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Histoire littéraire d'Italie (3

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Dans la foule de ces légistes alors fameux, on remarque un Barthélemy Cipolla, Véronais, auteur, entre autres ouvrages imprimés, d'un Traité des Servitudes des Maisons de Ville et de Campagne 802; et plus encore un Pierre Tommai de Ravenne, non pas tant peut-être à cause de son profond savoir et de ses gros livres sur une science aujourd'hui peu en crédit parmi nous, que pour sa mémoire prodigieuse qui le rend une espèce de phénomène, bon à observer dans tous les pays et dans tous les siècles. À vingt ans, il savait par cœur tout le code 803; on lui indiquait une loi, il récitait sur-le-champ les sommaires qu'en avait faits Barthole, et quelques passages du texte. Il examinait les opinions de différents docteurs sur cette loi, proposait et résolvait toutes les difficultés. Il retenait les leçons entières de son professeur, les écrivait mot pour mot, ou bien, au moment où elles finissaient, il les récitait devant un grand nombre d'écoliers, en remontant depuis les dernières paroles jusqu'au premières. Il les mettait en vers et les répétait sur-le-champ. Un prédicateur avait cité dans un seul sermon, cent quatre-vingts textes d'auteurs qui prouvaient l'immortalité de l'ame; le jeune Tommai les répéta tous devant lui. Il retenait des sermons entiers, et les portait tout écrits au prédicateur. Il lisait rapidement une seule fois une longue suite de noms propres, et les répétait aussitôt dans le même ordre. Mais voici quelque chose de plus fort: il jouait aux échecs, un autre jouait aux dés, un troisième écrivait les nombres que les dés marquaient à chaque coup; Tommai dictait en même temps deux lettres différentes, dont on lui avait prescrit le sujet: le jeu fini, il répétait tous les mouvements qu'avaient faits les échecs, tous les nombres formés par les dés, et toutes les paroles de ses deux lettres, en commençant par la fin.

Il attribuait ces prodiges à un art particulier de classer dans son esprit les mots et les choses; il voulut communiquer au public ce secret merveilleux, dans un livre qu'il fit imprimer à Venise, en 1491, sous le titre du Phœnix 804, livre qui a été réimprimé plusieurs fois, et qui pourtant est fort rare. Fabricius, qui l'avait vu, dit dans sa Bibliothèque de la moyenne et basse latinité 805, qu'il l'a trouvé si obscur, qu'il aimait mieux se passer toute sa vie de ce talent, que de s'engager avec l'auteur dans des méthodes si compliquées et si difficiles à saisir. C'est ce Pierre Tommai, communément désigné sous le nom de Pierre de Ravenne, qui fit admirer sa science dans une partie de l'Allemagne, à la fin du quinzième siècle 806. Le duc de Poméranie, Bogislas, revenant d'un pélerinage en Palestine, séjourna quelque temps à Venise. Son Université de Gripswald était tombée en décadence; il voulut emmener avec lui un savant qui pût la relever. Il choisit Pierre de Ravenne parmi tous ceux qui florissaient alors à Padoue et à Venise, obtint quoique avec peine son congé du doge, et partit avec le professeur, sa femme et ses enfants. Tous ceux de ses élèves qui étaient Allemands voulurent le suivre. En arrivant à Gripswald, il fut reçu avec les plus grands honneurs. Il y professa quelques années; mais, ayant perdu tous ses enfants à l'exception d'un seul, il voulut retourner en Italie, et n'y put jamais arriver. On le voit successivement arrêté par le duc de Saxe et par d'autres souverains, et dans une extrême vieillesse obtenant les mêmes succès, jouissant partout des mêmes honneurs. On perd enfin ses traces, et l'on ne fait plus que des conjectures sur le temps et le lieu de sa mort. Cela importe assez peu; mais il n'est pas sans intérêt de voir un savant Italien aller, quoique chargé d'années, répandre, vers le Nord, les bienfaits de la science, il peut aussi n'être pas inutile de voir encore un exemple de ce que deviennent souvent au bout de trois ou quatre siècles, les succès les plus étendus et les renommées les plus brillantes.

