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Les nuits mexicaines

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XI
DANS LA PLAINE

Olivier et Dominique après avoir quitté le rancho marchèrent assez longtemps côte à côte sans échanger une parole; l'aventurier semblait réfléchir, de son côté le vaquero malgré son apparente insouciance ne laissait pas que d'être assez préoccupé.

Dominique ou Domingo selon qu'on le nommait en français ou en espagnol, dont nous avons à peu près esquissé le portrait physique dans un précédent chapitre, était, au moral, un singulier mélange de bons et de mauvais instincts, nous devons cependant ajouter que les bons dominaient presque toujours; la vie errante que pendant plusieurs années il avait menée parmi les Indiens indomptés des prairies, avait développé chez lui en sus d'une grande vigueur corporelle, une incroyable puissance de volonté et une énergie de caractère à toute épreuve, mêlé à un courage de lion et une finesse qui parfois pouvait passer pour de la duplicité. Rusé et méfiant comme un Comanche, il avait transporté dans la vie civilisée toutes les pratiques des coureurs de bois; ne se laissant jamais prendre en défaut par les événements les plus imprévus, et opposant un visage impassible aux regards les plus scrutateurs, il feignait une bonhomie naïve à laquelle les gens les plus fins étaient souvent trompés; avec cela, il était la plupart du temps d'une franchise rare, d'une générosité sans bornes, d'une sensibilité de cœur exquise, et poussait pour ceux qu'il aimait le dévouement à ses limites les plus extrêmes, sans réflexion comme sans arrière-pensée, mais par contre il était implacable dans ses haines et d'une véritable férocité indienne.

En un mot, c'était une de ces natures étranges aussi complètes pour le bien comme pour le mal et dont l'occasion peut aussi bien faire des hommes remarquables que de grands scélérats.

Olivier avait profondément étudié le caractère extraordinaire de son protégé; aussi, mieux que lui-même peut-être, il savait de quoi il était capable, et souvent il avait frémi en sondant les replis cachés de cette organisation étrange qui s'ignorait soi-même, et tout en imposant sa volonté à cette indomptable nature et la faisant se courber à sa guise, comme le belluaire imprudent qui joue avec un tigre, il prévoyait le moment où cette lave qui bouillait sourdement au fond du cœur du jeune homme ferait tout à coup irruption au dehors sous le souffle impétueux des passions; aussi, malgré la confiance entière qu'il semblait avoir en son ami, n'était-ce qu'avec une extrême prudence qu'il faisait vibrer en lui certaines cordes, et se gardait-il bien de lui donner la conscience de sa force et de lui révéler l'étendue de sa puissance morale.

Après une course de plusieurs heures, les voyageurs arrivèrent à trois lieues environ de l'hacienda del Arenal, sur la lisière d'un bois assez épais que bordaient les dernières plantations de l'hacienda.

– Arrêtons-nous ici et mangeons, dit Olivier en mettant pied à terre; voici, quant à présent, le but de notre course.

– Je ne demande pas mieux, répondit Dominique; ce diable de soleil qui me tombe d'aplomb sur la tête depuis ce matin, commence, je vous l'avoue, à me gêner, je ne serai pas fâché de m'étendre un peu sur l'herbe.

– Alors ne vous gênez pas, compagnon; la place est belle pour se reposer.

Les deux hommes s'installèrent, entravèrent leurs chevaux auxquels ils enlevèrent la bride afin de les laisser paître à leur guise, et après s'être assis en face l'un de l'autre sous la protection de l'épais feuillage des arbres, ils fouillèrent dans leurs alforjas bien garnies de provisions et se mirent à manger de bon appétit.

Ni l'un ni l'autre des deux hommes n'était grand parleur; aussi expédièrent-ils leur repas silencieusement et ce ne fut que lorsque Olivier eût allumé son puro et Dominique son calumet indien que le premier se décida enfin à adresser la parole au second.

– Eh bien, Dominique, lui dit-il, que pensez-vous de l'existence que depuis quelques mois je vous fais mener dans cette province?

