Tasuta

Ma conversion; ou le libertin de qualité

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Parbleu! dis-je en moi-même, celle-là n'a pas le temps d'être méchante. Je me couche; sa friponne de mine me tourmente toute la nuit. Je me lève en raffolant, et je cours chez la duchesse à dix heures du matin; elle sortait du bain, fraîche comme la rose. Une lévite la couvre des pieds à la tête; on apporte du chocolat; je suis barbouillé du haut en bas; elle saute à son clavecin; sa jolie menotte a toute la vélocite possible; elle a du goût, un filet de voix, des sons charmants, mais pour de l'âme…, serviteur. Je vois cependant qu'elle est susceptible. Nous prenons un duo; je la presse, je l'attendris malgré elle; elle perd la tête, son coeur se serre: j'en arrache un soupir; la voix meurt, la main s'arrête; le sein palpite, mon oeil enflammé saisit tous ses mouvements… zeste! Elle jette tout au diable; elle plante là le clavecin, me bat, me demande pardon, passe un entrechat, se jette en boudant sur un sopha, et se relève par un grand éclat de rire.

Heureusement pour moi, Gardel arrive; nous dansons; je remarque cependant avec plaisir qu'elle prend de l'intérêt: elle me loue avec affectation. Gardel n'a garde de la contredire; avant que je sorte, elle me demande excuse, implore son pardon, me prie de lui imposer sa pénitence; vois donc d'ici, bourreau, cette mine hypocrite; je saisis une main que je couvre de baisers; l'autre me donne un soufflet qu'un baiser plus hardi répare à l'instant.

Le lendemain, j'y vole sur les ailes du désir; elle m'avait demandé quelques ariettes nouvelles, je les lui portais; elle était au lit; une femme de chambre ouvre ses rideaux, je parais; un fauteuil placé à côté d'elle me tendait les bras… J'aime bien mieux m'appuyer contre une console qui me tient de niveau.

Où es-tu, divin Carrache? Prête-moi tes crayons pour esquisser cette enfant!…

Un bonnet à la paysanne couvre sa tête à moitié; ses traits n'ont aucune proportion; ce sont de noirs yeux superbes, la plus jolie bouche, un nez retroussé, un front trop petit, mais ombragé délicieusement; deux ou trois petits signes noirs comme jais assassinent leur monde sans rémission; son teint est moins très blanc qu'animé, mais le carmin le plus pur n'égale pas le vermeil de ses joues et de ses lèvres.

Après quelques folies débitées de part et d'autre, je lui montre ma musique; elle me prie de chanter… Je déployais toute la légèreté de ma voix, quand tout à coup un drap soulevé me découvre un sein de lis et de roses… et la cadence chevrote… Je continue: tantôt c'est un bras arrondi par l'amour, une cuisse fraîche rebondie, une jambe fine, un pied charmant qui, tour à tour, se promènent sur le lit et frappent tous mes sens… Je tremble; je ne sais plus ce que je chante…

– Allons donc! me dit la duchesse, avec un sang-froid dont je ne la croyais pas capable. Je recommence, et le manège d'aller son train; mon sang bouillonne, tous mes nerfs s'agacent et s'irritent; je palpite, mon visage s'inonde de sueur; la méchante, qui m'observe, sourit et cependant soupire… Un dernier bond la découvre tout entière… Sacrebleu! mes yeux font feu; je jette la musique, je fais sauter les boutons qui me gênent, je m'élance dans ses bras; je crie, je mords, elle me le rend bien, et je ne quitte prise qu'après quatre reprises redoublées.

La duchesse était évanouie, cela commença à m'inquiéter; j'employai un spécifique qui ne m'a jamais manqué: j'ai la langue d'une volubilité incroyable; j'applique ma bouche sur le bouton de rose qui termine un joli globe: un trémoussement presque subit me rassure sur son état… – Dieu! O dieu! me dit-elle en me sautant au cou, cher ami, tu l'as trouvé! – Et quoi? lui dis-je tout étonné. – Hélas! un tempérament que l'on m'avait persuadé que je n'avais pas… Et baisers d'entrer en jeu, et les pièces de mon habillement de couvrir le plancher. Enfin, nous nous trouvâmes, comme dit la précieuse ridicule, l'un vis-à-vis de l'autre; je vous jure que ma petite duchesse n'était point de ces prudes qui craignent un homme absolument nu. Elle avait des doutes; il fallut bien les éclaircir. Chaque situation nouvelle me découvrait de nouveaux charmes. C'est bien le corps le mieux fait! Charnue sans être grasse, svelte sans maigreur, une souplesse de reins qui ne demandait que de l'usage… Eh! parbleu! je lui en donnai de toutes les façons.

