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Les affinités électives

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C'est ainsi que naguère il s'était tenu debout devant Bélisaire; en ce moment ce n'était pas l'art, c'était la nature qui le faisait retomber dans la même position. Ottilie, morte comme Bélisaire aveugle, offrait un exemple terrible des abîmes où s'engloutissent toutes les espérances de la terre. Si Bélisaire nous force à regretter la valeur, la sagesse, le rang et la richesse perdus par la volonté du même prince qui avait d'abord cherché à développer, à utiliser ses rares qualités; on ne peut s'empêcher de voir dans Ottilie l'exemple de toutes les vertus modestes et bienfaisantes, à peine sorties des profondeurs mystérieuses où la nature se plaît à les cacher. Sa main froide et dédaigneuse, les avait détruites presqu'aussitôt comme si elle se plaisait à se jouer de l'espèce humaine, qui accueille toujours avec une joyeuse satisfaction, ces aimables et rares vertus dont l'influence lui est si nécessaire; tandis qu'elle déplore leur absence par un deuil sincère.

L'Architecte garda le silence, Nanny ne proféra pas une parole; mais lorsqu'elle le vit fondre en larmes et prêt à succomber sous le poids de sa douleur, elle lui parla avec tant de force et de vérité, tant de bienveillance et de persuasion, que tout en s'étonnant du pouvoir qu'elle exerçait sur lui, il voyait avec elle la belle Ottilie planer et agir dans les régions célestes. Ses larmes s'arrêtèrent, sa douleur s'adoucit, il se prosterna devant le cercueil, prit congé de Nanny par un cordial serrement de main, s'élança sur son cheval, et franchit avant le jour les limites de la contrée où il n'avait été ni vu, ni reconnu par personne.

Le Chirurgien, qui avait, à l'insu de Nanny, passé la nuit dans l'église, se rendit de bonne heure auprès d'elle, et s'étonna beaucoup de la trouver calme et sensée; car il s'attendait à l'entendre parler de visions et d'entretiens nocturnes avec Ottilie. Mais si elle avait retrouvé complètement le souvenir du passé et la conscience du présent, sous tous les autres rapports elle persistait à croire à la réalité de ce qui lui était arrivé pendant l'enterrement de sa jeune maîtresse, et elle répétait sans cesse, avec autant de joie que de conviction, que le cadavre s'était redressé sur son cercueil pour l'appeler, lui pardonner et la bénir.

Ottilie continua à paraître endormie, aucun symptôme de destruction ne se fit sentir, et ce phénomène, joint au miracle que Nanny racontait à tout venant, attira les habitants de la contrée. Les uns venaient pour se moquer, les autres pour se confirmer dans leurs doutes, un très-petit nombre pour espérer et croire.

Tout besoin dont la satisfaction matérielle est impossible engendre la foi. Nanny, brisée par une chute terrible aux yeux de la population de tout un village, avait été rappelée à la vie par le simple attouchement des restes d'Ottilie, pourquoi d'autres malades ne jouiraient-ils pas du même bonheur? Cette pensée devait nécessairement germer dans la tête des jeunes mères dont les enfants souffraient de quelque mal incurable, elles les apportèrent en secret près du cercueil, et les guérisons subites, qui peut-être n'étaient qu'imaginaires, augmentèrent tellement la confiance générale, que l'affluence des infirmes devint telle, qu'on se vit forcé de leur interdire l'entrée de la chapelle.

Édouard n'avait osé une seule fois aller visiter Ottilie. Ne vivant plus que de la vie animale, la source des larmes s'était tarie dans son coeur, il semblait être devenu inaccessible à la douleur morale. Ne prenant plus aucun intérêt à ce qui se passait autour de lui, on le voyait chaque jour diminuer la dose de nourriture qu'il avait l'habitude de prendre. S'il se ranimait parfois, ce n'était qu'en buvant dans le verre qui, malheureusement, n'avait été pour lui qu'un faux prophète. Cependant il contemplait toujours avec plaisir ses chiffres enlacés, et son regard semblait dire qu'il continuait à y voir le pronostic d'une prochaine réunion.

Si l'homme heureux s'appuie sur chaque hasard, sur chaque circonstance fortuite, pour s'élever toujours plus haut dans la sphère de son bonheur, les incidents les plus légers suffisent pour abattre et désespérer ceux qui souffrent.