– A dire le vrai, répondit le vaquero en lâchant une épaisse bouffée de fumée, je la trouve absurde et ennuyeuse au possible; il y a longtemps déjà que je vous aurais prié de me renvoyer dans les prairies de l'ouest, si je n'étais pas convaincu que vous avez besoin de moi ici.

Olivier se mit à rire.

– Vous êtes un véritable ami, dit-il en lui tendant la main, toujours prêt à agir sans observations comme sans commentaires.

– Je m'en flatte: l'amitié ne constitue-t-elle pas l'abnégation et le dévouement.

– Oui, et voilà pourquoi il est si rare de la rencontrer parmi les hommes.

– Je plains ceux qui sont incapables d'éprouver ce sentiment, ils se privent d'une grande jouissance; l'amitié est le seul lien réel qui attache les hommes les uns aux autres.

– Beaucoup croient que c'est l'égoïsme.

– L'égoïsme n'est qu'une variété de l'espèce, c'est l'amitié mal comprise et ravalée à des proportions basses et infinies.

– Diable, je ne vous croyais pas d'une force si grande sur les paradoxes. Est-ce parmi les Indiens que vous avez appris ces arguties de langage?

– Les Indiens sont des hommes sages, mon maître, répondit le vaquero hochant la tête; pour eux le vrai est vrai et le faux est faux, au lieu que dans vos villes du centre vous avez si bien réussi à tout embrouiller que le plus fin ne saurait plus s'y reconnaître et que l'homme simple ne tarde pas à perdre le sentiment du juste et de l'injuste. Laissez-moi retourner dans les prairies, mon ami, ma place n'est pas au milieu des luttes mesquines qui ensanglantent ce pays et soulèvent mon cœur de dégoût et de pitié.

– Je voudrais vous rendre votre liberté, mon ami, mais je vous le répète, j'ai besoin de vous, peut-être pour trois mois encore.

– Trois mois, c'est bien long.

– Peut-être trouverez-vous ce laps de temps bien court, dit-il avec une expression indéfinissable.

– Je ne le crois pas.

– Nous verrons bien, mais, je ne vous ai pas encore dit ce que j'attends de vous.

– C'est vrai, encore est-il bon que je le sache afin de bien remplir vos intentions.

– Ecoutez-moi donc, je serai d'autant plus bref que lorsque les personnes que j'attends arriveront je vous donnerai des instructions plus détaillées.

– Bien; parlez, je vous écoute.

– Deux personnes doivent nous joindre ici, un jeune homme et une jeune dame; la dame se nomme doña Dolores de la Cruz, elle est fille du propriétaire de l'hacienda del Arenal, elle a seize ans, et est fort belle, c'est une enfant douce, pure et naïve.

– Fort bien, cela m'importe fort peu, vous savez que je me soucie médiocrement des femmes.

– C'est vrai, je n'insiste donc pas; doña Dolores est fiancée avec don Ludovic qu'elle doit incessamment épouser.

– Grand bien lui fasse, et quel est ce don Ludovic? Un Mexicain quelconque je suppose, bellâtre, sot et orgueilleux, qui piaffe comme la mule d'un chanoine.

– En cela, vous vous trompez; don Ludovic est son cousin, le comte Ludovic de la Saulay, appartenant à la plus haute noblesse de France.

– Ah! Ah! C'est le Français en question?

– Oui; il est arrivé tout exprès d'Europe pour contracter avec sa cousine cette union convenue depuis longtemps entre les deux familles; le comte Ludovic de la Saulay est un charmant cavalier, riche, bon, aimable, instruit, serviable; bref, excellent compagnon, je lui porte le plus sincère intérêt, je désire que vous vous liiez avec lui.

– S'il est tel que vous le dites, mon ami, soyez tranquille, avant deux jours nous serons les meilleurs amis du monde.

– Merci, Dominique, je n'attendais pas moins de vous.