J'aime bien foutre; mais comme le bon Dieu n'a pas voulu que nous trouvassions le mouvement perpétuel, il faut s'arrêter enfin, car ce jeu lasse plus qu'il n'ennuie.

Or ma duchesse n'avait qu'un jargon, toujours le même; et comme j'avais ralenti son feu, ce n'était plus qu'un petit être fort plat, fort monotone. Que j'aime à voir sortir d'une bouche ces riens que rend si précieux une femme enivrée de volupté! Qu'un mot placé à propos sait bien relever le prix d'une caresse et la rendre plus touchante? Otez les préludes de la jouissance et les paroles magiques qui, faisant sortir de l'extase, aident si souvent à s'y replonger… l'ennui bâille avec nous sur le sein de nos belles: l'amour fuit, l'essaim des plaisirs s'envole, et l'on s'endort pour ne jamais se réveiller.

Voilà des dégradations que j'éprouvai chez la duchesse pendant quinze jours: nos commencements furent trop vifs et la satiété amena le dégoût. J'en étais là, quand, un soir, en entrant chez moi, on me remit un écrin et ce petit billet.

"Un instant me rendit votre amante, un instant a tout changé; mais j'ai, monsieur, de la reconnaissance de vos soins; je vous prie de conserver cet écrin: il vous représentera l'image d'une femme qui parut vous être chère et qui se reproche de n'avoir pas pu faire plus longtemps votre bonheur."

Je vis sur-le-champ de quelle main partait ce billet: la duchesse était incapable de l'avoir dicté. J'y répondis: "Vos bienfaits, madame, ont droit de me toucher, si votre coeur a daigné apprécier le peu que je vaux. J'ai mis dans notre liaison des procédés dont l'énergie paraissait vous plaire; je n'ai ni dépit, ni colère. C'est bien assez pour moi d'avoir eu les honneurs du triomphe, sans aspirer à ceux de la retraite: depuis huit jours, j'attendais vos ordres, et la preuve de mon respect est de ne les avoir pas prévenus. Votre portrait sera pour moi le gage de l'estime que vous accordez à mes talents. Puisse, madame, le fortuné mortel qui me remplace vous en porter de plus heureux! Vous m'aurez tous deux une obligation bien douce: celle de vous avoir mis dans le cas d'en sentir tout le prix."

Mon successeur, homme d'esprit, n'a pu y tenir comme moi, que peu de jours; elle l'a remplacé par un prince, et réellement, quant au moral, ils se convenaient; pour le physique, elle eut ses laquais: c'est le pain quotidien d'une duchesse.

Mon billet écrit, j'ouvris l'écrin, j'y trouvai de fort beaux diamants et le portrait de la duchesse en baigneuse: il était frappant; je l'approchai machinalement de mes lèvres. Avouerai-je ma faiblesse? Je sacrifiai encore une fois à ce joli automate, et mon caprice s'écoula avec la libation que je venais de répandre en son honneur.

Je me rendis chez la Vit-au-Conas, elle était en possession de mes jours de congé; d'ailleurs nous avons contracté une amitié commode. O que cette femme-là gagne à être approfondie! Réellement, à la manière dont elle me reçut (la réception dura deux grandes heures), je crus qu'elle ne me reconnaissait pas. Quand elle fut en état d'écouter, je lui racontai mon aventure; le comte de Rhédon lui en avait dit quelque chose; la catastrophe lui plut, l'égaya, et nous en étions sur la chronique scandaleuse, quand on annonça Mme de Sombreval et une autre femme chez qui j'avais négligé de me faire présenter. Elle m'en fit la guerre avec chaleur; j'y répondis avec intérêt, et je demandai pour la forme une permission de faire ma cour qui était tout accordée.

