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Contes merveilleux, Tome I

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La nuit était très sombre, la tempête arrachait les tuiles des toits, les arbres dans le jardin où pendaient les squelettes ployaient comme des joncs.

La fenêtre s'ouvrit et la princesse s'envola. Elle était pâle comme une morte mais riait au mauvais temps, ne trouvait même pas le vent assez violent, sa cape blanche tournoyait dans l'air, mais le camarade la fouettait de ses trois verges si fort que le sang tombait en gouttes sur la terre et qu'elle n'avait presque plus la force de voler. Enfin elle atteignit la montagne.

–Il grêle et il vente, dit-elle, je ne suis jamais sortie dans une pareille tempête.

–Des meilleures choses on a parfois de trop, répondit le sorcier.

Elle lui raconta que Johannès avait encore deviné juste la deuxième fois, s'il en était de même demain, il aurait gagné et elle ne pourrait plus jamais venir voir le sorcier dans la montagne, jamais plus réussir de ces tours de magie qui lui plaisaient. Elle en était toute triste et inquiète.

–Il ne faut pas qu'il devine, répliqua le sorcier. Je vais trouver une chose à laquelle il n'aura jamais pensé, ou alors il est un magicien plus fort que moi. Mais d'abord soyons gais.

Il prit la princesse par les deux mains et la fit virevolter à travers la salle avec tous les petits lutins et les feux follets qui se trouvaient là, les rouges araignées couraient aussi joyeuses le long des murs, les fleurs de feu étincelaient, le hibou battait son tambour, les grillons crissaient et les sauterelles noires soufflaient dans leur guimbarde. Ça, ce fut un bal diabolique.

Lorsqu'ils eurent assez dansé, le temps était venu pour la princesse de rentrer au château où l'on pourrait s'apercevoir de son absence, le sorcier voulut l'accompagner afin de rester ensemble jusqu'au bout.

Alors ils s'envolèrent à travers l'orage et le compagnon de route usa ses trois verges sur leur dos. Jamais le sorcier n'était sorti sous une pareille grêle. Devant le château, il dit adieu à la princesse et lui murmura tout doucement à l'oreille: «Pense à ma tête», mais le compagnon l'avait entendu et à l'instant où la princesse se glissait par la fenêtre dans sa chambre et que le sorcier s'apprêtait à s'en retourner, il le saisit par sa longue barbe noire et trancha de son sabre sa hideuse tête de sorcier au ras des épaules, si bien que le sorcier lui-même n'y vit rien. Il jeta le corps aux poissons dans le lac mais la tête, il la trempa seulement dans l'eau puis la noua dans son grand mouchoir de soie, l'apporta à l'auberge et se coucha.

Le lendemain matin, il donna à Johannès le mouchoir, mais le pria de ne pas l'ouvrir avant que la princesse ne demande à quoi elle avait pensé.

Il y avait foule dans la grande salle du château où les gens étaient serrés comme radis liés en botte. Le conseil siégeait dans les fauteuils toujours garnis de leurs coussins moelleux, le vieux roi portait des habits neufs, le sceptre et la couronne avaient été astiqués, toute la scène avait grande allure mais la princesse, toute pâle, vêtue d'une robe toute noire, semblait aller à un enterrement.

–À quoi ai-je pensé? demanda-t-elle à Johannès.

Il s'empressa d'ouvrir le mouchoir et recula lui-même très effrayé en apercevant la hideuse tête du sorcier. Un frémissement courut dans l'assistance.

Quant à la princesse, assise immobile comme une statue, elle ne pouvait prononcer une parole. Finalement elle se leva et tendit sa main au jeune homme. Sans regarder à droite ni à gauche, elle soupira faiblement:

–Maintenant tu es mon seigneur et maître! Ce soir nous nous marierons.

–Ah! que je suis content, dit le roi. C'est ainsi que nous ferons.

