Oh! Que vous me connaissez mal, Excellence, moi qui vous suis si dévoué.

L'aventurier éclata de rire.

– Voilà un dévouement à ma personne qui t'es venu bien vite, dit-il. Eh bien, voyons je consens à faire un essai; mais si tu me trompes?

– Il suffit, Excellence, je vous connais; soyez tranquille, vous serez content de moi; de quoi s'agit-il?

– De retourner ton dolman tout simplement.

– Bon, je comprends, c'est facile; mon maître ne fera pas un pas sans que vous en soyez averti.

– Bon! N'a-t-il pas un ami intime, ce cher don Melchior!

– Oui, Excellence, un certain don Antonio Cacerbar; ils sont unis comme les doigts de la main.

– Tu ne feras pas mal de le surveiller aussi par la même occasion.

– Je ne demande pas mieux.

– Et comme toute peine mérite salaire, je te donne une demi-once d'avance.

– Une demi-once! s'écria-t-il d'un air radieux.

– Et comme tu as besoin d'argent, je t'avancerai vingt jours.

– Dix onces! Vous me donnerez dix onces d'avance, Excellence, à moi! Oh! C'est impossible.

– C'est si possible que les voilà, reprit-il en les retirant de sa poche et les lui mettant dans la main.

Le bandit s'en empara avec un mouvement de joie fébrile.

– Oh! s'écria-t-il, don Melchior et son ami n'ont qu'à bien se tenir.

– Sois adroit surtout, don Melchior et don Antonio sont fins.

– Je les connais, mais ils ont affaire à plus fin qu'eux; rapportez-vous-en à moi.

– Cela te regarde: à la moindre bévue je t'abandonne.

– Je ne crains pas que cela arrive.

– Ne m'as-tu pas parlé de la dextérité de tes doigts.

– Je vous en ai parlé en effet, Excellence.

– Eh bien, si par hasard ces messieurs laissent traîner quelques papiers importants, tu feras bien de les serrer et de me les apporter ensuite; je suis très curieux.

– Il suffit! Au cas où je n'en trouverais pas d'égarés j'en chercherai.

– Ce moyen est bon, je l'approuve; ah! Souviens-toi de ceci: les papiers sont à part; chacun, d'eux s'il en vaut la peine, te sera payé trois onces; si tu te trompes ce sera tant pis pour toi, tu ne toucheras rien.

– Je prendrai mes précautions, Excellence; maintenant voulez-vous me dire où je pourrai vous rencontrer lorsque j'aurai des communications à vous faire ou des papiers à vous remettre?

– C'est très facile: je fais tous les jours, de trois à cinq heures, une promenade du côté du canal de Las Vigas.

– J'y serai.

– Surtout, sois prudent.

– Comme un opossum, Excellence.

– Adieu; veille attentivement.

– Excellence, j'ai l'honneur de vous saluer.

Ils se séparèrent.

Don Jaime, après avoir ordonné au vieux domestique de sa sœur qui pendant tout le temps de cette conversation avait tenu la porte ouverte, de rentrer et de la barricader solidement au dedans, se dirigea vers la demeure des deux jeunes gens en se frottant les mains.

Le comte et son ami, inquiets de la longue absence de don Jaime, l'attendaient en proie aune vive anxiété; déjà ils se préparaient à se mettre à sa recherche, lorsqu'il entra; ils le reçurent avec de chaleureux témoignages de joie, puis ils lui demandèrent des nouvelles de son expédition.

Don Jaime ne vit aucune raison de leur laisser ignorer ce qui s'était passé et il leur raconta en détail sa conversation avec Jesús Domínguez, et comment il avait fini par l'amener à trahir son maître pour lui servir d'espion.

Ce récit amusa beaucoup les jeunes gens.

Les trois hommes demeurèrent ensemble jusqu'au jour; un peu après le lever du soleil ils se séparèrent; la dernière phrase de don Jaime en les quittant fut celle-ci:

– Mes amis, si bizarre que vous paraisse ma conduite, ne la jugez pas encore; dans quelques jours au plus, je frapperai le grand coup que depuis tant d'années je prépare; quoiqu'il arrive, tout vous sera alors expliqué; ayez donc patience, vous êtes plus que vous ne le supposez intéressés au succès de cette affaire; souvenez-vous de ce que vous m'avez juré et tenez-vous prêts à agir lorsque je réclamerai votre aide, adieu.

Il leur serra affectueusement la main et se retira.

Une semaine tout entière s'écoula sans qu'il se passât d'événements dignes d'être rapportés.

Cependant une inquiétude sourde régnait dans la ville; des rassemblements nombreux, où toutes les nouvelles politiques étaient commentées, se formaient dans les rues et sur les places.

Dans les quartiers marchands les boutiques ne s'ouvraient plus que pendant quelques heures à peine, les vivres devenaient de plus en plus rares et par conséquent plus chers, les Indiens ne venant plus qu'en petit nombre à la ville et n'apportaient que fort peu de choses avec eux.

Une vague agitation, sans cause bien connue et bien définie régnait dans la population, on sentait que le moment de la crise approchait rapidement et que l'orage depuis si longtemps suspendu sur México ne tarderait pas à éclater avec une fureur terrible.