La visite finie, la chère Vit-au-Conas me dit: – Mon ami, je vais te perdre encore: voilà un dévolu jeté sur toi. Pour celui-là, c'est une trouvaille: conduis-toi bien… Pousse-la, pousse… – Ah! Madame, vous savez comme je le pousse; témoin… (vous sentez le geste que je fis). Elle prit au mot, et le témoin fut en _con_frontation. Nous nous quittâmes; ma chère marquise me souhaita bonne chance, et je courus me préparer à la ménager.

Doré comme un calice, pimpé, cardé, musqué, je me rends chez Mme ***. Le cercle était nombreux; après les premiers compliments, une minute d'examen me mit au fait de l'assemblée: huit ou dix freluquets pirouettaient sur des talons rouges; vils adulateurs de la maîtresse de la maison, dont ils briguaient un regard, ils honoraient de leurs airs penchés, de quelques fades polissonneries et de ricanements pitoyables une douzaine de femmes, hardies dans leur maintien, impudentes dans leurs propos, et, à ce que j'appris, dans leur conduite. Mon instituteur était un monseigneur, à qui un bon évêché et deux abbayes affermées cent mille francs donnaient le privilège de prêcher la vertu chez les filles de la capitale ou chez les titrées de la cour, ce qui revient au même.

– Voyez-vous, me disait-il, cette grosse baronne; son visage est enluminé, ses gros yeux ronds sont surmontés d'un sourcil noir, épais, dur… Tudieu! c'est une maîtresse femme: cochers, laquais, elle met tout sur les dents. Sans être mauvaise maîtresse, elle en change souvent; mais elle leur fait un sort. La semaine dernière, elle en a placé deux aux invalides; elle prenait son mari quand elle ne trouvait personne; elle a rendu le pauvre diable, il est fourbu, et au moment où je parle, il est aux incurables. – Quelle est cette grande blonde fade? – Quoi! vous ne connaissez pas la comtesse de Minandon? – Non, mais elle tourmente cruellement son éventail. – Bon, c'est qu'elle joue la mijaurée; mais, foutre! (notez bien que c'est monseigneur qui sacre) bien fou qui s'y fiera; elle m'a donné, il y a six mois, une chaude-pisse…, le vit m'en cuit encore. – Voilà ce que c'est, monseigneur, que de sortir de son diocèse (condom)… Quelle est celle qui lui parle à l'oreille? – La saute-au-corps: c'est l'auberge des gardes du roi… Elle deviendra gargote, et gare la vérole! J'allais en savoir davantage, quand quelqu'un adressa la parole à monseigneur, et la conversation devenant générale, notre aparte finit.

 

Un de ces jolis individus qui, avec un minois de poupée, une voix grêle et un ton glapissant, jugent, décident et tranchent, tenait le dé; on en était aux spectacles. Des auteurs furent sifflés, bernés ou loués d'une manière qui, je vous assure, devait peu leur importer.

Enfin, l'on en vient à la musique. Mme *** m'apostrophe: monsieur, ceci est de votre ressort. – Je ne suis point musicien; mon seul mérite est de bien écouter. – Parbleu! mon cher, reprend le Marquis de Fier-en-Fat, en ce cas-là, écoutez-moi, et vous vous rendrez à mon avis… Moi, je suis fait pour la musique; j'ai un tact à moi qui ne me trompe jamais, et il y aurait de la fatuité de tirer vanité d'un bienfait de la bonne nature. Qui diable s'est jamais vanté de ses oreilles? (j'observerai qu'en cela le marquis était modeste.)… Or je n'aime point ce Glück; il n'y a pas le mot pour rire dans sa musique; pas un pauvre petit air qui aide à sabler gaîment son vin de Champagne. Il faut décomposer cet homme-là pour y trouver deux ou trois phrases qui fassent un rondeau. Votre Piccini n'entend point l'harmonie, et sans l'air de ballet que danse Guimard, j'aurais sifflé son Roland de fond en comble. – Monsieur n'aime point l'ouverture d'Iphigénie? – Eh! mon cher, non; cela fait venir la chair de poule. Parlez-moi de celle du déserteur; voilà ce que l'on appelle une ouverture! Cela se chante tout comme un pont-neuf. Le Floquet vous fait joliment un opéra, je le soutiens contre vent et marée, et, pardieu! Je ne conçois pas comment ce parterre s'est avisé de le siffler, tandis que j'applaudissais du geste et de la voix; ses basses font toujours un second dessus; il est vrai que le violon dit la même chose, mais cela renforce l'harmonie… Ces animaux de danseurs prétendent que l'on ne saurait danser ses airs de ballets, moi je les décide sautillants au dernier point. – Ils voudraient peut-être du fourré, du voluptueux. – Oui, de l'ennuyeux… Ma passion à moi, c'est l'allegro. – Monsieur le marquis, on s'y lasse bien vite. – Un sourire de Mme de *** et un peu d'embarras chez le marquis me démontrèrent qu'il pouvait bien en être à se reposer. L'arrangement des parties finit la conversation. Je me retirai avant souper; mais Mme de *** trouva un moment pour me donner rendez-vous le lendemain à sa toilette.

