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Les soirées de l'orchestre

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Ensuite l'addition des deux mesures contestées n'est point du tout une anomalie dans le style de Beethoven. Il y a non pas cent, mais mille exemples de caprices semblables dans ses compositions. La raison que les deux mesures ajoutées détruisent la symétrie de la phrase, n'était point suffisante pour qu'il s'abstînt si l'idée lui en est venue. Personne ne s'est moqué plus hardiment que lui de ce qu'on nomme la carrure. Il y a même un exemple frappant de ses hardiesses en ce genre dans la seconde partie du premier morceau de cette même symphonie, page 36 de la petite édition de Breitkopf et Hartel, où une mesure de silence, qui paraît être de trop, détruit toute la régularité rhythmique et rend très-dangereuse pour l'ensemble la rentrée de l'orchestre qui lui succède. Maintenant je n'aurai pas de peine à démontrer que la mélodie de Beethoven ainsi allongé, l'a été par lui avec une intention formelle. La preuve en est dans cette même mélodie reproduite une seconde fois immédiatement après le point d'orgue, et qui contient encore deux mesures supplémentaires (, ut dièse, , ut naturel) dont personne ne parle; mesures différentes de celles qu'on voudrait supprimer, et ajoutées cette fois après la quatrième mesure du thème, tandis que les deux autres s'introduisent dans la phrase après la troisième mesure. L'ensemble de la période se compose ainsi de deux phrases de dix mesures chacune; il y a donc intention évidente de l'auteur dans cette double addition, il y a donc même symétrie, symétrie qui n'existera plus si on supprime les deux mesures contestées en conservant les deux autres qu'on n'attaque point. L'effet de ce passage du scherzo n'a rien de choquant; au contraire, j'avoue qu'il me plaît fort. La symphonie est exécutée ainsi dans tous les coins du monde où les grandes œuvres de Beethoven sont entendues. Toutes les éditions de la partition et des parties séparées contiennent ces deux mesures; et enfin, lorsqu'en 1850, à propos de l'exécution de ce chef-d'œuvre à l'un des concerts de la société philharmonique de Paris, un journal m'eut reproché de ne les avoir pas supprimées, regardant cette erreur de gravure comme un fait de notoriété publique, je reçus peu de jours après une lettre de M. Schindler. Or, M. Schindler m'écrivait précisément pour me remercier de n'avoir point fait cette correction; M. Schindler, qui a passé sa vie avec Beethoven, ne croit point à la faute de la gravure, et il m'assurait avoir entendu les deux fameuses mesures dans toutes les exécutions de cette symphonie qui avaient en lieu sous la direction de Beethoven. Peut-on admettre que l'auteur, s'il eût reconnu là une faute, ne l'eût pas corrigée immédiatement?

S'il a ensuite changé d'avis à ce sujet dans les dernières années de sa vie, c'est ce que je ne puis dire.

M. de Lenz, fort modéré d'ailleurs dans la discussion, perd son sang-froid quand il vient à se heurter contre les absurdités qu'on écrit encore et qu'on écrira toujours, partout, sur les chefs-d'œuvre de Beethoven. En pareil cas, toutes sa philosophie l'abandonne, il s'irrite, il est malheureux, il redevient adolescent. Hélas! je puis le dire, sous ce rapport, j'étais encore à peine au sortir de l'enfance il y a quelques années; mais aujourd'hui je ne m'irrite plus. J'ai lu et entendu tant et tant de choses extraordinaires, non-seulement en France, mais même en Allemagne, sur Beethoven et les plus nobles productions de son génie, que rien en ce genre ne peut maintenant m'émouvoir. Je crois même pouvoir me rendre un compte assez exact des diverses causes qui amènent cette divergence des opinions.

