Tasuta

Les soirées de l'orchestre

Tekst
iOSAndroidWindows Phone
Kuhu peaksime rakenduse lingi saatma?
Ärge sulgege akent, kuni olete sisestanud mobiilseadmesse saadetud koodi
Proovi uuestiLink saadetud

Autoriõiguse omaniku taotlusel ei saa seda raamatut failina alla laadida.

Sellegipoolest saate seda raamatut lugeda meie mobiilirakendusest (isegi ilma internetiühenduseta) ja LitResi veebielehel.

Märgi loetuks
Šrift:Väiksem АаSuurem Aa

ANALYSE DE DILETTA

Opéra-comique en trois actes
Lundi 22 juillet 1850

Il est fort triste de s'occuper d'opéras-comiques le lundi, par cette raison seule que le lundi est le lendemain du dimanche. Or, le dimanche, on va au chemin de fer du Nord, on monte dans un wagon et on lui dit: «Mène-moi à Enghien.» En descendant de l'obéissant véhicule vous trouvez de vrais amis, des amis solides, de ceux dont on ne sait pas très-bien le nom, mais qui n'accolent pas au vôtre d'épithète trop injurieuse quand vous avez le dos tourné et qu'on leur demande qui vous êtes.

Et la conversation s'engage dans la forme traditionnelle: «Tiens, c'est vous! – Pas mal, et vous? – Moi, je vais louer un bateau et pêcher dans le lac, et vous? – Oh! moi, je suis un pauvre pêcheur, et je vais à vêpres. J'étais hier à l'Opéra-Comique; et vous? – Moi, je suis vertueux, et dans la crainte de ne pas m'éveiller assez tôt pour voir l'aurore se lever aujourd'hui, je me suis privé hier de la représentation en question. J'ai entendu tout à l'heure un gros monsieur qui portait un melon en dire beaucoup de bien, et vous?.. – Je n'ai garde de dire du mal des melons ni des amateurs d'opéras-comiques, et vous?..» Pas de réponse, on a tourné l'angle d'un champ de groseilliers, vous avez pris d'un côté, l'ami est resté à l'autre, il mange des groseilles et ne songe plus à son ami. Et vous, songez-vous à lui? pas davantage.

Véritable amitié, sœur de la fraternité républicaine! Tout ravi de la liberté qu'elle vous laisse, vous traversez à pied la plaine d'Enghien; il fait silence. Une brise timide voudrait s'élever, mais elle n'ose, et le soleil dore à loisir les moissons immobiles. Deux cloches fêlées envoient du haut de la colline voisine leurs notes discordantes: c'est l'annonce des vêpres à l'église de Montmorency. Les cloches se taisent, le silence redouble. On s'arrête… on écoute… on regarde au loin… à l'ouest… ou pense à l'Amérique, aux mondes nouveaux qui y surgissent, aux solitudes vierges, aux civilisations disparues, aux grandeurs et à la décadence de la vie sauvage. A l'est… les souvenirs de l'Asie viennent vous assaillir; on songe à Homère, à ses héros, à Troie, à la Grèce, à l'Égypte, à Memphis, aux Pyramides, à la cour des Pharaons, aux grands temples d'Isis, à l'Inde mystérieuse, à ses tristes habitants, à la Chine caduque, à tous ces vieux peuples fous ou tout au moins monomanes. On s'applaudit de n'adorer ni Brama ni Vichenou et d'aller tranquillement, en bon chrétien, à vêpres à Montmorency. Une folâtre fauvette s'élance tout à coup d'un buisson, monte perpendiculairement en lançant au ciel sa chanson joyeuse, trace en l'air vingt zigzags capricieux, saisit un moucheron et l'emporte, en remerciant Dieu, dont la bonté, dit-elle, s'étend sur toute la nature, puisqu'il ne dédaigne pas de donner la pâture aux petits des oiseaux. Reconnaissance naïve que le moucheron très-probablement ne partage pas. Ceci donne beaucoup à réfléchir; on réfléchit donc! Passent deux jeunes Parisiennes simplement vêtues de blanc, avec cette grâce savante que possèdent les Parisiennes seulement. Quatre petits pieds bien chaussés, bien cambrés, bien tout… quatre grands yeux veloutés, bien sourcillés… enfin… ceci donne encore beaucoup à réfléchir. Elles disparaissent dans un champ du blé presque aussi haut, aussi droit, aussi flexible que leur taille est haute, flexible et droite. On réfléchit énormément, on réfléchit avec fureur. Mais les deux cloches discordantes envoient un second et dernier appel, et l'on se dit: Bah! allons à vêpres. On arrive enfin sur une colline en mamelon, au sommet de laquelle est fort pittoresquement plantée une charmante église gothique, point trop neuve, mais point trop dégradée non plus; un très-beau vitrail; tout autour une pelouse assez peu écorchée; on voit que le populaire n'y afflue que rarement. Point d'immondices, point de croquis impurs; trois mots seulement écrits d'une façon discrète dans un coin: Lucien, Louise, toujours!