J'ai oublié de vous tracer sa figure. Mme de *** a trente-huit ans, elle ne s'en cache pas. Assez blanche, elle a la peau d'une finesse et d'une égalité singulières; l'ovale qui forme son visage serait arrondi si elle avait plus d'embonpoint; des yeux assez beaux disent sans minauderie ce qu'elle veut exprimer; sa bouche est bien; elle est grande, mais sa taille trop longue n'est pas assez marquée; sa poitrine est trop serrée, sa gorge est petite, placée en femme de condition, c'est-à-dire un peu bas, mais ferme, et surtout d'une susceptibilité qui la fait tressaillir; le bras et la main sont trop maigres, la jambe est bien, le pied charmant. Son discours en public est concis, serré et à prétention… Le roi lui a dit cela… Cette nouvelle vient de mesdames… Les ministres sont ses amis. Elle leur donne quelquefois des leçons et toujours des conseils. Racontez-vous une affaire? Elle en développe les ressorts secrets. Un mariage se fait-il? C'est elle qui a présenté l'épousée, qui protège le jeune marié, elle sait tout, pénètre tout, a tout vu, tout deviné; elle met en avant sa faveur, offre sa protection, a des audiences, un secrétaire, des bureaux, un taxateur, un trésorier et des gens d'affaires. – Parbleu! tu feras fortune avec cette femelle-là… Tu attends des grâces, bientôt tu les distribueras. – Je gage que tu vas me demander l'honneur de ma protection… A genoux, sacredieu! et dépêchons-nous. Je vais prendre possession de mon emploi, et je t'offre ma survivance…

J'arrive chez Mme de ***. On me reçoit comme un homme attendu; la toilette se passe en galanteries de ma part, en défenses de la sienne; je fais tourner la tête aux femmes de chambre à force de contrôler; elles finissent par rire, et leur maîtresse déride sa gravité.

Enfin, nous restons seuls… Foutre! du coeur! Je crois que la timidité me gagne… Un sopha reçoit Mme de ***; je me place à ses pieds. (j'ai un grand fonds de tendresse pour les sophas.) En vérité, me dit-elle, je fais une démarche bien extraordinaire. – Moi, je ne vois rien de si naturel. – Je me croyais à l'abri de certaines faiblesses, et le rang que je tiens… – En vérité, madame, il est très favorable à certains arrangements. – Mais qu'imaginerait-on? – Que je vous adore, et que je suis heureux de ne pas vous déplaire. – J'ai des vues sur vous, mon cher ami. – Mon bonheur sera de les remplir. – Vous avez de l'esprit, du feu. – Ah! Madame, peut-on en manquer auprès de vous? Vous électriseriez la nature… (elle s'électrise, pardieu! Son front se colore, ses yeux brillent, sa main tremble… Amour!… Amour!… Viens donc, petit bougre!) – Vous avez là un joli habit. – Cette couleur m'a paru vous plaire; je la porterai longtemps… Bon dieu! Voilà des rubans d'une nouveauté (et l'échelle se dénoue!) – Que faites-vous? Que faites-vous donc? Que diront mes femmes? – Ah! Madame, nous perdons un temps… Un temps qui pourrait être bien mieux employé. – Bon dieu! Si l'on entrait. – Tant pis pour les curieux (et mains de trotter et bouche de s'appuyer sur un sein qui bondit sous les coups de langue). – Ah!… ah!… dit-elle en changeant de note, petit démon, tu m'as vaincue!… Les grands mots sont lâchés, mon Pégase est débridé, la ville rendue, et ma charmante foutue; mais c'est au second coup que je l'attends. Je presse, je pousse, je lime; elle est, sacredieu! Tortillée autour de moi comme un serpent: il n'y a pas une ligne de perdue… – Ah!… ah!… mon ami! le… ah!… le duc ne le fait pas mieux que toi… le prince m'aurait ratée là… l'ambassadeur ne m'a jamais fait décharger… (je crus, ou le diable m'emporte! qu'elle allait me passer toute la cour en revue.)… Quand nous nous fûmes bien convaincus que nous n'avions plus rien à nous faire, nous renouâmes conversation. Mme de *** abandonna cet air de dignité que je lui avais toujours vu. J'étais amant heureux; elle m'en accorda toutes les prérogatives.

