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Ma conversion; ou le libertin de qualité

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La lecture en apprit au mari plus qu'il n'aurait voulu, et il se reconnut de la manière la plus claire chevalier du croissant. C'était un homme très violent avec les dehors les plus flegmatiques. Il prit sur-le-champ son parti et me demanda le secret. Les chasseurs arrivèrent; on ne s'aperçut de rien: il donna à sa femme tous les noms d'amitié qu'il lui prodiguait dans la conversation… Je ne revenais pas de mon étonnement.

Cependant, je n'ai jamais aimé les colères froides, et vous allez voir que j'avais raison de craindre. Partout où monsieur rencontrait ma dame seule, les chaises, les fauteuils lui servaient d'armes pour l'assommer. Rentrait-on dans le salon… "Mon coeur, m'amour, mon ange!…" Comme sa digne moitié ne s'accommodait nullement de ce jeu-là, qu'elle n'était point bornée et qu'elle ne manquait pas d'esprit, elle nous fit cacher un beau matin dans sa chambre à coucher, trois femmes de ses amies, et moi troisième homme. Monsieur arriva, la battit comme plâtre… A ses cris nous sortîmes, et comme les femmes se soutiennent, je vous laisse à penser si la scène fut complète… Sur-le-champ l'on monte en carrosse, et l'on conduit madame chez la mère de son mari. Cette mère, vieille janséniste, avait un faible infini pour sa belle-fille et fort peu d'amitié pour monsieur son fils qui n'avait pas l'honneur de penser comme elle.

C'était sur cette connaissance que la petite diablesse avait formé son plan. "Maman, lui dit-elle, je viens me jeter entre vos bras. Depuis un an, je souffre le martyre avec mon mari; il faut vous l'avouer, je suis ce qu'il appelle janséniste; il me maltraitait continuellement, enfin, il a saisi une lettre que j'écrivais à un saint ecclésiastique qui m'entretient dans mes bons sentiments. Comme je parle à coeur ouvert à mon directeur, les plaintes que je faisais ont irrité mon mari; il a porté l'audace jusqu'à m'accuser d'un commerce criminel. Depuis ce malheureux jour, il m'assomme de coups en particulier, et pousse l'hypocrisie jusqu'à m'embrasser en public. Ces trois dames en sont témoins; trois hommes d'honneur le sont de même; si vous ne me sauvez pas, je suis perdue, je n'ai plus qu'à me livrer à mon désespoir… (les larmes coulent et arrosent le récit, que les dames confirment.) – Ah! le coquin, l'infâme! répond la belle-mère… Ma fille, restez chez moi; je me charge de votre affaire, et si le malheureux est assez hardi… Il suffit." Ce n'était pas tout. Il fallait retirer la lettre des mains du mari; elle faisait preuve très convaincante. La jeune femme le persuade à sa belle-mère, qui mande à son fils de la lui envoyer par le même exprès qui lui porte son ordre ou qu'il sera déshérité dans les vingt-quatre heures. Il connaissait sa mère; il en attendait quarante mille livres de rente; il fallut obéir, mais il accompagna le texte d'une glose fulminante… Vaine précaution! La vieille crut faire la plus belle action du monde de remettre tout à sa belle-fille. (comment se méfier d'une janséniste!) Celle-ci voulut lire; on lui imposa silence. "Eh bien! ma bonne maman, jetons tout cela au feu. – Quoi, ma fille, anéantir ces sottises! Vous avez trop d'égards pour ce drôle-là. – Maman, il est votre fils, il est mon mari et je l'aime toujours." D'Obricourt, furieux, invoque mon témoignage; moi, je dis que je ne savais rien, que j'avais bien eu une lettre, mais que j'ignorais ce qu'elle contenait… Ce ne fut pas tout; il y eut séparation, et la mère, qui vient de mourir, assure vingt mille livres de rente à sa belle-fille, indépendante de monsieur son époux.

