Tasuta

Les enfants des bois

Tekst
iOSAndroidWindows Phone
Kuhu peaksime rakenduse lingi saatma?
Ärge sulgege akent, kuni olete sisestanud mobiilseadmesse saadetud koodi
Proovi uuestiLink saadetud

Autoriõiguse omaniku taotlusel ei saa seda raamatut failina alla laadida.

Sellegipoolest saate seda raamatut lugeda meie mobiilirakendusest (isegi ilma internetiühenduseta) ja LitResi veebielehel.

Märgi loetuks
Šrift:Väiksem АаSuurem Aa

CHAPITRE XIX
MORT DE L'ÉLÉPHANT

La bataille entre ces deux grands quadrupèdes n'avait pas duré dix minutes, et elle avait tellement absorbé l'attention des chasseurs qu'ils avaient renoncé à leur plan d'attaque. Ce ne fut qu'après la retraite du rhinocéros qu'ils délibérèrent sur les moyens de s'emparer de l'éléphant, avec le concours de Hans, qui les avait rejoints armé de son fusil.

Quand il eut cherché son ennemi, l'éléphant rentra dans le lac; il paraissait en proie à une vive agitation; sa queue était sans cesse en mouvement, et par intervalles il faisait entendre un gémissement plaintif bien différent de son cri ordinaire, qui résonne comme un clairon; il battait l'eau avec son corps, en absorbait des flots avec sa trompe et les rejetait sur son dos et sur ses épaules, mais ce bain de pluie ne le rafraîchissait pas.

– Il est en colère, dit Swartboy, et comme nous n'avons pas de chevaux pour l'éviter, il serait excessivement dangereux de nous laisser voir.

– Cachons-nous derrière le tronc du nwana, dit Von Bloom, je vais me mettre en observation d'un côté, et Hendrik se placera de l'autre.

Les chasseurs ne tardèrent pas à se lasser de leur embuscade, et, malgré le danger, ils résolurent d'attaquer l'animal. Ils savaient que s'ils le laissaient s'éloigner ils seraient forcés de se passer de souper, et ils avaient compté se régaler d'un morceau de sa trompe.

– Le temps est précieux, dit Von Bloom à ses fils; glissons-nous dans les brouissailles. Nous ferons feu tous ensemble, et nous nous cacherons en attendant l'effet de nos coups.

Sans délibérer davantage, Von Bloom, Hans et Hendrik se dirigèrent vers l'extrémité occidentale du lac; le sol qu'ils parcouraient n'était pas entièrement couvert; les bouquets d'arbres et les buissons laissaient entre eux des intervalles qu'il fallait franchir avec la plus grande circonspection. Von Bloom montrait le chemin et ses deux fils le suivaient de près. Arrivés dans un massif qui bordait le lac, ils se traînèrent sur les mains et sur les genoux, écartèrent les feuilles et virent à vingt pas d'eux le puissant quadrupède. Il plongeait et s'élevait alternativement en s'arrosant avec sa trompe, et ne semblait nullement soupçonner la présence des chasseurs. Comme il avait le dos tourné, Von Bloom ne jugea pas à propos de tirer, car il était impossible de lui faire une blessure mortelle; il fallait attendre qu'il présentât le flanc.

Il cessa enfin de battre l'eau avec ses pieds et de l'élever dans sa trompe. Autour de lui le lac était rougi par le sang qui coulait de sa blessure; mais on ne le voyait pas, et il était impossible d'en apprécier la gravité. De la position où se trouvait Von Bloom et ses fils, ils n'apercevaient que sa large croupe; mais ils attendaient avec confiance, car ils savaient qu'il serait obligé de se retourner pour sortir de l'eau.

Pendant quelques minutes, il resta dans la même position; mais ils remarquèrent qu'il n'agitait plus la queue, qu'il s'affaiblissait, que son allure était molle et languissante. De temps en temps il tournait sa trompe vers sa plaie béante; cette blessure l'inquiétait, et ses souffrances se manifestaient par les sifflements perçants de sa respiration entrecoupée.