On trouve encore dans cette foule presque innombrable de docteurs et de professeurs, parmi les noms que quelque circonstance particulière peut engager à conserver, ceux de Barthélemy Soccino de Sienne, et de son antagoniste le célèbre Jason dal Maino; ils disputèrent souvent ensemble dans l'Université de Pise, et leurs combats firent tant de bruit, que Laurent de Médicis voulut en être témoin, et fit, un jour, exprès le voyage 807. Ce jour-là, les deux rivaux firent preuve égale de leur présence d'esprit, si ce n'est de leur bonne foi. Jason, pressé par son adversaire, imagina, pour lui échapper, d'inventer sur-le-champ un texte et de le citer à l'appui de son opinion. Soccino s'en aperçut, inventa aussitôt un texte contraire, et le cita en faveur de la sienne. «Je voudrais bien savoir, dit le premier, où tu as été prendre ce texte; c'est, répondit le second, tout auprès de celui que tu viens de citer toi-même.» Soccino était un homme d'un esprit mordant, joueur, libertin et prodigue; malgré les chaires lucratives qu'il remplit, et les ouvrages qu'il publia, il mourut pauvre 808, et ne laissa même pas de quoi se faire enterrer. Jason eut un caractère et une conduite tout-à-fait contraires. Sa vie fut régulière et honorée. Il fut chargé par les ducs de Milan de plusieurs missions d'éclat qu'il remplit avec dignité. Il reçut de l'empereur Maximilien, devant qui il avait prononcé un discours, le titre de comte Palatin; et de Louis Sforce, dit le Maure, celui de Patrice et la charge de sénateur. Quand Louis XII se rendit à Milan, après la prise de Gènes, la renommée de Jason lui inspira la curiosité de l'entendre. Le roi se rendit donc à l'Université avec une suite nombreuse, où se trouvaient cinq cardinaux; Jason récita une de ses leçons, dont Louis fut si satisfait, qu'il embrassa le professeur lorsqu'il descendit de sa chaire. Le roi s'entretint ensuite familièrement avec lui, et lui demanda, entre autres choses, pourquoi il ne s'était point marié; «c'est, répondit l'ambitieux Jason, afin que le pape puisse apprendre par le témoignage de V. M. que je ne suis pas indigne du chapeau de cardinal.» Paul Jove, en rapportant ce fait 809, dont il fut témoin, ne dit pas si le roi promit de lui rendre ce témoignage; ce qui est certain, c'est que Jason n'eut point le chapeau. On dit qu'il devint fou peu de temps avant sa mort 810, peut-être du chagrin de ne le pas avoir.

Le droit canon conduisait plus aisément que le civil à cet honneur si envié par Jason. Il eut alors un nombre peut-être plus grand encore de professeurs savants et fameux; mais si, dans l'état actuel des lumières, on s'intéresse médiocrement au sort du Code, du Digeste et de leurs verbeux commentateurs, on s'intéresse moins encore aux Décrétales, aux Clémentines et aux Extravagantes; d'ailleurs les plus célèbres de ces canonistes furent en même temps docteurs en l'un et en l'autre droit. On a donc déjà vu le nom de ceux qui pouvaient mériter quelque mention particulière, et il est plus que temps de quitter une science qui ne sera jamais dans un grand crédit chez aucun peuple, sans prouver, par cela même que, chez ce peuple, la législation est mauvaise, et par conséquent la civilisation imparfaite.

 

Le crédit dont peut jouir la médecine ne prouve pas la même chose; il prouve seulement que chez un peuple les hommes souffrants sont faibles, et croient facilement aux moyens qu'on leur dit avoir de conserver la vie et de rendre la santé. Or, c'est chez tous les peuples et dans tous les siècles que les hommes sont ainsi. Tout est dit contre la médecine quand on l'a nommée un art incertain et conjectural. L'expérience et l'étude attentive de la nature peuvent seules fixer son incertitude, et changer en axiôme ses doutes et ses conjectures; mais quel était, au quinzième siècle l'état de ces deux guides nécessaires? On suivait aveuglément des systèmes dépourvus d'expériences, ou un empyrisme sans système. La nature était encore toute couverte de ce voile que l'on commence à soulever. La médecine était pourtant très-honorée. Dans presque toutes les Universités elle était enseignée avec éclat; elle ne menait pas, comme le droit, aux charges et aux emplois publics; mais elle était elle-même une charge, une fonction, une dignité fondée sur la base très-solide de l'attachement à la vie.

