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Ernest. – Et, je le suppose, celui qui possède cet esprit ou que cet esprit possède, ne fera rien?

Gilbert. – Comme la Perséphone du récit de Landor, la douce et pensive Perséphone dont les pieds blancs sont entourés d'asphodèles et d'amarantes en fleurs, il se tiendra satisfait «en ce repos profond, immobile, que les mortels ont en pitié et dont jouissent les dieux». Il promènera ses regards sur le monde et connaîtra son secret. Par le contact avec les choses divines, il deviendra divin. Sa vie sera la vie parfaite, et seulement la sienne.

Ernest. – Vous m'avez dit cette nuit bien des choses étranges, Gilbert. Vous m'avez dit qu'il est plus difficile de parler d'une chose que de la faire et que ne rien faire du tout est ce qu'il y a de plus difficile au monde; vous m'avez dit que tout Art est immoral et toute pensée dangereuse; que la critique est plus créatrice que la création et que la critique supérieure est celle qui révèle dans l'œuvre d'Art ce que l'artiste n'y a pas mis; que c'est exactement parce qu'un homme ne peut faire une chose qu'il est pour elle le juge qui convient; et que le vrai critique est partial, qu'il n'est pas sincère et pas raisonnable. Mon ami, vous êtes un rêveur.

Gilbert. – Oui, je suis un rêveur. Car un rêveur est celui qui ne peut trouver son chemin qu'au clair de lune et son châtiment est qu'il voit l'aurore avant le reste de l'univers.

Ernest. – Son châtiment?

Gilbert. – Et sa récompense. Mais voyez, c'est l'aurore déjà. Tirez les rideaux et ouvrez toutes grandes les fenêtres. Comme l'air du matin est frais. Piccadilly s'étale à nos pieds comme un long ruban d'argent. Un léger brouillard pourpre flotte au-dessus du parc et pourpres sont aussi les ombres des maisons blanches. Il est trop tard pour dormir. Descendons à Covent Garden y regarder les roses. Venez! Je suis las de penser.

La Vérité des Masques

Note sur l'Illusion

DANS un grand nombre d'attaques assez violentes faites récemment contre cette splendeur de mise en scène qui caractérise aujourd'hui nos reprises Shakespeariennes en Angleterre, les critiques paraissent avoir fait cette supposition tacite que Shakespeare lui-même était plus ou moins indifférent aux costumes de ses acteurs et que s'il pouvait voir la représentation d'Antoine et Cléopâtre de Mme Langtry, il dirait probablement que la pièce et la pièce seule est essentielle, et que tout le reste n'est que cuir et étoffe. En même temps, à propos de l'exactitude historique dans le costume, Lord Lytton, dans un article de la Nineteenth Century, posait comme un dogme artistique que l'archéologie est entièrement déplacée dans la représentation de n'importe quelle pièce de Shakespeare, et que l'essai de l'y introduire était l'un des pédantismes les plus stupides d'une époque de savantasses.

J'examinerai plus loin la situation où se place Lord Lytton, mais en ce qui concerne la théorie que Shakespeare ne s'occupait guère de la garde-robe de son théâtre, quiconque prend soin d'étudier la méthode de cet auteur verra qu'il n'est absolument aucun dramaturge des scènes française, anglaise ou athénienne qui compte autant que lui sur les costumes de ses acteurs pour ses effets d'illusion.

