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Les nuits mexicaines

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– Je le sais, aussi est-ce par mes soins que cette idée lui a été suggérée.

– Señor, dit majestueusement le guérillero, vous avez en cela bien mérité de la patrie! Mais cet argent ne doit pas être considérable.

– La somme est assez ronde.

– Ah! Ah! Combien à peu près?

– Six cent soixante mille piastres [2].

Le guérillero eut un éblouissement.

– ¡Caray! s'écria-t-il avec conviction, je lui rends les armes, il est plus fort que moi, l'affaire de Laguna Seca n'était rien en comparaison, mais avec cette somme ¡Dios me libre! Il va être en mesure de recommencer la guerre.

– Il est trop tard maintenant, nous y avons mis bon ordre, cette somme sera dépensée en quelques jours, reprit don Antonio avec un mauvais sourire; rapportez-vous en à nous pour cela.

– Dieu le veuille!

– Voici, quant à présent, tous les renseignements qu'il m'est possible de vous donner; je les crois assez importants.

– ¡Caray! s'écria le guérillero, ils ne sauraient l'être davantage.

– J'espère, dans quelques jours, vous en donner de plus sérieux encore.

– Toujours ici.

– Toujours, à la même heure, et au moyen du même signal.

– C'est convenu; ah! Le général va être fort satisfait d'apprendre tout cela.

– Venons maintenant à notre seconde affaire, celle qui nous regarde nous deux seuls: qu'avez-vous fait depuis que je vous ai vu?

– Pas grand chose; les moyens me font défaut, en ce moment, pour me livrer aux difficiles recherches dont vous m'avez chargé.

– Cependant la récompense est belle.

– Je ne dis pas, répondit distraitement le guérillero.

Don Antonio lui lança un regard perçant.

– Doutez-vous de ma parole? dit-il avec hauteur.

– J'ai pour principe de ne douter jamais de rien, señor, répondit le colonel.

– La somme est forte.

– C'est justement cela qui m'effraie.

– Que voulez-vous dire? Expliquez-vous don Felipe.

– Ma foi, s'écria-t-il en prenant tout à coup son parti, je crois que c'est le mieux que j'aie à faire; écoutez-moi donc.

– Je vous écoute, parlez.

– Surtout, ne vous fâchez pas cher seigneur, les affaires sont les affaires, que diable, et doivent être traitées carrément.

– C'est aussi mon avis, continuez.

– Donc, vous m'avez proposé cinquante mille piastres pour…

– Je sais pourquoi, passons.

– Je le veux bien; or, cinquante mille piastres forment une somme considérable; je n'ai que votre parole pour garantie, moi.

– N'est-ce point assez?

– Pas tout à fait; je sais bien qu'entre gentilshommes la parole vaut le jeu; mais quand il s'agit d'affaires, ce n'est plus cela; je vous crois riche, très riche même, puisque vous le dites et que vous m'offrez cinquante mille piastres; mais qui me prouve que le moment arrivé de vous acquitter envers moi, vous serez, malgré le vif désir que vous en aurez, en état de le faire?

Don Antonio, tandis que le guérillero lui posait ainsi nettement la question, était en proie à une colère sourde, qui vingt fois fut sur le point d'éclater, mais heureusement il se retînt et parvint à conserver son sang-froid.

– Alors, que désirez-vous? lui demanda-t-il d'une voix étouffée.

– Rien quant à présent, señor; laissez-nous terminer notre révolution. Dès que nous serons entrés à México, ce qui, je l'espère pour vous et pour moi, ne sera pas long, vous me conduirez chez un banquier que je connais; il répondra de la somme et tout sera dit. Cela vous convient ainsi?

– Il le faut bien; mais d'ici là?

– Nous avons à nous occuper de choses plus pressées, quelques jours de plus ou de moins ne signifient rien, et maintenant que, quant à présent, nous n'avons plus rien à nous dire, permettez-moi de prendre congé de vous, cher seigneur.

– Vous êtes libre de vous retirer, señor, répondit sèchement don Antonio.

– Je vous baise les mains, cher seigneur; à l'avantage de bientôt vous revoir.

– Adieu.