Un jour qu'Édouard allait porter à ses lèvres son verre chéri, il l'éloigna tout à coup avec effroi, car il venait de s'apercevoir de l'absence d'un signe particulier dont il l'avait marqué, et que lui seul connaissait. Le valet de chambre fut forcé d'avouer que le véritable verre avait été cassé et remplacé par un autre parfaitement semblable et qui datait également de la première jeunesse du Baron.

Édouard ne manifesta ni colère ni chagrin; convaincu, que le sort venait de prononcer son arrêt, l'emblème de cet arrêt ne pouvait l'émouvoir; cependant, si jusque là il s'était abstenu de manger, il était facile de voir que, dès ce moment, les boissons ne lui plaisaient plus; et bientôt après il cessa de parler.

Une inquiétude cruelle le dominait de temps en temps, alors il redemandait de la nourriture et se remettait à parler.

– Hélas! dit-il, dans un de ces moments au Major qui ne le quittait jamais, que je suis malheureux! tous mes efforts pour l'imiter ne sont qu'une vaine parodie. Ce qui était un bonheur pour elle, est une torture pour moi. C'est par respect pour ce bonheur que je supporte cette torture, il faut que je la suive sur la route qu'elle a choisie pour me quitter; mais la force de ma constitution, et la promesse que j'ai eu l'imprudence de lui faire me retiennent. Quelle terrible tâche que de vouloir imiter ce qui est inimitable! Je le sens, cher ami, il faut du génie pour tout, même pour subir le martyre.

L'état d'Édouard était si désespéré qu'il nous paraît inutile de parler de la tendresse conjugale, des attentions, de l'amitié et des secours de l'art qui, pendant quelque temps encore, entourèrent cet infortuné.

Un matin Mittler le trouva mort dans son lit; il appela le Chirurgien et examina, avec sa présence d'esprit habituelle, toutes les circonstances de ce trépas subit. Charlotte accourut, le soupçon d'un suicide se présenta à sa pensée; elle accusa tout le monde et s'accusa elle-même d'une négligence impardonnable. Mittler et le Chirurgien la convainquirent bientôt du contraire. L'un s'appuyait sur des causes morales et l'autre sur des preuves matérielles. Il était facile de voir qu'Édouard avait été surpris par la mort. Un petit coffre et un portefeuille contenant des fleurs qu'Ottilie avait cueillies pour lui dans des moments de bonheur; les billets qu'il lui avait écrits, sans en excepter celui que Charlotte avait relevé et qu'elle lui avait remis d'une manière si prophétique; une boucle de ses cheveux et plusieurs autres souvenirs de son amie qu'il avait toujours soigneusement cachés, étaient ouverts devant lui; et, certes, il ne pouvait pas avoir eu l'idée d'exposer ces précieux trésors aux regards indiscrets du premier valet que le hasard aurait pu conduire dans sa chambre.

Ce coeur, que la veille encore des émotions violentes faisaient tressaillir, avait enfin trouvé le repos, et l'on pouvait croire à son salut éternel, puisqu'il avait cessé de battre en s'occupant d'une bienheureuse, d'une sainte.

Charlotte lui accorda une place à côté d'Ottilie, et donna des ordres, pour que jamais personne ne fût à l'avenir déposé dans cette chapelle. Ce fut à cette condition expresse qu'elle dota richement l'église et l'école, le pasteur et le maître d'école.

Les deux amants reposent enfin l'un à côté de l'autre; la paix règne dans leur éternelle demeure, et, du haut de la voûte de cette demeure, des anges, auxquels une mystérieuse parenté semble les unir, les regardent avec un sourire céleste. Quel ne sera pas le bonheur de ces amants lorsqu'un jour ils se réveilleront ensemble, et si près l'un de l'autre!

FIN DES AFFINITÉS ÉLECTIVES
* * * * *

MAXIMES ET RÉFLEXIONS
DE
GOËTHE

Les sciences naturelles ont des problèmes qu'on ne saurait résoudre sans appeler la métaphysique a son secours, non cette métaphysique d'école qui n'est qu'un bavardage vide de sens; mais la science réelle qui était, qui est et qui sera, avant, avec et après la physique.

L'autorité qui s'appuie sur des choses qui ont déjà été faites ou dites à, sans doute, un très-grand prix; mais les sots seuls demandent toujours et partout une semblable autorité.

Il est bon de respecter les anciennes fondations, mais il ne faut pas pour cela renoncer au droit de fonder quelque chose à son tour.