Sachant combien le tempérament artistique est toujours fasciné par la beauté du costume, il introduit constamment dans ses pièces des masques et des danses pour le seul plaisir qu'ils donnent aux yeux et nous avons encore ses indications scéniques pour les trois grandes processions dans Henri VIII, indications que caractérise la plus extraordinaire minutie de détails, notant jusqu'aux colliers de S. S. et les perles dans les cheveux d'Anne Boleyn. Rien ne serait plus facile pour un directeur moderne que de reproduire ces apparats absolument comme Shakespeare les indique; et ils étaient si exacts qu'un des fonctionnaires de la cour de l'époque écrivant à un ami le récit de la dernière représentation de la pièce au Globe Théâtre se plaint de son caractère réaliste, notamment de l'apparition sur la scène des Chevaliers de la Jarretière dans les robes et insignes de l'ordre, ce qui devait, d'après lui, jeter le ridicule sur les véritables cérémonies. Cela ressemblait beaucoup à ce même état d'esprit qui fit, il y a quelque temps, interdire par le Gouvernement français à ce délicieux acteur, M. Christian, de paraître sur scène en uniforme sous prétexte que de caricaturer un colonel, pouvait porter préjudice à la gloire de l'armée. D'ailleurs, la somptuosité de costumes qui distingua la scène anglaise sous l'influence de Shakespeare était attaquée par les critiques contemporains, non pas pourtant en général par suite de tendances démocratiques au réalisme, mais ordinairement sur ce terrain de la morale qui est toujours le dernier refuge des gens privés du sens de la beauté.

Le point sur lequel, toutefois, je désire insister, n'est pas que Shakespeare appréciait la valeur des beaux costumes pour le pittoresque qu'ils ajoutent à la poésie, mais qu'il en vit la grande importance pour la production de certains effets dramatiques. Un grand nombre de ses pièces, telles que Mesure pour Mesure, La Douzième Nuit, Les deux Gentilshommes de Vérone, Tout est bien qui finit bien, Cymbeline et d'autres dépendent, pour l'illusion, du caractère des divers costumes portés par le héros ou l'héroïne. La scène délicieuse de Henri VI sur les miracles modernes de guérison par la foi, perd tout son piquant si Gloster n'est pas en noir et écarlate et le dénouement des Joyeuses Commères de Windsor roule sur la couleur de la robe d'Anne Page.

Quant aux déguisements qu'emploie Shakespeare, les exemples en sont presque innombrables. Posthumus cache sa passion sous la défroque d'un paysan, et Edgar son orgueil sous les haillons d'un idiot; Portia porte l'habillement d'un homme de loi et Rosalinde est vêtue «en tous points comme un homme»; le porte-manteau de Pisanio fait d'Imogène le jeune Fidèle; Jessica s'enfuit de la maison paternelle, déguisée en jeune garçon et Julia lie ses cheveux blonds en fantastiques nœuds d'amour et revêt les chausses et le pourpoint; Henry VIII fait en berger la cour à sa dame et Roméo en pèlerin; le prince Hal et Poins paraissent d'abord en voleurs de grands chemins, vêtus de bougran, puis en tablier blanc et pourpoint de cuir, comme garçons de taverne; quant à Falstaff, n'est-il pas tour à tour un coureur de routes, une vieille femme, Herne le Chasseur et un paquet de linge allant à la buanderie?

Les cas où le costume est employé pour intensifier la situation dramatique ne sont pas moins nombreux. Après le meurtre de Duncan, Macbeth apparaît en peignoir de nuit, comme s'il venait de s'éveiller; Timon termine en haillons le rôle qu'il a commencé dans la splendeur; Richard flatte les citoyens de Londres, couvert d'une méchante armure usée, et dès qu'il s'est avancé dans le sang jusqu'au trône, marche dans les rues, la couronne au front, et portant le saint Georges et la Jarretière; le point culminant de la Tempête est atteint quand Prospéro, rejetant sa robe d'enchanteur, envoie Ariel chercher son chapeau et sa rapière, et se révèle comme le Grand Duc italien; le spectre lui-même, dans Hamlet, change son vêtement mystique pour produire différents effets; quant à Juliette, un moderne faiseur de pièces l'aurait probablement couchée dans son linceul et la scène n'eut été qu'une scène d'horreur, mais Shakespeare la pare de riches et somptueux vêtements dont la beauté fait du caveau «une salle de fête illuminée», change la tombe en chambre nuptiale et donne le mot et le thème du discours de Roméo sur la Beauté triomphant de la Mort.

