Le Piège Zéro

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CHAPITRE HUIT

“Très bien,” dit Reid. “Demande-moi ce que tu veux et je serai honnête. Prend tout le temps qu’il te faut.”

Il s’assit face à ses filles dans le coin d’un restaurant de fondue de l’un des hôtels les plus haut de gamme d’Engelberg-Titlis. Après que Sara lui avait dit au chalet qu’elle voulait connaître la vérité, Reid avait suggéré d’aller ailleurs, de quitter la pièce commune du chalet pleine de skieurs. Leur propre chambre semblait un endroit beaucoup trop silencieux pour discuter d’un sujet aussi intense, alors il les emmena dîner dans l’espoir de créer une atmosphère sympa pendant qu’ils discuteraient. Il avait choisi cet endroit précisément parce que chaque table était séparée par des cloisons en verre, ce qui leur donnait un peu d’intimité pour parler.

Quand bien même, il gardait la voix basse.

Sara fixa la table des yeux pendant un long moment en réfléchissant. “Je ne veux pas parler de ce qui s’est passé,” finit-elle par dire.

“Nous n’y sommes pas obligés,” lui accorda Reid. “Nous pouvons juste parler de ce dont tu as envie et je te promets que je te dirai la vérité, tout comme à ta sœur.”

Sara leva les yeux vers Maya. “Tu… sais des trucs ?”

“Certains,” admit-elle. “Désolé, Pouêt-Pouêt. Je pensais que tu n’étais pas prête à l’entendre.”

Si Sara était en colère ou bouleversée par cette nouvelle, elle n’en laissa rien paraître. Au lieu de ça, elle se mordit la lèvre inférieure un moment, formant une question dans sa tête, avant de demander. “Tu n’es pas seulement professeur, pas vrai ?”

“Non.” Reid s’était douté que clarifier ce qu’il était et ce qu’il avait fait ferait partie de ses principales priorités. “En effet. Je suis… ou plutôt j’étais un agent de la CIA. Est-ce que tu sais ce que ça veut dire ?”

“Comme… un espion ?”

Il haussa les épaules. “En quelque sorte. Ça implique un peu d’espionnage. Mais il s’agit plus d’empêcher les mauvaises personnes de faire certaines choses et d’éviter le pire.”

“Qu’est-ce que tu veux dire par ‘j’étais’ ?” demanda-t-elle.

“Eh bien, je ne fais plus ça maintenant. Je l’ai fait pendant un temps. Et puis, quand…” Il se râcla la gorge. “Quand Maman est morte, j’ai arrêté. Pendant deux ans, je n’ai plus travaillé pour eux. Mais, en février dernier, on m’a demandé de revenir.” C’est une façon très édulcorée de dire les choses, se réprimanda-t-il. “Vous vous rappelez ce truc aux infos sur les JO d’hiver et le bombardement du forum économique ? J’étais là. J’ai aidé à l’arrêter.”

“Alors tu fais partie des gentils ?”

Reid cligna des yeux, surpris par cette question. “Bien sûr que oui. Tu croyais le contraire ?”

Ce fut Sara qui haussa les épaules cette fois, en évitant de croiser son regard. “Je n’en sais rien,” dit-elle à voix basse. “Entendre tout ça, c’est comme… comme…”

“Comme apprendre à connaître un étranger,” murmura Maya. “Un étranger qui te ressemble.” Sara acquiesça, visiblement d’accord avec sa sœur.

Reid soupira. “Je ne suis pas un étranger,” insista-t-il. “Je suis toujours votre papa. Je suis la même personne que j’ai toujours été. Tout ce que vous savez sur moi, tout ce que nous avons fait ensemble est réel. Tout ça… toutes ces choses, c’était du boulot. Maintenant, ce n’est plus le cas.”

Est-ce que c’est la vérité ? se demanda-t-il. Il voulait le croire en tout cas, croire que Kent Steele n’était rien d’autre qu’un pseudonyme et pas une personnalité.

“Donc,” commença Sara, “ces deux types qui nous ont poursuivies sur le quai… ?”

Il hésita, se demandant si ça ne faisait pas trop pour elle. Mais il avait promis d’être honnête. “C’étaient des terroristes,” lui dit-il. “C’étaient des hommes qui essayaient de vous kidnapper pour me faire du mal. Tout comme…” Il se retint avant de dire quoi que ce soit sur Rais ou les trafiquants slovaques.