Elle fut surtout dans un haut crédit à Milan, sous Philippe-Marie Visconti. Jamais prince ne s'occupa plus que lui des médecins, et ne leur donna plus d'occupation. Dans sa chambre, à table, à la chasse, partout et toujours, il fallait qu'il en eût auprès de lui, à la moindre douleur, il les faisait tous appeler; il les consultait sans cesse; il écoutait leurs conseils, mais ce n'était pas toujours pour les suivre. Quand ils contrariaient ses desseins ou ses goûts, il n'en faisait qu'à sa volonté; et si les médecins s'obstinaient, il les chassait de sa cour 811. Les Sforce n'y eurent pas moins de foi que les Visconti. Milan fut donc alors la ville d'Italie où ils fleurirent en plus grand nombre; mais dans les autres parties, dans toutes les Universités, ils furent aussi très-nombreux. L'histoire de cette science offre dans ce siècle, en Italie, les noms d'une quantité prodigieuse de professeurs, dont plusieurs ont laissé, dans des ouvrages à peine connus aujourd'hui des gens de l'art, des preuves assez médiocres de leur savoir; on ne voit pas qu'aucun d'eux ait ouvert des routes nouvelles, ni fait faire des pas ou des progrès réels à la science. Il serait inutile de répéter ces noms, qui ne rappelleraient qu'une gloire éteinte et des souvenirs effacés.

Il en est pourtant quelques-uns auxquels des circonstances particulières attachent de l'intérêt; Michel Savonarole, professeur à Padoue, et grand-père du trop fameux Dominicain Jérôme Savonarole, laissa, outre quelques ouvrages de profession, un éloge de Padoue, qui contient d'utiles renseignements sur cette ville; l'histoire le cite souvent, et Muratori l'a jugé digne d'entrer dans sa grande collection 812. Pierre Leoni de Spolète ne se livra pas seulement à la médecine, mais à la philosophie platonicienne; il fut intime ami de Marsile Ficin, et ce fut sans doute ce qui le fit appeler auprès d'un malade dont la mort entraîna la sienne. N'ayant pu sauver la vie à Laurent de Médicis, il fut trouvé noyé dans un puits, à Correggio. On dit alors qu'il s'y était jeté de désespoir; mais les plus clairvoyants accusent un homme puissant de l'y avoir fait jeter; et celui que Sannazar indique assez clairement, dans une de ses élégies italiennes 813, et à qui l'histoire impute cette barbare et injuste vengeance, est Pierre de Médicis, fils de Laurent 814.

Gabriel Zerbi, de Vérone, eut une mort encore plus funeste. Après avoir professé la médecine à Rome et à Padoue, il la professait à Venise lorsqu'un grand personnage parmi les Turcs, attaqué d'une maladie grave, y envoya demander un habile médecin. Gabriel, choisi par le doge, partit, guérit le Turc, reçut de riches présents et revenait très-content avec un fils tout jeune, qu'il avait emmené dans ce voyage. À peine était-il en chemin, que le Turc, s'étant livré à quelques excès, retomba malade et mourut. Ses enfants soupçonnèrent le médecin italien de l'avoir empoisonné; on le poursuivit, on l'atteignit, et après lui avoir donné l'horrible spectacle de voir scier en deux son enfant, on le fit périr du même supplice 815. Ce malheureux Zerbi a laissé un livre de métaphysique, et un autre d'anatomie 816, dont M. Portal donne un extrait dans l'histoire de cette science 817. Jean Marliani, de Milan, fut à la fois mathématicien, philosophe et médecin célèbre. Il donnait des leçons de toutes ces sciences, et l'on venait pour les suivre, même des pays étrangers. On le nommait en philosophie un Aristote, un Hippocrate en médecine, en astronomie un Ptolémée; cela ne nous est pas nouveau, mais ce qui l'est, c'est que ces titres magnifiques lui furent donnés dans un édit du duc de Milan 818. Marliani écrivit, dans ces trois différents genres, beaucoup d'ouvrages que l'on cite, mais sans dire s'ils justifient cette grande réputation de l'auteur 819. Alexandre Achillini, Bolonais, frère du poëte Jean Philotée, dont nous avons parlé, fut plus célèbre philosophe que médecin 820, et ce nom d'Achillini, porté, dans le siècle suivant, par un second poëte petit-fils du premier, fut encore plus illustré en poésie qu'en philosophie et en médecine.

