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Les soirées de l'orchestre

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– Et vous ne l'avez jamais entendu, me dit Corsino? – Jamais… Adieu, messieurs.

DIX-SEPTIÈME SOIRÉE

On joue le Barbier de Séville de Rossini.

Personne ne parle à l'orchestre. Corsino se contente, à la fin de l'opéra, de faire observer que l'acteur chargé du rôle d'Almaviva, dans cet étincelant chef-d'œuvre, était né pour être bourgmestre, et que Figaro eût fait un suisse de cathédrale accompli.

DIX-HUITIÈME SOIRÉE

ACCUSATION PORTÉE CONTRE LA CRITIQUE DE L'AUTEUR. – SA DÉFENSE. – RÉPLIQUE DE L'AVOCAT GÉNÉRAL. – PIÈCES A L'APPUI. – ANALYSE DU PHARE. – LES REPRÉSENTANTS SOUS-MARINS. – ANALYSE DE DILETTA. – IDYLLE. – LE PIANO ENRAGÉ

On représente pour la première fois un opéra allemand très, etc.

L'orchestre fait son devoir pendant le premier acte; au second le découragement semble gagner les musiciens: ils quittent leur instrument les uns après les autres et les conversations commencent.

«Voilà un ouvrage, me dit Corsino, sur lequel vous exerceriez votre talent de ne rien dire, si vous aviez à en rendre compte; et c'est bien là, il faut en convenir, la pire de toutes les critiques. – Comment cela? je tâche pourtant de toujours dire quelque chose dans mes malheureux feuilletons. Seulement, je cherche à en varier la forme: ce que vous appelez ne rien dire est souvent une façon fort claire de parler. – Oui, et d'une méchanceté diabolique que des Français seuls pouvaient inventer. Je veux en faire juges ces messieurs. J'ai la collection des bouquets à Chloris que vous avez faits jusqu'à ce jour; je vais la chercher, pour qu'ils apprécient le parfum des fleurs qui les composent.» (Il sort.) Dervinck s'adressant à moi: Je ne sais trop ce qu'il veut dire avec vos bouquets à Chloris. Nous autres Allemands, faisons aussi de la critique; mais notre façon de la faire est toute simple: un nouvel ouvrage paraît, nous allons l'entendre, et si, après l'avoir attentivement écouté, il nous semble beau, grand, original, nous écrivons… – Qu'il est détestable, dit Winter qui a composé un mauvais ballet. (Corsino rentrant, un paquet de journaux à la main.) «Voici, messieurs, ces chefs-d'œuvre d'aménité et de bienveillance. Étudions-les. Vous remarquerez d'abord que, s'il veut bafouer l'auteur d'un livret sans faire la moindre observation sur sa poésie, il emploie le moyen atroce de raconter la pièce en vers qui se suivent comme de la prose. Voyez le flatteur effet que cela produit. Je prends une scène au hasard: voici une troupe d'Arabes, marchant à pas comptés et chantant selon l'usage: «Taisons-nous! cachons-nous! faisons silence!» Le critique décrit ainsi la scène:

Ils s'éloignent sans bruit, dans l'ombre de la nuit; mais un groupe les suit. Le caïd, gros bonhomme, le dos un peu voûté, assez peu fier, en somme, de son autorité, craint, en faisant sa ronde, quelque encontre féconde en mauvais coups, puis, crac! d'être mis en un sac et lancé des murailles des gens sans entrailles, et de trouver la mort au port.

Il n'a pas fait vingt pas, que de grands coups de gaules tombant sur ses épaules vous le jettent à bas. «Au secours: on m'assomme! au meurtre!» Un galant homme fait fuir les assassins, appelle les voisins: une jeune voisine, à la mine assassine, en jupon court, accourt. Et le battu de geindre, de crier, de se plaindre, en contant l'accident. «Il me manque une dent! j'en mourrai! misérable! Il m'a rompu le râble! il a tapé trop dur, c'est sûr.

En voici une autre dans laquelle les vers de l'auteur du livret précèdent et suivent la fausse prose du critique, de manière à produire un grotesque mélange. Il s'agit d'un jeune homme qu'on veut retenir en otage pour dettes.

ALBERT

Grand Dieu!

RODOLPHE

C'est juste, et, gage précieux,

La loi veut qu'il demeure en otage en ces lieux.