Von Bloom et ses fils commencèrent à s'impatienter. Hendrik sollicita l'autorisation de gagner un autre point du rivage, d'où il pourrait envoyer à l'éléphant une balle qui le forcerait à se retourner.

En ce moment même l'éléphant fit un mouvement comme pour sortir du lac. Sa tête et sa poitrine se montrèrent sur la berge. Les trois fusils furent pointés, et les trois chasseurs cherchèrent des yeux leurs points de mire; mais tout à coup l'animal chancela et s'abattit. Sa lourde masse s'abîma sous l'eau avec un bruit sinistre, et de grosses vagues roulèrent jusqu'à l'extrémité opposée du lac.

Il était mort!

Les chasseurs désarmèrent leurs fusils, quittèrent leur embuscade et coururent sur la plage. Ils examinèrent le cadavre, et virent dans son flanc le trou ouvert par la corne du rhinocéros. La plaie n'avait pas beaucoup d'étendue, mais l'arme terrible avait pénétré fort avant dans le corps. Une lésion des entrailles avait causé la mort du plus puissant des animaux.

Dès qu'on sut que l'éléphant avait succombé, toute la famille se groupa autour de lui. Gertrude, Jan et Totty, qui étaient restés cachés dans la charrette, descendirent de leur retraite. Swartboy accourut avec une hache et un coutelas, tandis que Hans et Hendrik ôtaient leurs vestes pour l'aider à dépecer cette grosse pièce.

Et que faisait cependant Von Bloom? Vous vous adressez là une question plus importante que vous ne supposez. C'était le moment d'une grande crise dans la vie du porte-drapeau.

Il était debout, les bras croisés, sur la rive du lac, au-dessus de la place où l'éléphant était tombé. Absorbé dans une méditation profonde, il tenait les yeux fixés sur le gigantesque cadavre. Ce n'était ni la chair ni le cuir épais qui attiraient son attention. Etait-ce donc la blessure fatale? Von Bloom se demandait-il comment elle avait donné la mort à un être aussi solidement construit?

Non: ses pensées suivaient un autre cours.

L'éléphant était tombé de telle sorte, que sa tête, entièrement hors de l'eau, reposait sur un banc de sable le long duquel s'allongeait sa trompe. Ses longues défenses jaunes se recourbaient des deux côtés comme des cimeterres.

On pouvait admirer dans toute leur magnificence ces armes d'ivoire, qui pendant longues années, pendant des siècles peut-être, avaient servi à déraciner les arbres de la forêt, avaient mis en fuite dans maint combat les plus redoutables adversaires.

C'était sur ces précieux trophées que les yeux de Von Bloom étaient fixés. Il avait les lèvres closes, et sa poitrine se soulevait. Une foule d'idées lui traversaient l'esprit; mais ce n'étaient pas des idées pénibles: le nuage de tristesse qui voilait son front s'était dissipé sans laisser de traces, sa physionomie rayonnait d'espérance et de joie.

– C'est la main du ciel, s'écria-t-il enfin, c'est une fortune, une fortune!

– Que voulez-vous dire, papa? demanda la petite Gertrude, qui était auprès de lui.

Enchantés de son air de bonheur, ses autres enfants se groupèrent à ses côtés et lui demandèrent tous ensemble d'où provenait son agitation. Swartboy et Totty n'étaient pas moins empressés que les membres de la famille de connaître sa réponse.

Le bon père ne crut pas devoir leur cacher plus longtemps le secret du bonheur qu'il entrevoyait dans l'avenir.

– Vous voyez ces belles défenses? dit-il.

– Eh bien?

– En connaissez-vous la valeur?

Ils répondirent négativement; ils savaient seulement qu'on en tirait l'ivoire avec lequel on fabriquait une multitude d'objets, et qui avait une grande valeur commerciale.

Jan possédait un couteau à manche d'ivoire, et la petite Gertrude avait un bel éventail de la même matière, qui avait appartenu à sa mère.

– Eh bien! mes enfants, reprit Von Bloom, si mes calculs sont exacts, ces défenses valent chacune vingt livres sterling de monnaie anglaise.

– Tant que cela! s'écrièrent les enfants.