Maintiens-toi là où tu es! Cette maxime devient chaque jour plus nécessaire; car si d'un côté les hommes forment d'immenses associations, de l'autre chaque individu cherche à se faire valoir selon ses vues et ses facultés individuelles.

Il vaut toujours mieux exprimer tout simplement son opinion que de

l'appuyer sur des preuves, car les preuves ne sont que les variations de l'opinion, et nos adversaires n'écoutent volontiers ni le thème ni les variations.

Je me familiarise chaque jour davantage avec l'histoire naturelle et avec sa marche progressive, ce qui me suggère une foule de réflexions sur les pas que nous faisons à la fois en avant et en arrière. Je n'exprimerai qu'une seule de ces réflexions: La science ne saurait vous débarrasser des erreurs mêmes reconnues comme telles. La cause de cette singularité est un secret à la portée et connu de tout le monde.

J'appelle erreur la fausse interprétation d'un événement, les faux enchaînements auxquels il a donné lieu, et la fausse conséquence qu'on en tire. Il arrive pourtant parfois, dans la marche de l'expérience et de la pensée humaine, qu'un événement ait été conséquemment noué et déduit d'un autre événement. Le monde tolère ce redressement d'une erreur sans y attacher une grande importance; aussi l'erreur reste-t-elle intacte à côté de la vérité. Je connais un petit magasin de ces sortes d'erreurs que l'on garde très-soigneusement.

 

L'homme ne s'intéresse réellement qu'à ses propres opinions; aussi dès qu'il en énonce une, le voit on chercher de tous côtés des moyens d'appui. Tant que le vrai peut lui être utile, il l'accepte et s'en sert; mais quand le faux se trouve dans le même cas, sa rhétorique passionnée s'en empare et l'exploite, lors même qu'elle n'y trouverait que des demi-arguments qui éblouissent, des remplissages et des lieux communs qui donnent une apparence d'unité aux choses le plus bizarrement morcelées. En découvrant cette vérité, je me suis d'abord mis en colère, puis je me suis affligé; maintenant j'en ris avec une joie maligne, et je me suis promis à moi-même de ne plus jamais dévoiler de semblables perfidies.

Chaque chose qui existe est analogue à tout ce qui existe, voilà pourquoi l'existence nous paraît si unie et si morcelée. Si l'on s'attache à l'analogie, tout se confond dans l'identité; si on l'évite, tout se disperse dans l'infini. Dans l'un et l'autre cas, la réflexion reste stagnante, tantôt dans une vitalité surexcitée, et tantôt dans une mort apparente.

L'esprit s'occupe de ce qui sera, sans demander pourquoi cela sera ainsi; la raison s'attache à ce qui est, sans s'inquiéter des motifs qui font que cela est ainsi. L'esprit se plaît dans les développements; la raison veut tout fixer afin que tout puisse être utile.

Par une particularité innée chez l'homme, ce qui est le plus près de lui ne saurait lui suffire. Cependant ce que nous voyons nous-mêmes, et qui, par conséquent, est, pour l'instant du moins, le plus près de nous, peut, si nous le voulons fortement, s'expliquer par lui-même.

Voilà pourtant ce que les hommes ne comprendront jamais, parce que cela est contraire à leur nature. Les plus instruits eux-mêmes, lorsqu'ils découvrent quelque part une vérité, ne la rattachent jamais aux choses qui leur sont les plus près et les plus connues, mais à celles qui leur sont les plus éloignées et les plus inconnues. D'où il résulte une foule d'erreurs. Le phénomène qui se passe près de nous ne tient à celui qui se passe au loin, que sous un seul rapport: celui qui fait que tout, dans la nature, se rattache au petit nombre de lois fondamentales qui se manifestent partout.

Qu'est-ce qui est général? Un fait isolé. Qu'est-ce qui est particulier? Des millions de faits semblables.

L'analogie doit se garder de deux écueils également dangereux. Si elle se laisse aller aux saillies, aux jeux d'esprit, aux pointes, elle se réduit à rien; quand elle s'enveloppe de tropes et de comparaisons, elle est moins funeste, mais complètement inutile.

La science ne peut admettre ni les mythologies ni les légendes; elles appartiennent au poète qui a mission de les exploiter pour notre amusement. Le savant se renferme dans le présent le plus positif et le plus clair. S'il puise aux mêmes sources que le poète, il devient rhéteur, ce qu'au reste on n'a pas le droit de lui défendre.