Niccolò Leoniceno, de Vicence, mérite un article à part, sinon comme médecin, du moins comme savant littérateur, et comme l'un des plus forts érudits de ce siècle où il en existait de si forts. Il traduisit le premier, en latin, les Œuvres de Galien. Pratiquant peu la médecine, «je sers mieux le public, disait-il, qu'en visitant les malades, puisque j'instruis les médecins». On distingue entre ses ouvrages, celui où il examine les erreurs de Pline et des autres anciens auteurs qui ont écrit sur les simples employés comme médicaments 821, ce livre lui fit des querelles avec plusieurs savants; il les soutint sans aigreur: il entrait dans son régime de ne se fâcher jamais. Son empire sur toutes ses passions, sa vie chaste et sobre, lui donnèrent une santé inaltérable; il vécut jusqu'en 1524, et mourut à quatre-vingt-seize ans. Il traduisit aussi en latin les Aphorismes d'Hippocrate, en italien les Histoires de Dion, de Procope et quelques dialogues de Lucien: il écrivit le premier en Italie sur la maladie qu'on y appelle mal français, qu'on nomme en France mal de Naples, et qui, dit-on, ne commença à être connue en Europe qu'en 1494 822. On a enfin de lui trois livres d'Histoires diverses, des Lettres et d'autres Opuscules, qui annoncent des connaissances aussi variées qu'étendues.

L'astronomie était encore alors trop souvent accompagnée des rêveries de l'astrologie judiciaire, mais souvent aussi elle marchait sans cette déshonorante escorte. La crédulité des grands était l'encouragement de la charlatanerie des astrologues. Philippe-Marie Visconti n'en était pas moins entouré que de médecins. L'historien de sa vie 823 nomme avec soin tous ceux qu'il fit venir à sa cour, et décrit les formes superstitieuses avec lesquelles il les consultait dans toute affaire. Ils perdirent tout en le perdant. François Sforce n'était pas homme à leur donner de l'emploi 824; leurs noms ne furent plus prononcés sous son règne qu'avec le mépris qui leur était dû. Parmi ceux qui joignirent à quelque faible pour l'astrologie de grandes connaissances astronomiques, on distingue Jean Bianchini, Bolonais, selon les uns, et Ferrarois selon d'autres, qui publia des tables astronomiques, où sont combinés tous les mouvements des planètes; elles furent réimprimées plusieurs fois dans le siècle suivant 825, et valurent à leur auteur, de la part de l'empereur Frédéric III, la permission, pour lui et pour ses descendants, d'ajouter l'aigle impérial à leurs armes 826. Un autre Ferrarois, Dominique-Marie Novara, fit un présent plus précieux au monde; il lui donna le grand Copernic. Ce Novara était un génie hardi et qui aimait à se frayer des routes nouvelles; il ne serait pas impossible que le jeune Copernic, son élève, qu'il associait à toutes ses observations astronomiques, eût reçu de lui les premières idées de son Système du monde.

 

J'en suis fâché pour un art que j'aime; mais je trouve parmi les astrologues les plus connus de ce siècle un des ses plus savants musiciens. La musique qu'on avait d'abord enseignée dans les écoles publiques, et qui était au nombre des sept arts, n'était que le plain-chant. Mais l'art avait fait des progrès, et la musique, telle qu'elle était au temps dont nous parlons, n'avait point, à proprement parler, d'école. Louis Sforce fut le premier qui pensa à en fonder une pour elle à Milan; et le premier professeur de cette école fut Franchino Gaffurio. Il était né à Lodi, le 14 janvier 1451 827; dans sa jeunesse, il alla montrant son art à Vérone, à Mantoue, à Gènes et jusqu'à Naples. Chassé de cette dernière ville par la peste et par les incursions des Turcs, il revint à Lodi, où il enseignait la musique aux enfants, lorsqu'il fut appelé à Milan par Louis-le-Maure 828. Il y composa plusieurs ouvrages estimés, sur la théorie et la pratique de cet art 829, et fit traduire de grec en latin, les ouvrages des anciens auteurs sur la musique. Il était de plus assez bon poëte, très-habile en astronomie, et malheureusement aussi en astrologie. Ce fut d'astrologie et non d'astronomie qu'il fut professeur à Padoue en 1522, lorsque la chute de Louis Sforce, et les révolutions de Milan eurent renversé sa chaire musicale. Il avait alors soixante-onze ans, et mourut peu de temps après.

