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Childéric, Roi des Francs, (tome premier)

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Childéric, Roi des Francs, (tome premier)
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ÉPITRE DÉDICATOIRE
A
SA MAJESTÉ L'IMPÉRATRICE REINE
 
Mon héros ne dut qu'à ses armes,
Et sa couronne et ses grandeurs;
Vous devez la vôtre à vos charmes,
Et vous la tenez de nos cœurs.
Si Bazine lui parut belle,
C'est qu'elle posséda vos traits;
Il soumit un peuple rebelle,
Et vous n'en trouverez jamais.
 

Rome avoit perdu ses anciennes vertus, et avec elles sa puissance et sa gloire; ses provinces étoient devenues la proie des barbares qui vengeoient les Grecs et les Carthaginois. Parmi ces barbares nommés Goths, Alains, Vandales, on distingue d'abord les Francs (ce nom veut dire indomptable et libre): dès qu'ils se montrent dans histoire, on admire déjà leurs succès, et ce courage au-dessus des revers, maîtrisant partout la fortune. Ce peuple sorti des forêts de la Germanie, avide de périls et se confiant en sa valeur, attaqua les Romains dans les Gaules; l'Empire tourna toutes ses forces contre un ennemi aussi audacieux que redoutable. Aurélien, en 270, parvint à le repousser, et sa réputation guerrière étoit déjà si bien établie, que l'on chanta dans tout l'Empire une espèce de romance, dont voici le refrain:

Mille Francos et mille Sarmatas, semel, semel occidimus

Gallien exposa dans un spectacle, à la curiosité, trois cents Français faits prisonniers. Quelle étoit déjà la gloire de ce peuple, à peine sorti de ses déserts, puisque de si légers avantages étoient célébrés avec tant d'éclat!

L'an 258, sous Valérien, un gros des Francs traversa toutes les Gaules, passa en Espagne, se fit une place forte de Tarragone, d'où il pilla l'Espagne durant douze années. Un détachement osa même passer en Afrique, en revint chargé de butin, et retourna dans ses forêts, traversant encore impunément toutes les Gaules.

Probus, l'an 279, repoussa les Francs au-delà du Rhin; mais un d'eux, nommé Magnance, parvint par son courage au trône des Césars, et ses compatriotes faisoient la plus grande force de ses armées. Sylanus, autre franc, poussé par les injustices de Constance, qu'il avoit servi avec autant de zèle que de fidélité, se fit proclamer empereur: cependant Julien et Valentinien eurent plusieurs avantages sur ces braves.

Stilicon sut les maintenir au-delà du Rhin; mais Honorius ayant fait massacrer ce grand homme, Alaric l'en punit, et s'empara de Rome en 410.

Jusques-là les Francs s'étoient contentés de ravager les Gaules, et de s'y établir passagèrement, tantôt par force et en conquérans, d'autrefois comme alliés et tributaires; mais lassés des marais incultes de la Germanie, qui n'offroient aucune ressource à leurs besoins sans cesse renaissans, pressés sans doute par le génie ardent qui devoit porter au plus haut degré de gloire cette nation courageuse et superbe, ils repassèrent le Rhin en 420, sous la conduite de Pharamond, prince saxon, d'une figure noble et d'un caractère déterminé: ce fut sous les ordres de ce général qu'ils quittèrent à jamais leur patrie, et s'établirent dans les Gaules, en s'emparant de la Toxandrie, aujourd'hui pays de Liége et de l'île Batave, où se trouvoient renfermées les villes de Bois-le-duc, Breda et Anvers.

Les Francs devoient à Pharamond des conquêtes rapides, un état certain, de riches possessions; il falloit lui devoir plus encore, les lois, l'ordre et la paix intérieure. Il fut nommé roi; mais cette monarchie naissante devoit se ressentir long-tems de la barbarie et de l'esprit turbulent d'un peuple toujours sous les armes, et amant de la liberté: s'il éprouvoit le besoin d'un chef, il ne désiroit pas moins ardemment conserver son indépendance; et les premières lois tinrent long-tems de ce mélange de soumission, de révolte, d'obéissance et d'insubordination. Le peuple voulut rester maître d'élire ses rois, de nommer ses généraux ou chefs. On élevoit sur un pavois, large bouclier, le roi que l'on s'étoit choisi; on le montroit ainsi au peuple assemblé, et cette cérémonie simple et guerrière étoit suivie de respect et d'amour. Le roi avoit des braves ou forts qui lui étoient particulièrement attachés, et tellement dévoués, qu'ils mouroient souvent pour lui ou avec lui; il leur distribuoit des terres en raison de leur valeur et de leurs services; de là vinrent sans doute les bénéfices militaires et amovibles. L'aspirant au rang de brave étoit présenté au roi par un parent, et dans l'assemblée générale, il recevoit des mains de son maître la lance et le bouclier; le roi lui adressoit ces mots: Je te tiens pour brave et à jamais. De là sans doute naquit la chevalerie.

