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Raison et sensibilité, ou les deux manières d'aimer (Tome 1)

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CHAPITRE XII

Elinor et Maria se promenaient ensemble le matin suivant; la dernière confia à sa sœur quelque chose, qui, malgré toutes les preuves qu'elle avait de l'imprudence de Maria et de son manque de raison, la surprit par l'excès de son extravagance.

Maria lui apprit avec un transport de joie, que Willoughby lui avait fait présent d'un cheval; c'était une jument charmante qu'il avait élevée lui-même à Haute-Combe, sa campagne de Sommerset-Shire, et qui était exactement un cheval de femme, doux, sage, vif et d'une bonne hauteur. Sans considérer qu'il n'entrait pas dans le plan de sa mère d'avoir des chevaux, que si elle y consentait en faveur de ce don, il faudrait en acheter un autre pour un domestique, puis engager un palefrenier pour en avoir soin, et après tout cela bâtir une écurie pour le loger, elle avait accepté cet inconcevable présent sans hésiter, et le dit à sa sœur avec ravissement. Il compte, ajouta-t-elle, envoyer un de ces jours son jokey en Sommerset-Shire pour la chercher, et quand elle sera arrivée, nous la monterons tous les jours, escortées par Willoughby; nous irons tour-à-tour, vous et moi, car, ma chère Elinor, vous en userez tout comme moi. Imaginez le délice de galoper dans cette plaine, de grimper à cheval ces collines.

Elinor souffrait de faire évanouir ce songe de félicité; il le fallait cependant. Elle rassembla son courage, et tâcha de lui faire comprendre avec tendresse et raison qu'elle devait y renoncer. Maria ne voulait d'abord rien entendre; elle avait réponse à tout; elle était sûre que sa maman n'y ferait nulle objection; un domestique de plus serait une bagatelle; tout cheval serait bon pour lui, il en emprunterait au Park, et pour écurie le plus simple hangar serait suffisant. Alors Elinor essaya d'élever quelques doutes sur l'inconvenance d'accepter un présent d'un jeune homme, qu'elle connaissait aussi peu. C'en était trop, et les yeux noirs de Maria brillèrent d'indignation.

Vous vous trompez, Elinor, dit-elle vivement, en supposant que je connaisse peu Willoughby; il n'y a pas long-temps il est vrai que je le vois, mais je le connais plus que qui que ce soit au monde, excepté vous et maman. Ce n'est ni le temps, ni l'occasion qui déterminent les liaisons du cœur; c'est uniquement la sympathie, une disposition réciproque qui entraîne irrésistiblement. Dix ans sont quelquefois insuffisans pour connaître à fond quelqu'un qu'on voit tous les jours; et avec d'autres, dix jours, dix heures mêmes sont plus que suffisantes. Tenez, par exemple, je croirais plutôt me rendre coupable d'imprudence en acceptant un cheval de mon frère que de Willoughby. Je connais très-peu John, quoique nous ayons vécu ensemble des années; mais sur Willoughby mon jugement est formé, et je le connais comme moi-même.

Elinor crut qu'il était plus sage de ne plus dire un mot sur un sujet qui tenait si fort à cœur à sa sœur; elle la connaissait assez pour savoir que là dessus elle n'entendrait pas raison, et s'affermirait encore plus dans son idée; il lui restait d'ailleurs un moyen plus sûr de réussir. Maria chérissait sa mère, et dès qu'Elinor lui eut représenté que madame Dashwood ferait des sacrifices et s'imposerait à elle-même des privations pour que sa fille chérie eût ce plaisir, elle y renonça à l'instant, et promit de ne pas même tenter la bonté de sa mère et de ne pas lui parler de cette offre, qu'elle refuserait elle-même positivement la première fois qu'elle verrait Willoughby.

Elle fut fidèle à sa parole, et quand Willoughby vint à la chaumière le même jour, Elinor (à sa grande satisfaction) entendit Maria lui exprimer à voix basse tout son regret de ne pouvoir accepter le cheval qu'il voulait lui donner. Elle lui dit les motifs qui lui avaient fait changer d'avis, et avec assez de fermeté pour qu'il n'essayât pas de les détruire; son chagrin cependant fut très-apparent, et après l'avoir exprimé avec vivacité, il ajouta aussi à voix basse: Eh bien! Maria, ce cheval est encore à vous, quoique vous ne puissiez pas vous en servir à présent. Je vous le garderai jusqu'à ce que vous vouliez le réclamer; quand vous quitterez Barton pour vous établir dans une plus grande maison, ma Reine Mab (c'est son nom), vous y recevra.