– Eh! fit le vaquero, regardez donc, Olivier, il nous arrive quelqu'un, je crois; diable, ils vont bon train, dans dix minutes ils seront sur nous.

– C'est doña Dolores et le comte Ludovic.

Ils se levèrent alors pour recevoir les deux jeunes gens qui, en effet, arrivaient à toute bride.

– Nous voilà enfin! dit la jeune fille en arrêtant son cheval court, avec l'habileté d'une écuyère émérite. D'un bond, les nouveaux-venus furent à terre. Après avoir salué le vaquero, Ludovic tendit les deux mains à l'aventurier.

– Je vous revois donc, mon ami, lui dit-il; merci de vous être souvenu de moi.

– Supposiez-vous donc que je vous eusse oublié?

– Ma foi, dit gaiement le jeune homme, j'en aurais eu presque le droit.

– Monsieur le comte, dit alors l'aventurier, avant tout, permettez-moi de vous présenter monsieur Dominique, c'est plus qu'un frère, c'est un autre moi-même, je serais heureux qu'il vous plût de reporter sur lui un peu de l'amitié que vous daignez me témoigner.

– Monsieur, répondit le comte en s'inclinant gracieusement devant le vaquero, je regrette sincèrement de m'exprimer si mal en espagnol, ce qui m'empêche de vous montrer le vif désir que j'éprouve de vous voir partager la sympathie que, dès à présent, vous m'inspirez.

– Qu'à cela ne tienne, monsieur, répondit en français le vaquero, je parle assez couramment votre langue pour vous remercier de vos cordiales paroles, dont je vous suis très reconnaissant.

– Ah! Pardieu, monsieur, vous me ravissez, voilà une charmante surprise; veuillez, je vous prie, accepter ma main et me considérer comme entièrement à votre disposition.

– De grand cœur, monsieur, et merci, bientôt nous nous connaîtrons davantage, et alors vous me compterez, je l'espère, au nombre de vos amis.

Sur ces mots, les deux jeunes gens se serrèrent chaleureusement la main.

– Êtes-vous content, mon ami? demanda doña Dolores.

– Vous êtes une fée, chère enfant, répondit Olivier avec émotion, vous ne sauriez vous imaginer combien vous me rendez heureux.

Et il posa un respectueux baiser sur le front pur que la jeune fille inclina devant lui.

– Maintenant, reprit-il en changeant de ton, occupons-nous de notre affaire, le temps presse; mais il nous manque quelqu'un encore.

 

– Qui donc? demanda la jeune fille.

– Leo Carral, laissez-moi l'appeler; et, portant à ses lèvres un sifflet d'argent, il en tira un son aigu et prolongé.

Presque aussitôt le galop d'un cheval se fit entendre dans le lointain, se rapprocha rapidement et le mayordomo ne tarda pas à paraître.

– Arrivez, arrivez, Léo, lui cria l'aventurier.

– Me voici, señor, répondit le mayordomo, tout à vos ordres.

– Ecoutez-moi bien, reprit Olivier, en s'adressant à doña Dolores, l'affaire est grave, je suis contraint de m'éloigner aujourd'hui même; mon absence peut durer longtemps, il m'est donc impossible de veiller sur vous; malheureusement j'ai le pressentiment qu'un danger imminent vous menace. De quelle sorte est ce danger? Quand fondra-t-il sur vous? Voilà ce que je ne saurais préciser? Seulement il est certain; or, ma chère Dolores, ce que je ne puis faire, d'autres le feront; ces autres ce sont le comte, Dominique et notre ami Léo Carral, tous trois vous sont dévoués et veilleront sur vous comme des frères.

– Mais mon ami, interrompit la jeune fille, vous oubliez, il me semble, mon père et mon frère.