Tout le peuple criait: «Hourra!» La musique de la garde parcourait les rues, les cloches sonnaient et les marchandes enlevaient le crêpe noir du cou de leurs cochons de sucre puisqu'on était maintenant tout à la joie. Trois bœufs rôtis entiers fourrés de canards et de poulets, furent servis au milieu de la grand-place. Chacun pouvait s'en découper un morceau, des fontaines publiques jaillissait, à la place de l'eau, un vin délicieux, et si l'on achetait un craquelin chez le boulanger, il vous donnait en prime six grands pains mollets.

Le soir toute la ville fut illuminée, les soldats tirèrent le canon, les gamins faisaient partir des pétards, on but et on mangea, on trinqua et on dansa au château. Les nobles seigneurs et les jolies demoiselles dansaient ensemble, on les entendait chanter de très loin:

 
On voit ici tant de belles filles
Qui ne demandent qu'à danser
Au son de la marche du tambour.
Tournez jolies filles, tournez encore
Dansez et tapez des pieds
Jusqu'à en user vos souliers.
 

Cependant la princesse était encore une sorcière, elle n'aimait pas Johannès le moins du monde, le compagnon de route s'en souvint heureusement. Il donna trois plumes de ses ailes de cygne à Johannès avec une petite fiole contenant quelques gouttes et il lui recommanda de faire placer un grand baquet plein d'eau auprès du lit nuptial. Lorsque la princesse voudrait monter dans son lit, il lui conseilla de la pousser un peu pour la faire tomber dans l'eau où il devrait la plonger trois fois, après y avoir jeté les trois plumes et les gouttes. Alors elle serait délivrée du sortilège et l'aimerait de tout son cœur.

Johannès fit tout ce que le compagnon lui avait conseillé. La princesse cria très fort lorsqu'il la plongea sous l'eau: la première fois, elle se débattait dans ses mains sous la forme d'un grand cygne noir aux yeux étincelants, lorsque pour la deuxième fois il la plongea dans le baquet, elle devint un cygne blanc avec un seul cercle noir autour du cou. Johannès pria Dieu et, pour la troisième fois, il plongea complètement l'oiseau. À l'instant, elle redevint une charmante princesse encore plus belle qu'auparavant. Elle le remercia avec des larmes dans ses beaux yeux de l'avoir délivrée de l'ensorcellement.

Le lendemain matin, le vieux roi vint avec toute sa cour et le défilé des félicitations dura toute la journée. En tout dernier s'avança le compagnon de voyage, son bâton à la main et son sac au dos. Johannès l'embrassa mille fois, lui demanda instamment de ne pas s'en aller, de rester auprès de lui puisque c'était à lui qu'il devait tout son bonheur.

Le compagnon de route secoua la tête et lui répondit doucement, avec grande amitié:

–Non, non, maintenant mon temps est terminé, je n'ai fait que payer ma dette. Te souviens-tu du mort que deux mauvais garçons voulaient maltraiter? Tu leur as donné alors tout ce que tu possédais pour qu'ils le laissent en repos dans sa tombe. Ce mort, c'était moi.

Ayant parlé, il disparut.

Le mariage dura tout un mois. Johannès et la princesse s'aimaient d'amour tendre, le vieux roi vécut de longs jours heureux, il laissait leurs tout petits enfants monter à cheval sur son genou et même jouer avec le sceptre. Et Johannès régnait sur tout le pays.

Le concours de saut

La puce, la sauterelle et l'oie sauteuse voulurent une fois voir laquelle savait sauter le plus haut. Elles invitèrent à cette compétition le monde entier et tous les autres qui avaient envie de venir, et ce furent trois sauteurs de premier ordre qui se présentèrent.