“Écoute,” reprit-il, “j’ai longtemps cru que j’étais la seule personne qui pouvait être amenée à souffrir en faisant ça. Mais, à présent, je vois à quel point j’ai eu tort. Alors, j’arrête. Je travaille toujours pour eux, mais je fais des trucs administratifs. Plus de boulot sur le terrain.”

“Alors, nous sommes en sécurité ?”

Reid eut le cœur serré non seulement à cause de la question, mais aussi à cause de l’espoir dans les yeux de sa fille. La vérité, se rappela-t-il. “Non,” répondit-il. “La vérité est que personne ne l’est jamais vraiment. Aussi beau et magique puisse être le monde, il y aura toujours de mauvaises personnes qui voudront faire du mal aux autres. Maintenant, je sais aussi qu’il y a un tas de bonnes personnes qui s’assurent qu’il y ait moins de méchants chaque jour. Mais peu importe ce qu’ils font, ou ce que je fais, je ne pourrai jamais garantir que vous soyez protégées de tout.”

Il ne savait pas d’où lui étaient venus les mots, mais ils lui paraissaient être autant à son propre bénéfice qu’à celui de ses filles. C’était une leçon qu’il avait vraiment besoin d’apprendre. “Et ça ne veut pas dire que je n’essaierai pas,” ajouta-t-il. “Je n’arrêterai jamais d’essayer de vous garder en sécurité. Comme vous devez toujours essayer, vous aussi, d’assurer votre propre sécurité.”

“Comment ?” demanda Sara. L’air distant était revenu dans ses yeux. Reid savait exactement à quoi elle pensait : comment elle, une jeune fille de quatorze ans pesant quarante kilos toute mouillée pouvait empêcher quelque chose comme l’incident de se produire à nouveau ?

“Eh bien,” dit Reid, “apparemment ta sœur a esquivé la bibliothèque pour se rendre à des cours d’auto-défense.”

Sara tourna vivement les yeux vers sa sœur. “C’est vrai ?”

Maya fit les gros yeux. “Merci d’avoir vendu la mèche, Papa.”

Le regard de Sara se posa de nouveau sur lui. “Je veux apprendre à tirer avec une arme.”

“Wow.” Reid leva une main. “Allons-y doucement. Ce n’est pas une demande à prendre à la légère…”

“Pourquoi pas ?” renchérit Maya. “Tu ne nous crois pas assez responsables ?”

“Bien sûr que si,” répliqua-t-il immédiatement, “C’est juste que…”

“Tu as dit qu’il fallait qu’on assure notre propre sécurité nous aussi,” ajouta Sara.

“Oui, je l’ai dit, mais il y a d’autres moyens de…”

“Mon ami Brent va chasser avec son père depuis qu’il a douze ans,” le coupa Maya. “Il sait tirer au fusil. Alors pourquoi pas nous ?”

“Parce que c’est différent,” répondit Reid avec insistance. “Et ne vous liguez pas contre moi. C’est injuste.” Jusqu’ici, il avait trouvé que ça se passait plutôt bien mais, à présent, elles utilisaient ses propres mots contre lui. Il pointa Sara du doigt. “Tu veux apprendre à tirer ? Pas de souci. Mais uniquement avec moi. Et d’abord, il faut que tu reprennes l’école et je veux lire des rapports positifs de la part du Dr. Branson. Quant à toi,” dit-il en désignant Maya, “plus de cours secrets d’auto-défense, ok ? Je ne sais pas ce que ce type t’enseigne, mais si vous voulez apprendre à vous battre et à vous défendre, vous me demandez.”

“Vraiment ? Tu m’apprendras ?” Maya semblait enthousiasmée à cette idée.

“Oui, je le ferai.” Il attrapa son menu et l’ouvrit. “Si tu as d’autres questions, j’y répondrai. Mais je pense que c’est déjà pas mal pour une seule soirée, non ?”