C'est tout ce que put entendre Elinor; et de la manière dont ces mots furent prononcés, en nommant Maria par son nom de baptême, elle jugea leur intimité tout-à-fait décidée, d'un commun accord. De ce moment elle ne douta pas qu'ils ne fussent engagés l'un à l'autre pour se marier incessamment, et n'eut pas d'autre surprise, connaissant leur franchise à tous deux, que de l'apprendre par hasard.

Emma lui raconta quelque chose le jour suivant qui la confirma tout-à-fait dans cette idée. Willoughby passa toute la journée avec elles; pendant que madame Dashwood et Elinor s'habillaient, Emma resta seule au salon avec lui et Maria, et la petite fine mouche, sans avoir l'air de les regarder, faisait des observations, qu'elle communiqua ainsi à sa sœur aînée. – O Elinor! j'ai un grand secret à vous dire sur Maria; je suis sûre qu'elle se mariera bientôt avec M. Willoughby.

– Vous avez dit ainsi, Emma, depuis le premier jour que vous l'avez rencontré sur la colline, et il n'y avait pas une semaine qu'il était reçu chez nous que vous étiez certaine que Maria portait son portrait au cou, et quand vous avez un jour tiré malicieusement par derrière le cordon qui l'attachait, c'était… la miniature de notre vieux bon oncle que vous avez mise au jour.

– Oui, c'est vrai; mais à présent c'est tout autre chose; je suis sûre qu'ils vont bientôt se marier, car il a dans son portefeuille une grosse boucle des cheveux de Maria.

– Prenez garde, Emma, c'est peut-être les cheveux de quelque grande tante, de madame Smith.

– Non, non, vous dis-je, c'est bien de Maria; j'en suis bien sûre, car je les lui ai vu couper. Hier, quand vous et maman sortîtes de la chambre, il s'approcha tout près d'elle sur le dos de sa chaise; et ils parlèrent ensemble si bas que je ne pouvais rien entendre, mais il me semblait qu'il lui demandait quelque chose. Elle secouait ainsi la tête, comme pour dire non: mais en même temps elle sourit en le regardant, comme pour dire oui. Alors il prit des ciseaux et coupa une longue boucle de ses cheveux, de ceux qui retombaient sur sa nuque; il les baisa plus de vingt fois, et les enveloppant dans une feuille de papier, il les cacha dans son portefeuille. Qu'avez-vous à dire à présent, mademoiselle Elinor? n'est-il pas vrai qu'ils sont engagés?

Il fallut bien croire Emma, et d'autant plus facilement que son rapport était à l'unisson de ce qu'elle voyait chaque jour; mais la sagacité de la petite ne s'exerçait pas toujours sur Maria, et la prudente Elinor n'en fut pas à l'abri. La bonne madame Jennings dont le plus grand plaisir était de railler et d'embarrasser les jeunes filles par des questions d'amour, et de découvrir le secret de leur cœur, attaqua la petite Emma sur le compte de sa sœur aînée. Il était impossible, dit-elle, qu'étant aussi jolie, elle n'eût pas un amoureux, et elle avait la plus grande curiosité de savoir son nom.

La petite rougit, et se tournant vers sa sœur: puis-je le nommer, lui dit-elle? Tout le monde éclata de rire; Elinor même essaya de rire aussi, mais ce fut un effort pénible. Elle était convaincue qu'Emma n'avait et ne pouvait avoir en vue qu'Edward Ferrars, dont elle n'aurait pu entendre le nom sans une émotion qui aurait excité les railleries de madame Jennings.

Maria sentit vivement aussi ce que sa sœur devait souffrir, mais elle augmenta plutôt que de diminuer son trouble. Elle rougit beaucoup aussi et dit en colère à Emma: Rappelez-vous, Emma, que quelles que soient vos conjectures, vous n'avez pas le droit de les répéter.

– Je n'ai point de conjectures, répondit la petite; c'est vous, Maria, qui m'avez appris le nom de l'amoureux d'Elinor.

Les éclats de rire recommencèrent. Emma fut vivement pressée de dire ce nom; elle s'en défendit: Non, non, Madame, voyez comme Maria est fâchée; non, je ne veux pas le dire, mais je sais bien qui c'est, et où il est.