On est tout troublé. Cette église de roman… son isolement… la paix qui l'environne… le merveilleux paysage qui se déroule à ses pieds… on sent s'agiter le premier amour depuis longtemps couché au fond du cœur et qui se réveille; votre dix-huitième année se relève à l'horizon. On cherche dans l'air une forme évanouie… L'orgue joue: une simple mélodie vous arrive au travers des murs de l'église. On essuie son œil droit et on se dit encore: Bah! allons à vêpres; et on entre.

Une trentaine de femmes et d'enfants endimanchés. Le curé, le vicaire et les chantres dans le chœur. Tons chantent faux à faire carier des dents d'hippopotame. L'organiste ne sait pas l'harmonie; il entremêle toutes ses phrases de petites broderies vermiculaires d'un style affreux. On supporte quelque temps néanmoins l'exécution barbare du psaume In exitu Israel de Ægypto, et la persistance de cette mélancolique psalmodie dans le mode mineur, revenant toujours la même sur chaque strophe, finit par endormir vos douleurs d'oreille et ramener la rêverie. Cette fois, ce sont des rêves d'art qui vous absorbent. On se dit qu'il serait beau d'avoir à soi cette charmante église, où la musique s'installerait avec ses prestiges les plus doux, où elle pourrait chanter avec tant de bonheur ses hymnes, ses idylles, ses poëmes d'amour; où elle pourrait prier, songer, évoquer le passé, pleurer et sourire, et préserver sa fierté virginale du contact de la foule, et vivre toujours ange et toujours pure, pour elle-même et pour quelques amis.