Le roi devoit être choisi parmi la noblesse, qui se composoit des princes et des ducs; il commandoit les armées, mais soumettoit les lois à l'acceptation du peuple assemblé, qui demeuroit maître de les rejeter.

Les Francs suivoient la religion des Gaulois; leur mythologie étoit celle des Grecs, à laquelle ils avoient joint l'Odin du Nord; leurs prêtres se nommoient Druides, et tous, jusqu'au monarque, trembloient devant eux. Ministres des autels, médecins, magistrats et instituteurs de la jeunesse, ils avoient une influence d'autant plus grande, que les hommes n'en mesuroient ni la force ni l'étendue. Célibataires et retirés dans les forêts, cette vie mystérieuse et chaste étonnoit ce peuple toujours charmé du merveilleux, et qui, adorateur des femmes, portant l'amour jusqu'au délire, admiroit ce refus volontaire d'un bien qui lui sembloit si doux.

Les Francs n'aimoient pas moins leurs poëtes qu'ils appeloient Bardes; ce nom en langue celtique veut dire chantre: c'étoient eux qui dans les combats ranimoient par leurs chants belliqueux le courage des combattans, et éternisoient une belle action par des vers qui en transmettoient le souvenir. En leur présence le brave levoit audacieusement sa tête, tandis que le lâche la cachoit avec honte. Dans les festins, ils chantoient les louanges du maître, en s'accompagnant sur des harpes légères. On les appeloit encore parasites; ce nom, devenu depuis une injure, signifioit en langue celtique désirable et dévoué.

Les Francs n'estimoient que la profession des armes; ils laissoient l'agriculture et les métiers aux esclaves; tout citoyen étoit soldat et se présentoit toujours armé; ils se servoient de lances, de javelots, de haches, d'épées, qu'ils appeloient francisques, de casques et de boucliers. Au signal du combat, ils s'élançoient avec une telle impétuosité, que rien ne résistoit à leur choc. Souvent ils brisoient à coups de hache le bouclier de leur ennemi, et sautant sur lui l'épée à la main, ils le tuoient. Ne reconnoît-on pas à cette peinture les Français si redoutables à l'attaque, à l'abordage, à l'arme blanche? L'ardeur de ce grand peuple ne le laissoit jamais jouir de la paix; il se battoit en duel pour les sujets les plus légers, aimoit le jeu, les festins, les chants, étoit hospitalier, curieux, exact à remplir ses sermens et à payer les dettes du jeu. Les Francs étoient de haute taille, leur chevelure étoit blonde, abondante et naturellement bouclée; les rois seuls la laissoit croître. Leur physionomie étoit douce et riante, leur esprit fin, délicat, enjoué, ardent; enfin ils étoient alors ce qu'ils sont de nos jours, courageux, légers, téméraires et inconstans. Les femmes comptoient avec orgueil les blessures de leurs époux, combattoient à leurs côtés, et vengeoient leur mort; elles étoient fières, sensibles et fidelles: les Francs avoient pour elles autant de respect que d'amour; au temple on croyoit à leurs oracles, au conseil on déféroit à leurs avis.

