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Childéric, Roi des Francs, (tome premier)

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CHILDÉRIC.
LIVRE SECOND

SOMMAIRE DU LIVRE SECOND

Le bruit de la mort de Childéric s'est répandu. Désespoir du roi. Ulric, de retour du camp d'Attila, confirme ces tristes nouvelles. On les cache à la reine, toujours livrée à sa douleur. Attila attaque de nouveau les Francs. Mérovée marche à sa rencontre. Aboflède le suit. Son projet. Elle profite de la nuit pour l'exécuter; elle est chargée de chaînes. Le roi qui découvre sa démarche vole à son secours, la délivre à la faveur des ténèbres, ainsi que tous les prisonniers. Attila veut s'en venger, il est vaincu, demande et obtient la paix. Mérovée toujours vainqueur rentre dans sa capitale, et y ramène son épouse désespérée. Après de longues souffrances, elle expire. Ses funérailles. Douleur du roi.

LIVRE SECOND

Une année entière s'étoit écoulée sans apporter aucune lumière sur le sort de Childéric; le tems sembloit emporter sur ses ailes le bonheur et l'espoir: déjà Ulric, celui des braves qui tient la seconde place dans le cœur du roi, est revenu des bords du Pont-Euxin avec tous ceux qu'il a dispersés adroitement autour du camp d'Attila; mais il n'a pu ni détruire, ni confirmer la crainte du monarque. Aboflède, renfermée au fond de son palais avec ses chagrins et ses souvenirs, ignore son arrivée, on la lui dérobe avec soin; il est depuis long-tems dans Tournay, et l'infortunée l'attend encore. Un bruit, d'abord léger, mais qui peu-à-peu se répand et s'accrédite, jette un nouveau désespoir dans le cœur du roi. On assure que le jeune prince ayant suivi l'armée qui poursuivoit les Huns, et s'étant laissé entraîner par l'inexpérience de son âge, étoit tombé dans le fleuve en essayant de passer sur une des barques ennemies. L'apparence et le tems semblent confirmer ce récit. Mérovée craint, doute, et s'abandonne à la douleur qui le déchire; mais il épargne encore le cœur de la reine, il lui laisse ses fugitives espérances, et l'ame dévorée d'inquiétudes, il sourit aux douces pensées de retour que sa tendre mère exprime quelquefois. Il gémit seul ou dans les bras de Viomade; mais près d'Aboflède, il reprend son courage et son front serein. La reine se confiant à la tendresse d'un père, se rassure de la tranquillité de son époux; elle ne croit pas qu'une douleur violente puisse se contraindre, elle sent trop bien qu'un tel effort seroit au-dessus d'elle; la nature, l'amour et son cœur dans ce moment s'accordent avec le roi pour la mieux tromper. Cependant Ulric tarde bien selon elle à revenir; ce délai commence à l'inquiéter; Aboflède voit chaque jour renaître et finir, et Ulric ne paroît point; la reine ne peut soupçonner son zèle, le danger s'offre à sa pensée sous mille formes effrayantes. Attila, fier d'un si illustre prisonnier, aura sans doute refusé les échanges et le prix qu'Ulric devoit lui offrir; une idée plus terrible encore glace tout-à-coup ses esprits, Clodebaud, ce frère irrité, exerçant sur le fils la vengeance qu'il méditoit contre le père. Elle voit Childéric réduit par la haine de Clodebaud au plus cruel, au plus honteux esclavage. Peut-être, ô ciel! a-t-il porté plus loin sa fureur… Un jour même son imagination frappée lui fait apercevoir son fils pâle, baigné dans son sang; elle croit entendre ses longs gémissemens et recevoir son dernier soupir… Tremblante, éperdue, elle jette des cris douloureux, ses larmes sont taries, son sang ne circule plus, un froid mortel la saisit, elle tombe évanouie, et l'on doute long-tems de sa vie.