Les impressions de la musique sont fugitives et s'effacent promptement. Or, quand une musique est vraiment neuve, il lui faut plus de temps qu'à toute autre pour exercer une action puissante sur les organes de certains auditeurs, et pour laisser dans leur esprit une perception claire de cette action. Elle n'y parvient qu'à force d'agir sur eux de la même façon, à force de frapper et de refrapper au même endroit. Les opéras écrits dans un nouveau style sont plus vite appréciés que les compositions de concert, quelles que soient l'originalité, l'excentricité même du style de ces opéras, et malgré les distractions que les accessoires dramatiques causent à l'auditeur. La raison en est simple: un opéra qui ne tombe pas a plat à la première représentation est toujours donné plusieurs fois de suite dans le théâtre qui vient de le produire; il l'est aussi bientôt après dans vingt, trente, quarante autres théâtres, s'il a obtenu du succès. L'auditeur, qui, en l'écoutant une première fois, n'y a rien compris, se familiarise avec lui à la seconde représentation; il l'aime davantage à la troisième, et finit surtout par se passionner tout à fait pour l'œuvre qui l'avait choqué de prime abord.

Il n'en peut être ainsi pour des symphonies qui ne sont exécutées qu'a de longs intervalles, et qui, au lieu d'effacer les mauvaises impressions qu'elles ont produites à leur apparition, laissent à ces impressions le temps de se fixer et de devenir des doctrines, des théories écrites, auxquelles le talent de l'écrivain qui les professe donne plus ou moins d'autorité, selon le degré d'impartialité qu'il semble mettre dans sa critique et l'apparente sagesse des avis qu'il donne à l'auteur.

La fréquence des exécutions est donc une condition essentielle pour le redressement des erreurs de l'opinion, lorsqu'il s'agit d'œuvres conçues, comme celles de Beethoven, en dehors des habitudes musicales de ceux qui les écoulent.

Mais si fréquentes, si excellentes, si entraînantes qu'on les suppose, ces exécutions même ne changeront l'opinion ni des hommes de mauvaise foi, ni des honnêtes gens à qui la nature a formellement refusé le sens nécessaire à la perception de certaines sensations, à l'intelligence d'un certain nombre d'idées. Vous aurez beau dire à ceux-là: «Admirez ce soleil levant! – Quel soleil! diront-ils tous; nous ne voyons rien.» Et ils ne verront rien en effet; les uns parce qu'ils sont aveugles, les autres parce qu'ils regardent à l'occident.

Si nous abordons maintenant la question des qualités d'exécution nécessaires aux œuvres originales, poétiques, hardies, des fondateurs de dynasties en musique, il faudra reconnaître que ces qualités devront être d'autant plus excellentes que le style de l'œuvre est plus neuf. On dit souvent: «Le public n'aperçoit pas les incorrections légères, les nuances omises ou exagérées, les erreurs de mouvement, les défauts d'ensemble, de justesse, d'expression ou de chaleur.» C'est vrai, il n'est point choqué par ces imperfections, mais alors il demeure froid, il n'est pas ému, et l'idée du compositeur si délicate, ou gracieuse, ou grande et belle qu'on la suppose, ainsi voilée, passe devant lui sans qu'il en aperçoive les formes, parce que le public ne devine rien.

Il faut donc, je le répète, aux œuvres de Beethoven des exécutions fréquentes, et d'une puissance et d'une beauté irrésistibles. Or il n'y a pas, je le crois fermement, six endroits dans le monde où l'on puisse entendre seulement six fois par an ses symphonies dignement exécutées. Ici l'orchestre est mal composé, là il est trop peu nombreux, ailleurs il est mal dirigé, puis les salles de concerts ne valent rien, ou les artistes n'ont pas le temps de répéter; enfin presque partout on rencontre des obstacles qui amènent, en dernière analyse, pour ces chefs-d'œuvre, les plus désastreux résultats.

Quant à ses sonates, malgré le nombre incalculable de gens à qui l'on donne le nom de pianistes, je dois convenir encore que je ne connais pas six virtuoses capables de les exécuter fidèlement, correctement, puissamment, poétiquement, de ne pas paralyser la verve, de ne pas éteindre l'ardeur, la flamme, la vie, qui bouillonnent dans ces compositions extraordinaires, de suivre le vol capricieux de la pensée de l'auteur, de rêver, de méditer, ou de se passionner avec lui, de s'identifier enfin avec son inspiration et de la reproduire intacte.

