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L'île mystérieuse

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CHAPITRE VIII

Ainsi, les convicts étaient toujours là, épiant le corral, et décidés à tuer les colons l’un après l’autre! Il n’y avait plus qu’à les traiter en bêtes féroces. Mais de grandes précautions devaient être prises, car ces misérables avaient, en ce moment, l’avantage de la situation, voyant et n’étant pas vus, pouvant surprendre par la brusquerie de leur attaque et ne pouvant être surpris.

Cyrus Smith s’arrangea donc de manière à vivre au corral, dont les approvisionnements, d’ailleurs, pouvaient suffire pendant un assez long temps. La maison d’Ayrton avait été pourvue de tout ce qui était nécessaire à la vie, et les convicts, effrayés par l’arrivée des colons, n’avaient pas eu le temps de la mettre au pillage. Il était probable, ainsi que le fit observer Gédéon Spilett, que les choses s’étaient passées comme suit: les six convicts, débarqués sur l’île, en avaient suivi le littoral sud, et, après avoir parcouru le double rivage de la presqu’île serpentine, n’étant point d’humeur à s’aventurer sous les bois du Far-West, ils avaient atteint l’embouchure de la rivière de la chute. Une fois à ce point, en remontant la rive droite du cours d’eau, ils étaient arrivés aux contreforts du mont Franklin, entre lesquels il était naturel qu’ils cherchassent quelque retraite, et ils n’avaient pu tarder à découvrir le corral, alors inhabité. Là, ils s’étaient vraisemblablement installés en attendant le moment de mettre à exécution leurs abominables projets.

L’arrivée d’Ayrton les avait surpris, mais ils étaient parvenus à s’emparer du malheureux, et… la suite se devinait aisément!

Maintenant, les convicts – réduits à cinq, il est vrai, mais bien armés – rôdaient dans les bois, et s’y aventurer, c’était s’exposer à leurs coups, sans qu’il y eût possibilité ni de les parer, ni de les prévenir.

«Attendre! Il n’y a pas autre chose à faire! répétait Cyrus Smith. Lorsque Harbert sera guéri, nous pourrons organiser une battue générale de l’île et avoir raison de ces convicts. Ce sera l’objet de notre grande expédition, en même temps…

– Que la recherche de notre protecteur mystérieux, ajouta Gédéon Spilett, en achevant la phrase de l’ingénieur. Ah! Il faut avouer, mon cher Cyrus, que, cette fois, sa protection nous a fait défaut, et au moment même où elle nous eût été le plus nécessaire!

– Qui sait! répondit l’ingénieur.

– Que voulez-vous dire? demanda le reporter.

– Que nous ne sommes pas au bout de nos peines, mon cher Spilett, et que la puissante intervention aura peut-être encore l’occasion de s’exercer. Mais il ne s’agit pas de cela. La vie d’Harbert avant tout.»

C’était la plus douloureuse préoccupation des colons. Quelques jours se passèrent, et l’état du pauvre garçon n’avait heureusement pas empiré. Or, du temps gagné sur la maladie, c’était beaucoup. L’eau froide, toujours maintenue à la température convenable, avait absolument empêché l’inflammation des plaies. Il sembla même au reporter que cette eau, un peu sulfureuse, – ce qu’expliquait le voisinage du volcan, – avait une action plus directe sur la cicatrisation. La suppuration était beaucoup moins abondante, et, grâce aux soins incessants dont il était entouré, Harbert revenait à la vie, et sa fièvre tendait à baisser. Il était, d’ailleurs, soumis à une diète sévère, et, par conséquent, sa faiblesse était et devait être extrême; mais les tisanes ne lui manquaient pas, et le repos absolu lui faisait le plus grand bien.