Les plus menus détails de toilette, tels que la couleur des bas d'un majordome, le dessin sur le mouchoir d'une épouse, la manche d'un jeune soldat, et les chapeaux d'une femme à la mode deviennent entre les mains de Shakespeare des points d'une réelle importance dramatique et par quelques-uns même l'action de la pièce est établie d'une manière absolue. Beaucoup d'autres dramaturges se sont servi du costume comme méthode d'expression directe, aux yeux des spectateurs, du caractère d'une personne dès son entrée en scène, quoique moins brillamment que Shakespeare le fit dans le cas du dandy Parolles dont le vêtement, soit dit en passant, ne peut être compris que par un archéologue. La plaisanterie d'un maître et de son serviteur échangeant leur cotte en présence du public, de matelots naufragés se chamaillant pour le partage d'un lot de beaux vêtements, d'un chaudronnier qu'on habille en duc pendant qu'il est ivre, peuvent être considérés comme une partie de ce grand rôle que le costume a toujours joué dans la comédie depuis Aristophane jusqu'à M. Gilbert, mais personne n'a tiré comme Shakespeare des simples détails d'habillement et de parure une telle ironie de contrastes, un effet aussi immédiat et aussi tragique, une telle pitié et un tel pathétique. Armé de pied en cap, le roi mort s'avance majestueusement sur les remparts d'Elseneur parce que tout n'est pas bien au Danemark; le caban juif de Shylock fait partie de la flétrissure sous laquelle souffre cette nature blessée et amère; Arthur plaidant pour sa vie ne peut trouver de meilleurs arguments que de parler du mouchoir donné par lui à Herbert:

 
Avez-vous le cœur? Quand votre tête vous faisait mal,
j'ai noué autour de votre front mon mouchoir,
(le meilleur que j'avais; une princesse l'avait fait pour moi),
et je ne vous l'ai jamais redemandé.
 

La serviette, tachée du sang d'Orlando, donne la première note sombre dans cette exquise idylle sylvestre et nous montre la profondeur de sentiment qui se cache sous l'esprit capricieux et le badinage obstiné de Rosalinde.

 
La nuit dernière, il était sur mon bras; je l'ai baisé;
j'espère qu'il n'a pas été dire à mon seigneur
que j'en embrasse d'autres que lui,
 

dit Imogène, plaisantant sur la perte du bracelet déjà en route vers Rome pour lui voler la foi de son époux; le Petit Prince, se rendant à la Tour, joue avec la dague que son oncle porte à sa ceinture; Duncan envoie une bague à Lady Macbeth la nuit où on doit le tuer, et l'anneau de Portia change la tragédie du marchand en une comédie d'épouse. York, le grand rebelle, meurt avec une couronne en papier sur la tête. Le vêtement noir d'Hamlet est une sorte de leit-motiv de couleur dans la pièce, comme le deuil de Chimène, dans le Cid, et le passage le plus émouvant du discours d'Antoine est la présentation du manteau de César:

 
 
Je me souviens
de la première fois que le mit César.
C'était un soir d'été, dans sa tente,
le soir du jour où il avait vaincu les Nerviens…
Regardez, cet endroit fut traversé par le poignard de Cassius;
voyez quelle déchirure a faite l'envieux Casca:
c'est ici qu'entra le poignard de son bien-aimé Brutus…
Braves gens, quoi? vous pleurez et vous ne voyez encore
que le vêtement déchiré de notre César!
 

Les fleurs qu'Ophélie porte avec elle, dans sa folie, sont aussi pathétiques que les violettes qui fleurissent sur une tombe; l'effet que produit la course errante de Lear sur la bruyère est intensifié au delà de toute expression par son accoutrement fantastique et quand Cloten, blessé par le reproche de cette comparaison que sa sœur tire du vêtement de son époux, s'enveloppe dans ce vêtement même pour commettre sur elle son action honteuse, nous sentons qu'il n'y a rien dans tout le réalisme moderne, rien, même dans Thérèse Raquin, ce chef-d'œuvre d'horreur, qui pour la signification terrible et tragique puisse être comparé avec cette scène étrange de Cymbeline.