Non, il n'y a pas six pianistes pour les sonates de piano de Beethoven. Ses trios sont plus accessibles. Mais ses quatuors! combien y a-t-il en Europe de ces quadruples virtuoses, de ces dieux en quatre personnes, capables d'en dévoiler le mystère? Je n'ose le dire. Il y avait donc de nombreux motifs pour que M. de Lenz ne se donnât pas la peine de répondre aux divagations auxquelles les œuvres de Beethoven ont donné lieu. L'espèce d'impopularité de ces merveilleuses inspirations est un malheur inévitable. Encore, est-ce même un malheur?.. j'en doute. Il faut peut-être que de telles œuvres restent inaccessibles à la foule. Il y a des talents pleins de charme, d'éclat et de puissance, destinés, sinon au bas peuple, au moins au tiers état des intelligences: les génies de luxe, tels que celui de Beethoven, furent créés par Dieu pour les cœurs et les esprits souverains.

Il sentait bien lui-même et sa force et la grandeur de sa mission; les boutades qui lui sont échappées en mainte circonstance ne laissent aucun doute à cet égard. Un jour que son élève Ries osait lui faire remarquer dans une de ses nouvelles œuvres une progression harmonique déclarée fautive par les théoriciens, Beethoven répliqua: «Qui est-ce qui défend cela? – Qui? Hé, mais Fuchs, Albrechtsberger, tous les professeurs. – Eh bien, moi, je le permets.» Une autre fois il dit naïvement: «Je suis de nature électrique, c'est pourquoi ma musique est si admirable!»

La célèbre Bettina rapporte dans sa correspondance que Beethoven lui dit un jour: «Je n'ai pas d'amis; je suis seul avec moi-même; mais je sais que Dieu est plus proche de moi dans mon art que dans les autres. Je ne crains rien pour ma musique; elle ne peut avoir de destinée contraire, celui qui la sentira pleinement sera à tout jamais délivré des misères que les autres hommes traînent après eux.»

M. de Lenz, en rapportant les singularités de Beethoven dans ses relations sociales, dit qu'il ne fut pas toujours aussi sauvage que dans les dernières années de sa vie; qu'il lui arriva même de figurer dans des bals, et qu'il n'y dansait pas en mesure. Ceci me paraît fort, et je me permettrai de ne point le croire. Beethoven posséda au plus haut degré le sentiment du rhythme, ses œuvres en font foi; et si on a réellement dit qu'il ne dansait pas en mesure, c'est qu'on aura trouvé piquant de faire après coup cette puérile observation, et de la consigner comme une anomalie curieuse. On a vu des gens prétendre que Newton ne savait pas l'arithmétique, et refuser la bravoure à Napoléon.

 

Il paraît pourtant, à en croire un grand nombre de musiciens allemands qui ont joué les symphonies de Beethoven sous sa direction, qu'il dirigeait médiocrement l'exécution même de ses œuvres. Ceci n'a rien d'incroyable: le talent du chef d'orchestre est spécial, comme celui du violoniste; il s'acquiert par une longue pratique et si l'on a d'ailleurs pour lui des dispositions naturelles très-prononcées. Beethoven fut un pianiste habile, mais un violoniste détestable, bien qu'il eût dans son enfance pris des leçons de violon. Il aurait pu jouer fort mal de l'un et de l'autre instrument, ou même n'en pas jouer du tout, sans être pour cela un moins prodigieux compositeur.

On croit assez généralement qu'il composait avec une extrême rapidité. Il lui est même arrivé d'improviser un de ses chefs-d'œuvre, l'ouverture de Coriolan, en une nuit; en général cependant il travaillait, retournait, pétrissait ses idées de telle sorte, que le premier jet ressemblait fort peu à la forme qu'il leur imprimait enfin pour l'adopter. Il faut voir ses manuscrits pour s'en faire une idée. Il refit trois fois le premier morceau de sa septième symphonie (en la). Il a cherché pendant plusieurs jours, en vaguant dans les champs autour de Vienne, le thème de l'Ode à la joie, qui commence le finale de sa symphonie avec chœurs. On possède l'esquisse de cette page.