Las de fesser des lièvres et de tuer des lapins, plus fatigué encore du ton des campagnards, je m'enfuis sur les bords de la Somme. Là, un antique château bien noir, bien triste, bien vilain, atteste que depuis l'an treize cent, il est le logis des hibous et des chouettes du canton. Le vieux baron qui l'habite ne déroge point à si bonne compagnie; son humeur est revêche, sa figure hideuse, son corps usé… Pour de l'esprit, son arbre généalogique l'a dispensé d'en avoir. Grand liseur de gazettes, grand politiqueur, se faisant monseigneuriser par ses valets, par un curé, qui, ainsi que lui, sait, pour toute érudition, marquer un cent de piquet, mangeant peu, dormant moins, et jaloux comme un tigre d'une jolie personne que trois mots de latin avaient baronisée.

La baronne, comme dit la chanson, voudrait bien qu'on la ramone. Le baron, qui ne le peut, dit qu'il ne le veut; et c'est pour cette bonne oeuvre que j'arrive céans. Je veux bien t'avouer encore, à toi de mes secrets le grand dépositaire, que l'on m'a dit que le vieux coquin avait de l'or, mais beaucoup, et que l'espérance d'en palper quelque portion me fait braver ennui, dégoûts, tempêtes.

Le baron me reçoit mal et j'agis comme si je le trouvais bien. Sa femme joue la dignité, fait la précieuse et tant soit peu l'ours; mais le mari, qui m'observait, me traita bientôt mieux. Je lui apportais vingt recueils de nouvelles; pendant qu'il les feuilletait, je puis te peindre la belle.

Une brune piquante, un teint coloré, de jolis yeux bien noirs où le foutre pétille; la bouche très fraîche, des dents que le pain de seigle rend fort blanches; ni grande ni petite; la taille ramassée en jument poulinière de l'avant-main; un peu tétonnière, mais cela est dur, blanc et bien tourné; la croupe normande; point trop de boyau; le montoir facile; la jambe fine comme une biche et le sabot charmant. Tous ces appas-là n'ont pas vingt ans; en conséquence, cela est très foutable. Au reste, ridicule dans sa parure, gauche dans son maintien, guindée dans ses propos, mais ses regards promettent du dédommagement et elle prouve dans le tête-à-tête qu'elle n'est sotte que par contrainte.

A dîner, je fais tomber la conversation sur les femmes; le baron en médit; je renchéris, j'abonde dans son sens, et il en est si transporté qu'il veut m'enivrer par reconnaissance. Un coup d'oeil avait mis la femme au fait (quand il s'agit d'attraper un mari, aucune n'est novice); elle fait mine d'être fort piquée et sort au dessert. Alors, le baron me conte ses chagrins, m'apprend qu'il s'est mésallié, déplore sa faiblesse, etc. J'applaudis; je lui promets de faire entendre raison à sa femme (c'était, foutre, bien mon projet). Dès lors, il me laissa pleine et entière liberté; j'avais annoncé mon départ pour le lendemain; il me demande en grâce une quinzaine et me promet compagnie. "Allons donc, mon cher baron, la vôtre me suffit; qui diable nous amènerez-vous? Des gentillâtres ou des bégueules. Vous êtes, pardieu! le seul galant homme que j'aie trouvé dans ces cantons. – En vérité, dit-il, en s'adressant au curé, il me raccommoderait avec la jeunesse; jamais, à cet âge, on n'eut tant de raison!"

Le même jour, je tins compagnie à la baronne dans une promenade. Son mari ne put pas être en tiers, à cause d'un catarrhe, et il fut presque obligé de se fâcher pour me forcer à lui aller préparer des cornes. Je ne perdis pas de temps. Après quelques propos vagues, j'en vins à ma déclaration.

– Ce ne sera pas vous offenser, ma belle dame, que de vous plaindre. Ma conduite, depuis que je suis chez vous, a dû vous faire comprendre que je ne suis pas venu sans dessein. Ce dessein est de vous plaire; je vous aime, je désire que vous m'aimiez. Si je vous conviens, arrangeons-nous. Vengez-vous du maroufle qui vous tyrannise; je vous offre des consolations, des secours, des plaisirs, un coeur dont les sentiments seront prouvés avec force… Votre réponse, belle baronne, décidera de mon sort. L'état où vous gémissez doit vous ôter une indécision qui nous nuirait à tous deux. Si je suis assez malheureux pour vous déplaire, je pars…

– Mais, que diable! on ne brusque pas ainsi une femme de qualité. – Sans doute; je filerai le parfait amour!… Seras-tu donc éternellement incorrigible?… Elle est bien moins bête que toi, car, après quelques petites façons préliminaires, elle accepte la proposition et nous scellons le tout d'un baiser. Ensuite, elle prend ses arrangements pour venir coucher avec moi, ce qui lui était beaucoup plus facile que de me recevoir.