–Je donnerai ma fille à celui qui sautera le plus haut, dit le roi, il serait mesquin de faire sauter ces personnes pour rien. La puce s'avança la première; elle se présentait bien et saluait à la ronde, car elle avait en elle du sang de demoiselle et l'habitude de ne fréquenter que des humains, ce qui donne de l'aisance. Ensuite vint la sauterelle, sensiblement plus lourde, mais qui avait tout de même de l'allure et portait un uniforme vert qu'elle avait de naissance. Elle disait de plus qu'elle était d'une très ancienne famille d'Égypte et qu'elle était fort considérée ici. On l'avait prise dans les champs et déposée directement dans un château de cartes à trois étages, tous les trois bâtis de cartes à figures, l'envers tourné vers l'intérieur, on y avait découpé des portes et des fenêtres, même dans le corps de la dame de cœur.

–Je chante si bien, dit-elle, que seize grillons du pays qui crient depuis l'enfance et qui n'ont même pas eu de châteaux de cartes, en m'entendant, en ont encore maigri de dépit. Toutes les deux, aussi bien la puce que la sauterelle, se faisaient valoir de leur mieux et pensaient bien pouvoir épouser une princesse. L'oie sauteuse ne dit rien, mais on assurait qu'elle n'en pensait pas moins, et quand le chien de la cour l'eut seulement flairée, il se porta garant qu'elle était de bonne famille. Le vieux conseiller qui avait reçu trois décorations uniquement pour se taire affirma que l'oie sauteuse avait un don divinatoire, que l'on pouvait voir sur son dos si l'hiver serait doux ou rigoureux, ce que l'on ne peut même pas voir sur le dos du rédacteur de l'almanach qui prédit l'avenir.

–Bon, bon, je ne dis rien, dit le vieux roi, mais j'ai quand même ma petite idée. Maintenant, c'était le moment de sauter.... La puce sauta si haut que personne ne put la voir; le public soutint qu'elle n'avait pas sauté du tout, ce qui était une calomnie. La sauterelle sauta moitié moins haut, mais en plein dans la figure du roi qui dit que c'était dégoûtant. L'oie sauteuse resta longtemps immobile, elle hésitait. Chacun pensait qu'elle ne savait pas sauter du tout.

–Pourvu qu'elle n'ait pas pris mal, dit le chien de cour, et il la flaira encore un peu. Alors, paf! elle fit un petit saut maladroit, droit sur les genoux de la princesse, laquelle était assise sur un tabouret bas en or. Alors le roi déclara:

–Le saut le plus élevé, c'est de sauter sur les genoux de ma fille car cela dénote une certaine finesse et il faut de la tête pour en avoir eu l'idée. L'oie sauteuse a montré qu'elle avait de la tête et du ressort sous le front. Et elle eut la princesse.

 

–C'est pourtant moi qui aie sauté le plus haut, dit la puce. Mais peu importe! Qu'elle garde sa carcasse d'oie avec sa baguette et sa boulette de poix. J'ai sauté le plus haut, mais il faut en ce monde un corps énorme pour que les gens puissent vous voir. Et la puce alla prendre du service dans une armée étrangère en guerre où l'on dit qu'elle fut tuée. La sauterelle alla se poser dans le fossé et médita sur la façon dont vont les choses en ce monde. Elle aussi se disait:

–Il faut du corps, il faut du corps.... Elle reprit sa chanson si particulière et si triste où nous avons puisé cette histoire, qui n'est peut-être que mensonge, même si elle est imprimée dans un livre. L'oie sauteuse n'est pas un animal, c'est un jouet. Les enfants danois, à l'époque d'Andersen, s'amusaient à prendre la carcasse d'une oie que l'on avait mangée en famille. Ils reliaient les deux côtés du sternum par une ficelle double dans laquelle ils inséraient un bâtonnet. Plus ils tournaient le bâtonnet, plus les deux ficelles se tordaient, et, lorsqu'au bout d'un moment, ils lâchaient le bâtonnet, les ficelles, en se détordant subitement, faisaient sauter la carcasse plus ou moins haut.

Le coq de poulailler et le coq de girouette

Il était une fois deux coqs, un sur le tas de fumier, l'autre sur le toit, et ils étaient aussi prétentieux l'un que l'autre. Mais lequel des deux était le plus utile? Dites ce que vous en pensez… nous ne changerons pas d'avis pour autant.