– Oui, ajouta Von Bloom; j'estime que chacune d'elles peut peser vingt livres, et comme la livre d'ivoire se vend actuellement quatre schellings et six pense, les deux réunies peuvent nous rapporter de quarante à cinquante livres sterling.

– Avec cette somme, s'écria Hans, on aurait un excellent attelage de bœufs!

– Six bons chevaux! dit Hendrik.

– Un troupeau de moutons! ajouta le petit Jan.

– Mais à qui pouvons-nous les vendre? reprit Hendrik après un moment de silence; nous sommes éloignés des établissements coloniaux. Comment y transporter deux défenses d'éléphant?

– Nous pourrons en transporter, interrompit Von Bloom, non pas deux, mais vingt, quarante, et peut-être davantage. Vous voyez maintenant que j'ai sujet de me réjouir.

– Quoi! s'écria Hendrik, vous pensez qu'il nous est possible de rencontrer encore d'autres éléphants?

– J'en suis certain, car j'ai déjà remarqué les traces d'un grand nombre de ces animaux. Nous avons nos fusils, et il nous reste par bonheur d'abondantes munitions; nous sommes bons tireurs: qui nous empêchera de nous procurer ces précieuses masses d'ivoire?.. Nous réussirons, mes chers amis, j'en ai la certitude. C'est Dieu qui nous envoie cette richesse au milieu de notre misère, quand nous avons tout perdu. Rassurez-vous donc, nous ne manquerons de rien, nous pouvons encore être riches.

Les enfants se souciaient peu de la richesse qui leur était promise; mais, voyant leur père si heureux, ils accueillirent ses paroles par un murmure d'approbation. Totty et Swartboy poussèrent en même temps des cris de joie qui retentirent sur la surface du lac et troublèrent les oiseaux dans leurs nids de feuillage; il n'y avait pas dans toute l'Afrique un groupe plus heureux que celui qui campait au bord de cet étang solitaire.

CHAPITRE XX
LES CHASSEURS

Le porte-drapeau avait résolu de se faire chasseur d'éléphants: c'était une profession à la fois émouvante et lucrative. Il n'était pas facile d'abattre en peu de temps un grand nombre d'animaux de taille aussi colossale: il fallait des mois entiers pour obtenir une quantité d'ivoire un peu importante; mais il avait résolu d'y consacrer au besoin plusieurs années. Il se proposait de mener une vie agreste, de faire de ses fils des enfants des bois, et il espérait être amplement indemnisé de sa patience et de ses labeurs.

Le soir, la joie régna autour du feu du camp. L'éléphant avait été laissé sur la berge, en attendant qu'il pût être dépecé; mais on avait eu soin d'enlever la trompe et d'en faire cuire une partie pour souper. Quoique la viande de l'éléphant soit mangeable en entier, sa trompe est considérée comme le morceau le plus délicat; elle a le goût de la langue de bœuf, et tous les enfants l'aimaient à l'excès: c'était surtout un régal pour Swartboy, qui avait eu souvent occasion d'en manger.

 

En outre, ils avaient abondance de lait; le rendement de la vache était du double depuis qu'elle était placée dans le meilleur endroit du pâturage.

Tandis qu'ils savouraient un rôti de trompe d'éléphant, la conversation roula naturellement sur ces monstrueux pachydermes.

Comme tout le monde connaît l'extérieur de l'éléphant, il serait superflu d'en faire une description; mais tout le monde ne sait pas qu'il en existe deux espèces distinctes, l'une en Afrique et l'autre en Asie. On les avait d'abord confondues, et c'est tout récemment qu'il a été démontré qu'elles offraient des différences bien caractérisées.

L'éléphant asiatique, plus généralement connu sous le nom d'éléphant des Indes, est d'une taille plus élevée et de proportions plus colossales; mais il est possible que son développement soit dû, comme celui de beaucoup d'autres animaux, à la domesticité.

L'espèce africaine ne vit qu'à l'état sauvage, et quelques-uns des individus qui lui appartiennent ont atteint les dimensions des plus grands éléphants sauvages de l'Asie.