As-tu jamais eu quelques jouissances de campagne? C'est une bête à dormir dessus. Cela n'a ni charnière, ni mouvement. Cela ne sait pas placer un petit foutre! à propos… Pour les mots consacrés à l'amour, ce sont pour ces beautés grands termes de chimie; mais, en revanche, cela décharge… Ah! sacredieu! j'étais confit, et par là-dessus pas un sacré bidet. Je me donnais au diable… "Excusez, c'est que le curé l'avait défendu. – Mais, madame, si ce bougre-là en avait autant dans la bouche, croyez-vous qu'il ne la laverait pas? – Ah! dit-elle, cela expose à la tentation. (le scrupule était bon là! ) – Eh! morbleu! lave toujours, et si je trouve l'ennemi, je lui fais sauter la cervelle."

Je la reprends dans mes serres; en une heure de temps, je la mis en eau. Levrette, brouette, américaine, hollandaise… Pardieu! Je t'assure qu'elle vit du pays. L'heureux naturel! A deux heures de là, elle me grimpait déjà sur le corps toute seule. Enfin, nous nous séparâmes avec promesse de nous rejoindre le soir, sans préjudice de la journée, et en convenant de nos rôles.

Le baron resta dans une sécurité parfaite, que mon ton avec sa femme sut entretenir; elle jouit des moments les plus doux et me donna de l'or plus que je n'en devais attendre d'une femme de province. – Mais comment pouvait-elle l'avoir? – Comment? La chose est simple. Les maris de campagne ne mettent pas leurs femmes en pension. Celui-ci d'ailleurs était jaloux et brutal, mais amoureux; madame avait, ainsi que lui, la clef du coffre-fort. La petite rusée ouvrit trois ou quatre sacs d'or, afin qu'il ne pût s'apercevoir d'aucune diminution, et me remit deux cents louis, que je voulus bien accepter pour les frais du voyage. Mon bail expiré, je me retirai très bien avec le baron que je laissai cocu et content, et mieux avec sa femme, qui répandit de grosses larmes; mais l'ordre du destin m'arrachait de ses bras et je partis.

 

Ma dernière excursion champêtre fut à Salency, où je me trouvai le jour même de la fête de la rosière; la simplicité touchante de ce spectacle, fait pour la candeur et l'innocence, porte jusque dans l'âme de nous autres libertins un attendrissement auquel on ne résiste pas… Sublime effet des sages réflexions, des révolutions salutaires qu'il m'inspira!… Je n'eus pas plus tôt vu celle qui venait de remporter la rose qu'il me prit envie de l'effeuiller… Cette paysanne avait seize ans, était naïve, sensible et jolie. Je connus avec elle le prix de l'amour; c'était pour moi-même qu'elle m'aimait (car je n'aurais pas voulu acheter ses faveurs), et je goûtais pour la première fois peut-être un plaisir si doux… Il y avait si longtemps que je n'avais rien fait pour mon coeur!