La basse-cour était séparée du reste de la cour par un grillage. Là il y avait un tas de fumier et là poussait un grand concombre. Il savait bien qu'il était en fait une plante de serre.

–Cela dépend des origines, se disait le concombre. Tout le monde ne peut pas être un concombre, d'autres créatures doivent également exister. Les poules, les canards et tous les habitants de la cour voisine sont aussi des êtres vivants. J'observe le coq du poulailler lorsqu'il est assis sur la clôture. Il est autrement plus important que le coq de girouette qui est, il est vrai, très haut perché, mais ne sait même pas piailler et encore moins coqueriquer. Il n'a ni poules ni poussins, ne pense qu'à lui et transpire en plus le vert-de-gris. Par contre, notre coq, lui est un coq! Regardez-le comment il marche, c'est presque de la danse! Et on l'entend partout. Quel clairon! Oh, s'il voulait venir ici, s'il voulait me manger tout entier, avec les feuilles et la tige, ce serait une bien belle mort.

La nuit, un terrible orage arriva. La poule avec ses poussins ainsi que le coq s'abritèrent. La bourrasque fit tomber avec fracas la clôture entre les deux cours. Des tuiles tombèrent du toit mais le coq de girouette était bien assis et ne tourna même pas. Il ne tournait pas, malgré son jeune âge. C'était un coq fraîchement coulé mais très pondéré et réfléchi. Il était né vieux. Il n'était pas comme tous ces oiseaux du ciel, les moineaux et les hirondelles qu'il méprisait, «oiseaux qui piaulent et sont, de surcroît, très ordinaires».

–Les pigeons sont grands, luisants et brillants comme la nacre, ils ressemblent même à des coqs de girouette. Mais ils sont gros et bêtes, né pensent qu'à s'empiffrer et sont très ennuyeux, disait le coq de girouette.

Les oiseaux migrateurs lui rendaient parfois visite. Ils lui parlaient des pays lointains, des vols en bandes, lui racontaient des histoires de brigands et leurs aventures avec les rapaces. La première fois, c'était nouveau et intéressant, mais plus tard le coq comprit qu'ils se répétaient et racontaient toujours la même chose. Ils l'ennuyaient, tout l'ennuyait, on ne pouvait parler avec personne, tout le monde était inintéressant et lassant.

–Le monde ne vaut rien! déclarait-il. Tout cela n'a aucun sens!

Le coq de girouette était, comme on dit, blasé et c'est pourquoi il aurait été certainement un ami plus intéressant pour le concombre s'il s'en était douté. Mais celui-ci n'avait d'yeux que pour le coq de poulailler, qui justement marchait à ce moment vers lui.

La clôture gisait par terre et l'orage était passé.

–Comment avez-vous trouvé mon cri de coq? demanda le coq aux poules et aux poussins; il était un peu rauque et manquait d'élégance.

Les poules et les poussins passèrent sur le tas de fumier et le coq les suivit.

–Œuvre de la Nature! dit-il au concombre. Ces quelques mots convainquirent le concombre que le coq avait de l'éducation et il en oublia même que le coq était en train de le picorer et de le manger. —Quelle belle mort!

Les poules accoururent, les poussins accoururent et vous le savez bien, dès que l'un se met à courir les autres font de même. Les poules caquetaient, les poussins caquetaient et regardaient le coq avec admiration. Ils en étaient fiers, il était de leur famille.

–Cocorico! chanta-t-il. Les poussins deviendront bientôt de grandes poules, il me suffit d'en parler à la basse-cour du monde.

Et les poules caquetèrent et les poussins piaillèrent.

Le coq leur annonça la grande nouvelle.

–Un coq peut pondre un œuf! Et savez-vous ce qu'il y a dans un tel œuf? Un basilic! Personne ne supporte le regard d'un basilic! Les hommes le savent, vous le savez aussi, et maintenant vous savez tout ce que j'ai en moi! Je suis un gaillard, je suis le meilleur coq de toutes les basses-cours du monde!