Après la première phrase qui s'était présentée à l'esprit de Beethoven, on y trouve écrit en français le mot mauvais. La mélodie modifiée reparaît quelques lignes plus bas, accompagnée de cette observation, en français toujours: «Ceci est mieux?» Puis enfin on la trouve revêtue de la forme que nous admirons, et décidément élue par les deux syllabes que l'opiniâtre chercheur dut tracer avec joie: «C'est ça!»

Il a travaillé pendant un temps considérable à sa messe en . Il refit deux ou trois fois son opéra de Fidelio, pour lequel il composa, on le sait, quatre ouvertures. Le récit de ce qu'il eut à endurer pour faire représenter cet opéra, par le fait de la mauvaise volonté et de l'opposition de tous ses exécutants, depuis le premier ténor jusqu'aux contre-basses de l'orchestre, offrirait un triste intérêt, mais nous entraînerait trop loin. Quelque variées qu'aient été les vicissitudes de cette œuvre, elle est restée et elle restera au répertoire de plus de trente théâtres en Europe, et son succès serait plus grand, malgré les nombreuses difficultés d'exécution qu'elle présente, sans les inconvénients incontestables d'un drame triste, dont l'action tout entière se passe dans une prison.

Beethoven, en se passionnant pour le sujet de Léonore ou l'Amour conjugal, ne vit que les sentiments qu'il lui donnait à exprimer, et ne tint aucun compte de la sombre monotonie du spectacle qu'il comporte. Ce livret, d'origine française, avait été mis en musique d'abord à Paris par Gavaux. On en fit plus tard un opéra italien pour Paër, et ce fut après avoir entendu à Vienne la musique de la Leonora de ce dernier, que Beethoven eut la cruauté naïve de lui dire: «Le sujet de votre opéra me plaît, il faut que je le mette en musique.»

Il serait curieux maintenant d'entendre successivement les trois partitions.

Je m'arrête; j'en ai dit assez, je l'espère, pour donner aux admirateurs de Beethoven le désir de connaître le livre de M. de Lenz. J'ajouterai seulement qu'en outre des excellentes qualités de critique et de biographie qu'il a déployées, ils trouveront dans le catalogue et la classification des œuvres du maître la preuve du soin religieux avec lequel M. de Lenz a étudié tout ce qui s'y rapporte, et du savoir qui l'a guidé dans ses investigations.

Ces pages sont insuffisantes malheureusement. Je viens d'en faire l'expérience; leur lecture ne dure que trois quarts d'heure. Que pourrais-je donc narrer encore afin de compléter la durée totale de la première partie de votre opéra? Attendez… j'y suis. Je me souviens d'un voyage que je fis à Bonn, à l'époque des fêtes organisées pour l'inauguration de la statue de Beethoven. Cela s'enchaîne passablement avec ce qui précède, supposons que nous soyons au lendemain du 14 août 1845 et que je vous écrive des bords du Rhin. Lisez:

SUPPLÉMENT POUR LE 1er ACTE

FÊTES MUSICALES DE BONN

Kœnig's Winter, 15 août.

La fête est terminée; Beethoven est debout sur la place de Bonn, et déjà les enfants, insoucieux de toute grandeur, viennent jouer aux pieds de sa statue; sa noble tête est battue des vents et de la pluie, et sa main puissante qui écrivit tant de chefs-d'œuvre sert de perchoir à de vulgaires oiseaux. Maintenant les artilleurs essuient la gueule de leurs canons, après tant de hourras lancés au ciel; les Quasimodo de la cathédrale laissent en repos leurs cloches fatiguées de crier: Hosanna! les étudiants, les carabiniers ont dépouillé leurs pittoresques uniformes; la phalange des chanteurs et des instrumentistes s'est dispersée; la foule des admirateurs, éblouie de l'éclat de cette gloire, s'en va rêveuse, redire à tous les échos de l'Europe avec quels grands coups d'ailes, avec quelle étincelle dans les yeux elle est venue s'abattre sur la cité de Bonn pour y couronner l'image du plus grand de ses fils.