Cyrus Smith, Gédéon Spilett et Pencroff étaient devenus très habiles à panser le jeune blessé. Tout le linge de l’habitation avait été sacrifié. Les plaies d’Harbert, recouvertes de compresses et de charpie, n’étaient serrées ni trop ni trop peu, de manière à provoquer leur cicatrisation sans déterminer de réaction inflammatoire. Le reporter apportait à ces pansements un soin extrême, sachant bien quelle en était l’importance, et répétant à ses compagnons ce que la plupart des médecins reconnaissent volontiers: c’est qu’il est plus rare peut-être de voir un pansement bien fait qu’une opération bien faite. Au bout de dix jours, le 22 novembre, Harbert allait sensiblement mieux. Il avait commencé à prendre quelque nourriture. Les couleurs revenaient à ses joues, et ses bons yeux souriaient à ses gardes-malades. Il causait un peu, malgré les efforts de Pencroff, qui, lui, parlait tout le temps pour l’empêcher de prendre la parole et racontait les histoires les plus invraisemblables.

Harbert l’avait interrogé au sujet d’Ayrton, qu’il était étonné de ne pas voir près de lui, pensant qu’il devait être au corral. Mais le marin, ne voulant point affliger Harbert, s’était contenté de répondre qu’Ayrton avait rejoint Nab, afin de défendre Granite-House.

«Hein! disait-il, ces pirates! Voilà des gentlemen qui n’ont plus droit à aucun égard! Et M Smith qui voulait les prendre par les sentiments! Je leur enverrai du sentiment, moi, mais en bon plomb de calibre!

– Et on ne les a pas revus? demanda Harbert.

– Non, mon enfant, répondit le marin, mais nous les retrouverons, et, quand vous serez guéri, nous verrons si ces lâches, qui frappent par derrière, oseront nous attaquer face à face!

– Je suis encore bien faible, mon pauvre Pencroff!

– Eh! Les forces reviendront peu à peu! Qu’est-ce qu’une balle à travers la poitrine? Une simple plaisanterie! J’en ai vu bien d’autres, et je ne m’en porte pas plus mal!»

Enfin, les choses paraissaient être pour le mieux, et, du moment qu’aucune complication ne survenait, la guérison d’Harbert pouvait être regardée comme assurée. Mais quelle eût été la situation des colons si son état se fût aggravé, si, par exemple, la balle lui fût restée dans le corps, si son bras ou sa jambe avaient dû être amputés!

«Non, dit plus d’une fois Gédéon Spilett, je n’ai jamais pensé à une telle éventualité sans frémir!

– Et cependant, s’il avait fallu agir, lui répondit un jour Cyrus Smith, vous n’auriez pas hésité?

– Non, Cyrus! dit Gédéon Spilett, mais que Dieu soit béni de nous avoir épargné cette complication!»

Ainsi que dans tant d’autres conjonctures, les colons avaient fait appel à cette logique du simple bon sens qui les avait tant de fois servis, et encore une fois, grâce à leurs connaissances générales, ils avaient réussi! Mais le moment ne viendrait-il pas où toute leur science serait mise en défaut? Ils étaient seuls sur cette île. Or, les hommes se complètent par l’état de société, ils sont nécessaires les uns aux autres. Cyrus Smith le savait bien, et quelquefois il se demandait si quelque circonstance ne se produirait pas, qu’ils seraient impuissants à surmonter!

Il lui semblait, d’ailleurs, que ses compagnons et lui, jusque-là si heureux, fussent entrés dans une période néfaste. Depuis plus de deux ans et demi qu’ils s’étaient échappés de Richmond, on peut dire que tout avait été à leur gré. L’île leur avait abondamment fourni minéraux, végétaux, animaux, et si la nature les avait constamment comblés, leur science avait su tirer parti de ce qu’elle leur offrait. Le bien-être matériel de la colonie était pour ainsi dire complet. De plus, en de certaines circonstances, une influence inexplicable leur était venue en aide!… mais tout cela ne pouvait avoir qu’un temps!

Bref, Cyrus Smith croyait s’apercevoir que la chance semblait tourner contre eux. En effet, le navire des convicts avait paru dans les eaux de l’île, et si ces pirates avaient été pour ainsi dire miraculeusement détruits, six d’entre eux, du moins, avaient échappé à la catastrophe. Ils avaient débarqué sur l’île, et les cinq qui survivaient y étaient à peu près insaisissables.