Ici, l'organiste joue un petit air de danse appartenant à un vieux ballet de l'Opéra, et le contraste grotesque qu'il produit avec le récit antique du chœur, vous impatiente tellement que vous sortez. Vous voilà de nouveau sur la pelouse; le murmure des voix du lieu saint y parvient encore. L'orgue continue ses petites drôleries. Vous jurez comme un charretier. Deux ballons s'élèvent au loin dans les airs, une colonne de fumée part du chemin de fer. La prose va vous saisir. Vite, vous tirez un livre de votre poche, et, en avisant dans le modeste cimetière voisin de l'église une pierre tumulaire inclinée d'une certaine façon, vous trouvez qu'on peut être commodément étendu sur cette tombe pour lire le douzième livre de l'Énéide une deux-centième fois. Vous allez vous y installer quand des sanglots, partis du chemin creux qui longe le cimetière, vous arrêtent. Une petite fille, s'appuyant sur des béquilles, gravit la colline un panier à la main et pleurant amèrement. On l'interroge: «Qu'as-tu donc, mon enfant?.. (Pas de réponse.) Voyons, que t'est-il arrivé? (Les pleurs redoublent.) Veux-tu dix sous pour acheter un pain d'épices? – Ah! oui, je m'en fiche bien de votre pain d'épices! – Mais que t'a-t-on fait? dis-le-moi, et surtout ne te fâche pas, ne me dis pas de sottises, je ne me moque pas de toi, je ne suis pas de Paris, sois tranquille. – Eh ben, m'sieu, ma grand'mère m'avait dit que ça me porterait bonheur, et que ma jambe guérirait le même jour que la sienne, et je la soignais si bien, et je lui donnais tant de mouches dans son panier!.. – Comment, ta grand'mère mangeait des mouches? – Mais non, c'est mon hirondelle. Je vous ai pas dit… voilà… l'hirondelle s'était entortillé la jambe dans du crin et des plumes, j'sais pas comment, si bien qu'elle s'avait cassé la cuisse, et puis y restait un gros morceau de terre de son nid qui pendait aux crins de sa patte et qui l'empêchait de voler. Je la pris il y a huit jours, et ma grand'mère me dit: «C'est du bonheur ces oiseaux-là, vois-tu; il faut en prendre soin, et si elle guérit, tu guériras aussi et tu pourras quitter tes béquilles le même jour.» Moi que ça m'embête tant d'être comme ça gênée, j'ai fait ce que disait ma grand'mère, je l'y ai bien nettoyé sa jambe, je l'y ai bien reficelé sa cuisse avec des allumettes. Et tout le temps qu'elle s'est sentie pas mieux, elle restait tranquillement dans son panier; elle me regardait d'un petit air de connaissance, avec ses gros yeux. Je lui donnais à tous les moments des belles mouches, que je leur-z-arrachais seulement la tête pour qu'elles s'envolent pas. Et ma grand'mère disait toujours: «C'est bien, il faut être bon pour les bêtes quand on veut qu'elles guérissent. Encore trois, quatre jours et tu seras de même guérie.» Et voilà que tout à l'heure elle a entendu c'te troupe des autres hirondelles qui gueulent là-haut à l'entour du clocher, et la petite gueuse elle a poussé le dessus du panier avec sa tête, et pendant que je m'occupais à lui arranger encore des mouches, elle a (hi! hi!) elle a (ha! ha!) elle… a fichu le camp. – Je conçois ton chagrin, mon enfant; tu l'aimais, ton hirondelle. – Je l'aimais? ah! je m'en moquais bien! en v'là une idée! mais elle n'était pas encore bien guérie, et je ne guérirai plus du tout à présent. Les autres, qu'elle est allée retrouver, vont lui recasser sa cuisse; je le sais bien, allez. – Pourquoi veux-tu que les autres la maltraitent?.. – Pardi! parce que c'est mauvais comme tous les oiseaux. Je l'ai ben vu c't hiver, qu'il faisait si froid: j'avais plumé vivant un pierrot qu'on m'avait donné, en lui laissant seulement les plumes des ailes et de la queue, et puis je l'avais lâché devant une douzaine d'autres pierrots. Il a volé vers ses camarades, qui lui sont tombés dessus, tous, roide, et l'ont tué à coups de bec; à preuve que (pleurant) je n'ai jamais tant ri… (hi! hi!) Vous voyez bien que ma jambe ne guérira pas. Me v'là propre. Ah! si je l'avais su (hu! hu!), je lui aurais finement tordu le cou tout de suite.»

Vous remettez alors dans votre poche le livre que vous aviez à la main. La poésie n'est plus de saison. Vous enragez. Vous allumez un cigare, et vous vous en allez fumant et consterné. Vous n'avez pas fait trente pas que la petite béquillarde vous appelle: Eh! m'sieu! et les dix sous que vous m'aviez promis! – Ta n'aimes pas le pain d'épices. – Non, mais donnez toujours. – Ma foi, je n'ai qu'une pièce de cinq sous, tiens. Vous lui jetez vos cinq sous, l'enfant les ramasse, vous laisse faire encore quelques pas, et vous crie: «Ohé! vieux gredin! aristo!» On fume précipitamment. On retraverse la plaine, tout sot; on remonte en wagon pour revenir à Paris, et on se dit: «Si elle ne m'eût appelé qu'aristo, ou gredin, mais vieux… Bah! décidément je n'irai plus à vêpres à Montmorency.»