Dans le dialogue aussi, quelques-uns des passages les plus frappants, sont ceux suggérés par le costume:

 
Penses-tu, dit Rosalinde, que, bien qu'habillée en homme,
j'aie, dans mon naturel, un pourpoint et des chausses?
 

Et Constance:

 
Le chagrin remplit la place de mon enfant absent,
il gonfle de sa forme ses vêtements vides.
 

et le bref cri aigu d'Elisabeth:

 
Ah! coupez mes lacets!
 

Voilà quelques-uns des nombreux exemples qu'on pourrait citer. Un des plus beaux effets que j'aie jamais vus sur la scène était quand Salvini, au dernier acte de Lear, arrachant la plume du chapeau de Kent, la posait sur les lèvres de Cordélia quand il en vient à ce vers:

 
Cette plume bouge; elle vit!
 

M. Booth, dont le Lear avait tant de nobles qualités de passion, enlevait, je m'en souviens, pour le même geste, un peu de duvet à son hermine archéologiquement incorrecte, mais le plus bel effet était celui de Salvini aussi bien que le plus vrai. Et ceux qui virent M. Irving, au dernier acte de Richard III, n'ont pas, j'en suis sûr, oublié à quel point l'agonie et la terreur de son rêve étaient intensifiées par contraste avec le calme et le repos qui le précédaient et la diction de vers comme ceux-ci:

Eh bien! ma visière est-elle plus commode

et mon armure au complet a-t-elle été mise dans ma tente?

Veille à ce que mes bois de lance soient solides et pas trop lourds.

vers qui ont un double sens pour les spectateurs, rappelant les derniers mots dont la mère de Richard le poursuivait, tandis qu'il marchait vers Bosworth:

Emporte donc avec toi ma plus lourde malédiction

et qu'au jour de la bataille elle te fatigue davantage

que la complète armure que tu portes.