Ayrton avait été, sans aucun doute, massacré par ces misérables, qui possédaient des armes à feu, et, au premier emploi qu’ils en avaient fait, Harbert était tombé, frappé presque mortellement. Étaient-ce donc là les premiers coups que la fortune contraire adressait aux colons? Voilà ce que se demandait Cyrus Smith! Voilà ce qu’il répétait souvent au reporter, et il leur semblait aussi que cette intervention si étrange, mais si efficace, qui les avait tant servis jusqu’alors, leur faisait maintenant défaut. Cet être mystérieux, quel qu’il fût, dont ils ne pouvaient nier l’existence, avait-il donc abandonné l’île? Avait-il succombé à son tour?

À ces questions, aucune réponse n’était possible.

Mais qu’on ne s’imagine pas que Cyrus Smith et son compagnon, parce qu’ils causaient de ces choses, fussent gens à désespérer! Loin de là. Ils regardaient la situation en face, ils analysaient les chances, ils se préparaient à tout événement, ils se posaient fermes et droits devant l’avenir, et si l’adversité devait enfin les frapper, elle trouverait en eux des hommes préparés à la combattre.

CHAPITRE IX

La convalescence du jeune malade marchait régulièrement. Une seule chose était maintenant à désirer, c’était que son état permît de le ramener à Granite-House. Quelque bien aménagée et approvisionnée que fût l’habitation du corral, on ne pouvait y trouver le confortable de la saine demeure de granit. En outre, elle n’offrait pas la même sécurité, et ses hôtes, malgré leur surveillance, y étaient toujours sous la menace de quelque coup de feu des convicts. Là-bas, au contraire, au milieu de cet inexpugnable et inaccessible massif, ils n’auraient rien à redouter, et toute tentative contre leurs personnes devrait forcément échouer. Ils attendaient donc impatiemment le moment auquel Harbert pourrait être transporté sans danger pour sa blessure, et ils étaient décidés à opérer ce transport, bien que les communications à travers les bois du jacamar fussent très difficiles.

On était sans nouvelles de Nab, mais sans inquiétude à son égard. Le courageux nègre, bien retranché dans les profondeurs de Granite-House, ne se laisserait pas surprendre. Top ne lui avait pas été renvoyé, et il avait paru inutile d’exposer le fidèle chien à quelque coup de fusil qui eût privé les colons de leur plus utile auxiliaire.

 

On attendait donc, mais les colons avaient hâte d’être réunis à Granite-House. Il en coûtait à l’ingénieur de voir ses forces divisées, car c’était faire le jeu des pirates. Depuis la disparition d’Ayrton, ils n’étaient plus que quatre contre cinq, car Harbert ne pouvait compter encore, et ce n’était pas le moindre souci du brave enfant, qui comprenait bien les embarras dont il était la cause!

La question de savoir comment, dans les conditions actuelles, on agirait contre les convicts, fut traitée à fond dans la journée du 29 novembre entre Cyrus Smith, Gédéon Spilett et Pencroff, à un moment où Harbert, assoupi, ne pouvait les entendre.

«Mes amis, dit le reporter, après qu’il eut été question de Nab et de l’impossibilité de communiquer avec lui, je crois, comme vous, que se hasarder sur la route du corral, ce serait risquer de recevoir un coup de fusil sans pouvoir le rendre. Mais ne pensez-vous pas que ce qu’il conviendrait de faire maintenant, ce serait de donner franchement la chasse à ces misérables?

– C’est à quoi je songeais, répondit Pencroff. Nous n’en sommes pas, je suppose, à redouter une balle, et, pour mon compte, si Monsieur Cyrus m’approuve, je suis prêt à me jeter sur la forêt! Que diable! un homme en vaut un autre!

– Mais en vaut-il cinq? demanda l’ingénieur.

– Je me joindrai à Pencroff, répondit le reporter, et tous deux, bien armés, accompagnés de Top…

– Mon cher Spilett, et vous, Pencroff, reprit Cyrus Smith, raisonnons froidement. Si les convicts étaient gîtés dans un endroit de l’île, si cet endroit nous était connu, et s’il ne s’agissait que de les en débusquer, je comprendrais une attaque directe. Mais n’y a-t-il pas lieu de craindre, au contraire, qu’ils ne soient assurés de tirer le premier coup de feu?