 

Voilà pourquoi je suis si peu disposé à vous conter, aujourd'hui lundi, le nouvel opéra-comique. L'idylle d'hier m'a stupéfié. A demain donc… Vieux gredin!.. Elle l'a dit.

C'est une enfant!

Mardi, 23 juillet.

Il est toujours fort triste de s'occuper d'opéras-comiques le mardi, par cette raison seule que le mardi est le lendemain du lundi. Les jours se suivant sans se ressembler, il est de toute évidence que si l'on a été mélancolique le lundi, on doit sentir une gaieté quelconque arriver le mardi. Et il n'y a pas de plus terrible rabat-joie qu'une analyse de tels ouvrages à faire, pour celui qui l'écrit; si ce n'est cette même analyse faite pour celui qui la lit. Or, je ne cesse de rire depuis ce matin d'un accident arrivé vendredi dernier à M. Érard, et dont tout le quartier du Conservatoire de musique s'entretient encore. Il faut, vous l'avouerez, qu'il s'agisse d'un événement prodigieux pour qu'il préoccupe si longtemps l'attention publique. C'est d'un prodige, en effet, qu'il s'agit, prodige fatal à un homme célèbre, et que pourtant je ne puis m'empêcher de trouver fort divertissant. C'est mal, j'en conviens. La fréquentation des enfants de Montmorency m'aurait-elle déjà corrompu?..

Voici le fait dans toute son inexplicable et effrayante simplicité.

Les concours du Conservatoire ont commencé la semaine dernière. Le premier jour, M. Auber, décidé, comme on dit, à attaquer le taureau par les cornes, a fait concourir les classes de piano. L'intrépide jury chargé d'entendre les candidats, apprend sans émotion apparente qu'ils sont au nombre de trente et un, dix-huit femmes et treize hommes. Le morceau choisi pour le concours est le concerto en sol mineur de Mendelssohn. A moins d'une attaque d'apoplexie, foudroyant l'un des candidats pendant la séance, le concerto va donc être exécuté trente et une fois de suite; on sait cela. Mais ce que vous ne savez peut-être pas encore, et ce que j'ignorais moi-même il y a quelques heures, n'ayant point eu la témérité d'assister à cette expérience, c'est ce que m'a raconté ce matin un des garçons de classes du Conservatoire, au moment où, tout préoccupé de l'épithète de vieux dont m'avait gratifié l'Amaryllis de Montmorency, je traversais la cour de cet établissement.

«Ah! ce pauvre M. Érard! disait-il, quel malheur! – Érard, que lui est-il arrivé? – Comment, vous n'étiez donc pas au concours de piano? – Non, certes. Eh bien, que s'y est-il passé? – Figurez-vous que M. Érard a eu l'obligeance de nous prêter, pour ce jour-là, un piano magnifique qu'il venait de terminer et qu'il comptait envoyer à Londres pour l'Exposition universelle de 1851. C'est vous dire s'il en était content. Un son d'enfer, des basses comme on n'en entendit jamais, enfin un instrument extraordinaire. Le clavier était seulement un peu dur; mais c'est pour cela qu'il nous l'avait envoyé. M. Érard n'est pas maladroit, et il s'était dit: Les trente et un élèves, à force de taper leur concerto égayeront les touches de mon piano et ça ne peut lui faire que du bien. Oui, oui, mais il ne prévoyait pas, le pauvre homme, que son clavier serait égayé d'une si terrible manière. Au fait, un concerto exécuté trente et une fois de suite dans la même journée! qui pouvait calculer les suites d'une semblable répétition? Le premier élève se présente donc, et, trouvant le piano un peu dur, n'y va pas de mains mortes pour tirer du son. Le second, idem. Au troisième, l'instrument ne résiste plus autant; il résiste encore moins au cinquième. Je ne sais pas comment l'a trouvé le sixième; il m'a fallu, au moment où il se présentait, aller chercher un flacon d'éther pour un de nos messieurs du jury, qui se trouvait mal, le septième finissait quand je suis revenu, et je l'ai entendu dire en rentrant dans la coulisse: «Ce piano n'est pas si dur qu'on le prétend; je le trouve excellent, au contraire.» Les dix ou douze autres concurrents ont été du même avis; les derniers assuraient même qu'au lieu de paraître trop dur au toucher, il était trop doux.