En ce qui concerne les ressources que Shakespeare avait à sa disposition, il faut remarquer que tandis qu'il se plaint plus d'une fois de la petitesse de la scène sur laquelle il devait représenter de grandes pièces historiques et du manque de décors qui l'oblige à retrancher de nombreux et utiles incidents de plein air, il écrit toujours en dramaturge ayant à sa disposition un magasin d'habillements des mieux fournis et pouvant compter sur le soin scrupuleux des acteurs à se bien costumer. Il est difficile, même aujourd'hui, de représenter une pièce comme la Comédie des erreurs, et c'est au pittoresque hasard qui voulut que le frère de Miss Ellen Terry lui ressemblât, que nous devons d'avoir vu la Douzième nuit jouée comme il le faut. En vérité, pour mettre n'importe quelle pièce de Shakespeare à la scène, absolument comme il le désirait lui-même, il faut faire appel au service d'un bon régisseur, d'un habile fabricant de perruques, d'un costumier ayant le sens de la couleur et la connaissance des tissus, d'un maître en l'art de se grimer, d'un maître d'armes, d'un maître de danse et d'un artiste pour diriger personnellement tout l'ensemble. Car il prend toujours le plus grand soin de nous indiquer le costume et l'aspect de chaque personnage. «Racine abhorre la réalité, dit quelque part Auguste Vacquerie, il ne daigne pas s'occuper de son costume. Si l'on s'en rapportait aux indications du poète, Agamemnon serait vêtu d'un sceptre et Achille d'une épée.» Mais avec Shakespeare, il en est bien autrement. Il nous donne des indications sur les costumes de Perdita, de Florizel, d'Autolycus, des Sorcières dans Macbeth et de l'apothicaire dans Roméo et Juliette, plusieurs descriptions minutieuses de son chevalier obèse et un compte rendu détaillé du costume extraordinaire dans lequel Petruchio doit se marier. Rosalinde, nous dit-il, est grande et doit porter une lance et une petite dague; Celia est plus petite et doit se teindre le visage en brun pour paraître halée par le soleil. Les enfants qui jouent les fées dans la forêt de Windsor doivent être vêtus en blanc et vert – compliment indirect à la Reine Elizabeth dont c'étaient les couleurs favorites – et les anges qui viennent vers Catherine, dans Kimbolton, ont des guirlandes vertes et des visières dorées. Bottom est vêtu d'étoffe grossière, Lysander se distingue d'Obéron parce qu'il porte un costume athénien et Launce a des trous à ses souliers. La duchesse de Gloucester se tient debout dans un drap blanc avec son époux en deuil à côté d'elle. Le costume bigarré du Fou, l'écarlate du Cardinal, et les lys de France brodés sur les cottes anglaises, tout cela est matière à plaisanterie et à sarcasme dans le dialogue. Nous connaissons les dessins de l'armure du Dauphin et de l'épée de la Pucelle, le cimier du casque de Warwick et la couleur du nez de Bardolph. Portia a des cheveux dorés, Phœbé des cheveux noirs, Orlando a des boucles châtain et la chevelure de Sir Andrew Aguecheek pend comme le lin sur une quenouille et ne frise pas du tout. Certains personnages sont vigoureux, d'autres chétifs; il en est de bossus; il en est qui sont blonds, d'autres bruns et certains doivent se noircir la figure. Lear a une barbe blanche, le père d'Hamlet, une grisonnante et Benedict doit raser la sienne au cours de la pièce. D'ailleurs, au sujet des barbes, Shakespeare est tout à fait minutieux; il nous indique les couleurs nombreuses et variées en usage et suggère aux acteurs de veiller à ce que les leurs soient toujours convenablement attachées. Il y a une danse de moissonneurs en chapeaux de paille de seigle et de rustres en vêtements poilus comme des satyres, un masque d'Amazone, un masque de Russe et un masque classique; plusieurs scènes immortelles sur un passereau dans une tête d'âne, une émeute à propos de la couleur d'un habit, que le Lord Maire de Londres doit apaiser, et une scène entre un mari furieux et la modiste de sa femme au sujet d'une manche tailladée.

Quant aux métaphores que Shakespeare tire du costume, et aux aphorismes que celui-ci lui fait émettre, à ses attaques contre les modes de son temps, en particulier contre les dimensions ridicules des chapeaux féminins, aux nombreuses descriptions du mundus muliebris, depuis la chanson d'Autolycus dans le Conte d'hiver jusqu'à la description de la robe de la Duchesse de Milan dans Beaucoup de bruit pour rien, leur nombre s'oppose à toute citation. Il serait bon cependant de rappeler que la Philosophie des Habits se trouve tout entière dans la scène de Lear avec Edgar – scène qui a l'avantage de la brièveté et du style sur la sagesse grotesque et la métaphysique un peu déclamatoire du Sartor Resartus. Mais de ce que j'ai déjà dit, ressort clairement, je crois, que Shakespeare s'intéressait beaucoup au costume. Je ne prétends pas qu'il s'y intéressait en ce sens superficiel d'où l'on a conclu, d'après sa connaissance des actes légaux et des narcisses, qu'il fut le Blackstone et le Paxton de l'époque d'Elizabeth, mais qu'à ses yeux le costume devait produire un effet immédiat sur le public et servir d'expression à certains types de personnages et qu'il était l'un des facteurs essentiels des moyens dont dispose un véritable illusionniste. Pour lui, en effet, le visage contrefait de Richard valait autant que la beauté de Juliette; il met la serge du prolétaire à côté de la soie du seigneur et ne voit que les effets scéniques que l'on peut tirer de l'un et de l'autre; il goûte autant de plaisir avec Caliban qu'avec Ariel, avec des haillons qu'avec des habits dorés et reconnaît la beauté artistique de la laideur.