Comme je ne pouvais mieux faire ma cour qu'en l'entretenant de son crédit, je sus l'en faire parler; j'avais, d'ailleurs, mon intérêt à pénétrer ses secrets, ses ruses, son manège; je ne perdais point de vue mon objet principal, mon cher argent!… Mes connaissances devaient me guider dans les manoeuvres qui pouvaient m'en faire tirer parti. Le premier moment d'une jouissance que je sais, à mon gré, rendre impétueuse et brillante avait étourdi mon adorable. Mais les femmes dévorées d'ambition sont insensibles au plaisir; la vanité, l'intrigue absorbent toutes leurs facultés. Sans cesse livrées à l'envie, à la haine, les poisons de l'une, les poignards de l'autre écartent les amours. Je ne devais donc m'attendre qu'à une jouissance froide, inanimée; je ne pouvais me flatter de la captiver par les sens, mais par ses propos; je lui reconnus de la suffisance, beaucoup d'estime d'elle-même, une vanité sans bornes, par conséquent une imagination resserrée; point de vues, ou elles étaient courtes, aucun plan fixe… Dès lors, le mien fut formé de l'assujettir, de la maîtriser, de m'en servir pour ma fortune, ou de la planter là si elle n'était bonne à rien. Quinze jours d'habitude me suffirent pour réussir. Je sus faire goûter à Mme de *** mes projets; elle adopta mes idées en ne croyant suivre que les siennes; son secret fut dans mes mains sans que je la laissasse disposer du mien. Ce n'était pas tout: elle faisait des affaires, il fallait m'en rendre maître… Je n'avais qu'à vouloir… Tout me fut remis. Dès lors, je devins l'arbitre des traités; je corrigeai le tarif (non pas, comme vous pensez bien, pour diminuer), mes honoraires ne furent point oubliés, et ma patronne partageait en outre avec moi ce que ma conscience assez commode m'engageait à lui restituer.

Trop sage pour me mettre au grand jour, j'avais prévu que tout cela finirait mal, que Mme de *** porterait la peine de ses exactions; je ne voulus donc aucune place. Faire et ne point paraître, c'est l'adresse des gens habiles. Avant de vous conter la catastrophe, je vous dois deux ou trois aventures dignes d'être distinguées de la foule de celles qui sont passées sous mes yeux.