– Eh, Monsieur Cyrus, s’écria Pencroff, une balle ne va pas toujours à son adresse!

– Celle qui a frappé Harbert ne s’est pas égarée, Pencroff, répondit l’ingénieur. D’ailleurs, remarquez que si tous les deux vous quittiez le corral, j’y resterais seul pour le défendre. Répondez-vous que les convicts ne vous verront pas l’abandonner, qu’ils ne vous laisseront pas vous engager dans la forêt, et qu’ils ne l’attaqueront pas pendant votre absence, sachant qu’il n’y aura plus ici qu’un enfant blessé et un homme.

– Vous avez raison, Monsieur Cyrus, répondit Pencroff, dont une sourde colère gonflait la poitrine, vous avez raison. Ils feront tout pour reprendre le corral, qu’ils savent être bien approvisionné! Et, seul, vous ne pourriez tenir contre eux! Ah! Si nous étions à Granite-House!

– Si nous étions à Granite-House, répondit l’ingénieur, la situation serait très différente! Là, je ne craindrais pas de laisser Harbert avec l’un de nous, et les trois autres iraient fouiller les forêts de l’île. Mais nous sommes au corral, et il convient d’y rester jusqu’au moment où nous pourrons le quitter tous ensemble!»

Il n’y avait rien à répondre aux raisonnements de Cyrus Smith, et ses compagnons le comprirent bien.

«Si seulement Ayrton eût encore été des nôtres! dit Gédéon Spilett. Pauvre homme! Son retour à la vie sociale n’aura été que de courte durée!

– S’il est mort?… ajouta Pencroff d’un ton assez singulier.

– Espérez-vous donc, Pencroff, que ces coquins l’aient épargné? demanda Gédéon Spilett.

– Oui! S’ils ont eu intérêt à le faire!

– Quoi! Vous supposeriez qu’Ayrton, retrouvant ses anciens complices, oubliant tout ce qu’il nous doit…

– Que sait-on? répondit le marin, qui ne hasardait pas sans hésiter cette fâcheuse supposition.

– Pencroff, dit Cyrus Smith en prenant le bras du marin, vous avez là une mauvaise pensée, et vous m’affligeriez beaucoup si vous persistiez à parler ainsi! Je garantis la fidélité d’Ayrton!

– Moi aussi, ajouta vivement le reporter.

– Oui… oui!… Monsieur Cyrus… j’ai tort, répondit Pencroff. C’est une mauvaise pensée, en effet, que j’ai eue là, et rien ne la justifie! Mais que voulez-vous? Je n’ai plus tout à fait la tête à moi. Cet emprisonnement au corral me pèse horriblement, et je n’ai jamais été surexcité comme je le suis!

– Soyez patient, Pencroff, répondit l’ingénieur.

– Dans combien de temps, mon cher Spilett, croyez-vous qu’Harbert puisse être transporté à Granite-House?

– Cela est difficile à dire, Cyrus, répondit le reporter, car une imprudence pourrait entraîner des conséquences funestes. Mais enfin, sa convalescence se fait régulièrement, et si d’ici huit jours les forces lui sont revenues, eh bien, nous verrons!»

Huit jours! Cela remettait le retour à Granite-House aux premiers jours de décembre seulement.

À cette époque, le printemps avait déjà deux mois de date. Le temps était beau, et la chaleur commençait à devenir forte. Les forêts de l’île étaient en pleine frondaison, et le moment approchait où les récoltes accoutumées devraient être faites. La rentrée au plateau de Grande-vue serait donc suivie de grands travaux agricoles qu’interromprait seule l’expédition projetée dans l’île.

On comprend donc combien cette séquestration au corral devait nuire aux colons. Mais s’ils étaient obligés de se courber devant la nécessité, ils ne le faisaient pas sans impatience. Une ou deux fois, le reporter se hasarda sur la route et fit le tour de l’enceinte palissadée. Top l’accompagnait, et Gédéon Spilett, sa carabine armée, était prêt à tout événement.