– Non, mon enfant, je ne les oublie pas, je m'en souviens au contraire; votre père est un vieillard, qui non seulement ne peut protéger personne, mais encore a besoin d'être protégé lui-même; c'est le cas échéant ce que vous ne manquerez pas de faire; quant à votre frère don Melchior, vous connaissez, chère petite, mon opinion sur lui, il est donc inutile d'insister sur ce point; il ne pourra ou ne voudra pas vous défendre. Vous savez que je suis ordinairement bien informé et que je me trompe rarement; or, souvenez-vous bien de ceci tous: gardez-vous surtout, soit en paroles soit en actions de laisser supposer à don Melchior ou à quelque autre habitant que ce soit de l'hacienda que vous prévoyez un malheur; seulement veillez avec soin, afin de ne pas vous laisser surprendre et prenez vos précautions en conséquence.

– Nous veillerons, rapportez-vous-en à moi, répondit le vaquero; mais j'ai à vous faire, mon ami, une objection, qui, je le crois, ne manque pas de justesse.

– Laquelle?

– Comment ferai-je pour m'introduire dans l'hacienda et y demeurer sans éveiller les soupçons? Cela me paraît assez difficile.

– Non, vous vous trompez; personne excepté Léo Carral ne vous connaît à l'Arenal, n'est-ce pas?

– En effet.

– Eh bien! Vous y arriverez comme Français, ami du comte de la Saulay, et pour plus de sûreté vous feindrez de ne pas savoir un mot d'espagnol.

– Permettez, fit observer Ludovic; j'ai parlé quelques fois à don Andrés d'un ami intime attaché à la légation de France à México, et qui d'un moment à l'autre doit me venir voir à l'hacienda.

– Parfait, Dominique passera pour lui, et s'il veut, il baragouinera l'espagnol; comment se nomme cet ami que vous attendez?

– Charles de Meriadec.

– Fort bien, Dominique se nommera Charles de Meriadec; pendant qu'il sera à l'hacienda je mettrai ordre à ce que celui dont il prend provisoirement le nom ne vienne pas le déranger.

– Hum! Ceci est important.

– Ne craignez rien, j'arrangerai cela; ainsi voilà qui est convenu, demain matin monsieur Charles de Meriadec arrivera à l'hacienda.

– Il y sera le bien reçu, répondit en souriant Ludovic.

– Quant à vous, Léo Carral, je n'ai rien à vous recommander.

– Non, non, mes mesures sont prises depuis longtemps déjà, répondit le mayordomo, je n'ai plus qu'à m'entendre avec ces messieurs.

– Voilà qui va bien, maintenant séparons-nous; je devrais être loin.

– Vous nous quittez déjà, mon ami? dit doña Dolores avec émotion.

– Il le faut, mon enfant, bon courage, ayez confiance en Dieu! Pendant mon absence il veillera sur vous, allons, adieu!

L'aventurier serra une dernière fois la main du comte, baisa au front la jeune fille et se mit en selle.

– A bientôt, lui cria doña Dolores.

– Demain vous verrez, votre ami Meriadec dit en riant Dominique, et il partit au galop à la suite de l'aventurier.

– Revenez-vous avec nous à l'hacienda? demanda le comte au mayordomo.

– Pourquoi non? répondit-il; je suis censé vous avoir rencontré pendant votre promenade.

– C'est juste.

Ils remontèrent à cheval et reprirent au grand trot le chemin de l'hacienda où ils arrivèrent un peu avant le coucher du soleil.

XII
UN PEU DE POLITIQUE

On avait atteint les derniers mois de 18… Les événements politiques commençaient à se presser avec une rapidité telle que les esprits les moins éclairés comprenaient déjà qu'ils se précipitaient vers une catastrophe imminente.

Dans le sud, les troupes du général Gutiérrez avaient remporté une grande victoire sur l'armée constitutionnelle commandée par le général don Diego Álvarez (le même qui à une autre époque avait présidé à Guaymas le conseil de guerre qui avait condamné à mort notre infortuné compatriote et ami le comte Gaston de Raousset-Boulbon).

Le carnage des Indiens Pintos avait été immense; douze cents étaient restés sur le champ de bataille, l'artillerie, un nombreux armement étaient devenu la proie du vainqueur.