– Ah! te voilà sur les bords du Lignon? – Tu crains des bergeries, et que je ne te fasse bâiller en m'affadissant le coeur… Bourreau! ne puis-je donc pas me délasser un moment dans les bras de l'innocence?… Qu'elle est jolie, cette enfant! Son teint hâlé, mais tout en feu quand je l'approche, ses yeux, que je la force à lever sur moi, sont si touchants!… Sa bouche sans artifice reçoit et rend le baiser avec cette ardeur ingénue que je sais réchauffer encore. Elle n'a que l'éloquence de la nature; mais combien elle est vive lorsqu'elle n'est pas corrompue!… Nous parlons peu, nous agissons davantage. Mets ta main dans ce corset. Eh bien! as-tu trouvé beaucoup de gorges pareilles? Comme cela est séparé, blanc, ferme, élastique! Veux-tu que je te découvre son corps d'albâtre? Celui-là n'est pas estropié par des baleines ou des tailles à l'anglaise… Voilà les vraies proportions de la Vénus de Médicis. Comme ces contours sont gracieux, amollis à l'oeil! Quelle fraîcheur de carnation! Quel coloris pur!… Bandes-tu? Quelle jouissance!… Son premier cri fut: "Ah! que ça fait mal…", le second fut: "Ah! que ça fait plaisir…" Et le joli petit cul de remuer; avantage inappréciable de l'éducation villageoise: elle n'est ni épuisée, ni énervée. Son rein vigoureux craque sous moi; bientôt elle me rend secousse pour secousse, elle ne se bat pas les flancs pour s'évanouir, mais quand elle décharge, chaque fibre est émue, son spasme même est animé… Déjà ses caresses prennent plus d'énergie; elle ose appuyer sur ma langue une langue plus agile… Tous les lieux sont pour nous le sanctuaire de l'amour; la plaine au coucher du soleil, le bocage au midi, au matin la prairie; sans se masquer d'une feinte pudeur, elle laisse parler ses désirs; elle sait qu'ils sont innocents et que je partage son plaisir à les satisfaire.

– Ma Nanette, lui disais-je un jour, l'ambition de la rose était donc bien forte en toi pour te faire craindre l'amour et ses caresses. – Bon, me répondit-elle, si j'ai été sage, c'est que je n'y pensais pas; j'étais tranquille; tous nos garçons ne me donnaient aucune émotion. – Mais, Nanette, ton coeur? – Ah! c'est vous qui lui avez appris à parler. – (je l'embrasse.) Tu m'aurais donc sacrifié ta gloire? – Mais, dame! est-ce que vous ne valez donc pas mieux qu'une rose?… Et puis, je ne l'aurais pas perdue pour ça. – Comment, comment, petite rusée! – Bah! bah! quand on est un peu jolie et qu'on est des notables, ils n'y regardent pas de si près. (eh bien! Qu'en dis-tu? L'aréopage paysan vaut-il mieux que celui d'Athènes?…) Tenez, ma cousine Nicole… Oh! comme elle aimait Michaut… Ils étaient tous deux comme de la braise; ils allaient comme nous dans le bois, et ma cousine me disait qu'il lui faisait tant de plaisir!… (elle rougit, la friponne). – Eh bien? – Eh bien, elle a eu la rose l'année dernière: à tout cela il n'y a qu'à se bien cacher. Quand on ne sait rien, on ne peut pas vous accuser. – Mais toi, tu le savais? – Oh! moi, j'aime trop ma cousine; et puis elle m'avait promis de me tout dire quand j'aurais la rose.

Accourez tous, enthousiastes! Voilà donc ces établissements de vertus! ces conservatoires de pucelages! Bon Saint Médard! mon pauvre bougre, quand votre révérence proposa cette rose, elle radota, ou le diable m'enlève! Quoi! de simples paysannes, à quinze ans, savent déjà tromper! – Sexe enchanteur! Vous êtes partout le même; et si le serpent n'eût tenté Eve, elle lui eût d'elle-même proposé la douce affaire.

Quelles haines dans ces séjours champêtres, où devrait habiter la paix! Quoi! les mères instruisent leurs fillettes à la délation, à la médisance, à la calomnie! Bel apprentissage de vertus! Pour qu'une fille en accuse une autre, il faut qu'elle sache qu'il y a du mal à se laisser baiser par les garçons… Et l'innocence! Croit-on qu'une femme oublie en grandissant qu'une telle lui a fait manquer la rose, peut-être injustement? Les parents n'embrasseront-ils pas la querelle de leurs enfants? Les juges?… Vous avez vu comme ils sont impartiaux, et puis qui vous dira que le lendemain de son triomphe, la rosière, pour éviter l'orgueil, ne s'humilie pas sous un robuste villageois?… Nanette et moi serions-nous un phénomène? La belle institution qui contient les filles jusqu'à seize ou dix-huit ans!… comme si l'on ne foutait qu'à cet âge!… Pour moi, n'en déplaise aux amateurs et aux sots imitateurs qui pullulent chaque jour, je séduirai à Salency autant de paysannes qu'ailleurs.