Don Jaime, en apparence du moins, menait la vie désœuvrée d'un homme que sa position met au-dessus de toutes les éventualités et pour lequel les événements politiques n'ont plus d'importance; il allait et venait, de ci, de là, sur les places, dans les rues, flânant et fumant son cigare, écoutant tout ce qui se disait avec la physionomie béate d'un gobe-mouche, acceptant comme vraies les plus monstrueuses inepties inventées par les nouvellistes de carrefours et pour sa part ne disant mot.

Chaque jour il allait faire une promenade vers le canal de Las Vigas; le hasard lui faisait rencontrer Jesús Domínguez, ils causaient assez longtemps en marchant côte à côte, puis ils se séparaient en apparence toujours fort satisfaits l'un de l'autre.

Cependant, depuis deux ou trois jours don Jaime ne paraissait plus être aussi content de son espion; des mots piquants, des menaces détournées avaient été échangés entre eux.

– Mon ami Jesús Domínguez, avait dit don Jaime à son espion, à la sixième ou septième entrevue qu'il avait eue avec lui, prenez garde, je crois m'apercevoir que vous essayez de jouer un double jeu, j'ai l'odorat fin, vous le savez, je flaire une trahison.

– Oh! Seigneurie, s'était écrié le señor Domínguez, vous faites erreur, je vous suis au contraire très fidèle, croyez-le bien, ce n'est pas un généreux caballero comme vous qu'on trahit.

– C'est possible; dans tous les cas, vous voilà prévenu, agissez en conséquence, et surtout ne manquez pas de m'apporter demain les papiers que depuis trois jours déjà vous me promettez.

Là-dessus, don Jaime avait quitté l'espion le laissant tout penaud de cette verte mercuriale et surtout fort inquiet de la façon dont les choses, s'il n'agissait avec prudence, pourraient tourner pour lui. Car, il faut bien l'avouer, la conscience du señor Jesús Domínguez n'était pas très tranquille: les soupçons de don Jaime n'étaient pas totalement dénués de fondement; si l'espion n'avait pas encore trahi son généreux protecteur, la pensée lui était venue de le faire, et pour un homme comme le guérillero de la pensée à l'exécution il n'y avait qu'un pas.

Aussi résolut-il de se réhabiliter par un coup d'éclat dans l'esprit de don Jaime afin de regagner sa confiance, quitte à en abuser complètement plus tard; à cet effet, il se décida à s'emparer des papiers que lui réclamait don Jaime et à les lui apporter le lendemain, résolu, s'il y trouvait un bénéfice convenable, à les lui voler après.

Le lendemain, à l'heure convenue, don Jaime était au rendez-vous; Jesús Domínguez ne tarda pas à arriver, et avec un grand étalage de dévouement selon sa coutume, il remit une liasse de papiers assez volumineuse à l'aventurier; celui-ci y jeta un coup d'œil rapide, les fit disparaître sous son manteau, et après avoir laissé tomber une lourde bourse dans la main du guérillero, il lui tourna brusquement le dos, sans écouter ses protestations.

– ¡Diablos! murmura Jesús Domínguez, cela brûle; il n'a pas l'air tendre aujourd'hui, ne lui laissons pas le temps de prendre ses précautions; j'ai heureusement découvert son adresse, il faut agir et aller tout conter à don Melchior, je saurai arranger les choses de façon à ce qu'il croie que je n'ai manœuvré que pour donner confiance à son ennemi et le lui livrer plus facilement, et comme en effet je le lui livrerai, il sera enchanté et me félicitera de mon adresse. Vive Dios! C'est une belle chose que l'esprit! Décidément je suis un homme rempli d'intelligence.

Tout en s'adressant ces compliments en aparté, Jesús Domínguez qui marchait la tête baissée comme les gens qui réfléchissent, alla donner du nez dans le dos de deux individus qui allaient devant lui bras dessus bras dessous en causant de leurs affaires.

Ces deux individus étaient probablement d'un caractère peu endurant, car ils se retournèrent vivement et adressèrent des reproches assez durs au guérillero.

Celui-ci qui se sentait dans son tort, et qui, porteur d'une somme considérable, ne se souciait pas de se faire une mauvaise affaire, essaya de s'excuser du mieux qu'il pût.

Mais les inconnus ne voulurent rien entendre, et continuèrent de lui adresser les épithètes de brute, d'imbécile et autres gracieusetés de ce genre.

Si patient que fût le guérillero, cependant la patience finit par lui échapper et se laissant dominer par la colère, il porta la main à son couteau.

Ce geste imprudent causa sa perte; les deux inconnus se ruèrent sur lui, le renversèrent, et le frappèrent tous les deux à la fois à coups redoublés; puis, comme la rue où cette rixe avait eu lieu était entièrement déserte et que, par conséquent, nul ne les avait vus, ils s'assurèrent que le pauvre diable était bien mort; puis ils s'éloignèrent tranquillement, non point toutefois sans l'avoir auparavant débarrassé de l'argent qu'il portait sur lui et de tout ce qui aurait pu faire constater son identité.

Ainsi mourut le señor Jesús Domínguez.

Les celadores relevèrent son corps deux heures plus tard, et comme personne ne le connaissait il fut jeté sans cérémonie dans un trou creusé dans un cimetière, sans que nul s'en inquiétât davantage. Don Melchior peut-être fut étonné de ne plus le revoir, mais comme il n'avait qu'une confiance médiocre en son honnêteté; il supposa qu'après s'être rendu coupable de quelque soustraction, il avait jugé convenable de tirer au large, et il n'y pensa plus.