Telle fut à sa naissance cette nation belliqueuse, et ce grand peuple vainqueur de Rome, qui par de si rapides victoires, préludoit glorieusement à la puissance, à la splendeur dont il étonne aujourd'hui l'univers. Pharamond laissa le trône en 428 à son fils Clodion, dit le Chevelu, qui habita le château de Dispargum, aujourd'hui Duisbourg. Ce roi ayant traversé secrètement la forêt charbonnière, aujourd'hui le Hainaut, s'empara de Tournay, Bavay, Cambrai; mais repoussé par Aëtius, général romain, il le défit complètement en 444, prit l'Artois, s'empara d'Amiens, étendit son royaume jusqu'à la Somme, et mourut en 448, laissant trois fils, Clodebaud, Clodomir et Mérovée. Le peuple, assemblé au champ de Mars, préféra Mérovée à ses frères, que leur mère emmena au-delà du Rhin. A peine sur le trône, le nouveau roi signala son règne par d'éclatans succès; il s'empara de toute la Germanie première, ou territoire de Mayence, de ce que l'on nomma depuis Picardie et Normandie, et de presque toute l'Ile-de-France; mais un terrible ennemi vint lui offrir des dangers et des triomphes, et répandre sur des jours jusque là si heureux, ces douleurs dont le rang ni la gloire ne peuvent consoler ou même distraire une ame sensible.

CHILDÉRIC.
LIVRE PREMIER

SOMMAIRE DU PREMIER LIVRE

Childéric annonce, dès son enfance, les vertus qu'il doit développer un jour. Les Huns attaquent les Francs; ce qu'étoient ces peuples. Portrait d'Attila. Childéric, âgé de douze ans, s'arme secrètement du javelot de Pharamond, et se cache parmi les guerriers. Il ne se découvre à son père que loin de Tournay; il en obtient la permission d'assister au combat. Mérovée le confie aux soins de son ami Viomade. Le roi, attaqué par un gros d'ennemis, est secouru par Viomade qui reçoit le coup destiné à son maître, et tombe baigné dans son sang. Mérovée poursuit la victoire. Il chasse les Huns, et revient dans sa tente, où l'on a transporté le brave. Son inquiétude sur son fils, qui ne paroît point. Recherches inutiles. Mérovée reprend avec tristesse la route de Tournay. La reine vole à sa rencontre, et n'apercevant pas son fils, tombe évanouie; rendue à la vie, elle se livre à toute sa douleur.

 

LIVRE PREMIER

Aboflède étoit l'heureuse et sensible épouse que le ciel avoit accordée à Mérovée; belle et vertueuse, elle adoucissoit pour lui les fatigues de la guerre, les soins du gouvernement; partageoit ses triomphes, le consoloit dans ses revers, portoit à ses pieds la plainte de la timide infortune et l'hommage de sa reconnoissance. De cette union heureuse étoit né un fils, l'espoir et l'amour des auteurs de sa naissance. Childéric, à peine âgé de douze ans, flatte déjà l'orgueil d'un père. A sa chevelure blonde, à ses yeux d'azur, on reconnoît le descendant d'un Germain; à son cœur avide de gloire, on reconnoît un Français: tandis que la justesse de son esprit charme les Druides qui l'instruisent, sa beauté ravit sa mère, et ses nobles vertus remplissent d'une orgueilleuse joie l'ame superbe de Mérovée.

Aboflède en est plus chère à son époux et à son peuple, elle-même s'applaudit d'un si bel ouvrage. O mon fils! se disoit-elle quelquefois; ô vous! objet de crainte et d'espoir! que d'attachement vous auriez pour moi, si vous pouviez sentir ce trouble sans cesse renaissant que l'amour plaça dans le cœur de votre mère prévoyante; si vous pouviez connoître ces soins toujours actifs et jamais lassés, cette tendresse constante et nouvelle, qui naquit avec vous et ne finira qu'avec moi. Childéric répondoit à une si vive amitié par un égal attachement, adoroit sa mère, admiroit les exploits et le grand cœur de Mérovée, se promettoit de le prendre pour modèle, révéroit les dieux et se sentoit impatient de courage. Un bonheur si constant et si pur ne devoit pas durer toujours, et la sensible Aboflède alloit voir se changer en une douleur mortelle les douces jouissances d'une mère.