Et le coq agita ses ailes, secoua sa crête et chanta. Toutes les poules et tous les poussins en eurent froid dans le dos. Et ils étaient très fiers d'avoir un tel gaillard dans la famille, le meilleur coq de toutes les basses-cours du monde. Les poules caquetèrent, les poussins piaillèrent pour que même le coq de girouette les entende. Et il les entendit, mais cela ne le fit même pas bouger.

–Tout cela n'a aucun sens, se dit le coq de girouette. Jamais le coq de girouette ne pondra un œuf et je n'en ai pas envie. Si je voulais, je pourrais pondre un œuf de vent, un œuf pourri, mais le monde n'en vaut même pas la peine. Tout cela est inutile!… Maintenant, je n'ai même plus envie d'être perché là!

Et le coq se détacha du toit. Mais il ne tua pas le coq de poulailler même si «c'était ce qu'il voulait», affirmèrent les poules. Et quel enseignement en tirerons-nous?

–Il vaut mieux chanter que d'être blasé et se briser!

Les coureurs

Un prix, deux prix même, un premier et un second, furent un jour proposés pour ceux qui montreraient la plus grande vélocité.

C'est le lièvre qui obtint le premier prix.

–Justice m'a été rendue, dit-il; du reste, j'avais assez de parents et d'amis parmi le jury, et j'étais sûr de mon affaire. Mais que le colimaçon ait reçu le second prix, cela, je trouve que c'est presque une offense pour moi.

–Du tout, observa le poteau, qui avait figuré comme témoin lors de la délibération du jury; il fallait aussi prendre en considération la persévérance et la bonne volonté: c'est ce qu'ont affirmé plusieurs personnes respectables, et j'ai bien compris que c'était équitable. Le colimaçon, il est vrai, a mis six mois pour se traîner de la porte au fond du jardin, et les autres six mois pour revenir jusqu'à la porte; mais, pour ses forces c'est déjà une extrême rapidité; aussi dans sa précipitation s'est-il rompu une corne en heurtant une racine. Toute l'année, il n'a pensé qu'à la course et, songez donc, il avait le poids de sa maison sur son dos. Tout cela méritait récompense et voilà pourquoi on lui a donné le second prix.

–On aurait bien pu m'admettre au concours, interrompit l'hirondelle. Je pense que personne ne fend l'air, ne vire, ne tourne avec autant d'agilité que moi. J'ai été au loin, à l'extrémité de la terre. Oui, je vole vite, vite, vite.

–Oui, mais c'est là votre malheur, répliqua le poteau. Vous êtes trop vagabonde, toujours par monts et par vaux. Vous filez comme une flèche à l'étranger quand il commence à geler chez nous. Vous n'avez pas de patriotisme.

–Mais, dit l'hirondelle, si je me niche pendant l'hiver dans les roseaux des tourbières, pour y dormir comme la marmotte tout le temps froid, serai-je une autre fois admise à concourir?

–Oh, certainement! déclara le poteau. Mais il vous faudra apporter une attestation de la vieille sorcière qui règne sur les tourbières, comme quoi vous aurez passé réellement l'hiver dans votre pays et non dans les pays chauds à l'étranger.

–J'aurais bien mérité le premier prix et non le second, grommela le colimaçon. Je sais une chose: ce qui faisait courir le lièvre comme un dératé, c'est la pure couardise; partout, il voit des ennemis et du danger. Moi, au contraire, j'ai choisi la course comme but de ma vie, et j'y ai gagné une cicatrice honorable. Si, donc, quelqu'un était digne du premier prix, c'était bien moi. Mais je ne sais pas me faire valoir, flatter les puissants.

–Écoutez, dit la vieille borne qui avait été membre du jury, les prix ont été adjugés avec équité et discernement. C'est que je procède toujours avec ordre et après mûre réflexion. Voilà déjà sept fois que je fais partie du jury, mais ce n'est qu'aujourd'hui que j'ai fait admettre mon avis par la majorité.