Mais à la même époque, avait commencé dans l'intérieur une série d'événements opposés; le premier avait été la fuite de Zuloaga, ce président qui, après avoir abdiqué en faveur de Miramón, l'avait révoqué un jour sans trop savoir pourquoi, sans consulter personne et au moment où on s'y attendait le moins.

Le général Miramón avait alors offert loyalement au président de la Cour suprême de justice de prendre le pouvoir exécutif et de convoquer l'assemblée des notables pour lui faire élire le premier magistrat de la république.

Sur ces entrefaites, une nouvelle catastrophe était venue ajouter de nouveaux dangers à la situation.

Miramón, à qui ses continuels triomphes avaient peut-être donné une imprudente confiance, poussé plus probablement par le désir d'en finir enfin d'une manière ou d'une autre, avait présenté, à Silao, la bataille à des forces quadruples des siennes. Il subit une déroute complète, perdit son artillerie et lui-même fut sur le point de périr; ce n'avait été que par des prodiges de valeur en tuant de sa main plusieurs de ceux qui l'enveloppaient, qu'il était parvenu à se faire jour, à sortir de la mêlée et à s'échapper du côté de Querétaro où il était arrivé presque seul.

De là, sans se laisser abattre par la mauvaise fortune, le général Miramón était revenu à México dont les habitants avaient ainsi appris tout à la fois sa défaite, son arrivée et son intention de se soumettre à une nouvelle élection.

Le résultat ne trompa pas l'attente secrète du général, il fut élu président par la Chambre des Notables presqu'à l'unanimité[1]. Le général, en homme qui comprend que le temps presse, prêta serment et entra immédiatement en fonctions.

Bien que matériellement le désastre de Silao fut presque nul, cependant au point de vue moral l'effet produit avait été immense.

Miramón le comprit, il s'occupa activement de remettre un peu d'ordre dans les finances, de se créer des ressources précaires, mais suffisantes pour les besoins urgents de la situation, de lever de nouvelles troupes, enfin de prendre toutes les précautions que commandait la prudence.

Malheureusement, le président était contraint d'abandonner plusieurs points importants pour concentrer ses forces autour de México, et ces divers mouvements, mal compris par la population, l'inquiétaient et lui faisaient redouter des malheurs prochains.

Dans ces circonstances, le président voulant sans doute donner satisfaction à l'opinion publique, et rendre un peu de tranquillité à la capitale, consentit ou feignit de consentir à entamer avec Juárez, son compétiteur, dont le gouvernement siégeait à la Veracruz, des pourparlers pour arriver à la conclusion, sinon de la paix, du moins d'un armistice destiné à arrêter provisoirement l'effusion du sang.

Malheureusement, une nouvelle complication vint rendre impossible tout espoir d'arrangement.

Le général Márquez avait été envoyé au secours de Guadalajara, qui, d'après ce qu'on supposait, continuait à résister avec succès aux troupes fédérales, mais tout à coup, sans que rien ne fît prévoir ce résultat, à la suite de l'enlèvement par les fédéraux d'une conducta de plata, appartenant à des négociants anglais, un armistice fut conclu entre les deux corps belligérants, armistice auquel l'argent de la conducta ne fut sans doute pas étranger, et le général Castillo, commandant de Guadalajara, abandonné par la plupart de ses troupes, se vit forcé de partir de la ville et de se réfugier sur le Pacifique; de sorte que les fédéraux libres de cet embarras, se réunirent contre Márquez, le battirent et détruisirent son corps le seul qui tenait la campagne.

La situation se faisait donc de plus en plus critique, les fédéraux ne rencontrant plus ni obstacle, ni résistance dans leur marche victorieuse, débordaient de tous côtés; tout espoir de traiter était perdu. Il fallait combattre quand même.

La chute de Miramón, ne devenait plus pour ainsi dire qu'une question de temps; le général le comprenait sans doute parfaitement dans son for intérieur, mais il n'en laissait rien paraître et redoublait au contraire d'ardeur et d'activité pour parer aux embarras sans cesse renaissants de la situation.