Les deux espèces se distinguent surtout l'une de l'autre par les oreilles et les défenses.

Les oreilles de l'éléphant d'Afrique se rejoignent au-dessus des épaules et pendent au-dessous de la poitrine. Celles de l'éléphant des Indes sont au moins d'un tiers moins grandes: le premier a des défenses qui pèsent quelquefois près de quatre cents livres, tandis que les défenses du second dépassent rarement le poids de cent livres. Il est toutefois des exceptions à cette règle, et en moyenne le poids de chacune des défenses de l'éléphant africain est évalué à deux cents livres. Dans cette dernière espèce, la femelle est également pourvue de défenses qui ne diffèrent de celles du mâle que par la longueur. La femelle de l'éléphant des Indes n'en a point, ou elle en a de si petites, qu'elles font à peine saillie sur la peau des lèvres.

Les autres différences essentielles entre les deux espèces consistent dans la forme du front, qui est concave chez l'éléphant des Indes et convexe chez l'éléphant d'Afrique, dans l'émail des dents, enfin dans les sabots des pieds de derrière, qui sont au nombre de quatre pour le premier et de trois pour le second.

Les éléphants d'Asie ne sont pas tous semblables. Ils se divisent en variétés bien distinctes, dont chacune diffère de l'autre presque autant que le type de l'espèce diffère de celui de l'éléphant africain.

Une variété connue en Orient sous le nom de mooknah a des défenses droites, dont la pointe se dirige en bas, tandis que ces singuliers appendices ont habituellement la pointe en haut.

Les Asiatiques reconnaissent deux grandes castes d'éléphants, le coomareah et le merghee. Une trompe large, les jambes courtes, un corps massif et trapu, une puissance musculaire considérable, tels sont les caractères du coomareah. Le merghee est de plus haute taille; mais sa trompe est moins grosse, et il est loin d'avoir la vigueur et la solidité du précédent. Grâce à ses longues jambes, il va plus vite que le coomareah; mais celui-ci, ayant la trompe plus développée, ce que les amateurs considèrent comme une beauté, et résistant mieux à la fatigue, est plus recherché sur les marchés orientaux.

Les éléphants blancs qu'on rencontre parfois sont simplement des albinos. Néanmoins, en diverses contrées de l'Asie, on les tient en estime particulière, et l'on en donne des prix exorbitants. Certains peuples ont même pour eux une vénération superstitieuse.

L'éléphant des Indes habite la plupart des régions orientales et méridionales de l'Asie, le Bengale, les royaumes d'Aracan, de Siam, de Pégu, Ceylan, Java, Sumatra, Bornéo, l'archipel de la Sonde et les Célébes. Il y est, depuis une époque immémoriale, réduit à l'état domestique, et employé à l'usage de l'homme; mais on le trouve aussi à l'état sauvage, tant sur le continent que dans les îles, et la chasse à l'éléphant est un des exercices favoris des Orientaux.

En Afrique, l'éléphant n'existe qu'à l'état sauvage. Aucune des nations de ce continent peu connu n'a pensé à le dompter et à s'en servir. Il n'est recherché que pour ses dents et pour sa chair. Quelques écrivains ont prétendu qu'il était plus féroce que son congénère indien, et qu'il eût été impossible d'en faire un animal domestique. C'est une erreur. Si l'éléphant africain n'a pas été dressé, c'est uniquement parce qu'aucune nation de l'Afrique moderne n'est arrivée à un degré de civilisation assez avancé pour tirer parti des qualités de ce précieux quadrupède. On peut l'apprivoiser aussi aisément que son cousin des Indes, et charger son dos d'une tour ou howdah. L'expérience en a été faite; mais la meilleure preuve de ce que nous avançons, c'est que la domestication de l'éléphant d'Afrique avait pris jadis un développement immense; ceux de l'armée carthaginoise appartenaient à l'espèce africaine.

Cette espèce, qui hante le centre et le midi de l'Afrique, a pour limites à l'est l'Abyssinie, à l'ouest le Sénégal. Il y a quelques années, on la trouvait au Cap de Bonne-Espérance; mais l'activité des chercheurs d'ivoire hollandais, l'usage meurtrier qu'ils ont fait de leurs grands fusils, l'ont chassée de ces parages, et on ne la voit plus au sud de la rivière Orange.