Zila se désole, Albert la console, mais le temps s'envole, ah! que devenir! Rodolphe l'invite à prendre pour gîte son château. Bien vite, Albert, il faut fuir. Allons, vieux juif, face de suif, prête à ce jeune homme une forte somme; il t'offre en garantie sa liberté, sa vie. Il signe, es-tu content? – Oui, voilà de l'argent. – Maintenant je l'emmène; aubergiste inhumaine! je ne vous dois plus rien! Viens, mon amour, mon bien! – Ah çà! mais, dit le comte, ce jeune gars m'affronte, il faut que je le dompte, ou je perdrai mon nom. Viens ça, fils d'Isaac, et tire de ton sac le billet de ce drôle. Il me le faut? – Comment? sans gain? – Sur ma parole, tu gagnes cent pour cent.

RODOLPHE
 
Ah! la bonne affaire
Que j'ai faite là! (Montrant Albert.)
Ce billet, j'espère,
M'en délivrera.
Oui, par mon adresse,
J'aurai racheté
Se jeune maîtresse
Ou sa liberté.
 
MOI

«Vous trouvez cela atroce, mon cher Corsino; il n'y a pas même une arrière-pensée malicieuse là-dedans. C'est l'entraînement du rhythme qui m'a fait écrire-ainsi. A l'inverse du Bourgeois de Molière, j'ai fait de la poésie sans le savoir. Après avoir entendu un orgue de Barbarie vous jouer le même air pendant une heure, ne finissez-vous pas par chanter cet air malgré vous, si laid qu'il soit? Il est dès lors tout simple qu'en racontant des opéras où de pareils vers se sont mis, les vers se mettent dans ma prose, et que je ne parvienne ensuite qu'avec effort à me désenrimer. D'ailleurs, pourquoi me supposer capable d'ironie à l'égard des poëtes d'opéra: leurs fautes, s'ils en commettent, ne sont pas de ma compétence. Je ne suis pas un homme de lettres. Que les hommes de lettres régentent la musique, à la bonne heure! c'est leur droit; mais jamais, je vous le jure, il ne me viendra en tête de risquer une critique littéraire. Vous me calomniez. La crainte d'être trop fade, trop terne, trop ennuyeux, me fait seulement, ainsi que je viens de vous le dire, chercher à varier un peu la tournure de mes pauvres phrases. Surtout à certaines époques de l'année pendant lesquelles rien de ce qu'on fait ne réussit; où, artistes et critiques semblent avoir tort de vivre; où aucun de leurs efforts ne peut attirer l'attention ni exciter les sympathies du public; de ce public qui, dans sa somnolence, a l'air de dire: «Que me veulent tous ces gens-là? quel démon les possède? Un opéra nouveau! et d'abord est-ce qu'il y a des opéras nouveaux? Cette forme n'est-elle pas usée, exténuée, épuisée? Peut-il à cette heure y avoir encore en elle quelques éléments de nouveauté? Et quand il n'en serait pas ainsi, que me font les inventions des poëtes et des musiciens? que me font les opinions des critiques? Laissez-moi sommeiller, braves gens, et allez dormir. Nous nous ennuyons, vous nous ennuyez!» Ces jours-là, quand vous supposez les critiques préoccupés de malices et d'amères plaisanteries, ils sont dans le plus profond accablement, les malheureux; la plume vingt fois prise et reprise tombe vingt fois de leur main, et ils se disent dans la tristesse de leur cœur: «Ah! pourquoi sommes-nous si loin de Taïti, et que n'est-elle restée, cette île charmante, dans sa beauté primitive et demi-nue, au lieu de s'affubler de ridicules sacs de toile et d'apprendre à chanter la Bible d'une voix nasillarde, sur de vieux airs anglais! Nous pourrions au moins y aller chercher un refuge contre l'ennui européen, philosopher sous les grands cocotiers avec les jeunes Taïtiennes, pêcher des perles, boire le Kava, danser la pyrrhique et séduire la reine Pomaré. Au lieu de ces innocentes distractions trans-océaniques, sous le plus beau ciel du monde, il faut que nous nous donnions la peine de raconter comment on s'y est pris l'autre jour à Paris pour nous faire passer laborieusement cinq mortelles heures dans un théâtre enfumé!» Car ce n'est pas tout d'entendre un opéra en trois actes, d'assister même à sa dernière répétition; de dîner à moitié le soir de sa première représentation pour ne pas perdre une seule note de l'ouverture; de se faire dire des choses désagréables par M. son portier pour s'être attardé au théâtre jusqu'à une heure du matin, alors qu'on rappelait tous les acteurs, que le dernier bouquet tombait aux pieds de la prima donna. Ce n'est pas tout de passer au retour une partie de la nuit à se remémorer les divers incidents de la pièce, la forme des morceaux de musique, les noms des personnages; d'y rêver si l'on s'endort, d'y penser encore quand on se réveille. Hélas! non, ce n'est pas tout: il faut de plus, pour nous autres critiques, raconter d'une façon à peu près intelligible ce que souvent nous n'avons pas compris; faire un récit amusant de ce qui nous a tant ennuyés; dire le pourquoi et le comment, le trop et le pas assez, le fort et le faible, le mou et le dur d'une œuvre croquée au vol, et qui n'a pas posé tranquillement pour ses peintres pendant le temps nécessaire à l'action d'un daguerréotype bien conformé. Pour moi, je l'avoue, j'aimerais presque autant écrire l'opéra entier que d'en raconter un seul acte. Car l'auteur, quel que soit son chagrin d'être obligé de faire des chapelets de cavatines, et de se rappeler si souvent qu'une fois attelé à une partition d'opéra parisien, il ne doit pas s'amuser à enfiler des perles, l'auteur, au moins, travaille un peu quand il veut.