Il ne fit aucune mauvaise rencontre et ne trouva aucune trace suspecte. Son chien l’eût averti de tout danger, et, comme Top n’aboya pas, on pouvait en conclure qu’il n’y avait rien à craindre, en ce moment du moins, et que les convicts étaient occupés dans une autre partie de l’île.

Cependant, à sa seconde sortie, le 27 novembre, Gédéon Spilett, qui s’était aventuré sous bois pendant un quart de mille, dans le sud de la montagne, remarqua que Top sentait quelque chose.

Le chien n’avait plus son allure indifférente; il allait et venait, furetant dans les herbes et les broussailles, comme si son odorât lui eût révélé quelque objet suspect.

Gédéon Spilett suivit Top, l’encouragea, l’excita de la voix, tout en ayant l’œil aux aguets, la carabine épaulée, et en profitant de l’abri des arbres pour se couvrir. Il n’était pas probable que Top eût senti la présence d’un homme, car, dans ce cas, il l’aurait annoncée par des aboiements à demi contenus et une sorte de colère sourde. Or, puisqu’il ne faisait entendre aucun grondement, c’est que le danger n’était ni prochain, ni proche.

Cinq minutes environ se passèrent ainsi, Top furetant, le reporter le suivant avec prudence, quand, tout à coup, le chien se précipita vers un épais buisson et en tira un lambeau d’étoffe.

C’était un morceau de vêtement, maculé, lacéré, que Gédéon Spilett rapporta immédiatement au corral.

Là, les colons l’examinèrent, et ils reconnurent que c’était un morceau de la veste d’Ayrton, morceau de ce feutre uniquement fabriqué à l’atelier de Granite-House.

«Vous le voyez, Pencroff, fit observer Cyrus Smith, il y a eu résistance de la part du malheureux Ayrton. Les convicts l’ont entraîné malgré lui! Doutez-vous encore de son honnêteté?

– Non, Monsieur Cyrus, répondit le marin, et voilà longtemps que je suis revenu de ma défiance d’un instant! Mais il y a, ce me semble, une conséquence à tirer de ce fait.

– Laquelle? demanda le reporter.

– C’est qu’Ayrton n’a pas été tué au corral! C’est qu’on l’a entraîné vivant, puisqu’il a résisté! Or, peut-être vit-il encore!

– Peut-être, en effet», répondit l’ingénieur, qui demeura pensif.

Il y avait là un espoir, auquel pouvaient se reprendre les compagnons d’Ayrton. En effet, ils avaient dû croire que, surpris au corral, Ayrton était tombé sous quelque balle, comme était tombé Harbert. Mais, si les convicts ne l’avaient pas tué tout d’abord, s’ils l’avaient emmené vivant dans quelque autre partie de l’île, ne pouvait-on admettre qu’il fût encore leur prisonnier? Peut-être même l’un d’eux avait-il retrouvé dans Ayrton un ancien compagnon d’Australie, le Ben Joyce, le chef des convicts évadés? Et qui sait s’ils n’avaient pas conçu l’espoir impossible de ramener Ayrton à eux!

Il leur eût été si utile, s’ils avaient pu en faire un traître!…

Cet incident fut donc favorablement interprété au corral, et il ne sembla plus impossible qu’on retrouvât Ayrton. De son côté, s’il n’était que prisonnier, Ayrton ferait tout, sans doute, pour échapper aux mains de ces bandits, et ce serait un puissant auxiliaire pour les colons!

«En tout cas, fit observer Gédéon Spilett, si, par bonheur, Ayrton parvient à se sauver, c’est à Granite-House qu’il ira directement, car il ne connaît pas la tentative d’assassinat dont Harbert a été victime, et, par conséquent, il ne peut croire que nous soyons emprisonnés au corral.

– Ah! Je voudrais qu’il y fût, à Granite-House! s’écria Pencroff, et que nous y fussions aussi! Car enfin, si les coquins ne peuvent rien tenter contre notre demeure, du moins peuvent-ils saccager le plateau, nos plantations, notre basse-cour!»