Il fallut quitter ce joli séjour; je revins à Villers, et bientôt après à Paris… Pardieu! l'air qu'on y respire a une salubre influence: je repris à sa porte toute ma scélératesse.

Que diable! on se rouille à la campagne: on y parle moeurs, vertu, honnêteté, honneur. On y trouve jusqu'à des femmes estimables; ces gens-là m'auraient gâté… Ah! vive le grand théâtre! Je ne me sens pas de joie. Que de dupes je vais faire encore! Que d'or je vais amasser! Que de foutre va couler!… Mais quelles seront mes victimes?… Pardieu! je veux faire un acte de justice: il faut que je dépouille nos soeurs de l'opéra… Bien dit; j'aurai du plaisir et de l'argent… Et puis, c'est représailles, c'est bonne guerre: pillons qui nous vole et foutons qui nous fout.

Plein de cette ardeur généreuse, je vole à l'opéra; trois mois font bien du changement, et j'avais besoin de me remettre au fait; je grimpe au marché aux chevaux… Toutes les nymphes m'environnent, me baisent, me déchirent, m'étouffent; je riposte à droite, à gauche; je prends des culs, des tétons. – D'où diable viens-tu? de la lune? – Non, c'est de Mercure. – On t'a dit mort, mangé des loups, châtré ou converti, ce qui revient au même. – Pour converti, j'en conviens… (je me dégage un peu pour accoster une charmante danseuse.) Bonjour, Mimi. – Non, je suis fâchée. – Tiens, faisons la paix; je veux te donner mon pucelage. – Non, j'aime mon entreteneur. – Eh!… foutre! tu te moques de moi, affaire de style, cela s'entend; me prends-tu pour une recrue? – Je suis fidèle. – Qui diable te parle d'infidélité?… Ah çà! nous couchons demain ensemble! – (elle rit.) Mais s'il le sait? – Tu es donc devenue bien bête? – Il est vieux et jaloux. – Deux raisons pour l'attraper. – C'est un grand seigneur. – Pardieu! il n'en sera que plus sot… Ecoute, le tour du cadran si tu veux, ou je le donne à Rosette!… La raison était déterminante; elle accepte; moi, je fus souper chez un financier qui rassemblait vingt hommes de grand nom et de mauvaise compagnie, et quinze filles qui l'augmentaient.

– Peste de l'animal. Quoi! te voilà encore retombé!… C'est une horreur! Tu m'avais tant promis de renoncer à ces créatures! – Eh bien! je te tiens parole, je n'y vais qu'à mauvaise intention. N'est-ce pas y renoncer? Je veux gagner de l'argent et pressurer la sangsue. – Mais le métier est malhonnête. – Apprenez monsieur le bougre, qu'il n'y a point de sot métier quand il nourrit son maître, et que de grands noms dans la France ne tirent leur illustration ou leur fortune que du cul d'une putain… Eh! ces drôlesses-là ne nous doivent-elles pas tout? Qui les forme dans le grand art de la coquinerie, de la perfidie, des noirceurs, si ce n'est nous autres, gens de cour? Nous débauchons une fille: l'attrait du plaisir, la coquetterie, la vanité, nous intéressons tout; nous l'enlevons de chez ses parents; le père veut le trouver mauvais; c'est un coquin qu'il faudrait enfermer à Bicêtre. Mais non, une sage institution sait arracher ces tendres plantes à la tyrannie paternelle; on la fait recevoir à l'académie de musique; alors elle peut librement lever une tête effrontée, faire marcher le vice et la bassesse sous les couleurs du luxe et les livrées de l'opulence. Son coeur est neuf encore. Quelle jouissance il nous offre! Le corrompre est un de nos jeux les plus doux: pourvu de tous les talents de l'homme aimable, il faut bien en faire usage. Quel diable de parti voudrais-tu tirer dans un souper d'une mijaurée qui s'avise d'avoir de la pudeur? Que tous les raffinements de la débauche viennent investir sa jeune âme, qu'elle soit ivrognesse, crapuleuse; que les plus sales propos assaisonnent les actions les plus débordées… Voilà un sujet, cela! On applaudit l'écolière, tout le monde la court, se l'enlève, se l'arrache, et l'on élève le maître aux nues.