»Vers les trois heures moins un quart, nous étions arrivés au nº 26, on avait commencé à dix heures; c'était le tour de mademoiselle Hermance Lévy, qui déteste les pianos durs. Rien ne pouvait lui être plus favorable, chacun se plaignant à cette heure qu'on ne pût toucher le clavier sans le faire parler; aussi elle nous a enlevé le concerto si légèrement qu'elle a obtenu net le premier prix. Quand je dis net, ce n'est pas tout à fait vrai; elle l'a partagé avec mademoiselle Vidal et mademoiselle Roux. Ces deux demoiselles ont aussi profité de l'avantage que leur offrait la douceur du clavier; douceur telle, qu'il commençait à se mouvoir rien qu'en soufflant dessus. A-t-on jamais vu un piano de cette espèce? Au moment d'entendre le nº 29, j'ai encore été obligé de sortir pour chercher un médecin; un autre de nos messieurs du jury devenait très-rouge, et il fallait le soigner absolument. Ah! ça ne badine pas le concours de piano! et, quand le médecin est arrivé, il n'était que temps. Comme je rentrais au foyer du théâtre, je vois revenir de la scène le nº 29, le petit Planté, tout pâle; il tremblait de la tête aux pieds, en disant: «Je ne sais pas ce qu'a le piano, mais les touches remuent toutes seules. On dirait qu'il y a quelqu'un dedans qui pousse les marteaux. J'ai peur. – Allons donc, gamin, tu as la berlue, répond le petit Cohen, de trois ans plus âgé que lui. Laissez-moi passer; je n'ai pas peur, moi.» Cohen (le nº 30) entre; il se met au piano sans regarder le clavier, joue son concerto très-bien, et, après le dernier accord, au moment où il se levait, ne voilà-t-il pas le piano qui se met à recommencer tout seul le concerto! Le pauvre jeune homme avait fait le brave; mais, après être resté comme pétrifié un instant, il a fini par se sauver à toutes jambes. A partir de ce moment, le piano dont le son augmente de minute en minute, va son train, fait des gammes, des trilles, des arpéges. Le public, ne voyant personne auprès de l'instrument et l'entendant sonner dix fois plus fort qu'auparavant, s'agite dans toutes les parties de la salle; les uns rient, les autres commencent à s'effrayer, tout le monde est dans un étonnement que vous pouvez comprendre. Un juré seulement, du fond de la loge ne voyant pas la scène, croyait que M. Cohen avait recommencé le concerto, et s'époumonnait à crier: «Assez! assez! assez! taisez-vous donc! Faites venir le nº 31 et dernier.» Nous avons été obligés de lui crier du théâtre: «Monsieur, personne ne joue; c'est le piano qui a pris l'habitude du concerto de Mendelssohn et qui l'exécute tout seul à son idée. Voyez plutôt. – Ah çà, mais c'est indécent; appelez M. Érard. Dépêchez-vous; il viendra peut-être à bout de dompter cet affreux instrument.» Nous cherchons M. Érard. Pendant ce temps-là, le brigand de piano, qui avait fini son concerto, n'a pas manqué de le recommencer encore, et tout de suite, sans perdre une minute, et toujours, toujours avec plus de tapage; on eût dit de quatre douzaines de pianos à l'unisson. C'étaient des fusées, des trémolo, des traits en sixtes et tierces redoublées à l'octave, des accords de dix notes, de triples trilles, une averse de sons, la grande pédale, le diable et son train.