Il s’estimait chanceux que Sara ne lui ait posé aucune question à laquelle il n’aurait pas su quoi répondre. Il n’avait pas envie de devoir expliquer le suppresseur de mémoire… ça aurait pu compliquer les choses et renforcer leurs doutes sur qui il était vraiment. Mais il n’avait pas non plus envie de répondre qu’il ne savait pas quelque chose. Elles auraient immédiatement pensé qu’il leur cachait des trucs.

Il faut régler ça, pensa-t-il. Il fallait qu’il s’en occupe, et vite. Plus d’attente ni d’excuses.

“Et sinon,” dit-il par-dessus son menu, “ça vous dirait de visiter Zurich demain ? C’est une ville magnifique. Je vous promets des tonnes d’histoire, de shopping et de culture.”

“Carrément,” accepta Maya. Mais Sara ne répondit pas. Quand Reid regarda de nouveau par-dessus son menu, elle avait le visage pensif et les sourcils froncés. “Sara ?” demanda-t-il.

Elle leva les yeux vers lui. “Est-ce que Maman savait ?”

La question avait déjà été évoquée une fois, quand Maya l’avait posée moins d’un mois plus tôt, mais il fut tout aussi surpris de l’entendre de la bouche de Sara.

Il secoua la tête. “Non, elle n’était pas au courant.”

“Est-ce que ce n’est pas…” Elle hésitait, mais elle prit une profonde inspiration pour se donner le courage de parler, “Est-ce que ne rien dire, ce n’est pas un peu comme mentir ?”

Reid replia son menu et le posa sur la table. Soudain, il n’avait plus faim du tout. “Si, ma chérie. C’est exactement comme mentir.”

*

Le lendemain matin, Reid et les filles prirent le train allant au nord, depuis Engelberg jusqu’à Zurich. Ils n’avaient pas reparlé de son passé, ni de l’incident. Si Sara avait d’autres questions, elle les gardait pour elle, du moins pour l’instant.

Au lieu de ça, ils profitèrent des vues panoramiques sur les Alpes suisses durant le trajet en train de deux heures, tout en prenant des photos par la fenêtre. Ils passèrent ensuite le reste de la matinée à admirer l’architecture médiévale à couper le souffle de la vieille ville et à se balader sur les berges de la rivière Limmat. Même si elles clamaient ne pas apprécier l’histoire autant que lui, les deux filles furent ébahies par la beauté de la cathédrale Grossmünster du douzième siècle. Toutefois, elles se mirent à râler quand Reid commença à leur faire un cours sur Huldrych Zwingli et ses réformes religieuses du seizième siècles ayant eu lieu ici.

 

Même si Reid passait un super moment avec ses filles, son sourire était au moins partiellement forcé. Il était anxieux à l’idée de ce qui allait se passer ensuite.

“On fait quoi maintenant ?” demanda Maya après leur déjeuner dans un petit café avec vue sur la rivière.

“Vous savez ce qui serait vraiment top après un repas comme ça ?” dit Reid. “Un film.”

“Un film,” répéta platement son ainée. “Ouais, je crois que nous avons vraiment bien fait de faire tout ce trajet jusqu’en Suisse pour faire un truc que nous pouvons faire à la maison.”

Reid sourit. “Pas n’importe quel film. Le Musée National Suisse n’est pas loin et ils diffusent un documentaire sur l’histoire de Zurich depuis le Moyen Âge jusqu’à maintenant. Ça a l’air cool, pas vrai ?”

“Non,” dit Maya.

“Pas vraiment,” appuya Sara.

“Euh. Eh bien, c’est moi le père et j’ai décidé qu’on irait le voir. Ensuite, nous ferons tout ce que vous voudrez toutes les deux et je ne me plaindrai pas. Je vous le promets.”

Maya soupira. “Ça me paraît honnête. Passe devant.”

Moins de dix minutes plus tard, ils arrivèrent devant le Musée National Suisse, qui diffusait réellement un documentaire sur l’histoire de Zurich. Et Reid avait vraiment envie de le voir. Pourtant, même s’il avait acheté trois tickets, il ne comptait en utiliser que deux.

“Sara, est-ce que tu as besoin d’aller aux toilettes avant qu’on entre ?” demanda-t-il.

“Bonne idée.” Elle se dirigea vers les toilettes, et Maya allait la suivre, quand Reid l’attrapa rapidement par le bras.

“Attends. Maya… Je dois y aller.”