Mais ce n'est encore là que l'écorce; l'effervescence des sens, des liqueurs traitresses peut en faire autant des autres, et si elle n'avait que cet avantage, elle ne serait pas distinguée, mon éducation manquée ne mériterait pas d'éloges. Je veux donc corroder tous les germes de vertu qui pourraient s'élever encore, détruire les principes de la sensibilité, ajouter, s'il est possible, à la vileté du sang dont elle est sortie; qu'elle devienne arabe, corsaire, sans pitié; que son coeur soit plus avide encore que ses mains; qu'insensible à l'amour, mais pétrie de caprices, elle ne connaisse de la jouissance que des désirs effrénés, des plaisirs brutaux; que tous ses goûts portent l'empreinte de son caractère; que le mortel le plus indigne soit toujours le préféré! Jamais elle ne saura ce qu'est la reconnaissance; sirène dangereuse, elle n'enchantera que pour dévorer; mais je veux aussi que la dissimulation profonde, naturelle à son sexe, exaltée par mes soins, soit le voile de tant de perfections; qu'aux charmes d'une figure décevante elle joigne l'extérieur le plus attrayant, que ses talents agrandissent les blessures que ses yeux auront faites. Je veux enfoncer dans son âme toute la scélératesse de la mienne; je veux qu'elle sache abuser jusque dans ces moments où l'on est sans défense; je veux enfin la rendre une femme de cour pour le fond, en lui conseillant seulement plus de décence en public. Alors elle pourra voler de ses propres ailes, arracher des fils de famille à la tendresse de leurs pères, aux embrassements de leurs mères éplorées, leur inspirer des forfaits, mais avec assez d'astuce pour n'y jamais tremper; elle sera en état de réduire à l'indigence ce négociant que son commerce, sa probité, ses richesses avaient rendu recommandable, cet époux qui lui sacrifie la substance la plus pure de sa femme, de ses enfants; elle causera des ruines, des deuils, des supplices peut-être… Et nous en rirons ensemble, nous partagerons les dépouilles, en insultant aux dupes prises dans nos filets… Mais voilà trop de comptes que j'ai la bonté de te rendre. Je croyais coucher avec Mimi: une partie a dérangé la nôtre; elle était de femmes (car la bougresse est à deux mains). Pour me dédommager un peu, elle me rendit témoin de la célébration des mystères de la grande déesse.

Imaginez-vous un salon décoré, bien éclairé, les portes fermées; trente femmes (parmi lesquelles je pourrais vous en citer du plus grand monde), jeunes ou vieilles, se mettent nues comme la main. Le premier coup d'oeil fut charmant. Que de trésors se développèrent à mes yeux! L'une, grasse, potelée, offre à mes regards avides une gorge éblouissante; l'autre, dans une attitude molle, couverte de ses blonds cheveux, ressemble à la Vénus du Titien. Une troisième, svelte et légère, paraît une nymphe dans son gentil corsage… Mais que devins-je au signal donné!… Chacun empoigne sa chacune: le premier temps de l'exercice est un branlement général! (foutre! je me branle aussi, et ce ne devait, sacredieu! pas être la dernière fois.) Tout à coup, la scène s'échauffe; la volupté se reproduit sous mille formes différentes; le bruit des baisers, le murmure des soupirs, les sons entrecoupés se font entendre… Déjà les sophas gémissent; de tendres pleurs coulent, le tremblement les saisit; elles s'évanouissent, elles nagent dans des torrents de sensations.

Quel tableau! Comment te peindre trente femmes qui déchargent? Je manquai enfoncer la fenêtre qui me couvrait et sauter dans la salle… Tout à coup elles renaissent… Que vois-je?… Sont-ce des satyres?… Non, non, j'y suis: je reconnais ma chère Vit-au-Conas à son braquemard. Trois autres, montées comme elle, se précipitent sur nos jeunes tendrons; elles passent tout le sérail à la ronde. "– Viande creuse, foutre! Mesdames, viande creuse! leur criai-je; ces engins-là sont mous, ou le diable m'emporte!…" Personne ne m'entendit, que cette pauvre veuve Poignet qui vint à mon secours.