La Toscane fut un des états de l'Italie où les études astronomiques furent suivies avec le plus d'ardeur; mais ce fut aussi l'une de celles où l'astrologie judiciaire y mêla le plus ses erreurs. On croit que Marsile Ficin lui-même eut la faiblesse d'y donner quelque créance. Pic de la Mirandole résolut au contraire de les combattre ouvertement. Son Traité en douze livres contre l'astrologie, qui ne parut qu'après sa mort, jeta l'alarme parmi les charlatans et parmi les dupes. Le savant astronome et astrologue Lucio Bellanti y répondit par une Défense de l'astrologie 830, aussi en douze livres, précédés d'un livre de questions sur la vérité de l'astrologie 831. L'auteur paraît de la meilleure foi du monde dans cette apologie. Il parle avec la plus haute estime de celui à qui il répond. Il regrette que ceux qui ont publié son ouvrage après sa mort, aient imprimé cette tache à son nom, et il ne doute pas que s'il eût vécu, il n'eût supprimé une production si peu digne de lui 832. Lorenzo Buonincontri de San Miniato mêla aussi les rêveries astrologiques à la science de l'astronomie, et méritait, plus qu'aucun autre, d'en être exempt 833. Obligé de quitter sa patrie dès sa jeunesse, il eut pendant plusieurs années une destinée errante. Il passa ensuite à Naples auprès du roi Alphonse. Il y expliqua le poëme de l'Astronomie de Manilius, et compta le célèbre Pontano parmi ses disciples. Outre divers ouvrages astronomiques et astrologiques en prose, on en a de lui un, en trois livres et en vers hexamètres, intitulé Des Choses naturelles et divines 834, où il mêle, selon son caprice, un abrégé de la religion chrétienne avec des folies astrologiques, et avec quelques notions saines et exactes de géographie et d'astronomie. Il cultiva aussi l'histoire, et composa des annales dont une partie est imprimée dans le grand recueil de Muratori 835, et l'Histoire des Rois de Naples, aussi imprimée en grande partie dans un autre recueil 836. Malgré tout son savoir et tous ses talents, il vécut pauvre, et ne dut peut-être qu'à la libéralité du cardinal Riario de ne pas mourir de misère.

Celui de tous ces astronomes qu'on peut regarder comme le plus célèbre, et qui fut le plus entièrement à l'abri des folies qui dégradaient alors cette science, c'est Paul Toscanelli, né à Florence, en 1397 837, auteur du superbe Gnomon de la cathédrale de cette ville, dont le savant La Condamine, en passant à Florence, en 1755, eut la gloire de solliciter et d'obtenir la réparation. Le savoir de Toscanelli était si universellement reconnu dans l'Europe, que la roi Alphonse de Portugal voulut avoir son avis sur le projet de navigation aux Indes orientales. Toscanelli répondit aux questions qui lui furent faites, par deux lettres, l'une adressée à Fernando Martinez, chanoine de Lisbonne, l'autre à Christophe Colomb: il y joignit une carte de navigation, relative à ce projet, et ne contribua pas peu, par ses conseils, au succès de l'entreprise 838. C'est aux astronomes, c'est aux ouvrages qui ont pour objet l'astronomie, qu'il convient de rappeler les services que cet illustre Florentin rendit à la science. En parlant de ses deux réponses aux questions du roi de Portugal, je viens de toucher un sujet dont l'intérêt plus général veut que nous nous y arrêtions davantage. Le goût pour les navigations lointaines, et l'ardeur pour les découvertes, qui régnait alors, en produisirent une à jamais célèbre, l'un des grands événements qui signalent ce siècle mémorable, et qui en doit terminer le tableau.

La passion pour les voyages de long cours était née depuis long-temps en Italie. Dès la fin du treizième siècle, le Vénitien Marc-Paul avait publié la relation de ceux qu'il avait faits dans les Indes orientales, à la Chine et au Japon; elle avait excité de toutes parts le désir de l'imiter, de découvrir des pays nouveaux, et de voir de ses yeux tant de merveilles. Le nombre des voyageurs fut considérable dans le quatorzième siècle, et les Portugais qui, dans le quinzième, semblèrent inspirés par le génie des découvertes, eurent pour conseil un Florentin, et pour coopérateur, ou plutôt pour guide, un Italien, dont la patrie positive a été long-temps incertaine, que Gênes, Plaisance et le Montferrat se sont disputés, mais qu'un savant Piémontais a récemment et définitivement prouvé appartenir au Montferrat 839. Celui-ci s'élançant plus loin dans la carrière, non content de découvertes partielles, ajouta une quatrième partie au globe, et fit à l'ancien univers le présent d'un nouveau monde. Enfin un autre Italien, plus heureux paraît avoir démontré que Colombo était né dans le Montferrat, au château de Cuccaro, qui appartenait à sa famille., donna son nom à cette partie nouvelle de la terre, qui a exercé depuis une si grande influence sur les trois autres, et principalement sur l'Europe, sans qu'on ait osé décider encore si ce n'a pas été en général, et à tout considérer, une influence funeste.