Après avoir fait appel à toutes les classes de la société, le président se résolut enfin à s'adresser au clergé que toujours il avait soutenu et protégé; celui-ci répondit à son appel, leva d'urgence une dîme sur ses biens et résolut de faire porter à la monnaie ses joyaux d'or et d'argent pour être fondus et mis à la disposition du pouvoir exécutif. Malheureusement tous ces efforts furent en pure pertes, les dépenses augmentaient en proportion des dangers toujours croissants de la situation, et bientôt Miramón, après avoir vainement employé tous les expédients que lui suggérait sa position critique, se retrouva devant un trésor vide, avec cette douloureuse certitude qu'il était inutile de songer davantage à le remplir.

Nous avons déjà eu l'occasion d'expliquer comment chaque État de la Confédération mexicaine, demeurant possesseur des deniers publics en temps de révolution, le gouvernement, siégeant à México, se trouve presque continuellement dans une pénurie complète, parce qu'il ne peut disposer que des fonds même de l'État de México, tandis que ses compétiteurs, au contraire, battant sans cesse la campagne dans tous les sens, non seulement y arrêtent les conductas de plata et s'en approprient les valeurs souvent fort considérables sans nuls remords, mais encore pillent les caisses de tous les États où ils pénètrent, enlèvent l'argent sans le moindre scrupule et se trouvent ainsi en mesure de soutenir la guerre sans désavantage.

Maintenant que, par un résumé rapide, nous avons établi la situation politique dans laquelle se trouvait le Mexique, nous reprendrons notre récit aux premiers jours de novembre 186… c'est-à-dire six semaines environ après l'époque où nous l'avons interrompu.

La soirée avançait, l'ombre gagnait déjà la plaine, les rayons obliques du soleil couchant, chassés peu à peu des bas-fonds des vallées, s'accrochaient encore aux cimes neigeuses des montagnes de l'Anahuac qu'ils teintaient de nuances vermeilles, la brise frémissait à travers le feuillage des arbres; des vaqueros, montés sur des chevaux aussi sauvages qu'eux-mêmes, chassaient à travers la plaine de grands troupeaux qui tout le jour avaient erré en liberté, mais qui le soir retournaient au corral. On entendait résonner au loin les grelots des mules de quelques arrieros attardés qui se hâtaient d'atteindre la magnifique chaussée bordée de ces énormes aloès contemporains de Moctecuzoma et qui conduit à México.

Un voyageur de haute mine, monté sur un fort cheval et soigneusement enveloppé dans les plis d'un manteau relevé jusqu'à ses yeux, suivait au petit pas les capricieux méandres d'un étroit sentier qui, coupant à travers terre, allait à deux lieues environ de la ville rejoindre la grande route de México à Puebla, route en ce moment complètement déserte, non seulement à cause de l'approche de la nuit, mais encore parce que l'état d'anarchie dans lequel le pays était depuis si longtemps plongé, avait jeté dans les campagnes de nombreuses bandes de bandits qui, profitant de la circonstance et faisant la guerre à leur façon, détroussaient sans distinction d'opinion politique les constitutionnels et les libéraux, et, enhardis par l'impunité, souvent ne se contentaient pas des grandes routes et venaient jusques dans la ville même exercer leurs déprédations.

 

Cependant le voyageur dont nous parlons semblait fort peu se préoccuper des risques auxquels il s'exposait et continuait insoucieusement sa hasardeuse promenade, de son même pas tranquille et reposé.

Il marchait ainsi depuis trois quarts d'heure environ, et, vu son allure paisible, il ne s'était pas éloigné de plus d'une lieue de la ville, lorsqu'en relevant la tête il s'aperçut qu'il avait atteint un endroit où le sentier se bifurquait à droite et à gauche; il s'arrêta avec une hésitation bien marquée, puis, au bout d'un instant, il prit le sentier de droite.

Après avoir suivi pendant dix minutes environ cette direction, le cavalier parut se reconnaître, alors il fit légèrement sentir l'éperon à son cheval et l'obligea à prendre un trot assez allongé.