Don Felipe salua cavalièrement l'Espagnol, tourna sur les talons, rejoignit sa troupe, monta à cheval et repartit à toute bride suivi de ses partisans.

Quant à don Antonio, il reprit tout pensif et au petit pas le chemin de México, où il arriva deux heures plus tard.

– Oh! murmura-t-il en s'arrêtant devant la maison qu'il habitait, Calle de Tacuba, malgré le ciel et l'enfer je réussirai!

Que signifiaient ces paroles sinistres qui semblaient résumer sa longue méditation?

Footnote 1: La Chambre des Notables se compose de 28 membres; 23 étaient présents, la majorité en faveur de Miramón fut de 19 voix contre 1 et trois billets blancs. G. A.]

XIII
LES BONS DE LA CONVENTION

Des reflets rougeâtres zébraient les cimes neigeuses du Popocatepelt, les dernières étoiles s'éteignaient dans le ciel, des lueurs d'opale teintaient le sommet des édifices; le jour commençait à peine à poindre. México dormait encore; ses rues silencieuses n'étaient, à longs intervalles, sillonnées que par le pas hâtif de quelques Indiens, arrivant des pueblos des environs pour vendre leurs fruits et leurs légumes. Seules, quelques boutiques de pulqueros entrouvraient timidement leurs portes, et se préparaient à verser aux consommateurs du matin la dose de liqueur forte, prologue obligé du travail de chaque jour.

La demie après quatre heures sonna au Sagrario.

En ce moment un cavalier sortit de la rue de Tacuba, traversa au grand trot la Plaza Mayor, et vint tout droit s'arrêter à la porte du palais de la Présidence, gardée par deux sentinelles.

– Qui vive? cria un des factionnaires.

– Ami, répondit le cavalier.

– Passez au large.

– Non pas, reprit le cavalier, c'est ici que j'ai affaire.

– Vous voulez entrer au palais?

– Oui!

– Il est trop matin, revenez dans deux heures.

– Dans deux heures il sera trop tard, c'est tout de suite que j'entrerai.

– Bah! fit en goguenardant le factionnaire, et s'adressant à son compagnon: Que penses-tu de cela, Pedrito? lui dit-il.

– Eh! Eh! fit l'autre en ricanant, je pense que ce cavalier est étranger sans doute, qu'il se trompe et qu'il s'imagine être à la porte d'un mesón.

– Assez de grossièretés, drôles, dit sévèrement le cavalier, je n'ai perdu que trop de temps déjà; prévenez l'officier de garde, hâtez-vous.

Le ton employé par l'inconnu parut faire une forte impression sur les soldats. Après s'être un instant concerté entre eux à voix basse, comme après tout l'inconnu était dans son droit et que ce qu'il demandait était prévu par leur consigne, ils se décidèrent enfin à le satisfaire, en frappant de la crosse de leur fusil contre la porte.

Au bout de deux ou trois minutes, cette porte s'ouvrit et livra passage à un sergent facile à reconnaître au cep de vigne, insigne de son grade, qu'il tenait à la main gauche.

Après s'être informé auprès des factionnaires des motifs de leur appel, il salua poliment l'étranger, le pria d'attendre un instant et rentra laissant la porte ouverte derrière lui, mais presque aussitôt il reparut précédant un capitaine en grande tenue de service.

Le cavalier salua le capitaine et réitéra la demande qu'il avait précédemment adressée aux factionnaires.

– Je suis désespéré de vous refuser, señor, répondit l'officier, mais la consigne nous défend d'introduire qui que ce soit dans le palais avant huit heures du matin; veuillez donc, si la cause qui vous amène est sérieuse, revenir à l'heure que je vous indique, rien ne s'opposera à votre introduction. Et il s'inclina comme pour prendre congé.

– Pardon, capitaine, reprit le cavalier, encore un mot, s'il vous plaît.

– Dites, señor.

– C'est que ce mot, il est inutile qu'un autre que vous l'entende.

– Rien de plus aisé, señor, répondit l'officier en s'approchant jusqu'à toucher l'inconnu; maintenant parlez, je vous écoute.

Le cavalier se pencha de côté et murmura à voix basse quelques paroles que l'officier écouta avec les marques de la plus profonde surprise.