La difficulté qu'éprouva Ducis dans sa traduction d'Othello à cause de l'importance donnée à un objet aussi vulgaire qu'un mouchoir et son essai d'en atténuer la grossièreté en faisant répéter au Maure: «Le bandeau! le bandeau!» pourrait être prise comme exemple de la différence entre la tragédie philosophique et le drame de la vie réelle, et l'introduction pour la première fois du mot mouchoir au Théâtre Français fut une date dans ce mouvement Romantico-réaliste dont Hugo est le père et M. Zola l'enfant terrible, de même que le classicisme du début de ce siècle fut accentué par le refus de Talma de jouer plus longtemps les héros grecs en perruques poudrées, un des nombreux exemples de ce désir d'exactitude archéologique dans le costume qui a distingué les grands acteurs de notre époque.

En critiquant l'importance donnée à l'argent dans la Comédie humaine, Théophile Gautier dit que Balzac peut se poser comme l'inventeur d'un nouveau héros dans la fiction, le héros métallique. On peut dire de Shakespeare qu'il fut le premier à voir la valeur dramatique des pourpoints et qu'un summum d'effets peut dépendre d'une crinoline.

L'incendie du Globe-Théâtre – événement dû, soit dit en passant, aux résultats de la passion pour l'illusion scénique qui distinguait la direction de Shakespeare – nous a malheureusement privés d'un grand nombre de documents importants, mais dans l'inventaire, qui existe encore, du magasin de costumes d'un théâtre de Londres au temps de Shakespeare, on voit mentionnés des costumes particuliers pour cardinaux, bergers, rois, paillasses, moines et bouffons; des cottes vertes pour les hommes de Robin Hood et une robe verte pour Maid Marian; un pourpoint blanc et or pour Henri V et une robe pour Longshanks; en outre, des surplis, des chapes, des robes de damas, des robes de drap d'or et de drap d'argent, des robes de taffetas, de calicot, des cottes de velours, de satin, de ratine, des justaucorps de cuir jaune et de cuir noir, des costumes rouges, des costumes gris, des costumes de Pierrot français, une robe «pour se rendre invisible» qui semble au prix de trois livres dix shillings bien peu dispendieuse et quatre incomparables vertugadins, toutes choses qui témoignent du désir de donner à chaque personnage un costume approprié. On y trouve également inscrits: des costumes espagnols, maures et danois, des casques, des lances, des boucliers peints, des couronnes impériales et des tiares de papes, aussi bien que des costumes pour janissaires turcs, pour sénateurs Romains et pour tous les dieux et déesses de l'Olympe, ce qui démontre de la part du directeur du théâtre de grandes recherches archéologiques. Il est vrai qu'il est fait mention d'un corsage pour Eve, mais probablement la donnée de la pièce était après la Chute.

En vérité, quiconque veut bien examiner l'époque de Shakespeare verra que l'archéologie fut l'un de ses traits caractéristiques. Après cette résurrection des formes classiques d'architecture qui fut un des signes de la Renaissance et l'impression, à Venise et ailleurs, des chefs-d'œuvre des littératures grecque et latine, survint naturellement un intérêt pour la décoration et le costume du monde antique. Et ce ne fut pas pour le savoir qu'ils en pouvaient tirer, mais plutôt pour la beauté qu'ils pouvaient créer, que les artistes étudiaient ces choses. Les curieux objets que des fouilles apportaient constamment à la lumière ne tombaient pas en poussière dans un musée pour la contemplation d'un conservateur blasé et l'ennui d'un policeman que l'absence de tout crime fait bâiller. Ils servaient de motifs à la production d'un nouvel art qui n'était pas seulement beau, mais encore étrange.