Pour me garantir de l'erreur, je cherche à rendre les événements indépendants les uns des autres et à les isoler; puis je les considère comme autant de corrélatifs, et ils s'unissent aussitôt et s'animent d'une vie positive. J'applique surtout ce procédé à la nature; mais il est également utile dans l'étude de l'histoire du monde agissant et vivant autour de nous.

Tout ce que nous pouvons inventer ou découvrir dans le sens le plus élevé, n'est que l'action spontanée du sentiment primitif du vrai qui dormait en nous, et qu'un événement imprévu convertit tout à coup en intuition. Ce réveil est une révélation qui agit de l'intérieur à l'extérieur, et donne à l'homme la conscience de sa ressemblance avec Dieu; c'est la synthèse de la matière et de l'esprit qui conduit à l'heureuse certitude de l'éternelle harmonie de l'existence.

Si l'homme ne croyait pas que l'inconcevable est concevable, il ne ferait jamais usage de son entendement.

Chaque particularité qui peut s'appliquer d'une manière déterminée, est concevable; en envisageant l'inconcevable sous ce point de vue, il peut devenir utile.

Il existe un empyrisme épuré qui s'identifie tellement avec son objet, qu'il devient une théorie; mais cette gradation des facultés intellectuelles n'appartient qu'aux époques de haute civilisation.

Il n'y a rien de plus fâcheux que les observateurs malveillants et les théoriciens fantasques. Leurs essais son mesquins et compliqués, et leurs hypothèses obstrues et bizarres.

Il est des pédants qui sont en même temps des fripons, et c'est la pire espèce.

Il n'est pas besoin de faire le tour du monde pour se convaincre que le ciel est bleu partout.

Le général et le particulier se tiennent, car le particulier n'est que le général qui se présente à nous sous des conditions différentes.

Il n'est pas nécessaire d'avoir tout vu, tout éprouvé par soi-même; et lorsqu'on veut se confier aux récits d'un autre, il ne faut pas oublier qu'alors on a à faire à trois choses: à l'objet et à deux sujets.

Les propriétés fondamentales de l'unité vivante sont: se séparer et se réunir, se répandre dans les faits généraux et se fixer dans les faits particuliers; se métamorphoser, se spécifier, se manifester enfin sous les mille conditions diverses qui caractérisent la vie, et qui consistent à s'avancer et à disparaître, à se consolider ou à se dissoudre, à s'étendre ou à se concentrer. Puisque ces divers effets s'accomplissent à des époques semblables, tout pourrait se passer dans un seul et même moment. Paraître et disparaître, créer et détruire, naître et mourir, éprouver de la joie ou de la douleur, tout cela agit pêle-mêle dans le même sens et dans la même mesure; voilà pourquoi les événements qui nous paraissent les plus extraordinaires, ne sont que l'image et la comparaison des généralités les plus vulgaires.

L'existence dans son ensemble n'est qu'une séparation et une réunion perpétuelle, d'où il résulte que les hommes, en considérant de près cet état monstrueux, ne songeront bientôt plus qu'à séparer et à réunir.

Tout ce qui est séparé doit se poser séparément devant nous, c'est ainsi que la physique ne doit rien avoir de commun avec les mathématiques. La première doit se maintenir dans son indépendance déterminée, et s'armer de toutes les forces que peuvent lui prêter l'amour, la piété et la vénération, pour pénétrer dans la vie sacrée de la nature, sans s'inquiéter de ce que les mathématiques pourront faire et prouver de leur côté. Les mathématiques doivent se détacher de toute influence extérieure, marcher librement sur la grande route intellectuelle qui leur est propre, et s'y perfectionner avec une pureté qu'elles n'atteindront jamais, tant qu'elles continueront à s'occuper de ce qui est, pour lui enlever ou pour lui faire adopter quelque chose.

On peut étudier la nature et la morale sans adopter un mode catégoriquement impératif; mais il ne faudrait pas se croire arrivé à la fin, car alors on n'en est encore qu'au commencement.

Le plus haut degré de perfection serait de comprendre que tout ce qui est factice est une théorie. La couleur bleue du ciel nous révèle la loi fondamentale du chromatisme. Ne cherchez jamais rien au-delà d'un phénomène; il est lui-même un enseignement complet.

Les sciences renferment beaucoup de certitudes, quand on ne se laisse pas égarer par les exceptions et qu'on sait respecter les problèmes.