– Êtes-vous satisfait maintenant, capitaine?

– Parfaitement, señor; et se tournant vers le sergent immobile à quelques pas: Ouvrez la porte, dit-il.

– Inutile, répondit le cavalier, si vous le permettez, je descendrai ici, un soldat gardera mon cheval.

– Comme il vous plaira, señor.

Le cavalier mit pied à terre et jeta la bride au sergent, qui s'en empara en attendant qu'un soldat le vînt remplacer.

– Maintenant, capitaine, reprit l'étranger, si vous voulez mettre le comble à votre complaisance en me servant de guide et me conduisant vous-même auprès de la personne qui m'attend, je suis à vos ordres.

– C'est moi qui suis aux vôtres, señor, répondit l'officier et puisque vous le désirez j'aurai l'honneur de vous conduire.

Ils entrèrent alors dans le palais, laissant derrière eux le sergent et les deux factionnaires en proie à la plus grande surprise.

Précédé par le capitaine, le cavalier traversa plusieurs pièces qui malgré l'heure matinale de la journée étaient déjà encombrées, non de visiteurs, mais d'officiers de tous grades, de sénateurs et de conseillers de la cour suprême qui semblaient avoir passé la nuit au palais.

Une grande agitation régnait dans les groupes où se trouvaient confondus des militaires, des membres du clergé et des représentants du haut commerce; on parlait avec une certaine vivacité, bien qu'à voix basse; l'expression générale des physionomies était sombre et soucieuse.

Les deux hommes atteignirent enfin la porte d'un cabinet gardé par deux sentinelles; un huissier, la chaîne d'argent au cou, marchait lentement de long en large; à la vue des deux hommes, il s'approcha vivement d'eux.

 

– Vous êtes arrivé, señor, dit le capitaine.

– Il ne me reste plus qu'à prendre congé de vous, señor, et à vous adresser mes remercîments pour votre obligeance, répondit le cavalier.

Ils se saluèrent et le capitaine retourna à son poste.

– Son Excellence ne peut recevoir en ce moment. Il y a eu cette nuit conseil extraordinaire; son Excellence a donné l'ordre qu'on le laisse seul, dit l'huissier, en saluant sèchement l'inconnu.

– Son Excellence fera une exception en ma faveur, répondit doucement le cavalier.

– J'en doute, señor; l'ordre est général, je n'oserais pas me hasarder à y manquer.

L'étranger parut réfléchir un instant.

L'huissier attendait, étonné sans doute que l'inconnu persévérât à demeurer là.

Celui releva enfin la tête:

– Je comprends, señor, dit-il, tout ce que l'ordre que vous avez reçu a de sacré pour vous, je n'ai donc pas l'intention de vous engager à y désobéir, cependant, comme le sujet qui m'amène est de la plus haute gravité, laissez-moi vous prier de me rendre un service.

– Je ferai, señor, pour vous obliger tout ce qui sera compatible avec les devoirs de ma charge.

– Je vous remercie, señor; d'ailleurs, je vous certifie, et bientôt vous aurez la preuve de ce que j'avance, que, loin de vous réprimander, son excellence le président vous saura bon gré de m'avoir laissé pénétrer jusqu'à lui.

– J'ai eu l'honneur de vous faire observer, señor…

– Laissez-moi vous expliquer ce que je désire de vous, interrompit vivement l'étranger, puis vous me direz si vous pouvez ou non me rendre le service que je vous demande.

– C'est juste, parlez, señor.

– Je vais écrire un mot sur une feuille de papier, ce papier, sans prononcer un mot, vous le placerez sous les yeux du président; si son Excellence ne vous dit rien, je me retirerai, vous voyez que ce n'est pas difficile et que vous ne transgressez en aucune façon les ordres que vous avez reçus.

– C'est vrai, répondit l'huissier avec un lin sourire, mais je les tourne.

– Y voyez-vous quelque difficulté?

– Il est donc bien nécessaire que vous voyiez son Excellence le président ce matin? reprit l'huissier, sans répondre à la question qui lui était adressée.