Pencroff était devenu un vrai fermier, attaché de cœur à ses récoltes. Mais il faut dire qu’Harbert était plus que tous impatient de retourner à Granite-House, car il savait combien la présence des colons y était nécessaire. Et c’était lui qui les retenait au corral! Aussi cette idée unique occupait-elle son esprit: quitter le corral, le quitter quand même! Il croyait pouvoir supporter le transport à Granite-House. Il assurait que les forces lui reviendraient plus vite dans sa chambre, avec l’air et la vue de la mer!

Plusieurs fois il pressa Gédéon Spilett, mais celui-ci, craignant, avec raison, que les plaies d’Harbert, mal cicatrisées, ne se rouvrissent en route, ne donnait pas l’ordre de partir.

Cependant, un incident se produisit, qui entraîna Cyrus Smith et ses deux amis à céder aux désirs du jeune garçon, et dieu sait ce que cette détermination pouvait leur causer de douleurs et de remords!

On était au 29 novembre. Il était sept heures du matin. Les trois colons causaient dans la chambre d’Harbert, quand ils entendirent Top pousser de vifs aboiements.

Cyrus Smith, Pencroff et Gédéon Spilett saisirent leurs fusils, toujours prêts à faire feu, et ils sortirent de la maison.

Top, ayant couru au pied de l’enceinte palissadée, sautait, aboyait, mais c’était contentement, non colère.

«Quelqu’un vient!

– Oui!

– Ce n’est pas un ennemi!

– Nab, peut-être?

– Ou Ayrton?»

À peine ces mots avaient-ils été échangés entre l’ingénieur et ses deux compagnons, qu’un corps bondissait par-dessus la palissade et retombait sur le sol du corral.

C’était Jup, maître Jup en personne, auquel Top fit un véritable accueil d’ami!

«Jup! s’écria Pencroff.

– C’est Nab qui nous l’envoie! dit le reporter.

– Alors, répondit l’ingénieur, il doit avoir quelque billet sur lui.»

Pencroff se précipita vers l’orang. Évidemment, si Nab avait eu quelque fait important à faire connaître à son maître, il ne pouvait employer un plus sûr et plus rapide messager, qui pouvait passer là où ni les colons ni Top lui-même n’auraient peut-être pu le faire.

Cyrus Smith ne s’était pas trompé. Au cou de Jup était pendu un petit sac, et dans ce sac se trouvait un billet tracé de la main de Nab. Que l’on juge du désespoir de Cyrus Smith et de ses compagnons, quand ils lurent ces mots:

«Vendredi, 6 h. matin.

«Plateau envahi par les convicts!

«Nab.»

Ils se regardèrent sans prononcer un mot, puis ils rentrèrent dans la maison. Que devaient-ils faire?

Les convicts au plateau de Grande-vue, c’était le désastre, la dévastation, la ruine!

Harbert, en voyant rentrer l’ingénieur, le reporter et Pencroff, comprit que la situation venait de s’aggraver, et quand il aperçut Jup, il ne douta plus qu’un malheur ne menaçât Granite-House.

«Monsieur Cyrus, dit-il, je veux partir. Je puis supporter la route! Je veux partir!»

Gédéon Spilett s’approcha d’Harbert. Puis, après l’avoir regardé.

«Partons donc!» dit-il.

La question fut vite décidée de savoir si Harbert serait transporté sur une civière ou dans le chariot qui avait été amené par Ayrton au corral. La civière aurait eu des mouvements plus doux pour le blessé, mais elle nécessitait deux porteurs, c’est-à-dire que deux fusils manqueraient à la défense, si une attaque se produisait en route.

Ne pouvait-on, au contraire, en employant le chariot, laisser tous les bras disponibles? Était-il donc impossible d’y placer les matelas sur lesquels reposait Harbert et de s’avancer avec tant de précaution que tout choc lui fût évité? On le pouvait.

 

Le chariot fut amené. Pencroff y attela l’onagga.