Hâtons-nous donc, avant ce moment inévitable où tout se refroidit et s'éteint, où l'enthousiasme devient traditionnel, où les soleils passent à l'état planétaire, hâtons-nous de dire la piété sincère et pure de cette vaste assemblée, formée au bord du Rhin dans le seul but de rendre hommage au génie. Et certes! on avait fait peu d'efforts pour l'y réunir; les invitations adressées aux artistes étrangers par le comité de Bonn n'étaient que de superficielles politesses qui n'assuraient pas même aux invités une place quelconque pour assister aux cérémonies. D'un autre côté, les principales institutions où s'enseigne en Europe la musique, celles même qui n'ont vécu depuis longtemps et ne vivent encore que par les œuvres de Beethoven, se sont montrées, on va le voir, peu soucieuses de s'y faire représenter; et presque tous les artistes, hommes de lettres et savants qu'on y voyait, n'avaient été mus que par l'impulsion de leurs sympathies personnelles et de leur admiration. Peut-être faut-il s'en féliciter, et reconnaître qu'à cette rareté des missionnaires officiels ont été dues la chaleur, la cordialité, la joie religieuse qui unissaient tous les membres de ce meeting presque européen des fils et des amis de l'art musical. Je dis presque, à cause de l'absence facile à prévoir et à comprendre, des musiciens de l'Italie. Toutes les autres nations vraiment initiées au culte de l'art des sons y avaient des mandataires, artistes, critiques ou amateurs, dans le pêle-mêle le plus original.

Étaient venus de Berlin: LL. MM. le roi et la reine de Prusse, MM. Meyerbeer, le comte Westmoreland (ministre d'Angleterre), Moëser père, Moëser fils, Rellstab, Ganz, Boetticher, Manlius, mesdemoiselles Jenny Lind, Tuczeck.

De Vienne: MM. Fischoff, Joseph Bacher, députés du Conservatoire, le prince Frédéric d'Autriche, Wesque de Püttlingen, Hotlz.

De Weimar: MM. Chelard et Montag, représentants de la chapelle ducale.

De Salzbourg: M. Aloys Taux, directeur du Mozarteum.

De Carlsruhe: M. Gassner, directeur de la chapelle ducale.

De Darmstadt: M. Mangolt, directeur de la chapelle ducale.

De Francfort: M. Guhr, directeur et maître de chapelle du théâtre; mesdemoiselles Kratky, Sachs.

De Cassel: M. Spohr, maître de chapelle, appelé par le comité de Bonn.

De Stuttgard: MM. Lindpaintner, maître de chapelle, Pischek.

De Hohenzollern-Hechingen: M. Techlisbeck, maître de chapelle.

D'Aix-la-Chapelle: M. Schindler.

De Cologne: Tout l'orchestre appelé par le comité de Bonn.

De Leipzig: Mademoiselle Schloss.

De Paris: MM. Félicien David, Massart, Léon Kreutzer, Vivier, Cuvillon, Hallé, Seghers, Burgmüller, Elwart, Sax; mesdames Viardot-Garcia, Seghers.

De Lyon: M. Georges Hainl, chef d'orchestre du grand théâtre.

De Bruxelles: MM. Fétis père, Blaës, Very, de Glimes, représentants du Conservatoire dont M. Fétis est le directeur; madame Pleyel.

De la Haye: M. Verhulst, maître de chapelle.

De Liége: M. Daussoigne, directeur du Conservatoire.

D'Amsterdam: M. Franco-Mendès.

De Londres: S. M. la reine Victoria, le prince Albert, M. Moschelès, sir Georges Smart, membres de la société Philharmonique, M. Oury, madame Oury-Belleville.