– Señor don Livio, répondit l'étranger d'une voix grave, car bien que vous ne me connaissiez pas je vous connais moi, je sais quel est votre dévouement au général Miramón, eh bien, sur mon honneur et ma foi de chrétien, je vous jure qu'il y a pour lui la plus grande urgence à ce que je le voie sans délai.

– Cela suffit, señor, répondit sérieusement l'huissier, si cela ne dépend que de moi dans un instant vous serez près de lui; voici sur cette table, papier, plumes et encre, écrivez.

Le cavalier le remercia, prit une plume et en grosses lettres, sur une feuille blanche, à peu près au milieu il écrivit ce seul mot: ADOLFO .°.

suivi de trois points placés en triangle, puis il remit la feuille tout ouverte à l'huissier.

– Tenez, lui dit-il.

L'huissier le regarda avec étonnement.

– Comment, s'écria-t-il, vous êtes…

– Silence! fit l'étranger en posant son doigt sur sa bouche.

– Oh! vous entrerez, reprit l'huissier, et soulevant la portière il ouvrit la porte et disparut.

Mais presqu'aussitôt la porte se rouvrit et une voix fortement timbrée, voix qui n'était pas celle de l'huissier, cria à deux reprises de l'intérieur du cabinet:

– Entrez, entrez!

L'étranger entra.

– Venez donc, reprit le président, venez donc, cher don Adolfo; c'est le ciel qui vous envoie, et il s'avança vers lui en lui tendant la main.

Don Adolfo serra respectueusement la main du président et s'assit sur un fauteuil auprès de lui.

Au moment où nous le mettons en scène, le président Miramón, ce général dont le nom était dans toutes les bouches et qui passait à juste titre pour le premier homme de guerre du Mexique comme il en était le meilleur administrateur, était un tout jeune homme; il avait vingt-six ans à peine, et pourtant que de grandes et nobles actions il avait accomplies depuis trois ans qu'il était au pouvoir!

Au physique, sa taille était élégante et bien prise, ses manières pleines de laisser-aller, sa démarche noble, ses traits fins, distingués remplis de finesse, respiraient l'audace et la loyauté, son front large était déjà plissé sous l'effort de la pensée, ses yeux noirs bien ouverts, avaient un regard droit et clair dont la profondeur inquiétait parfois ceux sur lesquels il se fixait; son visage un peu pâle et ses yeux bordés d'un large cercle bistré témoignaient d'une longue insomnie.

– Ah! fit-il joyeusement en se laissant tomber dans un fauteuil, voilà mon bon génie de retour, il va me rapporter mon bonheur envolé.

Don Adolfo hocha tristement la tète.

– Que veut dire ce mouvement, mon ami? reprit le président.

– Cela veut dire, général, que je crains qu'il ne soit trop tard.

– Trop tard? Comment cela, ne me croyez-vous donc pas capable de prendre une éclatante revanche de mes ennemis?

– Je vous crois capable de toutes les grandes et nobles actions, général, répondit-il; malheureusement la trahison vous entoure de toutes parts, vos amis vous abandonnent.

– Ce n'est que trop vrai, dit le général avec amertume; le clergé et le haut commerce, dont je me suis fait le protecteur, que j'ai toujours et partout défendus, me laissent égoïstement user mes dernières ressources à les protéger, sans daigner me venir en aide; ils me regretteront bientôt, si, ce qui n'est que trop probable, je succombe par leur faute.

– Oui, c'est vrai, général, et dans le conseil que cette nuit vous avez tenu, vous vous êtes sans doute assuré d'une manière définitive des intentions de ces hommes auxquels vous avez tout sacrifié.

– Oui, répondit-il, en fronçant le sourcil et en scandant amèrement ses paroles, à toutes mes demandes, à toutes mes observations, ils n'ont fait qu'une seule et même réponse: Nous ne pouvons pas; c'était un mot d'ordre convenu entre eux!

– Votre position doit alors, pardonnez-moi cette franchise, général, votre position doit être extrêmement critique.

– Dites précaire et vous approcherez de la vérité, mon ami; le trésor est vide complètement sans qu'il me soit possible de le remplir de nouveau; l'armée, qui depuis deux mois n'a pas reçu de solde, murmure et menace de se débander; mes officiers passent les uns après les autres à l'ennemi; celui-ci s'avance à marche forcée sur México: voilà la situation vraie, comment la trouvez-vous?