»M. Érard arrive; il a beau faire, le piano, qui ne se connaît plus, ne le reconnaît pas davantage. Il fait apporter de l'eau bénite, il en asperge le clavier, rien n'y fait: preuve qu'il n'y avait point là de sortilége et que c'était un effet naturel des trente exécutions du même concerto. On démonte l'instrument, on en ôte le clavier qui remue toujours, on le jette au milieu de la cour du Garde-Meuble, où M. Érard furieux le fait briser à coups de hache. Ah bien oui! c'était pire encore, chaque morceau dansait, sautait, frétillait de son côté, sur les pavés, à travers nos jambes, contre le mur, partout, et tant et tant, que le serrurier du Garde-Meuble a ramassé en une brassée toute cette mécanique enragée et l'a jetée dans le feu de sa forge pour en finir. Pauvre M. Érard! un si bel instrument! Ça nous fendait le cœur à tous. Mais qu'y faire? il n'y avait que ce moyen de nous en délivrer. Aussi, un concerto exécuté trente fois de suite dans la même salle le même jour, le moyen qu'un piano n'en prenne pas l'habitude! Parbleu! M. Mendelssohn ne pourra pas se plaindre qu'on ne joue pas sa musique! mais voilà les suites que ça vous a.»

Je n'ajoute rien au récit que l'on vient de lire, et qui a tout à fait l'air d'un conte fantastique. Vous n'en croirez pas un mot sans doute, vous irez jusqu'à dire: C'est absurde. Et c'est justement parce que c'est absurde que je le crois, car jamais un garçon du Conservatoire n'eût inventé une telle extravagance.

Maintenant venons à l'objet principal de cette étude. Ne remettons pas à demain l'affaire sérieuse; il est toujours fort triste d'avoir à s'occuper d'opéras-comiques le mercredi.

Diletta ...... … mais ....

très … la musique … ... toujours ....

Pâleur … platitude.

Le manuscrit de l'auteur est devenu ici tellement indéchiffrable que de tous nos protes, aucun n'a pu en lire davantage. Nous nous voyons donc forcés de donner ainsi un peu incomplète sa critique du charmant opéra de Diletta.

(Note de l'Editeur.)

Tous les musiciens en chœur: Affreux! abominable! Corsino a raison. Il n'est pas humain d'user d'aussi cruelles réticences. Peut-on! peut-on! – Mais, messieurs, écoutez-moi donc. Connaissez-vous les opéras dont je me suis ainsi évertué à ne pas parler? – Non. – Personne ici ne les connaît? – Non! non! – Eh bien! si par hasard il vous était prouvé qu'ils sont d'une nullité plus absolue, plus complète que celui que vous vous permettez si cavalièrement d'exécuter à demi-orchestre ce soir, me trouveriez-vous encore trop sévère? – Certes, non. – En ce cas, j'ai gagné ma cause, Corsino a tort. Car je le déclare formellement: en comparaison de ces deux partitions, votre opéra nouveau est un chef-d'œuvre. Que diable! il faut pourtant, avant de prononcer un jugement dans un arbitrage, entendre les deux parties. Si malingre que soit ma conscience de critique, je vous l'ai dit, j'en ai une, elle vit encore. Elle eût été morte, si j'eusse émis une opinion raisonnée, sévère, impitoyable même, sur des choses pareilles, dont, au point de vue de l'art, il n'y a rien à dire, absolument rien. Votre empressement à me condamner m'afflige et me blesse. Je vous croyais de meilleurs sentiments pour moi. Permettez que je me retire. – Voyons, voyons, dit Kleiner l'aîné en essayant de me retenir, il ne faut pas se vexer pour si peu. J'ai été bien plus… – Non. Adieu, messieurs!»

Je sors au milieu du troisième acte.