Si je suis parvenu à envisager avec calme les inexplicables phénomènes primitifs, c'est que j'ai appris à me résigner; mais il y aura toujours une différence immense entre la résignation qui nous arrête devant les limites de l'humanité, et celle qui nous renferme dans l'arène hypothétique d'une réalité bornée.

Lorsqu'on réfléchit sur les problèmes d'Aristote, on s'étonne du merveilleux don d'observation qui mettait, pour ainsi dire, les anciens Grecs à même de tout savoir. Mais on ne tarde pas à les accuser de précipitation, car ils passent immédiatement du phénomène à son explication, et tombent ainsi dans des décisions théoriques très-insuffisantes. Hâtons-nous d'ajouter que c'est encore là aujourd'hui notre défaut dominant.

Les hypothèses sont des chants de berceuses par lesquels les maîtres endorment leurs élèves. L'observateur sincère et consciencieux se pénètre toujours plus intimement de son insuffisance, et il sent que les problèmes augmentent à mesure qu'il étend son savoir.

Notre plus grand défaut est de douter du certain et de vouloir fixer l'incertain. Mon principe à moi, surtout dans l'étude de la nature, est de fixer le certain, et d'être toujours en garde contre l'incertain.

J'appelle une hypothèse détestable, celle que l'on établit, pour ainsi dire, malicieusement, afin de la faire réfuter par la nature.

Comment pourrait-on se faire accepter comme maître dans une profession quelconque, si l'on n'enseignait jamais rien d'inutile?

Ce qu'il y a de plus fou en ce monde, c'est que chacun se croit obligé d'enseigner aux autres ce qu'il croit savoir.

Le discours didactique doit être décidé. Les auditeurs ne veulent pas qu'on leur parle de doute et d'incertitude, ce qui met l'orateur dans l'impossibilité de laisser certains problèmes sans les résoudre ou de les tourner à distance. Quand on a entendu arrêter, affirmer quelque chose, on croit avoir conquis un terrain immense, et l'on conserve cette croyance jusqu'à ce qu'un nouveau venu resserre ou agrandisse ce terrain, en reculant ou en rapprochant les bornes que le premier avait posées.

Les questions vives sur les causes, le mélange confus des causes et des effets, tranquillisent celui qui se perd dans de fausses théories; mais leurs conséquences sont incalculables et impossibles à éviter.

Il est des personnes qui auraient entièrement changé de caractère, si elles n'avaient pas pensé qu'il était de leur devoir de soutenir et de répéter un mensonge, uniquement parce qu'elles l'ont dit une fois.

Le faux a l'avantage de fournir d'inépuisables sujets de causeries; le vrai ne peut qu'être utilisé, sans cela il serait comme non avenu.

Celui qui ne reconnaît pas combien le vrai facilite la pratique, le fausse et le tiraille afin de fournir des aliments à son pénible besoin d'activité.

Les Allemands possèdent le don de rendre les sciences inaccessibles, mais ce n'est cependant pas là une propriété exclusive.

Les Anglais profitent à l'instant même de chaque découverte, jusqu'à ce qu'elle les mène à une découverte nouvelle. Que l'on se demande encore pourquoi ils nous devancent toujours et en tout.

L'homme pensant possède la faculté bizarre de rêver une image fantastique, là où il voit un problème qui n'est pas encore résolu. Et quand le problème est résolu, et que la vérité s'est fait jour, il cherche en vain à se débarrasser de cette image.

Il faut une disposition d'esprit particulière pour saisir la réalité sans forme, telle qu'elle est, et pour la distinguer des vagues créations du cerveau qui ne laissent pas de s'imposer vivement et avec une certaine apparence de réalité.

En observant la nature dans ses plus grands comme dans ses plus petits effets, je me suis constamment demandé: Est-ce l'objet de tes observations, ou bien est-ce toi qui te prononces ainsi? J'ai toujours envisagé mes prédécesseurs et mes collaborateurs sous le même point de vue.

Chacun de nous ne voit dans la création achevée, réglée, accomplie, qu'un élément avec lequel il s'efforce de créer un monde à sa guise. Les hommes robustes s'emparent sans hésiter de cet élément, et le forcent à enfanter tant bien que mal; les faibles jouent et badinent avec lui en tremblant, il y en a qui vont jusqu'à douter de son existence.