– Triste, horriblement triste, général, et, pardon de cette question, que comptez-vous faire pour parer au danger?

Le général, au lieu de lui répondre, lui jeta à la dérobée un regard perçant.

– Mais avant, d'aller plus loin, reprit don Adolfo, permettez-moi, général, de vous rendre compte de mes opérations à moi.

– Oh! Elles ont été heureuses, j'en suis convaincu, répondit en souriant le général.

– J'ai l'espoir que vous les trouverez telles, Excellence; m'autorisez-vous à vous faire mon rapport?

– Faites, faites, mon ami, j'ai hâte d'apprendre ce que vous avez accompli pour la défense de notre noble cause.

– Oh! Permettez, général, dit vivement don Adolfo, je ne suis qu'un aventurier moi, mon dévouement vous est tout personnel.

– Bon, je m'entends, voyons un peu ce rapport.

– D'abord, j'ai réussi à enlever au général Degollado les débris de la conducta volée par lui à la Laguna Seca.

– Bon, ceci est de bonne guerre, c'est avec l'argent de cette conducta qu'il m'a pris Guadalajara. Oh! Castillo! Enfin, combien à peu près?

– Deux cents soixante mille piastres.

– Hum! Un assez beau chiffre.

– N'est-ce pas? J'ai ensuite surpris ce bandit de Cuellar, puis son digne associé Carvajal, enfin leur ami Felipe Irzabal a aussi eu maille à partir avec moi, sans compter quelques partisans de Juárez que leur mauvaise étoile a placés sur ma route.

– Bref, le total de ces diverses rencontres, mon ennemi…

– Neuf cents et quelques mille piastres; les guérilleros de l'intègre Juárez sont bons à tondre, ils ont les coudées franches et en profitent pour s'engraisser en pêchant largement en eau trouble; pour nous résumer, je vous apporte environ douze cents mille piastres qui vous seront amenées sur des mules avant une heure, et que vous serez libre de verser à votre trésor.

– Mais ceci est magnifique!

– On fait ce qu'on peut, général.

– Diable, mais si tous mes amis battaient la campagne avec d'aussi beaux résultats, je serais bientôt riche et en état de soutenir vigoureusement la guerre; malheureusement, il n'en est point ainsi; mais cette somme, ajoutée à ce que je suis parvenu à me procurer d'un autre côté, me forme un assez joli denier.

– Comment, de quelle autre somme parlez-vous, général? Vous avez donc trouvé de l'argent?

– Oui, dit-il avec une certaine hésitation; un de mes amis, attaché à l'ambassade espagnole, m'a suggéré un moyen.

Don Adolfo bondit comme s'il avait été piqué par un serpent.

– Calmez-vous, mon ami, dit vivement le général, je sais que vous êtes l'ennemi du duc; cependant, depuis son arrivée au Mexique, il m'a rendu de grands services, vous ne sauriez le nier.

L'aventurier était pâle et sombre, il ne répondit pas; le général continua; comme toutes les âmes loyales, il éprouvait le besoin de se disculper d'une mauvaise action, bien que la nécessité seule la lui eût fait commettre.

– Le duc, dit-il, après la défaite de Silao, lorsque tout me manquait à la fois, est parvenu à faire reconnaître mon gouvernement par l'Espagne; ce qui m'a été fort utile, vous en conviendrez, n'est-ce pas?

– Oui, oui, j'en conviens, général. Oh, mon Dieu! Ce qu'on m'a dit est donc vrai.

– Et que vous a-t-on dit?

– Que, devant le refus obstiné du clergé et du haut commerce de vous venir en aide, réduit à la dernière extrémité, vous avez pris une résolution terrible.

– C'est vrai, fit le général en baissant la tête.

– Mais peut-être n'est-il pas trop tard encore; je vous apporte de l'argent, votre situation est changée, et, si vous me le permettez, je vais…

– Écoutez, dit le général en le retenant d'un geste.

La porte venait de s'ouvrir.