De partout: Franz Liszt, l'âme de la fête.

Parmi les missionnaires de la presse, on remarquait MM. J. Janin, Fiorentino, Viardot, venus de Paris; le docteur Matew, venu de Mayence; M. Fétis fils, venu de Bruxelles; MM. Davison, Gruneizen, Chorley, Hogarth, venus de Londres, et M. Gretsch, rédacteur en chef du journal russe, l'Abeille du Nord, venu de Saint-Pétersbourg. Plusieurs littérateurs des plus distingués de la presse anglaise s'y trouvaient encore, dont je n'ai pu recueillir les noms.

Les Conservatoires, les théâtres de Naples, de Milan, de Turin, la chapelle du pape ne figuraient d'aucune façon officielle dans l'assemblée de ces illustres pèlerins. On le comprend: Beethoven est un ennemi pour l'Italie, et partout où son génie domine, où son inspiration a prise sur les cœurs, la muse ausonienne doit se croire humiliée et s'enfuir. L'Italie d'ailleurs a la conscience de son fanatisme national, et peut, en conséquence, redouter le fanatisme hostile de l'école allemande. Il est triste d'avouer qu'elle n'a pas eu tout à fait tort d'en tenir compte, en restant ainsi à l'écart.

Mais notre Conservatoire à nous, le Conservatoire de Paris, qui est ou devrait être imbu de tout autres idées, n'avoir point envoyé de députation officielle à une fête pareille!.. Et la Société des Concerts!.. elle qui depuis dix-huit années n'a de gloire, de succès, de vie enfin, que la gloire, le succès et la vie que lui donnent les œuvres de Beethoven, s'être enfermée, elle aussi, dans sa froide réserve, comme elle fit naguère quand Liszt émit le désir qu'elle vint, par un seul concert, en aide à l'accomplissement du projet que nous venons, grâce à lui, de voir réalisé! Cela est énorme! Les principaux de ses membres, conduits par leurs chefs, devaient se trouver à Bonn des premiers, comme il était de son devoir, il y a quelques années, au lieu de répondre par le silence aux sollicitations de Liszt, de les devancer au contraire, et de donner, non pas un, ni deux, mais dix concerts, s'il l'eût fallu, au profit du monument de Beethoven. Ceci n'a pas besoin de démonstration, ou la reconnaissance et l'admiration ne sont que des mots.

Parmi les compositeurs et les chefs renommés dont l'absence de Bonn a étonné tout le monde, et que de graves raisons sans doute en ont seules tenus éloignés, sont MM. Spontini, Onslow, Auber, Halévy, A. Thomas, Habeneck, Benedict, Mendelssohn, Marschner, Reissiger, R. Wagner, Pixis, Ferdinand Hiller, Shuman, Krebbs, Louis Schlosser, Théodore Schlosser, les frères Müller, Stephen Heller, Glinka, Hessens père, Hessens fils, Snel, Bender, Nicolaï, Erckl, les frères Lachner, les frères Bohrer. L'un de ces derniers (Antoine) a été malheureusement retenu à Paris par les inquiétudes que lui donne la santé de sa fille; sans une considération pareille, celui-là aurait fait la route à pied et couché à la belle étoile plutôt que de manquer au rendez-vous.