Les Huns, peuple hideux et féroce, sans civilisation comme sans industrie, habitoient au Nord de la Chine, plus de deux mille ans avant notre ère. Sans cesse en guerre avec les Chinois, ils avoient été chassés par eux loin des frontières de leur empire, vers le quatrième siècle, et repoussés jusques sur les bords du Jaïk, d'où les Alains étoient partis avant eux; de là ils descendirent vers l'Orient du Palus-Méotides. Sortant tout-à-coup du Palus, ils précipitèrent les Alains sur les Ostrogoths; bientôt ils repassèrent le Tanaïs, tournèrent le Pont-Euxin, ravagèrent l'Asie, et s'établirent tumultueusement de l'autre côté du Danube et du Rhin, non loin du Volga; là, divisés en familles ou hordes, ils se bâtissoient des huttes grossières, dans lesquelles ils se tenoient renfermés pendant la mauvaise saison; ils les quittoient impétueusement au printems, ravageant tout ce qui s'offroit sur leur passage, et chargés du fruit de leurs rapines, ils retournoient avec la même rapidité dans les forêts qui leur servoient d'asile; ce peuple sauvage et guerrier méprisoit la foiblesse, et abandonnoit aux monstres des bois les vieillards qui ne pouvoient plus combattre; les femmes marchoient à la tête des armées, conduisant leurs enfans, et chargées de ceux qui ne les suivoient pas encore: dès leur naissance, elles les plongeoient dans l'onde glacée des fleuves, les exposoient aux ardeurs du soleil, les exerçoient à la chasse, à la course et à la lutte, et quand l'âge, anéantissant leurs forces, les menaçoit du mépris et des maux attachés à la décrépitude, elles recevoient la mort de la main de leurs propres enfans; le fils qu'une tendre mère avoit nourri croyoit, en la délivrant d'une vie qui alloit lui devenir douloureuse et importune, acquitter la dette de la reconnoissance; ils massacroient également leurs blessés après la bataille. En 450, Attila, roi de ces sauvages, après avoir assassiné son frère Bleda, auquel il ravit le trône, voulut saccager l'Occident, et ayant traversé la Franconie et la Germanie, à la tête de cinq cent mille combattans, il entra dans les Gaules sous le prétexte d'aller attaquer les Visigoths dans l'Aquitaine; mais après avoir ravagé et brûlé Metz, Trèves, Tongres, Bar, Arras, il continua sa marche, passa près de Paris, et vint assiéger Orléans. La ville avoit déjà capitulé, quand Aëtius, général des Romains, ayant appelé à son secours Théodoric, roi des Visigoths, Mérovée et sa redoutable armée, attaqua ce terrible ennemi, qu'il défit complètement, et le força à une prompte fuite, laissant deux cent mille morts sur le champ de bataille. Ce fut en Sologne, près d'Orléans, que cette grande victoire fut remportée; elle coûta la vie à Théodoric. Son fils Trasimond fut élu après sa mort. Attila, de retour dans ses forêts, contemploit avec plus d'espoir que de douleur les débris encore menaçans de son immense armée: on pouvoit le repousser, non l'abattre; il se promettoit de le prouver. Ce Hun trop célèbre par ses crimes et son indomptable courage, se faisoit appeler le fléau de Dieu; il étoit d'une stature au-dessous de la médiocre, avoit une tête d'une grosseur démesurée, le nez extrêmement large et écrasé, le front applati, la barbe claire et entrecoupée de cicatrices, dont ses joues étoient couvertes; ses yeux petits, et qu'il ne fixoit jamais, étoient toujours en mouvement comme son corps. Cette figure hideuse sembloit dire au monde qu'il étoit destiné à en troubler le repos; son palais étoit une cabane, son trône une chaise de bois placée sous un arbre, et son drapeau flottant lui servoit de tente. Tel étoit l'ennemi qui devoit porter au cœur d'Aboflède une blessure si profonde.