Elle cligna des yeux en le dévisageant. “Quoi ?”

“J’ai un truc à faire,” dit-il rapidement. “J’ai un rendez-vous.”

Maya leva un sourcil inquisiteur. “Pour faire quoi ?”

“Ça n’a rien à voir avec la CIA. Du moins, pas directement.”

Elle prit un air dépité. “Je n’arrive pas à y croire.”

“Maya, je t’en prie,” implora-t-il. “C’est important pour moi. Je te promets, je te jure qu’il ne s’agit pas de travail de terrain, ni de quoi que ce soit de dangereux. Il faut juste que je parle à quelqu’un. En privé.”

Sa fille souffla par les narines. Elle n’aimait pas ça du tout et, pire, elle ne le croyait pas vraiment. “Je dis quoi à Sara ?”

Reid avait déjà réfléchi. “Dis-lui qu’il y a eu un souci avec ma carte de crédit. Que quelqu’un a essayé de l’utiliser à ma place et que je dois régler tout ça pour que nous n’ayons pas à quitter le chalet. Dis-lui que je suis juste dehors en train de passer des coups de fil.”

“Oh, génial,” dit Maya d’un ton ironique. “Tu me demande de lui mentir.”

“Maya…” grommela Reid. Sara allait sortir des toilettes à tout moment. “Je te promets que je t’expliquerai tout juste après, mais je n’ai pas le temps maintenant. S’il te plaît, entre là-dedans, trouve une place et regarde le film avec elle. Je serai de retour avant que ce soit terminé.”

“D’accord,” dit-elle à contre-cœur. “Mais je veux que tu me raconte tout à ton retour.”

“Ça marche,” promit-il. “Et ne quittez pas ce musée.” Il l’embrassa sur le front et se dépêcha de partir avant que Sara ne revienne des toilettes.

Il se sentait très mal de devoir une nouvelle fois mentir à ses filles ou, du moins, leur cacher la vérité. Sara avait d’ailleurs judicieusement fait remarquer la veille au soir que c’était la même chose que de mentir.

Est-ce que ce sera toujours ainsi ? se demanda-t-il en se hâtant de quitter le musée. Est-ce qu’un jour, enfin, l’honnêteté sera la meilleure politique à adopter ?

Il n’avait pas seulement menti à Sara. Il avait également menti à Maya. Il n’avait aucun rendez-vous. Il savait où se trouvait le cabinet du Dr. Guyer (évidemment proche du Musée National Suisse, raison pour laquelle Reid l’avait intégré dans son plan) et savait aussi grâce à un appel anonyme que le docteur serait là aujourd’hui, mais il n’avait pas osé laisser son nom ou prendre un rendez-vous formel. Il ne savait pas du tout qui était ce Guyer, mis à part le type qui avait implanté un suppresseur de mémoire dans la tête de Kent Steele deux ans plus tôt. Reidigger avait fait confiance au docteur, mais ça ne voulait pas dire que Guyer n’avait aucun lien avec l’agence. Pire, ils l’observaient peut-être.

Et s’ils étaient au courant pour le docteur ? s’inquiéta-t-il. Et s’ils avaient gardé en permanence un œil sur lui durant tout ce temps ?

Il était désormais trop tard pour se soucier de tout ça. Son plan était simplement de se rendre sur place, de rencontrer cet homme et de découvrir ce qu’il pourrait, si tel était le cas, faire à propos de la perte de mémoire de Reid. Considère ça comme une consultation, plaisanta-t-il dans sa tête en marchant à pas rapides sur Löwenstrasse, parallèlement à la rivière Limmat, vers l’adresse qu’il avait trouvée sur internet. Il avait environ deux heures devant lui avant la fin du reportage au musée. Beaucoup de temps, pensait-il.

Le cabinet de neurochirurgie du Dr. Guyer se trouvait dans un large immeuble de bureaux sur quatre étages, juste à côté d’un boulevard principal et en face d’une cathédrale. La structure était d’architecture médiévale, bien loin des fades bâtiments médicaux auxquels il était habitué aux États-Unis. Celui-ci était plus beau que la plupart des hôtels dans lesquels Reid avait séjourné.