Cristoforo Colombo, né en 1442 à Cuccaro, dans le Montferrat, de parents nobles, mais pauvres, transporté à Gênes encore enfant, montra, dès sa jeunesse, un goût décidé pour la mer. Il fit son apprentissage avec un célèbre corsaire, son parent, et du même nom que lui. Ayant fait un commencement de fortune, il s'associa son frère, Barthélemy Colombo, qui dessinait très-habilement des cartes géographiques à l'usage des navigateurs. Ils s'établirent tous deux à Lisbonne, où Christophe se maria. En observant les cartes géographiques de son frère, et en écoutant les récits que les navigateurs portugais faisaient de leurs voyages, il conçut les premières idées de sa découverte. Ce fut alors qu'il écrivit à Paul Toscanelli, et qu'il en reçut une réponse propre à l'encourager dans son entreprise; mais elle exigeait des dépenses qu'un gouvernement seul pouvait faire. Colombo fit d'abord au sénat génois l'hommage de ses projets: on les traita de rêves et de visions. Jean II, roi de Portugal, y fit un meilleur accueil; mais les commissaires qu'il nomma eurent l'indignité de dérober à Colombo ses cartes et ses plans, et de faire partir sur une caravelle un pilote qui heureusement ne fut pas assez habile pour en faire usage, et revint en Portugal comme il en était parti. Colombo indigné abandonne ce pays, envoie son frère en Angleterre, passe lui-même en Espagne, proposant partout son nouveau monde, et ne pouvant le faire agréer à personne. Il écrivit à la cour de France, qui à peine daigna lui répondre. Un moine franciscain, nommé Marchena 840 , reparla de lui à la cour d'Espagne; on l'écouta enfin; mais les prétentions de Colombo parurent trop fortes, et ayant encore éprouvé des refus, il était prêt à quitter l'Espagne, lorsque la prise de Grenade sur les Maures changea les dispositions de la cour. Au milieu de la joie que répandit cette conquête, la reine Isabelle, sollicitée de nouveau, adopta définitivement le projet. Colombo fut appelé, reçu avec honneur, et créé, par des lettres-patentes, amiral perpétuel et héréditaire dans toutes les îles et continents qu'il viendrait à découvrir, vice-roi et gouverneur de ces mêmes pays, avec la dixième part de tout ce qu'ils pourraient produire, outre le remboursement de ses dépenses.

Le 3 août 1492 fut le jour mémorable où il partit du port de Palos avec trois caravelles pour la plus grande entreprise qu'on ait jamais tentée 841. On sait quel fut le succès de ce premier voyage, les découvertes qu'il fit, et la réception magnifique et triomphante qui lui fut faite à Barcelonne, lorsqu'il y parut à son retour. Dix-sept vaisseaux furent mis sous ses ordres. Cette seconde expédition, aussi glorieuse que la première, fut troublée par les manœuvres de l'envie. Colombo revint en Espagne, et les déconcerta par sa présence. Mais à son troisième voyage, lorsqu'après avoir déjà donné à cette cour plusieurs îles, entre autres Cuba, St. – Domingue, la Jamaïque, la Trinité, il avait commencé à découvrir le continent qu'il prenait encore pour une île, l'envie obtint un premier triomphe: Colombo fut destitué de ses emplois, et ramené en Europe chargé de fers. Dès qu'il put se faire entendre, il cessa de paraître coupable, et cependant toute la grâce qu'il put obtenir, fut d'aller dans un quatrième voyage 842 s'exposer à de nouveaux dangers, pour conquérir à un gouvernement ingrat des terres et des richesses nouvelles. À son dernier retour en Espagne, en 1504, il se trouva privé d'un puissant appui. La reine Isabelle n'était plus. Ferdinand, prévenu par les ennemis de Colombo, n'eut plus personne auprès de lui pour le défendre. Des délais, de vaines promesses, des propositions humiliantes, devinrent l'unique récompense de tant de travaux et de services: et tandis que les trésors de la Castille se grossissaient chaque jour du produit des découvertes de ce grand homme, il mourut de chagrin, plus encore que des suites de ses fatigues, à l'âge de soixante-cinq ans.