– Oh! pour ce dernier point, mon enfant, j'en sais autant que vous, dit M. Jennings, c'est à Norland, j'en suis sûre… Je parie que c'est le curé de la paroisse!

– Non, non, pas du tout, ce n'est point un curé, je vous assure.

– Non! et bien qu'est-il donc? militaire sans doute.

– Encore moins, il n'est rien du tout… que l'amoureux d'Elinor.

– Emma, dit Maria en colère, vous savez fort bien que tout cela est vine invention de votre part, et que cette personne n'est rien sans doute, puisqu'elle n'existe pas.

– Ah mon Dieu! s'écria Emma, il est donc mort dernièrement, car je sais fort bien qu'il existait, et que les premières lettres de son nom étaient un E et une F.

Elinor s'était un peu éloignée sous quelque prétexte, mais elle entendait tout et elle était au supplice. Pour la première fois lady Middleton lui parut très-aimable en observant qu'il pleuvait beaucoup, et ramenant l'attention de chacun sur le temps et les nuages. C'était moins pour obliger Elinor que pour faire cesser un entretien qui l'ennuyait; mais le colonel Brandon saisit cette idée, parla de la pluie avec milady, puis de la gentillesse de la petite Sélina, puis de la bonté du thé, puis de l'élégance du service, et l'amour d'Elinor fut oublié. Mais il ne lui fut pas facile de se remettre de son trouble, et jamais elle n'avait mieux senti combien ce nom l'intéressait.

Dans le cours de la soirée sir Georges proposa une partie de campagne pour le lendemain; il s'agissait d'aller voir une très-belle terre à douze mille de Barton, appartenant à un beau-frère du colonel Brandon. Il était absent, et il avait laissé les ordres les plus stricts pour que personne n'entrât chez lui que ceux que le colonel amènerait. Sir Georges vantait excessivement toutes les beautés de cette maison et des jardins, et sans doute il pouvait en parler, car depuis dix ans, il y conduisait au moins deux fois, chaque été les hôtes qu'il avait chez lui. Il y avait entr'autres une immense pièce d'eau et une grande chaloupe qui devait former un des plus grands amusemens de la journée. On y porterait des viandes froides, des vins; on irait en calêche ouverte, en phaéton, en caricle, et chaque chose fut arrangée pour en faire une vraie partie de plaisir.

 

Quelques personnes de la compagnie pensaient différemment; la saison était trop avancée, et le temps trop humide pour aller chercher le plaisir aussi loin; il avait plu tous les jours pendant la quinzaine; madame Dashwood était déjà très-enrhumée, et à la prière instante d'Elinor, elle consentit à n'en pas être et à rester chez elle.

CHAPITRE XIII

La partie projetée tourna très différemment de ce qu'on avait imaginé; les uns y voyaient un plaisir parfait, quelques-uns de l'ennui, d'autres de la fatigue. Il n'y eut rien de tout cela; elle manqua au moment où on s'y attendait le moins.

A dix heures toute la société était au Parc, où on devait déjeûner amplement avant le départ. Sir Georges ne se possédait pas de joie. Il avait plu toute la nuit, mais le temps s'était éclairci sur le matin, les nuages se dispersaient à l'horison, et le soleil paraissait. Nous aurons un temps de Dieu, disait-il, et vous verrez Whitwell dans toute sa gloire. Tout le monde était en train et de bonne humeur; on était décidé à s'amuser quoiqu'il arrivât, et l'on se montait en gaîté.

Pendant le déjeûner on apporta les lettres. Il y en avait une pour le colonel Brandon; il la prit, regarda l'adresse, pâlit et quitta immédiatement la chambre.

– Qu'est-ce qui arrive à Brandon, dit sir Georges!

Personne ne répondit.

– J'espère qu'il n'a pas reçu de mauvaises nouvelles, dit lady Middleton; mais il faut que ce soit quelque chose de bien extraordinaire pour laisser ma table de déjeûner si brusquement.

Dans moins de cinq minutes il rentra.

– Point de mauvaises nouvelles j'espère, lui dit madame Jennings, au moment où il ouvrit la porte.

– Non, madame, aucune; je vous remercie de votre intérêt.

– Très-vif en vérité. Est-ce d'Avignon! j'espère que votre sœur n'est pas plus malade!

– Non, madame, ma lettre est de Londres, et c'est simplement une lettre d'affaires.