«Cependant chaque fois je basais mon jugement sur des principes. Tenez, admirez mon système. Cette fois, comme nous étions le 12 du mois, j'ai suivi les lettres de l'alphabet depuis l'a, et j'ai compté jusqu'à douze; j'étais arrivé à l: C'était donc au lièvre que revenait le premier prix. Quant au second, j'ai recommencé mon petit manège; et, comme il était trois heures au moment du vote, je me suis arrêté au c et j'ai donné mon suffrage au colimaçon. La prochaine fois, si on maintient les dates fixées, ce sera l'f qui remportera le premier prix et le d le second. En toutes choses, il faut de la régularité et un point de départ fixe.

–Je suis bien de votre avis, dit le mulet; et si je n'avais pas été parmi le jury, je me serais donné ma voix à moi-même. Car enfin, la vélocité n'est pas tout; il y a encore d'autres qualités, dont il faut tenir compte: par exemple, la force musculaire qui me permet de porter un lourd fardeau tout en trottant d'un bon pas. De cela, il n'était pas question étant donné les concurrents. Je n'ai pas non plus pris en considération la prudence, la ruse du lièvre, son adresse.

«Ce qui m'a surtout préoccupé, c'était de tenir compte de la beauté, qualité si essentielle. À mérite égal, m'étais-je dit, je donnerai le prix au plus beau. Or qu'y a-t-il au monde de plus beau que les longues oreilles du lièvre, si mobiles, si flexibles? C'est un vrai plaisir que de les voir retomber jusqu'au milieu du dos; il me semblait que je me revoyais tel que j'étais aux jours de ma plus tendre enfance. De cela, il n'était pas question étant donné les concurrents. Je n'ai pas non plus pris en considération la prudence, la ruse du lièvre, son adresse.

–Pst! dit la mouche, permettez-moi une simple observation. Des lièvres, moi qui vous parle, j'en ai rattrapé pas mal à la course. Je me place souvent sur la locomotive des trains; on y est à son aise pour juger de sa propre vélocité. Naguère, un jeune levraut des plus ingambes, galopait en avant du train; j'arrive et il est bien forcé de se jeter de côté et de me céder la place. Mais il ne se gare pas assez vite et la roue de la locomotive lui enlève l'oreille droite. Voilà ce que c'est que de vouloir lutter avec moi. Votre vainqueur, vous voyez bien comme je le battrais facilement; mais je n'ai pas besoin de prix, moi.

–Il me semble cependant, pensa l'églantine, il me semble que c'est le rayon de soleil qui aurait mérité de recevoir le premier prix d'honneur et aussi le second. En un clin d'œil, il fait l'immense trajet du soleil à la terre, et il y perd si peu de sa force que c'est lui qui anime toute la nature. C'est à lui que moi, et les roses, mes sœurs, nous devons notre éclat et notre parfum. La haute et savante commission du jury ne paraît pas s'en être doutée. Si j'étais rayon de soleil, je leur lancerais un jet de chaleur qui les rendrait tout à fait fous. Mais je n'irai pas critiquer tout haut leur arrêt. Du reste, le rayon de soleil aura sa revanche; il vivra plus longtemps qu'eux tous.

–En quoi consiste donc le premier prix? Fit tout à coup le ver de terre.

–Le vainqueur, répondit le mulet, a droit, sa vie durant, d'entrer librement dans un champ de choux et de s'y régaler à bouche que veux-tu. C'est moi qui ai proposé ce prix. J'avais bien deviné que ce serait le lièvre qui l'emporterait, et alors j'ai pensé tout de suite qu'il fallait une récompense qui lui fût de quelque utilité. Quant au colimaçon, il a le droit de rester tant que cela lui plaira sur cette belle haie et de se gorger d'aubépine, fleurs et feuilles. De plus, il est dorénavant membre du jury; c'est important pour nous d'avoir dans la commission quelqu'un qui, par expérience connaisse les difficultés du concours. Et, à en juger d'après notre sagesse, certainement l'histoire parlera de nous.