Il monta les marches jusqu’au troisième étage et se retrouva devant une porte en chêne avec un heurtoir de bronze et le nom GUYER inscrit sur une plaque en laiton. Il s’arrêta un moment, se demandant ce qu’il allait trouver de l’autre côté. Il ne savait pas du tout s’il était courant chez les neurochirurgiens d’avoir un cabinet privé dans les immeubles chics de la vieille ville de Zurich mais, encore une fois, il ne pouvait se souvenir de s’être déjà rendu dans un tel lieu auparavant.

Il essaya la poignée, et la porte s’ouvrit.

Le bon goût et la richesse du docteur suisse furent immédiatement apparents. Les peintures aux murs étaient principalement impressionnistes, des compositions colorées dans des cadres ornés qui avaient l’air d’avoir coûté aussi cher que certaines voitures. Le Van Gogh était visiblement une reproduction mais, s’il ne se trompait pas, la sculpture dégingandée dans l’angle semblait être un véritable Giacometti.

Je n’aurais jamais su ce genre de trucs sans Kate, pensa-t-il, ce qui renforçait sa raison d’être là, alors qu’il traversait la petite pièce vers un bureau qui se trouvait de l’autre côté.

Deux choses attirèrent immédiatement son regard au-delà de la zone de réception. La première fut le bureau lui-même, sculpté dans un seul morceau de bois rouge de forme irrégulière avec des motifs sombres en tourbillon dans le grain. Cocobolo, se dit-il. Ce bureau coûte au moins six mille dollars.

Il refusait de se laisser impressionner par l’art ou par le bureau… mais la femme assise derrière, c’était une autre paire de manches. Elle regardait Reid sans ciller avec un sourcil parfaitement arqué et un sourire sur ses lèvres pulpeuses. Ses cheveux blonds encadraient les contours d’un visage à la forme exquise et à la peau de porcelaine. Ses yeux semblaient trop bleus cristallins pour être vrais.

“Bonjour,” dit-elle en anglais avec un très léger accent suisse-allemand. “Asseyez-vous, je vous prie, Agent Zéro.”

CHAPITRE NEUF

Reid eut instinctivement l’envie de se battre ou de s’enfuir en entendant les mots de la réceptionniste. Et comme il était clair pour lui qu’il n’allait pas se battre contre cette femme, à peu près clair du moins, il décida de partir. Mais, à mi-chemin vers la porte, il entendit un lourd cliquetis.

La poignée de porte trembla, mais ne céda pas.

Il se retourna et vit la main de la femme ressortir de sous l’onéreux bureau. Il doit y avoir un bouton. Un mécanisme de fermeture à distance.

C’est un piège.

“Laissez-moi sortir,” avertit-il. “Vous ne savez pas ce dont je suis capable.”

“Si,” répondit-elle. “Et je vous assure que vous n’êtes pas en danger. Voulez-vous une tasse de thé ?” Elle parlait sur un ton apaisant, comme si elle avait à faire à un schizophrène qui n’aurait pas pris ses médicaments.

Il n’en revenait pas. “Du thé ? Non, je ne veux pas de thé. Je veux partir.” Il enfonça son épaule contre la lourde porte, mais elle ne bougea pas.

“Vous n’y arriverez pas,” dit la femme. “S’il vous plaît, ne vous faites pas mal.”

Il se retourna vers elle. Elle s’était levée du bureau et avait levé les mains dans une attitude non menaçante. Mais elle t’a enfermé ici, se rappela-t-il. Donc tu vas peut-être devoir te battre contre cette femme.

“Je m’appelle Alina Guyer,” dit-elle. “Vous vous souvenez de moi ?”

Guyer ? Mais la lettre de Reidigger disait “il” en parlant du docteur. En outre, Reid était presque sûr qu’il n’aurait jamais oublié un visage tel que le sien. Elle était absolument magnifique.

“Non,” dit-il. “Je ne me souviens pas de vous. Je ne me souviens pas avoir jamais mis les pieds ici et c’était une erreur de venir. Si vous ne me laissez pas sortir, ça va mal se passer…”

“Oh mon dieu,” dit une voix masculine dans un soupir. “C’est vous.”

Reid leva immédiatement les poings en se tournant vers cette nouvelle menace.