Si nous pouvions nous pénétrer complètement de cette vérité fondamentale, on ne disputerait plus; car on ne verrait dans les opinions des autres comme dans les siennes, que des phénomènes de diverses espèces. L'expérience, au reste, ne nous prouve-t-elle pas, chaque jour, que tel homme pense facilement ce que tel autre ne saurait jamais penser? et cette différence existe non seulement dans les questions relatives au bien ou au mal réel, mais encore dans les choses qui nous sont complètement indifférentes.

Tout ce qu'on sait, on ne le sait que pour soi-même. Dès que je m'entretiens avec quelqu'un sur une chose que je crois savoir, il croit la savoir mieux que moi, et je me vois forcé de refouler mon savoir sur moi-même.

Le vrai hâte et favorise le bien; l'erreur ne développe rien et embrouille tout.

L'homme se trouve jeté au milieu de tant d'effets, qu'il ne peut s'empêcher d'en demander la cause; la première venue lui étant la plus commode, il la croit la meilleure et s'en contente. C'est ainsi du moins qu'agit le sens commun général.

 

Dès qu'on voit un mal on se met à le combattre, c'est-à-dire qu'on exerce l'art de guérir sur les symptômes et non sur la maladie.

L'entendement n'a d'empire que sur ce qui vit. Le monde dont s'occupe la géognosie est mort; il n'y a donc pas de géologie, car cette science serait inaccessible à l'entendement.

Lorsque je vois les parties éparses d'un squelette, je puis les rassembler et les replacer dans l'ordre voulu; car l'entendement me parle d'après les analogies éternelles et immuables, lors même que ce squelette serait celui du Léviathan.

Il ne nous est pas possible de voir naître en pensées, ce qui ne naît plus sous nos yeux. Une création définitivement accomplie, achevée et sans variation, n'est pas concevable pour nous.

Le système des vulcanistes modernes, n'est qu'un effet hardi pour rattacher l'inconcevable monde présent au monde passé qui nous est entièrement inconnu.

Les forces actives de la nature produisent souvent des effets semblables par des moyens différents.

Rien n'est plus absurde que la majorité, car elle se compose d'un très-petit nombre de prédécesseurs énergiques, de fripons qui s'accommodent entre eux, de faibles qui cherchent à s'assimiler, et d'une masse qui trotte toujours à la suite de quiconque veut bien se donner la peine de la faire mouvoir.

Les mathématiques sont, comme la dialectique, l'organe d'un sens noble et élevé; dans la pratique elles deviennent un art semblable à celui de l'éloquence, car, pour l'un comme pour l'autre, la forme est tout, et l'objet n'est rien: il est aussi indifférent aux mathématiques de calculer des oboles ou des guinées, qu'à la rhétorique de servir à la défense du vrai ou du faux.

En pareil cas tout dépend du mérite de l'homme qui pratique cette science, qui exerce cet art. L'avocat éloquent et entraînant qui défend et gagne une cause juste, et le mathématicien profond qui calcule avec justesse la marche des étoiles, sont deux êtres également divins.

Il n'y a d'exact dans les mathématiques que l'exactitude qui n'est elle-même qu'une conséquence du sentiment inné du vrai.

Les mathématiques ne sauraient faire disparaître les préjugés, modifier l'entêtement ou calmer l'esprit de parti; elles sont impuissantes pour tout ce qui concerne le monde moral.

Pour être un mathématicien parfait, il faut être avant tout un homme accompli. Ce n'est qu'en sentant tout ce qu'il y a de beau dans le vrai qu'il devient profond, pénétrant, clair, gracieux et même élégant; car il faut être tout cela pour ressembler à un Lagrange.

Ce n'est pas le langage par lui-même qui est juste, énergique ou agréable, mais l'esprit qui se corporifie pour ainsi dire par le langage. Il ne dépend pas de nous de donner à nos calculs, à nos discours, à nos poèmes, les qualités désirables, si la nature nous a refusé les qualités morales et intellectuelles nécessaires pour arriver à ce résultat. Les qualités intellectuelles consistent dans la pénétration et dans le pouvoir de méditer; et les qualités morales, dans la force de conjurer le mauvais esprit qui nous empêche de rendre hommage à la vérité.

Expliquer le simple par le composé, le facile par le difficile, est un mal profondément enraciné dans le corps des sciences; la plupart des savants le savent, mais fort peu en conviennent.

En méditant consciencieusement sur la physique, on reconnaît que les phénomènes et les expériences qui lui servent de base n'ont pas tous la même valeur.