A peine les glaces qu'avoit durcies le sombre hiver se détachoient-elles des monts, les vents toujours irrités troubloient le calme des forêts, la douce approche du printems ne ranimoit point encore la nature mourante, et cependant l'impatient Attila devançant la saison guerrière, assemble déjà son armée. Clodebaud, qu'irrite la gloire d'un frère, presse lui-même l'ardeur du Hun, et s'il pouvoit triompher des obstacles que lui opposent les terribles avantages d'un long hiver, il seroit déjà vengé de sa dernière et sanglante défaite; enfin les vents sont enchaînés; la terre raffermie offre à la marche des troupes un terrain solide. Attila, à la tête des siens, s'avance sur les bords du Rhin, ils construisent à la hâte une quantité innombrable de petites barques, et s'élançant du milieu de l'onde, ils marchent jusqu'à Cologne. Mérovée apprend les victoires de son ennemi en apprenant son attaque: alarmé d'un si rapide avantage, il assemble promptement ses troupes, et entouré de ses braves, il alloit quitter encore la tremblante reine, dont il recevoit les tendres adieux. Childéric, témoin des craintes de sa mère, ne put voir ses pleurs sans désirer suivre et défendre l'objet chéri qui les faisoit couler; le chant des Bardes, l'aspect des armes, le noble courage qui s'imprimoit en traits augustes sur le front du roi, l'ardeur guerrière qui animoit l'armée, le secret sentiment de sa valeur, tout inspire et entraîne l'enfant aimable et sensible; saisissant d'une main téméraire le javelot révéré, sceptre et arme du grand Pharamond, il l'agite avec audace, le baise avec respect, jure sur cette arme sacrée de s'en servir pour défendre le roi, et de ne l'abandonner qu'avec la vie. Cependant il craint les refus d'un père, les défenses d'une mère timide: à l'idée des alarmes qu'il va lui causer, des pleurs s'échappent de ses yeux et coulent sur ses joues vermeilles; mais tandis que Mérovée reçoit son casque et son épée des mains d'Aboflède baignée de ses larmes, tandis qu'il lui jette un dernier regard et s'élance au milieu d'une armée sûre de vaincre, et qu'Aboflède évanouie ne peut s'apercevoir de sa fuite, Childéric se mêle parmi les soldats, se dérobe aux yeux d'un père dont il redoute la prudence, et ne s'offre à ses regards qu'aux portes de Cologne, quand il ne craint plus d'être rendu à Aboflède. Le roi, surpris et charmé, l'admire avec un orgueil mêlé de crainte. O mon fils! lui dit-il en l'embrassant, et votre mère? Cependant Childéric a l'air si fier et si heureux, sa physionomie douce a dans le moment tant de noblesse et d'audace, ses yeux brillans de courage, sont si expressifs, son geste si animé, que Mérovée cédant à son tour, lui permet d'assister au combat, et recommande l'objet de son amour à Viomade, le plus cher de ses braves; rassuré par la confiance que lui inspirent et l'air majestueux de son fils et la fidélité de son ami, il vole où l'appelle la victoire.

Dans ces premiers tems de simplicité, le trône ne s'environnoit point encore des prestiges brillans qui l'entourent aujourd'hui; le roi n'étoit que le premier soldat de son armée, le butin se partageoit au sort, on n'avoit de rang que celui que l'on tenoit de la gloire, la voix publique en décidoit, non la volonté du prince; l'intrigue et la flatterie ne rampoient point pour s'élever, on aimoit la personne du roi, non sa grandeur; on chérissoit ses vertus, non sa puissance; il comptoit sur ses braves qu'aucun intérêt ne portoit à feindre; le roi étoit aimé, le roi aimoit, et la défiance n'obscurcissoit point pour lui l'éclat du trône; la noblesse, fière de sa gloire déjà acquise par des ancêtres respectés des nations, s'efforçoit de surpasser encore l'éclat d'un nom déjà fameux, on la reconnoissoit à ses actions comme à ses vertus, et le roi, au milieu des fermes défenseurs de sa couronne et de sa vie, trouvoit dans chaque brave un soutien, un ami, un héros. Qu'elle est belle cette noblesse antique, cette vertu qui, transmise pure et d'âge en âge, enrichie sans cesse et de siècle en siècle, de faits héroïques ou généreux, répand autour du nouveau rejeton qui va l'honorer encore, cette gloire dont l'éclat le guide, et doit le forcer à l'imiter! Osera-t-il donc être un lâche, montrer un cœur coupable, celui pour qui le nom d'un père est une leçon, un exemple, et deviendroit un reproche? Non, sans doute, et notre histoire en est la preuve auguste, puisqu'on y retrouve sans cesse les mêmes noms s'inscrivant, de nouveau, glorieux et sans tache dans le temple de mémoire.

Mais déjà Mérovée a repris Cologne, et poursuivant sa victoire, il attaque l'ennemi en pleine campagne. Plusieurs fois Ulric, Arthaut, Amblar, Mainfroy se sont placés entre le roi et le danger; lui-même a reçu une légère blessure en détournant le trait prêt à percer Ulric. O bon tems! où de pareils traits n'étonnoient personne, où l'admiration ne le répétoit même pas, et laissoit à la seule reconnoissance le soin d'en perpétuer le souvenir!