Le docteur, a priori puisqu’il portait une blouse blanche, était debout dans l’encadrement d’une porte à gauche du bureau en cocobolo. Il avait la cinquantaine bien tassée, si ce n’est la soixantaine. Mais ses yeux verts restaient vifs et perçants. Ses cheveux entièrement blancs étaient impeccablement coupés et peignés. Reid constata que sa cravate était une Ermenegildo Zegna, même s’il ne savait pas d’où il sortait ça.

Toutefois, le plus important était l’air totalement stupéfait du docteur en voyant Reid.

“Dr. Guyer, je présume ?” dit-il dans un souffle.

“J’ai toujours pensé que vous finiriez par revenir,” répondit le docteur en esquissant un grand sourire. Il avait le même accent suisse-allemand que sa réceptionniste, vers qui il se retourna en disant, “Alina, ma chérie, annule mes rendez-vous. Filtre les appels. Laisse la porte verrouillée. Le cabinet restera fermé pour le reste de la journée.”

“D’accord,” dit Alina, tandis qu’elle se laissait tomber sur sa chaise, sans quitter un instant Reid des yeux.

“Venez !” Guyer fit signe à Reid de le suivre. “Venez, je vous prie. Je vous promets que vous êtes en compagnie d’amis ici.”

Reid hésita. “Vous comprendrez que je puisse être légèrement incrédule.”

Guyer acquiesça. “Je comprends surtout que nous avons beaucoup de choses à nous dire.” Il se retourna et disparût par l’encadrement de la porte.

Quelque chose cloche ici. Il y avait un verrouillage à distance, aucun patient présent et une petite fortune en meubles et décoration. Mais il voulait des réponses Aussi, Reid refoula son envie de fuir et suivit le docteur.

Avant qu’il ne passe la porte, la réceptionniste dont Reid supposa qu’il s’agissait de la femme de Guyer, leva les yeux vers lui avec un petit sourire et demanda, “Et pour le thé ?”

“Peut-être quelque chose de plus fort, si vous avez,” murmura Reid.

Les murs du bureau de Guyer étaient ornés d’un nombre impressionnant de diplômes et certifications encadrés, ainsi que d’un éventail de photographies de ses divers voyages et accomplissements. Mais Reid les regarda à peine. Il se fichait pas mal de ce que ce docteur avait fait, à part l’opération unique à laquelle Guyer avait procédé sur sa tête.

Le docteur ouvrit un tiroir de son bureau pour en sortir un stylo et un carnet de notes, puis s’assit lourdement sur sa chaise, admirant Reid comme s’il était le matin de noël.

“Je vous en prie,” dit-il. “Asseyez-vous, Agent Zéro.” Guyer soupira. “J’ai toujours su que vous reviendriez. Je ne savais juste pas quand. Je me doutais bien que l’implant finirait par dysfonctionner, si vous surviviez, mais seulement deux ans ? C’est purement et simplement du travail d’amateur de mauvaise qualité.” Il se mit à rire comme s’il venait de raconter une blague. “Maintenant que vous êtes là, j’ai un millier de questions à vous poser. Mais j’ai bien peur de ne pas savoir par où commencer.”

Reid s’assit sur une chaise face au bureau de Guyer, restant sur ses gardes, surveillant sa périphérie et la porte derrière lui. Il jeta un œil à sa montre et vit un message de Maya : Sara m’a crue. T’as intérêt d’être de retour avant la fin du film.

 

Très bien, se dit-il. Peu importe ce qui allait se passer ici, il ne devait pas oublier que le temps lui était compté. “Je sais par où commencer,” dit Reid. “Qu’est-ce que vous entendez quand vous dites que l’implant finirait par dysfonctionner ?”

“Vous savez qui m’a confié cette technologie, n’est-ce pas ?” demanda le docteur.

Reid le savait. Alan Reidigger l’avait volée à la CIA. En fait, l’ingénieur technique excentrique, Bixby, était l’un des inventeurs du suppresseur de mémoire. “Oui,” répondit-il. “Il m’a non seulement apporté le suppresseur de mémoire,” reprit le docteur, “mais également le schéma sur lequel il avait été conçu, afin que je puisse tenter de copier sa technologie. Toutefois, en l’étudiant, j’ai trouvé une faille dans sa conception. Après tout, ce n’était qu’un prototype. J’ai estimé qu’il allait commencer à dysfonctionner au bout de cinq à six ans.”