L'abbé Ricaneau, connu de toute la terre, postulait depuis longtemps un bénéfice. Le sien était cependant bon; mais le cher abbé, doué de vertu prolifique, faisait régulièrement quatre enfants tous les ans, et, par principe de conscience, il payait les mois de nourrice avant d'enrichir la collection des enfants trouvés. On lui indiqua notre bureau; il vint me voir; sa demande me parut simple, ses motifs excellents; je lui demandai un mémoire bien circonstancié; le lendemain, il me l'apporta et me tortilla un compliment pour m'offrir une bourse dont la maigre apparence fronça mon sourcil. – Ceci, monsieur, lui dis-je en la pesant, est pour les menus frais… Etrennes de portier, de valet de chambre, de maquereau, de secrétaire… L'abbé, tremblant, n'osa me contredire… J'examinai le mémoire; j'y trouvai des difficultés… Il me pria d'appuyer, de porter des paroles. – En ce cas-là, l'abbé, vous prenez le bon parti, vous voulez une abbaye de douze mille livres de rentes… Vous êtes de mes amis… Mille louis, elle est à vous… Il se récrie… – Comment! Monsieur… – Mais c'est à rien. J'en suis fâché, je ne puis rien faire pour vous; vous me rompez bras et jambes… (je sonne…) Le ministre ne m'a-t-il pas demandé? La réponse est connue. Je prends mon chapeau; l'abbé me talonne; je le mène mal; il se fâche; je parle plus haut que lui, et je le menace d'informer le teneur de la feuille de sa conduite… Je marmotte lettre de cachet… Il se sauve; il court encore, et je garde la bourse, où je trouvai cent misérables louis que le faquin imaginait devoir payer une femme comme Mme de ***.

Quelques jours après, on m'annonce une très jolie femme; mes yeux se dérident; elle demandait pour son mari une lieutenance du roi achetée par vingt ans de services et des blessures. Vous croyez que la générosité va me parler? Parbleu! vous ne vous trompez pas; je débute par tous les signes qui pouvaient mieux lui marquer ma bienveillance. Elle fut d'abord timide; elle s'apprivoisa, nous nous apprivoisâmes et devînmes si familiers, en moins d'une heure, que nous ne fîmes plus qu'une même chair. – Comment, tu l'as foutue? – Non…, je l'ai envoyée à quelque autre… Sacredieu! ne seras-tu jamais qu'un sot?… C'est une des plus jolies remueuses que j'aie trouvées dans ma vie… Pour une provinciale, cette femme-là avait un vrai talent. – Au moins tu as fait son affaire sans lui demander de l'argent. – Oh! cela, c'était juste, et nous convînmes seulement qu'elle écrirait à son mari de déposer dix mille livres chez un notaire, qui les remettrait à vue du brevet. Pour elle, je lui offris une boîte d'or, dont un faquin, qui voulait des lettres de noblesse, m'avait fait présent le matin; elle valait vingt-cinq louis. Vous voyez que je suis généreux… C'était plus que l'intérêt de son argent.

Nos affaires allaient bien. Sous mon heureuse main le cuivre devenait or; Mme de *** m'adorait; elle couchait avec l'univers, mais j'étais le favori, car j'avais la bourse. Cependant je sentais quelquefois des soulèvements de conscience; elle m'en guérissait bien vite: cela aurait pu tirer à conséquence pour sa cuisine. Je m'appliquai seulement à la mettre toujours en avant, à ne jamais paraître, afin de me laver les mains sur tous les événements.

Bien m'en prit… Voici le fait. Une femme jeune, riche, avait un amant. – Beau début! Et quelle est la sotte qui n'en a qu'un? – Un mari jaloux. – Allons donc: quel conte! – Foi d'homme d'honneur! Ces originaux-là sont rares, mais il y en a encore quelques-uns pour la conservation de l'espèce. Le susdit animal trouvait mauvais que sa femme couchât avec un représentant. Comme elle ne pouvait le supposer que fou, elle prit le sage parti de le faire enfermer; elle vint me le proposer: et surtout d'éviter quelques petites formalités embarrassantes qui auraient pu retarder, même déranger un projet aussi bien vu. Mme de *** la loua infiniment, d'autant plus qu'elle faisait bien les choses; elle assurait à son mari six cents francs de pension et l'habillait très proprement.

Je lui demandai quelques petites attestations faites par ces mains habiles qui ne rougissent pas plus que le papier qu'elles emploient, et nous fixâmes tous les frais à dix mille écus; assurément, c'était à grand marché. Enfin, huit jours après, mon vilain fut enlevé sans bruit, coffré et écroué par ordre du gouvernement. Sa femme pleura, réclama, fit le diable à quatre, mais de loin. Je lui rendis le service de lui faire imposer le silence, et elle n'eut pas de peine à le garder.