Cyrus Smith et le reporter soulevèrent les matelas d’Harbert, et ils les posèrent sur le fond du chariot entre les deux ridelles.

Le temps était beau. De vifs rayons de soleil se glissaient à travers les arbres.

«Les armes sont-elles prêtes?» demanda Cyrus Smith.

Elles l’étaient. L’ingénieur et Pencroff, armés chacun d’un fusil à deux coups, et Gédéon Spilett, tenant sa carabine, n’avaient plus qu’à partir.

«Es-tu bien, Harbert? demanda l’ingénieur.

– Ah! Monsieur Cyrus, répondit le jeune garçon, soyez tranquille, je ne mourrai pas en route!»

En parlant ainsi, on voyait que le pauvre enfant faisait appel à toute son énergie, et que, par une suprême volonté, il retenait ses forces prêtes à s’éteindre.

L’ingénieur sentit son cœur se serrer douloureusement.

Il hésita encore à donner le signal du départ. Mais c’eût été désespérer Harbert, le tuer peut-être.

«En route!» dit Cyrus Smith.

La porte du corral fut ouverte. Jup et Top, qui savaient se taire à propos, se précipitèrent en avant. Le chariot sortit, la porte fut refermée, et l’onagga, dirigé par Pencroff, s’avança d’un pas lent.

Certes, mieux aurait valu prendre une route autre que celle qui allait directement du corral à Granite-House, mais le chariot eût éprouvé de grandes difficultés à se mouvoir sous bois. Il fallut donc suivre cette voie, bien qu’elle dût être connue des convicts.

Cyrus Smith et Gédéon Spilett marchaient de chaque côté du chariot, prêts à répondre à toute attaque. Toutefois, il n’était pas probable que les convicts eussent encore abandonné le plateau de Grande-vue. Le billet de Nab avait évidemment été écrit et envoyé dès que les convicts s’y étaient montrés. Or, ce billet était daté de six heures du matin, et l’agile orang, habitué à venir fréquemment au corral, avait mis à peine trois quarts d’heure à franchir les cinq milles qui le séparaient de Granite-House. La route devait donc être sûre en ce moment, et, s’il y avait à faire le coup de feu, ce ne serait vraisemblablement qu’aux approches de Granite-House.

Cependant, les colons se tenaient sévèrement sur leurs gardes. Top et Jup, celui-ci armé de son bâton, tantôt en avant, tantôt battant le bois sur les côtés du chemin, ne signalaient aucun danger.

Le chariot avançait lentement, sous la direction de Pencroff. Il avait quitté le corral à sept heures et demie. Une heure après, quatre milles sur cinq avaient été franchis, sans qu’il se fût produit aucun incident.

La route était déserte comme toute cette partie du bois de jacamar qui s’étendait entre la Mercy et le lac. Aucune alerte n’eut lieu. Les taillis semblaient être aussi déserts qu’au jour où les colons atterrirent sur l’île.

On approchait du plateau. Un mille encore, et on apercevrait le ponceau du creek glycérine. Cyrus Smith ne doutait pas que ce ponceau ne fût en place, soit que les convicts fussent entrés par cet endroit, soit que, après avoir passé un des cours d’eau qui fermaient l’enceinte, ils eussent pris la précaution de l’abaisser, afin de se ménager une retraite. Enfin, la trouée des derniers arbres laissa voir l’horizon de mer. Mais le chariot continua sa marche, car aucun de ses défenseurs ne pouvait songer à l’abandonner. En ce moment, Pencroff arrêta l’onagga, et d’une voix terrible:

«Ah! Les misérables!» s’écria-t-il.

Et de la main il montra une épaisse fumée qui tourbillonnait au-dessus du moulin, des étables et des bâtiments de la basse-cour. Un homme s’agitait au milieu de ces vapeurs.

C’était Nab.

Ses compagnons poussèrent un cri. Il les entendit et courut à eux…

Les convicts avaient abandonné le plateau depuis une demi-heure environ, après l’avoir dévasté!

«Et M Harbert?» s’écria Nab.

Gédéon Spilett revint en ce moment au chariot.

Harbert avait perdu connaissance!

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