Lorsqu'il eut été dépossédé de ses emplois et amené captif en Europe, un autre amiral fut chargé de continuer la découverte du Nouveau Monde. Cet amiral, nommé Alphonse d'Ojeda, avait sur sa flotte un homme destiné à recueillir la gloire de cette expédition et de celles du malheureux Colombo. Il se nommait Amerigo Vespucci. Né à Florence le 9 mars 1451 843, d'une famille noble, il fut envoyé par son père en Espagne, pour y apprendre le commerce. Le bruit que faisaient à Séville les découvertes de Colombo lui inspirèrent le désir d'en faire de semblables. Il était très-instruit en astronomie, en cosmographie, et avait appris la navigation, soit dans des voyages précédents, soit par des études que sa passion naissante lui avait fait entreprendre. Lorsque la flotte d'Alphonse d'Ojeda partit, il obtint du roi d'y être employé. Quelques auteurs ont prétendu qu'il fut lui-même commandant de cette flotte, mais l'autre opinion paraît beaucoup plus probable. On l'accuse aussi d'avoir, dans les narrations de ses voyages, commis des erreurs volontaires de dates pour s'attribuer l'honneur d'avoir abordé le premier au continent du Nouveau-Monde, que cependant Colombo avait découvert et reconnu avant lui. Quoi qu'il en soit, après plusieurs voyages signalés par des découvertes, dont il a laissé la description dans des lettres que l'on possède imprimées 844, il revint en Espagne, et fut fixé à Séville en 1507, avec le titre de pilote majeur. Son emploi était d'examiner tous les pilotes, et de leur désigner les routes qu'ils devaient tenir en naviguant: titre et fonctions très-convenables, dit le judicieux Tiraboschi 845, pour un homme versé dans la science de la navigation, mais au-dessous du mérite de celui qui aurait commandé en chef une flotte, et découvert le continent d'un nouveau monde. Ce fut cet emploi qui lui fournit l'occasion de rendre son nom immortel, en le donnant aux pays nouvellement découverts. En dessinant les cartes pour servir de guides à la navigation des pilotes, il indiquait le nouveau continent par le nom d'America 846, et ce nom, répété par les navigateurs et par les pilotes, devint bientôt universel. Les Espagnols eurent beau s'en plaindre, ce nom est resté au Nouveau-Monde. De quelque nature que fussent les droits d'Amerigo Vespucci pour le lui donner, suivant l'observation très-simple et très-juste des auteurs de l'Histoire des voyages 847, après une si longue possession, il est trop tard pour les combattre.

Les Florentins qui ont conservé de leurs anciennes mœurs l'usage de tenir fortement à la gloire de leurs illustres concitoyens, défendent celle de ce célèbre voyageur contre tous les reproches que lui font les Espagnols, les Génois, et qui sont, malgré leurs efforts, adoptés par les historiens les plus impartiaux et les juges les plus intègres. Ils tiennent, pour ainsi dire, éternellement allumé devant son nom le Fanale qui le fut devant sa maison, par décret de la république 848. C'était un honneur que leurs aïeux n'accordaient qu'à ceux qui avaient bien mérité de la patrie.

Quand le bruit des voyages d'Amerigo Vespucci et l'éclat de son nom se répandirent dans l'Europe, on fit des fêtes à Florence, et la seigneurie envoya, devant la maison de sa famille, les lumières qui y restèrent allumées pendant trois nuits et trois jours; c'est ce qu'on nommait il Fanale. On illuminait alors dans toute la ville, et les nobles étaient obligés d'entretenir des feux au haut de leurs maisons ou de leurs palais, pour se montrer d'accord avec l'allégresse publique. C'est ainsi que ce peuple sensible savait honorer ses grands hommes.

Tel fut le mémorable événement qui termine avec tant d'éclat l'histoire du quinzième siècle. Si l'on parcourt d'un œil rapide son étendue entière, on en voit les différentes parties marquées par diverses époques, qui sont liées ensemble comme les actes d'un drame. Au commencement, on se retrace, comme dans une exposition, la gloire du siècle passé, les trois grands phénomènes qui ont paru sur l'horizon littéraire, la langue fixée par eux, et les modèles inimitables qu'ils ont laissés. On reconnaît que s'il est jamais possible de s'élever à leur hauteur, c'est en suivant la même route, en marchant avec eux sur les pas des anciens, en se pénétrant des beautés de leur langage, de la sublimité de leurs conceptions, de la grandeur et de la finesse également naturelles de leur style. On semble quitter alors une langue naissante, on se livre tout entiers à la recherche des ouvrages des anciens et à leur étude. Le latin redevient, pour ainsi dire, la seule langue écrite, et le grec seul est encore une langue savante. On redouble d'ardeur pour l'apprendre, et pour en posséder les monuments. Nulle dépense n'est épargnée, nulle peine ne rebute, nul voyage n'effraie. On parcourt, on explore, on fouille l'Europe entière: un commerce s'établit en Orient, non pour des objets matériels de consommation ou de luxe, mais pour les trésors de l'ame et les richesses de l'esprit. L'Italie est ainsi préparée, quand l'Orient s'écroule, et jette en quelque sorte dans son sein, des savants, des philosophes, des littérateurs dispersés, emportant avec eux, comme leurs dieux pénates, non les statues de leurs ancêtres, mais les productions de ces grands génies et leurs chefs-d'œuvre immortels. Ils arrivent dans des lieux si bien disposés à les recevoir, comme dans une seconde patrie. Ils n'y trouvent pas seulement un asyle, mais des distinctions, des honneurs. Des chaires s'élèvent pour eux, des gymnases leur sont ouverts; Aristote retrouve son lycée et Platon son académie.