Quelques naturalistes, entre autres Cuvier, ont cru que l'éléphant d'Abyssinie appartenait à l'espèce indienne. C'est une idée maintenant abandonnée. Ce grand mammifère, qui se distingue par sa tête oblongue, par son front concave, par ses mâchelières composées de lames transverses et ondoyantes, fréquente, comme nous l'avons dit, les régions orientales et méridionales de l'Asie, ainsi que les grandes îles voisines; mais rien ne donne lieu de croire à sa présence dans aucune partie de l'Afrique.

Il est à supposer que l'espèce africaine a des variétés qui n'ont pas été bien étudiées. On dit qu'on en voit dans les montagnes qui dominent le Niger une variété rouge et très-féroce; mais les éléphants rouges qu'on a observés ne devaient peut-être leur couleur qu'à la poussière rouge où ils s'étaient roulés.

Dans les régions tropicales, les éléphants atteignent des proportions plus colossales que partout ailleurs.

Swartboy parla d'une variété connue par les chasseurs hottentots sous la dénomination de koes-cops. Elle diffère de toutes les autres en ce qu'elle est entièrement dépourvue de défenses, qu'elle a le caractère intraitable. Le koes-cops se jette avec fureur sur les animaux ou les hommes qu'il rencontre; mais comme il ne fournit pas d'ivoire, et que par conséquent on n'a point d'intérêt à le tuer, les chasseurs l'évitent et lui cèdent la place.

Ce fut sur ce sujet que, toute la soirée, roula l'entretien de la famille réunie autour du feu du camp. Hans fournit de nombreux renseignements qu'il avait puisés dans les livres: mais ceux que donna le Bosjesman étaient peut-être plus dignes de foi.

Von Bloom et ses fils devaient bientôt acquérir une connaissance pratique des mœurs des proboscidiens, qui allaient devenir pour eux les êtres les plus intéressants de la création.

CHAPITRE XXI
DISSECTION DE L'ÉLÉPHANT

Le lendemain fut un jour de rude travail, mais tout le monde s'y livra avec joie. Il s'agissait de tirer parti des dépouilles du monstrueux pachyderme.

Quoique inférieur au bœuf, au mouton ou au porc, l'éléphant n'est pas à dédaigner sous le rapport comestible. Il n'y a point de raison pour que sa chair soit mauvaise, car il se nourrit de substances saines, exclusivement végétales, telles que les feuilles et les jeunes pousses des arbres, ou plusieurs espèces de racines bulbeuses qu'il arrache avec sa trompe et ses défenses. Toutefois la qualité de la nourriture n'est pas en général le critérium de la bonté de la viande. Le porc, qui se repaît d'immondices et se vautre dans la fange, nous fournit une prodigieuse diversité de mets savoureux; tandis que le tapir de l'Amérique du Sud, animal de la famille des pachydermes, qui vit uniquement de racines succulentes, a la chair d'un goût amer et détestable.

Von Bloom et sa famille n'auraient pas volontiers fait un usage habituel de viande d'éléphant. S'ils avaient été certains de se procurer de l'antilope, l'énorme cadavre aurait pu être abandonné aux hyènes; mais, faute de mieux, ils s'occupèrent de dépecer la victime du rhinocéros. Leur premier soin fut de couper les défenses, opération qui leur prit deux heures, et qui leur aurait pris le double de temps sans l'expérience de Swartboy qui manœuvrait la hache avec une grande dextérité.

Quand on eut extrait l'ivoire, on commença le dépècement. Il était assez difficile de tirer parti de la moitié du corps qui était sous l'eau, mais Von Bloom n'avait pas besoin d'y toucher, la partie supérieure suffisait pour lui procurer d'amples provisions, et il se mit à la dépouiller avec le concours de ses enfants et de Swartboy. Ils enlevèrent la peau par larges feuilles; puis ils coupèrent en morceaux l'épiderme mou et flexible, que les indigènes emploient à fabriquer des outres et des seaux.