– N'ai-je pas défendu qu'on me dérange? dit le président à l'huissier qui se tenait incliné devant lui.

– Le général Márquez, Excellence, répondit impassiblement l'huissier.

Le président tressaillit, une légère rougeur envahit son visage.

– Qu'il entre, dit-il d'une voix brève.

Le général Márquez parut.

– Eh bien? lui demanda le président.

– C'est fait, répondit laconiquement le général, l'argent est versé au Trésor.

– Comment cela s'est-il passé? reprit le président avec un imperceptible tremblement dans la voix.

– J'avais reçu de Votre Excellence l'ordre de me rendre, avec une force respectable, à la légation de Sa Majesté britannique et de demander au représentant anglais la remise immédiate des fonds destinés à servir au paiement des détenteurs de bons de la dette anglaise, faisant observer au représentant que cette somme était, en ce moment, indispensable à Votre Excellence, afin de mettre la ville en état de défense; de plus, je lui engageai la parole de Votre Excellence pour la restitution de cette somme, qui ne devait être considérée que comme un prêt de quelques jours seulement, lui offrant, du reste, de concerter avec Votre Excellence le mode de paiement qui lui serait le plus agréable; à toutes mes observations, le représentant anglais se borna à répondre que cet argent ne lui appartenait pas, qu'il n'en était que le dépositaire responsable, et qu'il lui était impossible de s'en dessaisir. Reconnaissant que toutes mes objections devaient échouer devant une résolution inébranlable, après plus d'une heure de pourparlers inutiles, je résolus enfin d'exécuter la dernière partie des ordres que j'avais reçus: je fis briser par mes soldats le sceau officiel et les coffres de la Légation, et j'enlevai tout l'argent qui s'y trouvait, en ayant soin toutefois de faire compter devant témoins la somme à deux reprises, pour bien constater le montant de l'argent que je m'appropriais, afin de le rendre intégralement plus tard; j'ai donc fait enlever un million quatre cent mille piastres [1], qui ont été immédiatement transportées au palais par mes ordres.

 

Après ce narré succinct, le général Márquez s'inclina, comme un homme convaincu qu'il a parfaitement fait son devoir et qui attend des compliments.

– Et le représentant anglais, demanda le président, qu'a-t-il fait alors?

– Après avoir protesté, il a amené son pavillon, et, suivi de tout le personnel de la Légation, il est sorti de la ville, en déclarant qu'il rompait toute relation avec le gouvernement de Votre Excellence, et que, devant l'acte inique de spoliation dont il était victime, ce sont ses propres expressions, il se retirait à Jalapa, en attendant les nouvelles instructions du gouvernement britannique.

– C'est bien, général, je vous remercie; j'aurai l'honneur de causer plus amplement avec vous dans un instant.

Le général salua et se retira.

– Vous le voyez, mon ami, dit le président, maintenant il est trop tard pour rendre cet argent.

– Oui, le mal est sans remède, malheureusement.

– Que me conseillez-vous?

– Général, vous êtes au fond d'un gouffre; votre rupture avec l'Angleterre est le plus grand malheur qui pouvait vous arriver dans les circonstances présentes; il vous faut vaincre ou mourir!

– Je vaincrai! s'écria le général avec feu.

– Dieu le veuille! répondit tristement l'aventurier, car la victoire seule peut vous absoudre.

Il se leva.

– Vous me quittez déjà? lui demanda le président.

– Il le faut, Excellence; ne dois-je pas faire transporter ici, l'argent que moi du moins j'ai pris à vos ennemis?

Miramón baissa tristement la tête.

– Pardon, général, j'ai tort, je n'aurais pas dû parler ainsi; ne sais-je pas par moi-même que l'infortune est une mauvaise conseillère?

– N'avez-vous rien à me demander?

– Si, un blanc-seing.

Le général le lui donna aussitôt.

– Tenez, lui dit-il; vous reverrai-je avant votre départ de México?

– Oui, général; un mot encore.

– Dites.

– Méfiez-vous de ce duc espagnol: cet homme vous trahit!

Il prit alors congé du président et se retira.

Note_2_23,300,000 de francs.
Note_1_36,000,000 de notre monnaie.