 

Infessura nous raconte qu'en 1485 des ouvriers creusant la voie Appienne rencontrèrent un ancien sarcophage romain avec cette inscription: «Julia, fille de Claudius». En ouvrant le coffre, ils trouvèrent dans ses flancs de marbre le corps d'une belle jeune fille d'environ quinze ans, préservé par un embaumement habile de la corruption et de la ruine du temps. Ses yeux étaient entr'ouverts, sa chevelure ondulait autour d'elle en boucles d'or et la fleur de la jeunesse n'avait pas encore quitté ses lèvres et ses joues. Portée au Capitole, elle devint aussitôt l'objet d'un nouveau culte, et de tous les coins de la cité, des pèlerins vinrent en foule pour adorer la châsse merveilleuse jusqu'à ce que le Pape, craignant que ceux qui avaient trouvé le secret de la beauté dans une tombe païenne, n'oublient quel secret contenait le sépulcre grossier et taillé dans le roc de Judée, eut fait emporter le corps que l'on enterra nuitamment. Si même elle est une légende, cette histoire a du moins la valeur de nous montrer l'attitude de la Renaissance vis-à-vis du monde antique. L'archéologie n'était pas pour eux une science d'antiquaires. C'était un moyen de rendre à la sèche poussière de l'antiquité le souffle même et la beauté de la vie et de remplir du vin nouveau du romantisme des formes qui autrement eussent été vieilles et décrépites. Depuis la chaire de Niccola Pisano jusqu'au «Triomphe de César» de Mantegna et au service que Cellini dessina pour le roi François, on peut suivre l'influence de cet esprit; il ne se bornait pas seulement aux arts immobiles – les arts du mouvement arrêté – mais son influence se voyait aussi dans les grandes mascarades grecques ou romaines, constant amusement des cours joyeuses de l'époque et dans ces pompes et processions publiques par lesquelles les citoyens des grandes villes commerçantes venaient saluer les princes qui les visitaient; spectacles, soit dit en passant, auxquels on accordait une telle importance, qu'on les reproduisit en de grandes estampes, ce qui prouve l'intérêt général que l'on prenait alors à ces sortes de choses.

Et cet usage de l'archéologie dans les spectacles, bien loin de provenir d'un excès de pédantisme, est à tous les points de vue légitime et beau; car la scène est non seulement le lieu de réunion de tous les arts, mais elle est aussi le retour de l'art à la vie. Parfois, dans un roman archéologique, l'emploi de termes étranges et tombés en désuétude semble cacher la réalité sous l'érudition et j'ose dire qu'un grand nombre des lecteurs de Notre-Dame de Paris ont été très embarrassés à propos du sens d'expressions telles que la casaque à mahoitres, les voulgiers, le gallimard taché d'encre, les craaquiniers et le reste; mais à la scène, quelle différence! Le monde ancien s'éveille de son sommeil et l'histoire se déroule comme un spectacle devant nos yeux, sans nous obliger à recourir à un dictionnaire ou à une encyclopédie pour que notre plaisir soit parfait. Il n'est vraiment d'aucune nécessité que le public connaisse les autorités présidant à la mise en scène d'aucune pièce. Avec des matériaux qui sont probablement très peu familiers à la majorité des gens, tels par exemple que le disque de Théodore, M. E. W. Godwin, l'un des esprits les plus artistes de l'Angleterre en ce siècle, a créé la beauté merveilleuse du premier acte de Claudien et nous a montré la vie de Byzance au quatrième siècle non par une morne conférence et une masse de figurines noires, non par un roman nécessitant un glossaire, mais par la représentation visible de toute la gloire de cette grande ville. Et tandis que les costumes étaient authentiques jusque dans les plus petits détails de couleur et de dessin, ceux-ci ne se voyaient pas accorder l'importance anormale qu'on doit nécessairement leur donner dans une conférence fragmentée, mais étaient subordonnés aux règles de la composition soutenue et à l'unité de l'effet artistique.

M. Symonds parlant de cette grande peinture de Mantegna qui se trouve maintenant à Hampton-Court, dit que l'artiste a transposé un motif d'antiquaire en un thème pour mélodies de lignes. On pourrait en toute justice dire la même chose de la mise en scène de M. Godwin. Seuls les sots la taxeraient de pédantisme, et ceux aussi qui ne savent ni regarder ni écouter diraient que la passion d'une pièce est détruite par sa couleur. C'était en réalité une mise en scène, non seulement parfaite en son pittoresque, mais aussi absolument dramatique, rendant inutiles les descriptions fastidieuses et nous montrant, par la couleur et le caractère du costume de Claudien et de ceux de sa suite, la nature et la vie tout entière de l'homme, aussi bien l'école de philosophie à laquelle il était attaché que les chevaux qu'il montait sur la piste.