Malgré toutes ces lacunes, on ne peut se figurer l'impression que produisait sur les derniers arrivants leur entrée dans la salle du concert, le premier jour. Cette collection de noms célèbres, ces grands artistes accourus spontanément des différents points de l'Allemagne, de la France, de l'Angleterre, de l'Écosse, de la Hollande, de la Belgique et des Pays-Bas; l'attente des sensations diverses que chacun allait éprouver; la passion respectueuse dont la foule entière était animée pour le héros de la fête; son mélancolique portrait apparaissant au haut de l'estrade, à travers les feux de mille bougies; cette salle immense, décorée de feuillages et d'écussons portant les titres des œuvres nombreuses et variées de Beethoven, l'imposante majesté de l'âge et du talent de Spohr qui allait diriger l'exécution; l'ardeur juvénile et inspirée de Liszt qui parcourait les rangs, cherchant à échauffer le zèle des tièdes, à gourmander les indifférents, à communiquer à tous un peu de sa flamme; cette triple rangée de jeunes femmes vêtues de blanc; et plus que tout cela, ces exclamations se croisant d'un côté de la salle à l'autre entre les amis qui se revoyaient après trois ou quatre ans de séparation, et se retrouvaient presque à l'improviste en pareil lieu, pour la réalisation d'un tel rêve! Il y avait bien là de quoi faire naître cette belle ivresse que l'art et la poésie, et les nobles passions leurs filles, excitent en nous quelquefois. Et quand le concert a commencé, quand ce faisceau de belles voix bien exercées et sûres d'elles-mêmes a élevé son harmonieuse clameur, je vous assure qu'il fallait une certaine force de volonté pour ne pas laisser déborder l'émotion dont chacun se sentait saisi.

 

Le programme de ce jour ne contenait, cela se conçoit, que de la musique de Beethoven.

En général, on avait d'avance, et d'après l'impression laissée aux auditeurs par les épreuves préliminaires, inspiré au public des craintes exagérées sur les qualités de l'exécution. D'après tout ce qu'on m'en avait dit, je m'attendais presque à une débâcle musicale, ou tout au moins à une reproduction très-incomplète des partitions du maître. Il n'en a pas été ainsi; pendant les trois concerts et le jour de l'exécution à l'église de la messe (en ut), à une seule exception près, on n'a pu signaler que des fautes légères; le chœur s'est presque constamment montré admirable de précision et d'ensemble, et l'orchestre, faible, il est vrai, sous plusieurs rapports, s'est maintenu à cette hauteur moyenne qui l'éloignait autant des orchestres inférieurs que des héroïques phalanges d'instrumentistes qu'on peut former à Paris, à Londres, à Vienne, à Brunswick ou à Berlin. Il tenait le milieu entre un orchestre romain ou florentin et celui de la Société des Concerts de Paris. Mais c'est précisément cela qu'on a reproché aux ordonnateurs de la fête, et chacun trouvait que c'eût été le cas ou jamais, d'avoir un orchestre royal, splendide, puissant, magnifique, sans pareil, digne enfin du père et du souverain maître de la musique instrumentale moderne. La chose était non-seulement possible, mais d'une très-grande facilité; il ne fallait que s'adresser, six mois d'avance, aux sommités instrumentales des grandes villes que je viens de nommer, obtenir de bonne heure (et je ne doute pas qu'on ne l'eût obtenu) leur assentiment positif, et se bien garantir des idées étroites de nationalisme, qui ne peuvent avoir en pareil cas que les plus désastreux résultats et paraissent à tous les esprits droits d'un ridicule infini. Que Spohr et Liszt, Allemands tous les deux, aient été chargés de la direction des trois concerts de cette solennité allemande, rien de mieux; mais, pour parvenir à former un orchestre aussi imposant par sa masse que par l'éminence de ses virtuoses, il fallait sans hésiter recourir à toutes les nations musicales. Quel grand malheur si, au lieu du mauvais hautbois, par exemple, qui a si médiocrement joué les solos dans les symphonies, on avait fait venir Veny ou Verroust de Paris, ou Barret de Londres, ou Evrat de Lyon, ou tout autre d'un talent sûr et d'un style excellent! Loin de là, on n'a pas même songé à recourir à ceux des habiles instrumentistes qui se trouvaient parmi les auditeurs. MM. Massard, Cuvillon, Seghers et Very n'eussent pas, j'imagine, déparé l'ensemble assez mesquin des violons; on avait sous la main M. Blaës, l'une des meilleures clarinettes connues; Vivier se fût tenu pour très-honoré de faire une partie de cor; et Georges Hainl qui, pour être devenu un chef d'orchestre admirable, n'en est pas moins resté un violoncelliste de première force, lui qui était accouru de cent quatre-vingts lieues, abandonnant et son théâtre et ses élèves de Lyon, pour venir s'incliner devant Beethoven, n'eût certes pas refusé de s'adjoindre aux huit ou neuf violoncelles qui essayaient de lutter avec les douze contre-basses. Quant à ces dernières, elles étaient à la vérité entre bonnes mains, et j'ai rarement entendu le bruit du scherzo de la symphonie en ut mineur aussi vigoureusement et aussi nettement rendu que par elles. Toutefois Beethoven valait bien qu'on lui donnât le luxe de faire venir Dragonetti de Londres, Durier de Paris, Müller de Darmstad et Schmidt de Brunswick. Mais les parties graves montées sur ce pied-là eussent fait naître pour tout le reste de l'orchestre de grandes exigences. On eût voulu compter alors Dorus parmi les flûtes, Beerman parmi les clarinettes, Villent et Beauman parmi les bassons, Dieppo à la tête des trombones, Gallay à celle des cors, de suite; plus une vingtaine de nos foudroyants violons, altos et violoncelles du Conservatoire, et peut-être même que pour la cantate de Liszt on fût parvenu à trouver une harpe (Parish-Alvars, par exemple) et l'on n'eût pas été obligé de jouer sur le piano, à l'instar de ce qui se pratique dans les petites villes de province, la partie que l'auteur a écrite pour cet instrument. En somme donc, l'orchestre sans être mauvais, ne répondait ni par sa grandeur, ni par son excellence à ce que le caractère de la fête, le nom de Beethoven et les richesses de l'Europe instrumentale donnaient à chacun le droit d'espérer.