Le narrateur, au contraire, condamné à la critique, à temps, narre précisément quand il ne voudrait pas narrer. Il a passé une nuit pénible; il se lève sans pouvoir découvrir de quelle humeur il est; il se dit en outre: «En ce moment, Halévy, Scribe et Saint-Georges dorment du sommeil réparateur et profond des femmes en couches; et me voilà avec leur enfant sur les bras, obligé de cajoler sa nourrice pour qu'elle lui donne le sein, de le laver, de le bichonner, de dire à tout le monde comme il est joli, comme il ressemble à ses pères; de tirer son horoscope et de lui prédire une longue vie.»

 

Je voudrais bien savoir ce que vous feriez, mon cher Corsino, si, à ces tourments de la critique théâtrale, venaient se joindre encore ceux de la critique des concerts; si vous aviez une foule de gens de talent, de virtuoses remarquables, de compositeurs admirables, à louer! si vos amis vous venaient dire: «Voici neuf violonistes, onze pianistes, sept violoncellistes, vingt chanteurs, une symphonie, deux symphonies, un mystère, une messe, dont vous n'avez encore rien dit; parlez-en donc enfin. Allons! de l'ardeur! de l'enthousiasme! que tout le monde soit content! et surtout variez vos expressions! Ne dites pas deux fois de suite: Sublime! inimitable! merveilleux! incomparable! Louez, mais louez délicatement; n'allez pas lancer la louange avec une truelle. Donnez à entendre à tous que tous sont des dieux, mais pas davantage, et surtout ne le dites pas d'une façon trop crue. Cela pourrait blesser leur modestie; on ne gratte pas des hommes avec une étrille. Vous avez affaire à des gens de cœur qui vous sauront un gré infini des vérités que vous voudrez bien leur dire. Les auteurs, les artistes, ne ressemblent plus à l'archevêque de Grenade. Quelle que soit la dose d'amour-propre qu'on leur suppose, pas un ne serait capable de dire aujourd'hui comme le patron de Gil Blas à son critique trop franc: «Allez trouver mon trésorier, qu'il vous compte cinq cents ducats, etc.» La plupart de nos illustres se borneraient à répéter le mot d'un académicien de l'empire, mot dont on ne saurait assez souvent faire admirer la modestie et la profondeur. Ou avait offert un banquet à cet immortel. Au dessert, un jeune enthousiaste dit à son voisin de droite: «Allons, portons un toast à M. D. J. qui a surpassé Voltaire! – Ah! fi donc, répondit l'autre, c'est exagéré! bornons-nous à la vérité et disons: A M. D. J. qui à égalé Voltaire!» M. D. J. avait entendu la proposition, et saisissant vivement, à ces mots, la main du contradicteur: «Jeune homme, lui dit-il, j'aime votre rude franchise!» Voilà comment on reçoit la critique aujourd'hui, et pourquoi il est maintenant aisé d'exercer ce sacré ministère. Nous savons bien qu'il y a de ces rudes Francs qui l'exerceraient mieux encore, si les cinq cents ducats de l'archevêque étaient unis au magnifique éloge de l'académicien; mais ceux-là sont par trop exigeants, et la plupart de vos confrères se contentent de la douce satisfaction que leur procure la conscience d'un devoir bien rempli; ce qui prouve au moins qu'ils ont une conscience. Tandis qu'en voyant votre silence obstiné, on se demande si vous en avez une.» Que diriez-vous, Corsino, à des gens qui vous gratifieraient d'une telle homélie? Vous leur répondriez sans doute comme je l'ai fait dans l'occasion: «Mes amis, vous allez trop loin. Je n'ai jamais donné à personne le droit de me soupçonner de manquer de conscience. Certes, j'en ai une, moi aussi, mais elle est bien faible, bien chétive, bien souffreteuse, par suite des mauvais traitements qu'on lui fait subir journellement. Tantôt on l'enferme, on lui interdit l'exercice, le grand air, on la condamne au silence; tantôt on la force à paraître demi-nue sur la place publique, quelque froid qu'il fasse, et on l'oblige à déclamer, à faire la brave, à affronter les observations malséantes des oisifs, les huées des gamins et mille avanies. D'où est résulté, ce qu'on pouvait aisément prévoir, une constitution ruinée, une phthisie déjà parvenue au second degré, avec crachements de sang, étourdissements, inégalité d'humeur, accès de larmes, éclats de fureur, toux opiniâtre, enfin tous les symptômes annonçant une fin prochaine. Mais aussi, dès qu'elle sera morte, on l'embaumera d'après le procédé dont se servit Ruisch pour conserver au corps de sa fille les apparences de la vie; je la garderai soigneusement. On pourra la voir dans ma bibliothèque, et, ma foi, alors au moins elle ne souffrira plus.»