 

La ronde achevée, l'orgie commence; des flots de vin de Champagne coulent bientôt. L'ivresse s'en mêle; mes tribades deviennent de vraies bacchantes. Vois ces deux couchées l'une sur l'autre en sens inverse, et se gamahuchant toutes deux; vois ce groupe plié en mille postures différentes; plus loin, Vit-au-Conas occupe seule six de ses compagnes; elle est étendue sur un sopha à jour; elle tient la langue dans le con de la première, qui, suspendue au-dessus de sa tête, inonde son visage de foutre, se baisse pour lui branler la gorge; ses mains branlent à droite et à gauche; une quatrième, à cheval sur elle, est enfilée par son braquemard; une cinquième, à genoux, la tête entre les jambes, la gamahuche de toute sa force, la sixième enfin lui enfonce dans le cul un petit godmiché qu'un ressort fait décharger… Tout à coup les cris, les imprécations, la fureur s'élèvent du sein de leurs plaisirs; leurs traits s'altèrent; elles ne se connaissent plus; elles se frappent l'une l'autre; leurs seins sont meurtris, livides, pantelants; leur chevelure jonche la terre… Eh bien! leurs forces ne répondent pas à leur rage; elles tombent épuisées sur le tapis, qu'elles souillent de sang, de vin et d'aliments… Eperdu, rempli d'horreur, je me sauve de ce bordel infernal, en jurant bien de n'y remettre les pieds de ma vie.

Obligé de me coucher seul sur cette dégoûtante scène, les songes me la retracèrent… Ma foi! ce n'était qu'une horreur de plus au bout du compte: les actrices étaient femmes de cour, de quoi, diable! Pouvais-je m'étonner? Je pris donc le parti d'en rire en me réveillant et d'en faire quelques gorges chaudes par charité chrétienne. Je fus le soir chez Mimi; j'arrive à onze heures, comme un homme qui devait être attendu; je la trouve couchée, je me déshabille, je lui vois un peu d'embarras, mes caresses le dissipent, et cette Laïs, franche du moins et faisant son métier de bonne grâce, me procure une jouissance très vive, très agréable et très variée. Sais-tu bien que c'est du fruit nouveau? Comment, diable! il y a un an que je suis au régime. Je n'eus guère que le temps de courir mes douze postes et, foi de fouteur! Elle n'eut pas même besoin d'employer main-forte; le couvent m'avait remonté. De temps en temps, j'étais interrompu par des frémissements contre les parois de l'alcôve. – Mais, foutre! ton chat est enfermé. – Eh! non. – Pardieu! je te dis que si; je l'entends qui gratte. – Eh bien! qu'il y reste. – Soit… Nous n'eûmes, en vérité, pas le temps de nous ennuyer. Sur les huit heures, je me levai pour laisser dormir mon adorable; j'étais dans son cabinet de toilette; bientôt j'entends rire à gorge déployée, j'y cours, et je trouve le chevalier de ***, le beau, le beau de la cour, comme Saint Roch, en simple chemise, l'air piteux, gelé et morfondu. – Ah! me dit-il en m'embrassant, mon ami, je suis mort. – Quoi donc? – J'ai eu diablement froid; mais, tiens, j'en tremble encore; j'ai mesuré cent fois, cette infernale nuit, la hauteur des fenêtres… Mimi me donne rendez-vous hier; j'étais couché avec elle depuis une demi-heure; nous entendons du bruit… – Ah! dit-elle, c'est mon entreteneur: je suis perdue; au nom de dieu, chevalier, sauve-toi! Je me jette à bas du lit, je ramasse mes habits et je me fourre dans une petite armoire au bas de l'alcôve. (foutre! voilà mon chat, écoutons.) Les compliments commençaient à devenir longs, comment sortir? J'étais nu, sans armes; elle me l'avait dit vieux; mais ses valets… Miséricorde! je l'entends qui se couche… Au moins pendant qu'il dormira… Point; le sapajou avait, je crois, mangé dix livres de diabolino: il l'a foutue douze fois. – Allons donc, cela n'est pas possible!… Eh! mordieu! c'est tout ce que je pourrais faire. – Douze fois, te dis-je, foutre! Je les ai bien comptées peut-être. Encore le vieux coquin criait-il au chat, et voulait-il venir me visiter: juge de ma situation! Tantôt sur un pied, tantôt sur un autre, grelottant; une maudite cloison qui rendait tous mes mouvements… Enfin, il part; je sors, et mademoiselle se fout de moi, rit aux éclats. – Ma foi! lui dis-je en éclatant de rire, elle n'a pas tort; mais, tiens, chevalier, quand on a peur, on n'y voit pas bien; tu nous fais là des contes, et je parie que tu as rêvé tout ce fracas… Il se dépite, il jure, il écume, me fait mille détails: – Je crois même, ajoute-t-il, qu'il l'a foutue en cul. – Oh! pour le coup, halte-là! Chevalier, je ne suis pas bougre. – Eh! qui parle de toi? – Toi. – Moi? – Sans doute, et tu racontes mon histoire. – Par le sang! par la mort! par… Mais il n'acheva pas, car il avait l'âme trop bonne. Mimi avait oublié mon rendez-vous, et la peur, ou le diable de la malice, lui avait fait pousser jusqu'au bout l'aventure.