Les phénomènes originels et les expériences primitives sont de la plus haute importance, et tout ce qui en découle immédiatement est immuable. En accordant le même droit aux phénomènes et aux expériences secondaires, on confond et on obscurcit tout ce que les premiers avaient expliqué et éclairci.

Rien n'est plus funeste à la science que les hommes qui, sans posséder un grand fonds d'idées qui leur soient propres, se permettent d'établir des théories; car ils ne conçoivent pas que même beaucoup de savoir acquis ne suffit pas pour leur donner ce droit. Dans leurs premières tentatives ils sont, à la vérité, toujours guidés par le bon sens; mais ce bon sens a des limites fort étroites, et, quand ils les dépassent, ils tombent dans l'absurde; son véritable domaine est l'action. Oui, le bon sens agissant ne s'égare jamais, mais il n'est pas propre à argumenter, à conjecturer, à juger; les hautes spéculations de la pensée, les fonctions élevées de l'esprit lui sont interdites.

L'expérience est d'abord utile à la science, puis elle lui devient nuisible, parce qu'elle enseigne à la fois le lois et les exceptions; et c'est toujours en vain qu'on croira trouver la vérité dans le résultat d'une règle de proportion entre les unes et les autres.

On prétend communément qu'entre deux opinions opposées, la vérité se trouve dans le centre. Rien n'est plus faux; ce n'est pas la vérité qu'on y trouve, c'est le problème, c'est la vie invisible et éternellement active supposée visible et en état de repos.

* * * * *
DERNIER CONSEIL

Rien de ce qui est ne peut être réduit à ne plus être; l'éternité se meut en tout. Sois heureux d'exister, l'existence est éternelle; des lois éternelles veillent sur les trésors vivants où le grand tout puise ses parures.

Depuis longtemps il a été trouvé, le vrai, et de nobles esprits se sont unis en lui. Fils de la terre, attache-toi à cet ancien vrai, et remercie les sages qui lui ont montré le chemin qui tourne autour du soleil et des étoiles.

Concentre tes regards sur toi-même, tu y trouveras le centre dont pas un noble coeur n'ose douter. Tu comprendras toutes les règles et toutes les exceptions; la conscience indépendante et ne subsistant que par elle-même, est le soleil qui éclaire chaque jour de ta vie morale.

Que ta raison veille toujours et tu pourras te confier à tes sens, ils ne te feront rien voir de faux. Observe tout d'un regard satisfait et marche d'un pas ferme et sûr à travers les monts et les vallons de ce monde si richement doté.

Jouis avec modération et avec sagesse de tant de biens, de tant de richesses. Quand la vie se réjouit de la vie, le passé s'arrête, l'avenir s'anime d'avance et le présent est éternel!

Et quand tu auras réussi à te pénétrer de la conviction que l'utile seul est vrai; quand tu auras étudié le mouvement de la foule qui tourne toujours dans le même cercle, alors tu la laisseras se mouvoir à sa manière et tu viendras te réunir au plus petit nombre.

Et, semblable au poète, au philosophe qui depuis l'antiquité la plus reculée, se sont créé en silence une oeuvre chérie s'harmonisant avec leurs penchants et leurs désirs, tu arriveras par degrés à ce résultat si heureux et si beau! Précéder les belles âmes sur la route de leurs plus nobles sensations, n'est-ce pas là une destinée digne d'envie?

* * * * *

Tout ce qui est raisonnable a déjà été pensé, mais il faut essayer de le penser de nouveau.

Comment peut-on apprendre à se connaître soi-même? Ce n'est pas par le raisonnement, c'est par l'action. Essaie de faire ton devoir, et tu verras tout de suite ce que tu vaux.

Qu'est-ce que ton devoir? L'exigence de chaque jour.

La partie pensante de l'espèce humaine doit être regardée comme une grande et immortelle individualité qui, en faisant sans cesse l'indispensable et le nécessaire, finit par se rendre maître de l'éventuel.

Plus j'avance dans la vie, plus je me dépite, quand je vois l'homme placé assez haut sur l'échelle de la création pour commander à la nature et s'affranchir de ses impérieuses nécessités, manquer à cette vocation en se laissant entraîner par de fausses idées à faire précisément le contraire de ce qu'il veut; quand je le vois, surtout, gâter volontairement l'ensemble, et se réduire ainsi à se débattre péniblement au milieu d'une foule de détails gênants et mesquins.