D'ailleurs l'archéologie n'a vraiment de charme que lorsqu'on la transpose en une forme d'art. Je ne voudrais pas déprécier les services d'érudits laborieux, mais je crois que l'usage fait par Keats du Dictionnaire de Lemprière est pour nous d'une valeur beaucoup plus grande que le travail du professeur Max Müller traitant la même mythologie comme une maladie du langage. Plutôt Endymion que n'importe quelle théorie même sensée ou, comme dans le cas présent, insensée, d'une épidémie parmi les adjectifs! Et qui ne sent que la plus grande gloire du livre de Piranèse est qu'il suggéra à Keats son «Ode sur une urne grecque»? L'art, et l'art seul, peut rendre belle l'archéologie et l'art théâtral peut en faire un emploi plus direct et plus vivant, car il peut combiner, en une représentation exquise, l'illusion de la vie réelle et la merveille du monde irréel. Mais le seizième siècle ne fut pas seulement l'époque de Vitruve, il fut aussi l'époque de Vecellio. Chaque nation semble s'être intéressée tout à coup aux costumes de ses voisins. L'Europe se mit à examiner ses habits et le nombre de livres publiés sur les costumes nationaux est tout à fait extraordinaire. Au début du siècle, la Chronique de Nuremberg, avec ses deux mille gravures, atteignit sa cinquième édition et, avant la fin du même siècle, dix-sept éditions furent publiées de la Cosmographie de Munster. Outre ces deux livres, il y eut aussi les œuvres de Michaël Colyns, de Hans Weygel, d'Amman et de Vecellio, tous bien illustrés, quelques dessins dans Vecellio étant probablement du Titien.

Mais ce n'était pas seulement des livres et des traités qu'on en acquérait la connaissance. L'habitude croissante des voyages en pays étrangers, les relations commerciales s'augmentant entre pays et la fréquence de missions diplomatiques donnaient à chaque nation des occasions nombreuses d'étudier les formes diverses du costume contemporain. Après le départ d'Angleterre, par exemple, des ambassadeurs du Tsar, du sultan et du prince du Maroc, Henri VIII et ses amis donnèrent plusieurs bals masqués dans l'étrange parure de leurs visiteurs. Plus tard Londres vit, trop souvent peut-être, la sombre splendeur de la Cour espagnole et vers Elizabeth vinrent des envoyés de tous les pays dont les costumes, nous apprend Shakespeare, eurent une influence importante sur ceux d'Angleterre.

Et l'intérêt ne se borna pas seulement au vêtement classique ou à celui des nations étrangères; il y eut aussi de nombreuses recherches, surtout par les gens de théâtre, à propos des anciens costumes de l'Angleterre elle-même, et quand Shakespeare, dans le prologue d'une de ses pièces, exprime son regret de ne pouvoir produire des casques de l'époque, il parle en directeur et non simplement en poète du temps d'Elisabeth. A Cambridge par exemple, une représentation de Richard III fut donnée de son temps, dans laquelle les acteurs furent revêtus d'habits de l'époque pris à la Tour dans la grande collection des costumes historiques toujours ouverte aux directeurs de théâtre et parfois mise à leur disposition. Je ne puis m'empêcher de croire que cette représentation a dû être beaucoup plus artistique au point de vue du costume que celle donnée par Garrick d'une pièce de Shakespeare sur le même sujet où il parut lui-même dans un indescriptible costume de fantaisie, tous les autres acteurs portant le costume du temps de Georges III, Richmond se faisant surtout beaucoup admirer sous un uniforme de jeune garde.