Bientôt il atteignit un monceau de ruines noirâtres, éparses sans ordre sur la terre, et près desquelles croissait un bouquet d'arbres dont les larges ramures ombrageaient autour d'eux le terrain dans une assez grande circonférence. Arrivé là, le cavalier s'arrêta, puis après avoir jeté un regard investigateur, sans doute pour s'assurer qu'il était bien seul, il mit pied à terre, s'assit commodément sur un tertre de gazon, s'appuya contre une souche d'arbre, laissa tomber son manteau, découvrit son visage et montra les traits pâles et hâves du blessé que nous avons vu conduire au rancho par le vaquero Dominique.

Don Antonio de Caserbar, il s'appelait ainsi, ne paraissait plus être que l'ombre de lui-même; espèce de spectre lugubre, toute sa vie semblait s'être concentrée dans ses yeux qui brillaient d'une lueur sinistre comme ceux des faunes; mais dans ce corps en apparence si débile, on sentait qu'une âme ardente, une volonté énergique étaient renfermées, et que cet homme, sorti vainqueur d'une lutte acharnée contre la mort, poursuivait avec un entêtement inébranlable l'exécution de sombres résolutions prises antérieurement par lui. A peine guéri de son affreuse blessure, bien faible encore et ne supportant qu'avec une extrême difficulté la fatigue d'une longue course à cheval, il avait cependant imposé silence à ses souffrances pour venir ainsi, à la nuit tombante, à près de trois lieues de México, à un rendez-vous que lui-même avait demandé; les motifs d'une telle conduite, surtout dans son état de faiblesse, devaient être pour lui d'une bien haute importance.

Quelques minutes s'écoulèrent pendant lesquelles don Antonio, les bras croisés sur la poitrine et les yeux fermés, se recueillit en lui-même et se prépara, selon toute probabilité, à l'entrevue qu'il allait avoir avec la personne qu'il était venu chercher si loin.

Tout à coup un bruit de chevaux, mêlé à un cliquetis de sabres, annonça qu'une troupe assez nombreuse de cavaliers s'approchait de l'endroit où se tenait don Antonio.

Il se redressa, regarda avec curiosité dans la direction où le bruit se faisait entendre et il se leva pour recevoir sans doute les arrivants.

Ceux-ci étaient au nombre d'une cinquantaine; ils firent halte à une quinzaine de pas des ruines, mais ils demeurèrent en selle.

Un seul d'entre eux mit pied à terre, jeta la bride aux mains d'un cavalier et s'approcha à grands pas de don Antonio, qui, de son côté, s'était avancé au-devant de lui.

– Qui êtes-vous? demanda don Antonio à voix basse lorsqu'il ne fut plus qu'à cinq ou six pas de l'étranger.

– Celui que vous attendez, señor don Antonio, répondit aussitôt l'autre, le colonel don Felipe Neri Irzabal, pour vous servir.

– Oui, c'est vous, je vous reconnais, approchez.

– C'est bien heureux; eh bien, señor don Antonio, répondit le colonel en lui tendant la main, et cette santé?

– Mauvaise, dit don Antonio, en se reculant sans toucher la main que lui tendait le guérillero.

Celui-ci ne remarqua pas ce mouvement, ou s'il le remarqua, il n'y attacha aucune importance.

– Vous venez avec une grande suite, reprit don Antonio.

– ¡Caray! Croyez-vous, cher seigneur, que je me soucie de tomber aux mains des batteurs d'estrade de Miramón? Diable! Mon compte serait bientôt réglé s'ils s'emparaient de moi; mais je crois que, malgré tout le plaisir que nous éprouvons à nous trouver ensemble, nous ne ferons pas mal de nous occuper sans délai de nos affaires, hein? Qu'en pensez-vous?

– Je ne demande pas mieux.

– Le général vous remercie des derniers renseignements que vous lui avez fait parvenir, ils étaient d'une exactitude scrupuleuse; aussi a-t-il juré de vous récompenser comme vous le méritez, dès que l'occasion s'en présentera.