 

Qui diable n'aurait pas cru cette affaire finie! Ce vieux coquin devait crever, au moins devenir fou: il avait le diable au corps, il n'en fit rien. Certain magistrat (M. L. N., lieutenant général de police) fut visiter la prison; je ne l'avais pas mis du complot. Cet homme-là est du vieux temps, il s'avise d'être vertueux, d'avoir dans le coeur cette humanité que les autres n'ont qu'à la bouche; il compâtit aux souffrances du coupable, mais il donnerait sa vie pour sauver celle d'un innocent. Il instruisit le ministre; celui-ci, dans un moment d'indignation, peut-être de crainte, nomma Mme de ***, cria à la tromperie (pourquoi ne l'aurait-il pas fait? Je criais bien, moi!) elle fut sacrifiée, perdit sa place et courut ensevelir dans ses terres sa honte et nos amours.

Vous croyez peut-être, mon cher, que je vais me pendre?… Nenni, je vais compter mon argent… Vingt mille écus en espèces sonnantes, des diamants, des bijoux… Ma foi, je suis fâché du sort de cette pauvre femme; elle m'aurait valu beaucoup… Paierai-je mes dettes?… Fi donc! Cela porte malheur; d'ailleurs ces coquins d'usuriers s'imaginent-ils que je leur donnerai mon sang, ma plus pure substance, à dévorer?… Qu'ils attendent mon mariage ou mon testament.

Pardieu! Ces idées tristes ont abattu mon courage… Allons, allons, volons au Potosi, cherchons quelque mine nouvelle, et que l'or couronne mes ardeurs!

Une fête d'apparat avait réuni la cour et la ville; mes yeux, errant sur l'assemblée, cherchaient un objet qui les fixât; ils furent distraits quelques instants par des figures friponnes et agaçantes… O Satan! vade retro… Déjà je sentais mon coeur s'évanouir et ma bourse se vider… Enfin arrive avec bruit Mme de Cul-Gratulos; son état l'oblige d'assister au spectacle, sans cela, elle est trop régulière pour chercher le plaisir en public. Placé dans la loge où elle entrait, je fus assez heureux pour que mes prévenances ne restassent pas sans effet. Ce n'est pas que sa figure me tentât… Représentez-vous, mon ami, une tête, un cou, un corps et un cul tout d'une pièce; faites de tout cela un paquet mal fagotté; ajoutez-y des bras grossiers et de couleur bleu pourprin; attachez-y de grosses cuisses, de vilaines jambes, percez à son visage des trous bizarrement placés pour faire des yeux, mais dont l'un, immense, annonce pour ailleurs la grande mesure; barbouillez cela de rouge et de tabac; coiffez-le d'une perruque ébouriffée; et puis par là-dessus des plumes, de la gaze, du ruban, des diamants… Voilà la comtesse physique. – Et la comtesse morale? – Foutre! ne parlons pas si haut… Savez-vous bien que c'est une grande dame? Elle est haute comme le temps (quoiqu'elle ne soit pas si ancienne), ses valets sont aussi ventre-à-terre devant elle qu'elle-même devant les puissances; elle monseigneurise son carrosse, ses chevaux, son mari, son père, son grand-père même; mais elle ne remonte pas plus haut, car elle craint les chutes; au reste, méchante, hargneuse, impudente avec effronterie, opiniâtre avec emportement et toujours avec bêtise, dévote avec ostentation… Chacun de ses valets met à la quête un écu qu'elle leur distribue; pour elle, l'or brille toujours dans son offrande hypocrite… – Mais que veux-tu faire d'un pareil monstre? – Ce que j'en veux faire? Parbleu, la belle demande! La piller, la gruger, et me foutre d'elle tout en la foutant…

Le spectacle finit tard; elle m'invita à souper du ton dont on donne un ordre. J'étais au fait, je m'humiliai, je me confondis sans lui offrir ma main, je lui fis faire place à la sortie; je la vis entrer dans sa chaise qu'escortaient quatre valets, chapeau bas, et je me rendis chez elle.

L'assemblée était cérémonieuse, par conséquent fort triste; le souper fut d'un compassé assommant; on y mangea peu, on y parla moins, le lever, la chasse, le coucher, quelques nouvelles rebattues, débitées d'une voix traînante… Des hommages à madame terminèrent la séance, mais non pour moi. Comme tout, chez la comtesse, se fait dans l'ordre, un valet de chambre m'avait prévenu que Mlle Branlinos avait à me parler avant que je sortisse (ne vous étonnez pas de ce nom; c'est la première femme de la comtesse).