– Mais comment se fait-il que la seule écriture vous ait autant troublé? Venez, venez à côté de moi, cher colonel, racontez-moi ce que c'est; quelque chose d'intéressant pour vous, j'en suis sûre.

– Ma chère maman, dit lady Middleton, laissez de grace le colonel achever son déjeûner. Voilà votre tasse, colonel. Il la prit et la but rapidement sans s'asseoir. – Peut-être est-ce pour vous dire que votre cousine Fanny se marie? est-cela, dit madame Jennings?

– Non, madame pas du tout.

– Eh bien donc! je sais ce que c'est, et qui vous écrit, colonel; j'espère qu'elle se porte bien.

– Qui? madame, dit le colonel en rougissant un peu.

– Oh vous savez très-bien de qui je veux parler.

Le colonel impatienté ne répondit pas; il s'adressa à lady Middleton. – Je suis très-fâché, milady, lui dit-il, d'avoir reçu cette lettre ce matin; elle m'oblige à partir de suite pour Londres.

– Pour Londres! s'écria madame Jennings: quelle folie, et que peut-on avoir à faire à Londres dans cette saison.

– C'est moi qui perd le plus, dit-il, en étant forcé de quitter une société aussi agréable; mais ce qui me chagrine surtout, c'est que je crains de faire manquer la partie de ce matin, et que ma présence ne soit absolument nécessaire pour être admis à Whitwell.

Tout le monde fut consterné.

– Mais si vous écriviez un billet à la concierge, M. Brandon, dit vivement Maria, ne serait-ce pas suffisant?

– Je crains que non mademoiselle.

– Il faut absolument que vous veniez avec nous, s'écria sir Georges; il n'y a point d'affaire plus importante au monde que de ne pas déranger une partie sur le point de commencer. Renvoyez votre départ pour la ville à demain, Brandon; voilà tout.

– Je voudrais que cela me fût possible, dit-il avec fermeté; mais je ne puis retarder mon départ d'un jour.

– Si vous vouliez seulement nous dire de quoi il est question, dit madame Jennings, et nous conter votre affaire, nous déciderions si elle est si pressée ou si vous pouvez rester.

– Vous ne perdrez que cinq ou six heures, dit Willoughby, si vous vouliez seulement différer jusqu'à notre retour.

– Je ne puis pas perdre seulement une heure, répondit le colonel.

Elinor entendit Willoughby qui disait à voix basse à Maria: – Il est de ces gens maussades qui ne peuvent supporter une partie de plaisir; il avait peur de s'enrhumer ou d'être mouillé, j'en suis sûr, et il a inventé cela pour faire manquer celle-ci. Je voudrais parier cinquante guinées que cette lettre est de sa main.

– Je n'en doute pas, dit Maria.

– Il n'y a pas moyen de vous persuader, dit sir Georges, quand une fois vous avez mis quelque chose dans votre tête; je sais cela depuis long-temps: voyez cependant combien vous nous contrariez.

Le colonel répéta encore tout son chagrin d'en être la cause, mais déclara que son départ était inévitable.

– Eh bien donc! quand vous reverra-t-on?

– Bientôt j'espère, ajouta lady Middleton, et nous remettrons la partie de Whitwell à votre retour; j'aurai le temps de tout mieux arranger.

– Vous êtes très obligeante, madame, mais mon retour est si incertain, que je n'ose prendre aucun engagement.

– Je vous déclare, dit sir Georges, que si vous n'êtes pas ici à la fin de la semaine, je vais vous chercher.

– Oui, oui, sir Georges, faites cela, s'écria madame Jennings; vous saurez alors ce que c'est que cette affaire, et vous me le direz.

On vint avertir le colonel que son cheval était prêt. – Vous n'allez pas à cheval jusqu'en ville, dit sir Georges?

– Non: seulement jusqu'à la première poste.

– Eh bien! je vous souhaite un bon voyage, entêté que vous êtes; allons un effort de complaisance; renvoyez ce cheval.

– Je vous jure que cela n'est pas en mon pouvoir.

Il prit congé de toute la compagnie, qui lui rendit son salut avec humeur, à l'exception d'Elinor qui n'avait pas dit un mot pour le retenir, et qui le salua avec affection. – N'y a-t-il aucune chance, mademoiselle Elinor, lui dit-il, de vous voir à Londres cet hiver avec votre sœur?

– Je crains qu'il n'y en ait point.