Notre liaison allait son train; mais il me fallait autre chose que des coups de cul. La petite était fort bien en diamants, en équipages, en argenterie; mille écus par mois sans les cadeaux; elle était à la grande pension, et puis le casuel et le travail des mains, car cette fille-là fuit l'oisiveté, de peur des tentations. Bon an, mal an, si cela dure, cela fait cinquante mille francs… Et moi, je n'aurais rien!… La société serait léonine. Primo, à quoi bon ces diamants-là? ce n'est plus la mode… Les emprunter pour les vendre?… Non, cela n'est pas neuf. Il y a un comte en l'air qui a ce vilain tour sur la conscience… Les empocher et nier la dette?… tel marquis que je nommerais bien m'accuserait de le copier… On a bougrement de peine aujourd'hui à être un coquin original. MM. les gens de qualité ont épuisé les modèles. Soyons donc honnête homme.

Faisons-lui tenir maison; qu'elle paraisse donner tous les soupers; pendant que j'inviterai, que je ferai tous les honneurs, elle paiera: les diamants, l'argenterie, tout y passera, et quand elle n'aura plus rien… Oh! pardieu! je suis trop scrupuleux pour vivre sur ses crochets.

Le plan pris, nous marchons: la cour et la ville abondent à la petite maison qui devient nôtre; il n'est bruit que de nos soupers. Les plus jolies filles s'y rassemblent; que de couples bizarrement appareillés! Là, c'est un commandeur de Malte qui n'a rapporté de ses caravanes que les vices et la mollesse de l'Asie, qui joint à la débauche outrée le scandale d'un religieux et la licence d'un militaire au débordement de la cour. Il a soixante ans passés et n'aime que les enfants; le duvet même d'une motte rebondie, qui commence à fleurir, le choque. Que prétend-il? Forcer des obstacles imaginaires!… Débile athlète, en vain les fouets travaillent ses fesses décharnées: il n'aboutit qu'à pleurer tristement à la porte du sanctuaire que sa main tremblante a fatigué.

Près de lui, voyez cet abbé… Quoi! vous rougissez pour lui! Il a l'intérieur d'un infâme, l'extérieur d'un sacripant, mais il est rampant comme un valet; il porte le vit d'un mulet; il sera mitré: pour crossé, vingt fois il le fut dans sa vie. Voyez les bubons qui couvrent son front, son nez tacheté de rubis… Fruit de la guerre! s'écrie-t-il en embrassant Martin, qui sait bien que souris qui n'a qu'un trou est bientôt prise. Eh bien! Eh bien! Turcaret qui devient tendre… Eh! foutre! un instant, attendez donc qu'on éteigne les bougies… Le jeanfoutre allait monter sur Quincy; il vient de le lui mettre dans la main. – Fi donc! – Que diable! tu as toujours peur. Ecoute… c'est tout le produit d'une confiscation de tabac d'Espagne.