“Commencer à dysfonctionner ?” répéta Reid. “Alors ces souvenirs auraient fini par me revenir de toute façon ?”

“Eh bien… oui,” dit le docteur, gêné. “Ce n’est pas pour ça que vous êtes là ? Vous avez commencé à retrouver les souvenirs qui avaient été supprimés ?”

“Pas vraiment. Des terroristes iraniens ont retiré l’implant de ma tête.”

Le Dr. Guyer eut une expression stupéfaite sur le visage. “Oh,” dit-il sur un ton empathique, “c’est bien malheureux. Mon pauvre ami… Votre esprit doit être un bazar sans nom.”

“En effet, je vous remercie,” répondit froidement Reid. “Qu’en est-il de l’autre aspect ? Vous avez dit ‘si vous surviviez.’ Qu’est-ce que ça veut dire ?”

Guyer regarda son bureau comme s’il y avait quelque chose de très intéressant dessus. “Je crois que votre collègue, M. Reidigger, pourrait mieux répondre que moi à cette question.”

“Il ne pourra pas,” lui dit Reid. “Il est mort.”

Guyer parût extrêmement troublé par la nouvelle. Il croisa lentement ses doigts sur le bureau avec les sourcils froncés, les plis ainsi causés sur son front le vieillissant de plusieurs années. “Je suis vraiment navré de l’apprendre,” dit-il à voix basse. “Il avait l’air d’être quelqu’un de bien. Il s’est donné beaucoup de mal pour aider son ami.”

“C’est peut-être vrai, mais il n’est plus là,” répondit simplement Reid. “Moi, si. Et vous n’avez pas répondu à ma question.”

Le docteur acquiesça. “En effet. Eh bien, ce n’est pas une réponse simple et elle ne vous plaira peut-être pas…”

“Essayez quand même.”

Guyer soupira. “ M. Reidigger et vous souhaitiez supprimer vos souvenirs afin que vous puissiez couler des jours heureux avec votre famille, totalement inconscient des tourments auxquels vous aviez été confronté. Mais vous pensiez tous deux que l’agence finirait par vous retrouver et… et vous réduire au silence.”

Quoi ? Reid n’en croyait pas ses oreilles. Pendant tout ce temps, il avait cru que le but du suppresseur était de pouvoir reprendre une vie normale, loin de la CIA et de tout ce qui allait avec. “Vous insinuez que je savais, ou que je pensais, que j’allais me faire tuer ? Et j’ai quand même accepté tout ça ?”

“Exactement, Agent Zéro.”

Reid secoua la tête. Pourquoi est-ce que j’aurais fait ça ? Pourquoi est-ce que j’aurais supprimé tout ce qui pouvait me donner la moindre chance de me battre ? C’était comme s’il s’était condamné à une sorte d’hospice de la mémoire. Il n’aurait jamais imaginé penser ça, mais l’intrusion des iraniens chez lui, cette nuit-là de février, lui sembla soudain bienvenue. Sans ça, il ne se serait jamais souvenu de son sordide passé, ni de la vérité sur la mort de sa femme ou de quoi que ce soit en rapport avec la conspiration…

C’est alors qu’il comprit. C’était justement pour ça qu’il l’avait fait… afin que, peu importe le temps qu’il lui restait à vivre, il puisse le faire sans porter de lourds secrets ni mensonges. Tout ce qu’il s’avait, tout ce qu’il avait traversé avec ses filles et tout ce qu’il leur cachait encore était lentement en train de le ronger. S’il pensait vraiment que l’agence finirait par le retrouver et le tuer, alors le suppresseur lui avait permis de vivre sans le poids du passé sur les épaules.

“Je ne peux connaître à votre place vos motivations personnelles, Agent Zéro,” dit Guyer. “Mais vous avez accepté tout cela. J’en ai la preuve en vidéo.” Il s’arrêta un moment, avant de demander, “Est-ce que vous voudriez la voir ?”

Reid hésita. “Oui,” finit-il par dire. “Je crois que oui.”

Dr. Guyer se leva de sa chaise mais, au même moment, un nouveau souvenir traversa l’esprit de Reid.

Tu es dans ce même bureau. Dans cette même chaise.