Le chœur, en revanche, nous eût paru tout à fait à la hauteur de sa tâche, si les voix d'hommes eussent été en quantité et de qualité suffisantes pour équilibrer les voix de femmes. Les ténors ont fait quelques entrées mal assurées; on n'a rien eu à reprocher aux basses; quant aux cent trente soprani, il fallait reconnaître qu'on n'a pas d'idée hors de l'Allemagne d'un pareil chœur de femmes, de son ensemble, de sa riche sonorité, de son ardeur. Il se composait en entier de jeunes dames et de jeunes filles des sociétés de Bonn et de Cologne, la plupart excellentes musiciennes, douées de voix étendues, pures et vibrantes, et toujours attentives, s'abstenant de causer, de minauder, de rire, comme font trop souvent nos choristes françaises, et ne détournant jamais les yeux de leur musique que pour regarder de temps en temps les mouvements du chef. Aussi l'effet des parties hautes du chœur a-t-il été de toute beauté, et la palme de l'exécution musicale des œuvres de Beethoven, à ces trois concerts, revient-elle de droit aux soprani.

La messe solennelle (en ) est écrite, ainsi que la neuvième symphonie, pour chœur et quatre voix récitantes. Trois des solistes se sont bien acquittés de leur tâche dans ces vastes compositions.

Mademoiselle Tuczek a bravement abordé les notes aiguës, si dangereuses et si fréquentes, dont Beethoven a malheureusement semé les parties des soprano dans tous ses ouvrages. Sa voix est éclatante et fraîche, sans avoir beaucoup d'agilité; elle était, je crois, la plus propre qu'on pût trouver à remplir convenablement ce difficile et périlleux emploi. Mademoiselle Schloss n'avait pas à courir des chances aussi défavorables, la partie de contralto n'étant pas écrite hors des limites de son étendue naturelle. Elle a fait en outre, depuis l'époque où j'eus le plaisir de l'entendre à Leipzig, des progrès très-sensibles, et l'on peut la considérer aujourd'hui comme l'une des meilleures cantatrices de l'Europe, tant par la beauté, la force et la justesse de sa voix, que par son sentiment musical et l'excellence de son style de chant. Le ténor, dont le nom m'échappe, a paru faible. La basse, Staudigl, mérite bien sa haute réputation; il chante en musicien consommé, avec une voix superbe et d'une assez grande étendue pour pouvoir prendre à l'occasion le fa grave et le fa dièze haut, sans hésitation.