– Je vous dis donc adieu pour plus long-temps que je ne voudrais, dit-il avec émotion. Il lui prit la main qu'il serra doucement, et fit un simple salut à Maria. Madame Jennings voulait encore le retenir pour lui faire dire son secret; mais il lui souhaita le bonjour, et quitta la chambre avec sir Georges.

Les plaintes, les regrets, les lamentations, les reproches, les sarcasmes, les conjectures, que la politesse avaient retenus, éclatèrent à la fois dès qu'ils furent sortis, lorsque madame Jennings fit taire tout le monde en disant: Je crois que j'ai deviné l'importante affaire qui nous a tous rendus si malheureux.

– Quoi donc? chère dame, qu'est-ce que vous croyez? dites-vite, s'écria chacun.

– Je suis sûre que c'est pour miss Williams.

– Et qui est miss Williams, demanda Maria?

– Quoi! vous ne connaissez pas miss Williams! vous en avez au moins entendu parler?

– Pas du tout, je vous jure.

– Eh bien! miss Williams, dit-elle avec un sourire fin, est une proche parente du colonel, très proche en vérité; je ne veux pas dire en toute lettre à quel degré pour ne pas blesser les oreilles des jeunes dames; et baissant un peu la voix, elle dit à Elinor: c'est sa fille naturelle.

– Vraiment! vous me surprenez.

– Oui, comme je vous le dis, et le colonel l'aime comme ses yeux; je suis sûre qu'il lui laissera toute sa fortune.

Sir Georges rentra, et se joignit de grand cœur au regret général; mais il finit par observer que puisqu'on était rassemblé, il fallait au moins faire tous ensemble quelque chose qui serait peut-être aussi divertissant. Après quelques consultations, on convint qu'on irait courir de côté et d'autre, suivant sa fantaisie, pendant quelques heures, puis qu'on reviendrait dîner au Parc. Lady Middleton trouva que c'était beaucoup plus convenable que de dîner en plein air. Elinor fut du même avis par d'autres motifs. Les voitures furent ordonnées; l'élégant caricle de Willoughby fut prêt le premier. On comprend qu'il devait conduire Maria, et jamais celle-ci n'avait paru plus heureuse qu'en se plaçant à côté de lui; et vraiment c'était le plus beau couple qu'il fût possible de voir. Ils partirent comme l'éclair et furent bientôt hors de vue, et on n'entendit plus parler d'eux jusqu'au retour général. Ils étaient partis les premiers, ils revinrent les derniers. Tous deux paraissaient enchantés de leur promenade dont ils ne donnèrent aucun détail; ils dirent seulement que pour rouler plus vîte, ils étaient restés dans la plaine. Les autres, pour jouir de la vue, s'étaient promenés sur les hauteurs.

Sir Georges avait décidé que pour se consoler du départ du colonel, on s'amuserait toute la journée, et qu'on danserait après dîner. Il y avait, outre la compagnie ordinaire, toute la nombreuse famille Carey de Nerrton. On était vingt personnes à table, ce que sir Georges remarqua avec grand plaisir. Willoughby prit sa place accoutumée entre Elinor et Maria. Il n'y avait pas long-temps qu'ils étaient assis, lorsque madame Jennings se penchant entre Elinor et Willoughby, prit le bras de Maria, et lui dit, assez haut pour être entendue de tous deux: Je sais où vous êtes allés ce matin, miss Maria; je l'ai découvert malgré tous vos beaux mystères. Maria rougit et dit vivement: Où donc, Madame?

– Ne saviez-vous pas, dit Willoughby, que nous nous étions promenés dans mon caricle?

– Oui, oui, Monsieur, je le savais bien, mais j'étais décidée de savoir aussi où ce caricle vous avait menés, et je le sais. J'espère, miss Maria, que votre future maison est de votre goût? Elle est à mon gré une des plus grandes et des plus belles que je connaisse, et quand je viendrai vous voir, j'espère que je la trouverai bien arrangée et meublée de neuf. Les meubles actuels sont trop antiques, n'est-ce pas? c'est la seule chose à quoi j'aie trouvé à redire quand j'y fus il y a six ans, et vous ne les aurez pas trouvés en meilleur état ce matin.

Maria se détourna en grande confusion. Madame Jennings rit aux éclats, et conta ensuite à Elinor qu'elle avait chargé sa femme-de-chambre Betty, adroite autant que gentille, de savoir du jockey de M. Willoughby où son maître avait conduit miss Dashwood, et qu'ainsi elle avait appris positivement qu'il l'avait menée au château d'Altenham, et qu'ils avaient passé toute la matinée à se promener dans la maison et dans les jardins.