À côté de toi, se trouve un visage familier avec un sourire enfantin, des cheveux bruns bien coiffés : Alan Reidigger.

Guyer est assis derrière son bureau avec une caméra vidéo.

Reidigger acquiesce d’un signe de tête, d’un air rassurant.

“Mon nom est Kent Steele,” commences-tu. “Cette vidéo atteste que j’accepte une opération neurochirurgicale expérimentale effectuée par le Dr. Edgar Guyer…”

Reid secoua la tête. “Laissez tomber,” dit-il à Guyer. “Pas besoin de la vidéo.”

Le docteur, encore debout derrière son bureau, dévisagea Reid avec des yeux écarquillés et attentifs. “Vous venez de le vivre juste à l’instant, n’est-ce pas ? Un souvenir vous est revenu ?”

“Ouais.”

“Incroyable,” s’exclama Guyer. “Dites-moi, quel a été le déclencheur ?”

“Euh… une combinaison de choses, je suppose,” répondit Reid. “Le mot ‘vidéo.’ Être ici, dans ce bureau, et vous voir.”

“Dites-moi, quels sont les autres déclencheurs que vous avez vécus ?” Guyer se rassit dans son fauteuil et attrapa son stylo.

“Ce sont généralement des choses que j’entends,” expliqua Reid. “Mais, seul, ce n’est pas toujours suffisant. C’est un mélange de plusieurs choses : être dans un endroit particulier, entendre quelque chose, parfois même sentir une odeur…”

Guyer, ne cessant d’écrire sur son carnet, prononça, “Donc ce n’est pas un déclencheur sensoriel unique qui fait revenir les souvenirs ? Une stimulation visuelle ou auditive seule ne suffit pas… fascinant. Pouvez-vous me donner un exemple ?”

Reid soupira. “Bien sûr. Euh… ok, il y a quelques mois, j’étais en France, dans une partie de Paris que je pensais n’avoir jamais visitée. J’ai senti l’odeur d’une boulangerie, j’ai vu un panneau dans la rue, et j’ai soudain réalisé que je m’étais déjà trouvé exactement à ce croisement auparavant et que je savais exactement où je devais aller. Du moins, mes pieds savaient où aller. Dans ma tête, je vivais toujours ça comme si c’était nouveau. Je suppose qu’on pourrait dire que c’est la version la plus frustrante possible de la sensation de déjà-vu.”

“Hum,” Guyer murmurait en prenant des notes. “Quelles sont vos capacités ?”

“Capacités ?” demanda Reid.

“En tant qu’agent, vous avez été formé au combat, au pilotage, aux interventions d’urgence…”

“Oh, oui. En effet, certaines capacités sont revenues,” lui indiqua Reid. “C’est que qui est probablement le plus perturbant pour moi. Il y a deux mois, je ne savais pas parler arabe, russe, français, slovaque… mais si quelqu’un me parle dans une langue que je connais, elle me revient tout à coup, comme si elle avait été déverrouillée. Soudain, je peux la parler aussi bien que je vous parle en ce moment. Il en va de même pour le combat, ou même le pilotage. C’est comme si la familiarité de l’instinct remontait sur scène et que tout me revenait.”

“C’est très prometteur,” dit Guyer sans lever le nez de son carnet.

“Pourquoi ?”

Le docteur posa son stylo. “Vous voyez, Agent Zéro…”

“Pouvez-vous arrêter de m’appeler ainsi ?” le coupa Reid. Sans savoir très bien pourquoi, le fait d’être appelé par son nom de code à la CIA le mettait sur les nerfs. “Appelez-moi Reid, s’il vous plaît.”

“Certainement, Reid. Cette opération fut extrêmement complexe. Elle a duré dix-huit heures, car il s’agissait de supprimer bien plus que la mémoire. En réalité, que sont les capacités si ce n’est des compétences acquises par la répétition ? Et la répétition elle-même se base sur la mémoire. Même nos compétences les plus basiques se fient à des souvenirs subconscients : marcher, parler, écrite, etc. Je ne pourrais vous exprimer à quel point il a été difficile de supprimer la connaissance du maniement des armes sans altérer par accident votre capacité à tenir un stylo. Annihiler votre savoir du pilotage sans vous empêcher par inadvertance de savoir conduire une voiture…”

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