Après avoir fait mon compliment à celle-ci, je me rendis chez la susdiste, qui, sans détour, m'annonça que j'étais destiné pour cette nuit aux plaisirs de madame, et qu'elle avait reçu ordre de me préparer. – Pardieu! lui dis-je, ma charmante, je ne m'attendais pas à tant d'honneur; mais soit fait comme vous le voulez… Nous entrons dans un cabinet de bains où j'en trouve un tout prêt. Branlinos ferme la porte sur nous et m'aide à me déshabiller. J'hésitais à me mettre absolument nu devant cette fille très jolie et qui n'avait pas plus de vingt ans, quand elle me dit: – Eh! Monsieur, dépêchons-nous, il faut que je vous prépare. – Ah! foutre! Mademoiselle, et moi que je vous essaie… Je la campe sur le lit de bain, et je la fous… Le jeu ne lui déplut pas; il m'amusait assez… Il fallut cependant songer à la préparation… Branlinos entra dans le même bain que moi, en me disant que je l'avais souillée, et en m'avertissant qu'elle couchait en tiers avec nous… Ce procédé me parut nouveau; mais la diablesse garda le tacet, en étouffant de rire… Enfin, bien lavés, bien essuyés, bien parfumés tous deux, elle se sauva, de crainte de nouvelle pollution, et cinq minutes après vint me prendre.

J'arrive dans la chambre à coucher; la comtesse était déjà au lit, elle me tend une main que je baise avec autant d'ardeur que si elle eût été jolie. Je me place d'un côté, Branlinos de l'autre.

La comtesse était plus humanisée; mais le décorum subsistait toujours… A preuve. – Mon coeur, dit-elle à Branlinos, voyez s'il bande. (La petite me touche… Et sacredieu! je dresse au même instant…) – Ah! Madame, comme un ange! s'écrie Branlinos… Alors Cul-Gratulos fait demi-tour à droite et me présente… Devinez. – Quoi donc? – Sacredieu, que tu es bête! – Ma foi, je ne sais pas. – Son cul.– son cul? – Oui, foutre! son cul.– Amas énorme de chairs mollasses et tombantes… Je débande net… Branlinos, qui sans doute, d'une main me prête son secours, de l'autre entr'ouvre le gouffre, je m'y jette en grinçant des dents… Et j'étais au milieu que je ne m'en doutais pas encore… O altitudo!… Branlinos s'était remise à son poste; sa main agile branlait madame à toute étreinte, pendant que je la limais à suer dans mon harnais… Le moment de la décharge approche… Avez-vous jamais été réveillé par le grondement d'une porte mal graissée sur ses gonds rouillés?… Voilà la passion de ma belle, et les douceurs qu'elle me débitait… Cependant, quand cela fut fini et qu'elle fut retournée, elle me fit la grâce de m'embrasser… Pouah!… Ma foi! j'aimais mieux l'autre, encore était-il parfumé; mais la bouche avait usurpé son goût.

Après un moment de conversation, il fallut recommencer; même cérémonie: sa façon à elle est uniforme, et le diable m'emporte! Depuis le baiser, je ne la trouvais plus si ridicule. Mais voici bien une autre histoire: elle me place entre elle et Branlinos, me tourne, tout comme à Berlin, admire ma chute de reins… Je crus être au second tome de la Vit-au-Conas… Non, j'en fus quitte pour la peur… Tout à coup, par une inspiration: – Mon chat, me dit-elle, veux-tu foutre Branlinos?… Pardieu! je tope à la proposition… Mais je sens que l'on me farfouille… Sacredieu! la bougresse me donnait le postillon; son gros vilain doigt me sondait d'importance. C'était pour me faire avaler la pilule qu'elle me laissait foutre la petite, et, dans le fait, cela ne nuisait pas. Cul-Gratulos ne se lassa que quand je fus rendu de fatigue; le jour paraissait; je lui laissai prendre du repos en me retirant. Le secret me fut recommandé de la manière la plus forte, et je l'ai bien gardé.