Mais les Huns, ralliés par Attila, s'élancèrent de nouveau sur l'armée française, en jetant d'horribles cris; ce choc imprévu ébranla l'armée, et ce rare avantage animant les ennemis, ils chargèrent en furieux; Mérovée contenant l'ardeur de ses troupes, attaqua à son tour avec sang-froid et en bon ordre, et culbuta sans peine une armée tumultueuse qui, plus téméraire qu'habile, ignoroit l'art de se défendre; cependant quelques-uns de ces barbares déploient un courage presque inouï; la mort suit par-tout leurs traits, ils pressent Mérovée lui-même, et on reconnoit Attila à sa force, à sa rage, à son adresse. Viomade voit le danger de son maître, et oubliant pour un moment le dépôt trop cher qui lui a été confié, il s'élance en s'écriant: A moi, braves! On entoure le roi, on le suit, lui seul eut la gloire de recevoir dans la poitrine le coup de hache dont Mérovée alloit être la victime; le roi le voit tomber baigné dans son sang, il se précipite vers lui, le relève, mais appelé au combat, il le confie aux soins d'Ulric, et court le venger par une éclatante victoire. Les Huns, vaincus et poursuivis jusqu'au fleuve, se rembarquent à la hâte et en désordre; les Francs dédaignant l'ennemi qui fuit, cessent de combattre; le roi triomphant revient à Cologne, et vole plein d'une double inquiétude auprès de son ami dont on a déjà pansé la profonde blessure. Rassuré sur ses jours, ô Viomade! où est mon fils, s'écrie-t-il? Hélas! Viomade l'ignore, un long évanouissement a suivi sa blessure, et il n'a pu, malgré ce zèle pur, ardent et sans égal, veiller au dépôt sacré qui lui avoit été remis. Ciel! ô ciel! que me dis-tu, répond Mérovée; ô Childéric! ô mon Aboflède! Mais les braves se sont dispersés, on cherche le jeune prince dans la ville, dans l'armée, au bord du fleuve, sur le champ de bataille, parmi les blessés, au milieu des morts; on interroge les soldats, les habitans, les prisonniers, par-tout un silence terrible jette l'alarme dans les cœurs; de fidèles sujets traversent le fleuve, ils pénétreront dans les forêts, jusqu'au camp même d'Attila; toutes les récompenses leur sont promises, mais la seule qu'ils désirent, c'est de ramener le fils des rois.

Qui cependant apprendra à la plus tendre mère, à cette reine adorée, une absence si alarmante? Qui aura le féroce courage de déchirer ce cœur sensible, douce retraite de vertu, de paix et d'amour? Qui pourra faire couler ces larmes abondantes, dont la seule idée est déjà un supplice pour tous les Francs? Mérovée, plongé dans sa muette douleur, la tête appuyée sur sa main, les yeux baissés, ajoute à ses terribles inquiétudes par l'idée des maux qui vont accabler l'objet de sa tendresse; il en prévoit l'excès, il en est déchiré, et Viomade en soupirant regarde la blessure qui l'excuse, et le roi qui ne vivroit plus sans elle. Sa faute est grande, mais sauver la vie à Mérovée est une action plus grande encore; il gémit, il s'afflige; cependant il ne peut pas plus se repentir, que le roi n'ose lui adresser un reproche. Pour la première fois Mérovée craint de revoir Aboflède, et ce moment qui fut toujours le plus doux prix de sa victoire, trouble et effraie sa grande ame.