802De Servitutibus urbanorum et rusticorum prœdiorum.
803Tiraboschi, ub. supr., p. 411.
804Phœnix, sive ad artificialem memoriam comparandam brevis quidem et facilis, sed re ipsâ et usu comprobatâ introductio.
805Vol. VI, p. 58.
806Tiraboschi, ub. supr., p. 414.
807Tiraboschi, ub. supr., p. 421.
808En 1507.
809Elog. Doctor. Vir., p. 126.
810Il mourut à Pavie, le 22 mars 1519.
811Pier Candido Decembrio dans sa Vie de Philippe-Marie Visconti, Script. Rer. ital., vol. XX.
812Scriptor. Rer. ital., vol. XXIV.
813C'est celle qui termine l'édition de Padoue, Comino, 1723, in-4., p. 412.
814Tiraboschi, t. VI, p. 345.
815Valerianus, de Infel. Liter., l. I.
816Medicus theoricus, c'est-à-dire, le professeur de médecine théorique.
817Tom. I, p. 247 et suiv.
818Jean-Galeaz-Marie Sforce; l'édit est du 26 septembre 1483.
819Voyez-en la liste dans Argelati, Bibl. Script. Mediol, t. II, part. I.
820Tiraboschi, ub. supr., p. 359.
821Plinii et aliorum plurium auctorum, qui de simplicibus medicaminibus scripserunt errores notati, etc.; Bude, 1532, in-fol.
822De Morbo Gallico, Venise, Alde, 1497. Les Œuvres de Leoniceno ont été recueillies, Bâle, 1533, in-fol.
823Pier Candido Decembrio, ub. supr.
824Tiraboschi, t. VI, part. I, p. 298.
825Id. ibid., p. 299.
826Id. ibid., p. 302.
827Tiraboschi, t. VI, part. I, p. 327.
828En 1484.
829Theoricum opus harmonicæ disciplinæ, Milan, 1492, in-fol.; Practica Musicæ utriusque cantûs, ibid., 1496; de armo nicâ Musicorum instrumentorum, ibid., 1418.
830Astrologiæ defensio contra Joannem Picum Mirandulanum.
831De Astrologiæ veritate liber Quæstionum.
832Tiraboschi, t. VI, part. I, p. 304.
833Id. ibid., p. 306.
834Rerum Naturalium et Divinarum, sive de rebus cœlestibus libri tres.
835Depuis 1360 jusqu'en 1458. Script. Rer. ital., vol. XXI.
836Delitiœ eruditorum, du docteur Lami, vol. V, VI, VIII.
837Tiraboschi, ub. supr., p. 308.
838Voy. la Vie de Christophe Colombo, par Ferdinand Colombo son fils, et le Traité sur le Gnomon de Florence, par l'abbé Ximenès.
839Après avoir examiné les trois opinions contradictoires qui existaient au sujet de la patrie de Christophe Colombo, Tiraboschi s'était décidé en faveur de Gênes, t. VI, part. I, p. 172 et suiv. M. Galeani Napione, de l'académie de Turin, a réfuté Tiraboschi par une Dissertation, insérée d'abord dans les Mémoires de cette illustre académie (Littérature et Beaux-Arts, année 1805), réimprimée depuis, avec des augmentations considérables, Florence, 1808, in-8.; et il parait avoir démontré que Colombo était né dans le Montferrat, au château de Cuccaro. qui appartenait à sa famille.
840Fra Giovanni Perez de Marchena.
841Tiraboschi, t. VI, part. I, p. 180.
842En 1502.
843Bandini, Vita di Amerigo Vespucci, Florence, 1745, in-4., cap. II, p. xxiv.
844À la suite de sa Vie, écrite et publiée par Angelo Maria Bandini, ub. supr.
845Tom. VI, part. I, p. 190.
846Tiraboschi, loc. cit.
847Traduite et rédigée par l'abbé Prévôt, t. XLV, p. 255.
848Bandini, Vita, etc., p. xlv.