Don Antonio fit un geste de dégoût.

– Avez-vous le papier? lui demanda-t-il avec une certaine vivacité.

– Certes, répondit le colonel.

– Rédigé ainsi que je l'ai demandé.

– Tout y est señor, soyez tranquille, reprit le colonel avec un gros rire, où trouverait-on aujourd'hui l'honnêteté si elle ne se rencontrait pas entre gens de notre sorte, ce que vous avez stipulé est accepté, le tout est signé Ortega, général en chef de l'armée fédérale et contresigné Juárez, président de la république; êtes-vous content?

– Je vous répondrai, señor, lorsque j'aurai vu ce papier.

– Rien de plus facile, le voilà, fit le guérillero en retirant un large pli de son dolman et le présentant à don Antonio.

Celui-ci s'en saisit avec un mouvement de joie et le décacheta d'une main fébrile.

– Vous aurez de la peine à lire en ce moment, dit le colonel d'un air narquois.

– Vous croyez? fit don Antonio avec ironie.

– Dam! Il fait assez sombre, il me semble.

– Qu'à cela ne tienne, j'aurai bientôt de la lumière, et frottant une allumette chimique contre une pierre, il alluma une de ces petites bougies roulées, vulgairement nommées rats-de-caves, qu'il sortit de sa poche.

Au fur et à mesure qu'il lisait, une vive satisfaction éclatait sur son visage, enfin il éteignit sa bougie, plia le papier, le serra avec soin dans son portefeuille et s'adressant au colonel.

– Señor, vous remercierez le général Ortega de ma part, dit-il, il s'est conduit envers moi en véritable caballero.

Le guérillero salua.

– Je n'y manquerai pas, señor, répondit-il, surtout si vous avez quelques renseignements à ajouter à ceux que déjà vous nous avez donnés.

– J'en ai certes, et de fort importants.

– Ah! Ah! fit l'autre en se frottant joyeusement les mains, voyons un peu cela, cher señor.

– Écoutez-donc; Miramón est aux abois, l'argent lui manque sans qu'il lui soit possible d'en trouver désormais; les troupes, presque toutes recrues, mal armées et plus mal habillées, ne sont pas payées depuis deux mois, elles murmurent.

– Fort bien, pauvre cher Miramón, il est bien bas alors.

– D'autant plus bas, que le clergé qui avait promis dans le principe de venir à son aide, lui a définitivement refusé son concours.

– Mais, observa ironiquement le guérillero, comment êtes-vous si bien informé, cher seigneur?

– Ne savez-vous pas que je suis attaché à l'ambassade espagnole?

– C'est juste, au fait; je l'avais oublié, excusez-moi. Que savez-vous encore?

– Les rangs des partisans du président s'éclaircissent de plus en plus, ses plus anciens amis l'abandonnent; aussi pour se relever un peu dans l'opinion publique a-t-il résolu de tenter une sortie et d'aller attaquer la division du général Berriozábal.

– Tiens, tiens, tiens, c'est bon à savoir, cela.

– Vous voilà averti.

– Merci, nous veillerons, est-ce tout?

– Pas encore. Réduit, ainsi que je vous l'ai dit, à la dernière extrémité et voulant se procurer de l'argent, n'importe par quel moyen, Miramón s'autorise de l'enlèvement de la conducta de Laguna seca, opéré par votre parti.

– Je sais, interrompit le colonel, en se frottant les mains, ce fut moi qui opérai cette négociation; malheureusement, ajouta-t-il avec un soupir de regret, de tels coups de filets sont rares.

– Miramón est donc résolu, continua don Antonio, d'enlever l'argent de la convention qui se trouve en ce moment à la légation britannique.

– C'est une superbe idée, ces diables d'hérétiques seront furieux; quel est l'homme de génie qui lui a soufflé cette pensée qui le brouille irrémissiblement avec l'Angleterre; c'est que les gringos ne plaisantent pas sur la question d'argent.