On le jetta comme inutile, car la charrette renfermait une assez grande quantité de vases propres à mettre de l'eau. Quand la chair fut à découvert, on la sépara des côtes en larges tranches. Les côtes elles-mêmes furent enlevées une à une avec la hache. Elles n'étaient intrinsèquement d'aucune valeur, mais il importait de les retirer pour avoir la graisse amoncelée autour des intestins, cette graisse devant être d'une grande ressource en cuisine pour des aventuriers auxquels le beurre manquait.

L'extraction de la graisse ne se fit pas sans quelques difficultés, dont Swartboy triompha courageusement. Il grimpa dans l'intérieur de l'immense carcasse, tailla et creusa avec activité, et fit passer successivement à ses compagnons des morceaux qu'ils emportèrent à quelque distance. Le triage en fut effectué, la graisse fut serrée avec soin dans un morceau de la seconde peau, et l'opération fut ainsi terminée. Les quatre pieds, qui, avec la trompe, constituent la partie plus délicate, avaient été coupés à l'articulation du fanon. Il fallait maintenant recourir à des procédés de conservation. Les voyageurs avaient du sel, mais en trop petite quantité pour songer à l'utiliser. Heureusement Swartboy et Von Bloom lui-même connaissaient les procédés qu'on emploie dans les contrées où le sel est rare, et qui consistent simplement à couper la viande en minces lanières et à l'exposer au soleil quand elle est desséchée; de la sorte, elle peut se garder pendant des mois entiers. Si le temps est couvert, un feu lent peut remplacer les rayons du soleil. Des pieux (fourchus) furent plantés de distance en distance, d'autres placés horizontalement, et les lanières qu'on avait découpées y furent suspendues en innombrables festons. Avant la nuit, les environs du camp offraient l'aspect d'une blanchisserie; seulement les objets étendus, au lieu d'être blancs, avaient une belle teinte d'un rose clair.

L'œuvre n'était pas encore achevée, il restait à conserver les pieds, qui exigent un traitement différent. Swartboy, qui en connaissait seul le secret, creusa un trou de deux pieds de profondeur, et d'un diamètre un peu plus grand. Avec la terre qu'il en avait tirée, il forma tout autour une espèce de banquette. Par ses ordres les enfants amassèrent du bois et des branches sèches, et en bâtirent sur le trou un bûcher pyramidal auquel ils mirent le feu; il creusa ensuite trois autres trous exactement semblables, qu'on recouvrit également de combustibles, et bientôt quatre foyers incandescents s'allumèrent sur le sol. Obligé d'attendre qu'ils fussent consumés, Swartboy lutta résolûment contre le sommeil.

Lorsqu'il ne resta plus du premier bûcher que des cendres rouges, le Bosjesman les enleva soigneusement avec une pelle, et ce travail, si simple en apparence, lui coûta plus d'une heure. L'excessive chaleur qu'il avait à supporter le forçait par intervalles à s'interrompre. Von Bloom et ses fils le relayèrent, et tous les quatre furent bientôt couverts de sueur, comme s'ils fussent sortis d'un four. Quand le premier trou fut entièrement débarrassé de charbon, Swartboy et Von Bloom y déposèrent un des pieds, et le recouvrirent avec le sable qui avait été enlevé primitivement et qui était aussi chaud que du plomb fondu. On ramassa dessus des charbons, et un nouveau feu fut allumé. Les trois autres pieds furent traités de même. Pour qu'ils fussent cuits suffisamment et en état d'être conservés, il fallait les laisser dans le four jusqu'à la complète extinction des bûchers. Swartboy devait ensuite ôter les cendres, retirer les pieds avec une broche de bois, les nettoyer, les parer, et ils étaient dès lors bons à manger, si on ne préférait les mettre en réserve.

 

Comme les feux ne pouvaient guère s'éteindre avant l'aurore, nos voyageurs, harassés de leurs travaux extraordinaires, achevèrent leur souper de trompe bouillie, et allèrent se coucher sous l'ombre tutélaire du nwana.