Elinor pouvait à peine le croire; il lui semblait également inouï à M. Willoughby de l'avoir proposé et à Maria d'avoir consenti d'aller dans la maison où vivait une femme respectable, qu'elle ne connaissait point, et chez qui elle ne pouvait être admise.

Aussitôt qu'on fut sorti de table, elle prit sa sœur à part et le lui demanda, et à sa grande surprise, elle trouva que tout ce que madame Jennings avait dit était exactement vrai. Maria était tout-à-fait revenue de son premier moment de trouble, et se fâcha presque de ce que sa sœur en doutait.

– Qu'est-ce qui vous étonne donc, Elinor, lui dit-elle? pourquoi serais-je pas allée voir Altenham, puisque j'en avais une si bonne occasion? ne vous ai-je pas entendue dire vous-même que vous en auriez grande envie? – Oui, Maria, mais j'aurais attendu que madame Smith n'y fût plus ou voulût m'y recevoir, et je n'y serais surtout pas allée seule avec M. Willoughby.

– M. Willoughby est cependant la seule personne qui ait quelque droit de m'y introduire, et qui puisse me montrer en détail la maison et les jardins. Son caricle ne contient que deux places, et je ne pouvais avoir personne avec moi. Je vous assure, Elinor, que dans toute ma vie je n'ai passé une plus délicieuse matinée.

– Il est fâcheux, reprit doucement Elinor, que le plaisir et la convenance n'aillent pas toujours ensemble.

– Au contraire, Elinor, cela vaut beaucoup mieux, et ce que vous dites est la plus forte preuve en ma faveur. Si j'avais blessé le moins du monde les convenances ou la décence, j'en aurais eu le sentiment: vous m'accorderez j'espère qu'on sent toujours quelque chose de pénible quand on fait ce qui n'est pas bien, et avec cette conviction je vous assure que je n'aurais eu nul plaisir.

– Mais, ma chère Maria, dit Elinor avec une extrême tendresse, ne pensez-vous pas aussi qu'un sentiment plus vif encore peut aveugler? vous vous êtes déja trop exposée peut-être à de malicieuses remarques; ne commencez-vous pas à vous douter que vous y avez peut-être donné lieu, et votre promenade peut les augmenter? Madame Jennings…

 

– Madame Jennings et ses sottes railleries, interrompit Maria, me sont très-indifférentes; tout le monde, et vous-même Elinor, vous y êtes sans cesse exposés; je n'attache pas plus de prix à sa censure qu'à son approbation. Je n'ai point du tout le sentiment d'avoir fait quelque chose de mal en me promenant dans les jardins de madame Smith, ou en voyant sa maison; elle doit un jour appartenir à M. Willoughby, et…

– Lors même qu'elle devrait aussi vous appartenir, dit Elinor, cela ne justifie point ce que vous avez fait.

Maria rougit beaucoup, mais plutôt de plaisir que de peine, et après quelques minutes de silence elle passa un bras autour de sa sœur, et lui dit avec son charmant sourire: peut-être, Elinor, ai-je fait une étourderie en allant à Altenham, pardonnez-la moi, je ne puis m'en repentir, M. Willoughby avait la passion de me le montrer, et c'est une charmante habitation je vous assure: il y a surtout un petit salon au premier étage, précisément comme il le faut pour un établissement de tous les jours. Lorsqu'il sera meublé avec élégance, il sera délicieux; il est situé à l'angle de la maison, et il y a deux vues différentes, d'un côté sur le boulingrin, et au-delà sur un beau grand bois; de l'autre côté c'est l'église et le village, et derrière, cette belle colline que nous avons si souvent admirée. Encore n'ai-je pas vu le salon à son avantage, les meubles sont si antiques! mais, comme dit Willoughby, avec quelques centaines de guinées nous en ferons… on peut en faire la plus charmante chambre d'été de toute l'Angleterre.

Ainsi finit le sermon d'Elinor; elle ne dit plus rien, et Maria allait continuer sa description d'Altenham avec le même feu, quand elles furent appelées pour la danse. C'était Willoughby; elle lui donna la main, et dansa toute la soirée avec lui sans se rappeler un mot de ce que lui avait dit sa sœur.