– (Corsino.) Mon cher monsieur, pardonnez-moi de vous faire remarquer que, depuis un quart d'heure, vous divaguez autour de la question. Bien plus, vous recourez à l'ironie pour me prouver que cet arme vous est étrangère. Mais je tiens mes preuves, et, si après en avoir entendu l'exposé, mes confrères ne me donnent pas trois fois raison, je m'engage à vous faire devant eux de très-humbles excuses et à me reconnaître pour un calomniateur. Écoutez tous.

ANALYSE DU PHARE

Opéra en deux actes
Jeudi 27 décembre 1849

Le théâtre représente une place du village de Pornic. Des pêcheurs bretons se disposent à prendre la mer avec Valentin le Pilote. Ils chantent en chœur:

 
Vive Valentin!
Tin! tin!
A lui la richesse,
Un brillant butin!
Tin! tin!
Avec la richesse
On a la tendresse
D'un joli lutin!
Tin! tin!
Et l'on peut sans cesse
Vider pièce à pièce
Beaune ou Chambertin!
Tin! tin!
 

Mais voilà le canon! bom! bom! de la foudre les éclats, cla! cla! enflamment tout l'horizon, zon! zon! Valentin saute dans sa barque pour essayer d'aborder un vaisseau en perdition, et recommande à son ami Martial de bien veiller sur son fanal, car s'il s'éteint, le navire et le pilote sont perdus. Grand tumulte, tempête, prière, etc., etc., etc.

Je craindrais de fatiguer le lecteur en entrant dans de plus grands détails sur la musique et les paroles de cet ouvrage. Je n'ajouterai plus qu'un mot sur sa mise en scène. Pendant qu'on chantait ainsi sur le devant du théâtre, à la première représentation, un autre drame s'agitait au post-scenium, et sous les yeux des spectateurs, qui ne s'en doutaient guère. Le décor du fond devant représenter la mer en tourmente, les vagues avaient à bondir et à s'agiter d'une furieuse manière. Or, il faut savoir que cet effet de perspective est produit par une toile peinte étendue horizontalement, et sous laquelle se haussent et se baissent continuellement une foule de petits garçons accroupis, dont la tête, soulevant ainsi le décor, représente la crête de la vague. Se figure-t-on le supplice de ces pauvres petits diables, obligés pendant une heure et demie d'agiter cette lourde mer, à grands efforts de colonne vertébrale, ne devant jamais s'asseoir, ne pouvant se lever tout debout, à demi étouffés, et obliger de sauter comme des singes sans repos ni cesse jusqu'à la fin d'un acte interminable? La fameuse cage inventée par Louis XI, et dans laquelle les prisonniers ne pouvaient étendre leurs membres, n'était rien en comparaison. Seulement, les tritons de l'Opéra, étant nombreux sous leur toile azurée, ont l'agrément de la conversation, et ils en abusent souvent. Témoin la première représentation du Phare, pendant laquelle une terrible discussion a bouleversé la mer armoricaine jusque dans ses dernières profondeurs. Les ondes avaient d'abord causé entre elles d'une façon assez raisonnable, et si Neptune eût prêté l'oreille, il n'eût pas trouvé à lancer son quos ego! n'entendant que d'innocentes exclamations, interrompues en forme de hoquet par les haut-le-corps de ces malheureux vaguant sous la toile; exclamations telles que celles-ci:

«Eh! dis donc, Moniquet, tu ne vas pas, et tu me laisses porter tout-hou-hou-hou mon coin de mer; veux-tu bien te remuer et te lever-hé-hé davantage! – Cré coquin, c'est que j'en-han-han peux plus. – Allons, ferme, feignant! Crois-tu pas-ha-ha-ha qu'on te donne quinze sous pour faire une mer qui ressemble à la Seine?.. – Eh bien-hein-hein, s'il a des dispositions pour la scène, ce moutard-ard-ard-ard-ard (crie un gros flot qui ne se ménage pas), veux-tu pas contrarier sa-ha-ha-ha vocation, toi? Après tout, ça ne va pas mal. Tiens, écoute comme on applaudit; nous avons un fier succès-hè-hè. Si le public nous redemande à la fin-in-in-in, est-ce que-he-he-he nous reparaîtrons? Tiens, par-ar-ar ardi! – Ah ben! non; moi, j'oserai-ai-ai pas. Si tu voyais comme je sue-hue-hue, je dois pas être présentable. – Allons donc, aristo-ho-ho, le public va ben regarder à ça pour des artiss! Voyons, vous autres, voulez-vous reparaître si on-on-on nous redemande? – Non-on-on-on. – Oui-hi-hi-hi. – Allons aux voix. – Non! votons par assis et levés. – Par assis et lévés-hé-hé-hé; il y a une heure que nous votons comme ça-a-a; j'en ai assez. – Pierre (dit tout bas un flot qui s'arrête), ne bouge pas, je dirai rien. – Mais ne dis rien, je bougerai pas. – C'est dit, les autres nous voient pas. J'ai les reins qui me craquent. Si nous fumions une pipe pour nous rafraîchir? As-tu d'amadou? – Oh! j'ose pas, rapport au feu. – Ah! oui, m'essieu Ruggieri n'en fait ben d'autre, de feu, et la barraque ne brûle pourtant pas. Gare, v'là le tonnerre… bzz… (Une fusée part sans explosion.) Tiens le tonnerre qu'a pas éclaté. En v'là une farce. C'est donc ça que M. Ruggieri, qui bisquait contre le directeur, disait l'autre jour, je l'ai entendu: Bon! bon! que la foule m'écrase si je leur donne pas des tonnerres qui rateront à tout coup. Il y a pas manqué, nous n'avons que des tonnerres qui ratent. Y garde sa poudre. – C'est vrai, mais on applaudit plus du tout depuis que nous travaillons pas. Faut nous y remettre, ou nous serons pas rappelés. – Allons! hardi! hi-hi-hi-hi-hi.» Silence parmi les tritons, ils travaillent en conscience; la tempête est superbe, les ondes bondissent comme des béliers et les vagues comme des agneaux (sicut agni ovium). Tout à coup, un flot courroncé qui n'avait encore rien dit, se redressant de toute sa hauteur et restant immobile, s'écrie: «Ah! qu'il a bien raison, le citoyen Proudhon, et que s'il y avait en France une ombre d'égalité, ces gredins de bourgeois qui nous regardent du haut de leurs loges où ils se carrent, seraient à gigoter ici à notre place, et c'est nous autres qui de là haut les regarderions. – Mais, grand imbécile, réplique une petite lame, en prenant le gros flot par les jambes et le faisant tomber, tu vois bien qu'il n'y aurait pas d'égalité pour ça. On aurait seulement fait basculer l'inégalité! – C'est pas vrai. – Il a raison. – C'est un aristo. – C'est un réac. – Flanquons-lui une danse.» Là-dessus la tempête se change en ouragan effroyable, en véritable raz-de-marée; les vagues se ruent les unes sur les autres avec un fracas inouï, une rage incroyable, on dirait d'une trombe, d'une typhon. Et le public d'admirer ce beau désordre, effet de la politique, et de se récrier sur le rare talent des machinistes de l'Opéra. Fort heureusement, la pièce étant finie, le rideau de l'avant-scène est tombé, et on est parvenu à grand'peine, en roulant la mer sur une longue perche, à mettre fin à cette séance de représentants sous-marins.

– Oh! oh! disent les musiciens en éclatant de rire, c'est là ce que vous appelez analyser un opéra? – Patience, messieurs, reprend Corsino, voici qui est plus fort. C'est toujours notre bienveillant critique qui parle.