 

Depuis le départ de son époux, depuis celui de son fils, la tendre reine, livrée à toutes les alarmes, a gémi comme épouse et comme mère. O mon fils! ô mon Childéric! s'écrioit-elle, pourquoi fuir loin de mes bras caressans? pourquoi m'abandonner? Hélas! je comptois encore, avec une douce sécurité, les années de bonheur que m'accordoit ta jeunesse! Pourquoi, cher et cruel enfant, hâter les instans du danger? pourquoi, plus barbare que le devoir, me ravir déjà mon fils? Cependant la renommée, prompte à célébrer la victoire, a déjà porté jusqu'au palais de la reine le bruit glorieux des triomphes de son époux, et la nouvelle de son retour. Aboflède ne peut contenir sa trop vive impatience; pleine de joie et d'amour, elle relève ses beaux cheveux en désordre, essuie ses pleurs, et n'écoutant que les douces émotions qui agitent si délicieusement son cœur, court au-devant de son époux et de son fils; de loin elle entend les chants guerriers, son ame s'exhale et s'unit aux chants des héros; elle presse sa marche et vole au-devant de l'armée; déjà elle distingue le casque éclatant du roi, son œil maternel cherche près de lui cet autre objet de ses alarmes, il ne paroît point; tremblante, elle en accuse encore sa taille enfantine; elle distingue Viomade appuyé sur le bras glorieux de son maître; l'armée chante la victoire, le roi ne s'unit point à ses chants; il approche, elle cherche en vain Childéric, Childéric ne se montre point à sa mère. Mérovée l'a aperçue, son sang s'est glacé dans ses veines, il a pâli. A ce signal de détresse pour un si grand courage, Aboflède a déjà deviné son malheur, elle tombe évanouie en nommant son fils. Mérovée la voit chanceler; mais il soutient son ami, il contient sa douleur, son impatience, et renferme avec effort dans son sein le cri prêt à s'en échapper. Viomade, affoibli par ses souffrances, déchiré par ses regrets, marche lentement et les yeux baissés; il ne s'attend pas au spectacle douloureux dont il va être le témoin; ils approchent enfin de la belle reine, que les femmes de sa suite ont relevée, et qu'elles soutiennent dans leurs bras. La pâleur couvre ses traits, elle est glacée, immobile, et sans aucun sentiment; la mort semble avoir déjà frappé cette tendre victime; insensible aux soins qui lui sont prodigués, elle reste plongée dans un évanouissement qui lui dérobe au moins la connoissance de ses malheurs; transportée jusques dans son palais, tous les secours lui sont prodigués; elle renaît enfin à la vie, mais pour apprendre, mais pour sentir tout l'excès de son infortune: pour la première fois, la voix toute-puissante d'un époux adoré ne porte point dans son ame le bonheur ou la consolation, ses caresses ne la touchent point, son retour ne lui suffit pas, elle ne songe, ne demande, ne semble aimer que son fils. Le roi lui dit tout ce qui peut la rassurer, lui nomme les fidèles émissaires envoyés à la recherche du prince, lui répète qu'il ne s'est trouvé ni parmi les morts, ni parmi les blessés, que son javelot si remarquable n'est point resté sur le champ de bataille; l'infortunée l'écoute, lui fait redire ce qu'elle vient déjà d'entendre. Hélas! elle a trop besoin d'espérance pour la rejeter, mais elle aime avec trop d'ardeur pour s'en contenter long-tems; occupée d'un seul objet, possédée d'une seule idée, elle interroge tout ce qui l'approche, le silence l'inquiète, aucune réponse ne la satisfait, les jours lui semblent des siècles, l'incertitude la tue, et cependant l'incertitude soutient sa vie; si le roi s'absente un moment, à son retour elle pâlit de crainte et frémit d'espoir; dans son sommeil agité, elle revoit et embrasse son fils; le réveil lui rend son absence, et elle pleure sur son heureux songe. O amour maternel! sentiment pur, vrai, constant, hélas! que souvent vous êtes cruellement récompensé! Plusieurs émissaires étoient déjà revenus, le roi seul leur avoit parlé; ils ignoroient tous la destinée du jeune prince; on cachoit leur retour à la malheureuse mère. O Viomade! pourquoi ta blessure retient-elle tes pas, et met-elle des bornes à un zèle qui, sans cet obstacle insurmontable, n'en auroit point connu? pourquoi, ami dévoué, ne peux-tu voler toi-même sur les traces du fils de ton maître? Ah! si cet effort étoit en ta puissance, qui oseroit te disputer l'avantage de servir encore ton roi? mais tu es foible, mourant, ton cœur seul rempli d'ardeur, partage et adoucit les tourmens de ta reine; ou tu portes à son ame les paroles consolantes de l'espérance, ou tu gémis avec elle, quand sa douleur trop vive ferme son cœur à tes sages discours.

FIN PREMIER LIVRE