Cependant, l'intrépide Attila supportoit avec une égale peine, et sa honte et la longue paix où l'a réduit sa dernière défaite. Étonné de son inaction, indigné de ses revers, et retenu depuis deux ans dans ses forêts, il n'a pu revoir la saison guerrière, sans resaisir son arme terrible; les premiers feux de l'astre du jour ont ranimé toute son ardeur; il assemble son armée, et quittant encore ses déserts, il va pour la troisième fois traverser ce fleuve majestueux, barrière antique et naturelle de la France. Mais ses revers multipliés ont découragé ses soldats; il ne lit plus sur leurs fronts mornes et sourcilleux l'audacieuse espérance; il ne voit plus en eux cette impatience du combat, présage certain de la victoire ou d'une glorieuse résistance; sa voix formidable se fait entendre sans ranimer l'ardeur éteinte; il commande, on obéit, mais en silence, et sans cette joie martiale qu'il a si souvent admirée. Il revoit avec rage ces plaines fameuses par ses malheurs; son courroux valeureux s'en augmente, tandis que ces sanglans souvenirs affligent et effrayent ses troupes naguères si valeureuses. Les Francs, au contraire, volent avec transport au-devant d'un ennemi dévastateur et qu'ils sont sûrs de repousser; ils chantent d'avance une victoire certaine.

Au nom d'Attila, Aboflède a joint dans son ame celui de ravisseur, d'assassin de son fils; elle sait qu'il marche contre son peuple, elle sait encore que ces barbares traînent à leur suite tous les prisonniers de guerre; elle conçoit un projet hardi: le cœur seul d'une mère est capable de le former, de l'entreprendre, de l'exécuter! Elle annonce au roi surpris qu'elle va le suivre au combat, et en disant ces mots, ses yeux cessent de verser des larmes, et l'espérance jette une légère teinte de joie sur sa figure douloureuse. Mérovée s'oppose en vain à un désir dont il ne connoît pas encore le vrai motif; la raison ni la prudence ne peuvent rien contre tant d'amour. Hélas! Aboflède est mère, et elle a perdu son fils! que peut-elle craindre encore? Deux seules pensées lui restent, le retrouver ou mourir. La reine, montée sur un char, se mêle aux combattans et s'expose sans en être émue; son ame n'est troublée ni par le bruit des armes, ni par les horribles cris que jettent les Huns pendant les batailles, ni par le spectacle sanglant dont elle est environnée. Elle ne voit point voler le trait homicide, elle n'entend point les gémissemens des blessés; elle seule, au milieu de ce règne de la mort, conserve l'oubli d'elle-même, et porte au loin sa pensée et ses regards, sans chercher à défendre ou à conserver une vie dont elle cesse de s'occuper. Il paroît enfin à ses yeux ce groupe d'infortunés chargés de fers; ils sont peu éloignés des Huns, des gardes nombreuses les environnent. A peine cet objet de douleur et d'espoir a-t-il frappé la reine, que son regard et son cœur ne s'en écartent plus. Sans doute c'est là, c'est parmi les malheureux captifs qu'elle trouvera son fils; elle s'assure du chemin qui conduit à cette partie séparée du camp; on peut s'en approcher par un bois voisin. Aboflède a tout vu et n'oubliera rien. La nuit abaissant sur la terre ses voiles épais, force enfin les combattans à se séparer. Aboflède invoque depuis long-tems les ténèbres dont la favorable obscurité servira sa téméraire entreprise. A peine la tranquille déesse a-t-elle enchaîné dans un doux sommeil les fiers enfans de Mars, que revêtue d'habits guerriers, cachant ses membres délicats et la beauté de son sexe sous le casque et l'armure, Aboflède, jusque-là craintive, échappant à ses gardes, et guidée par son amour, s'avance vers le camp ennemi; son cœur palpite d'une joie vive, elle ne sent ni le poids du casque qui la blesse, ni celui de ses armes si étrangères à ses belles mains; aucun danger n'effraie sa pensée, un seul sentiment la soutient et l'entraîne, tout disparoît devant lui. La reine, malgré l'obscurité que l'ombrage du bois rend plus profonde encore, ne s'est point égarée, elle est parvenue au but désiré de son voyage; elle aperçoit les prisonniers attachés les uns aux autres, la plupart sont couchés, et la nuit est trop obscure pour qu'elle puisse les reconnoître. Aboflède s'approche; les gardes, surpris de tant d'audace, vont la saisir. Loin d'en être alarmée, leur cruauté semble obéir à ses vœux, elle tend ses beaux bras aux chaînes qu'elle va partager avec son fils. Pressée de les obtenir, elle se livre sans résistance, et se mêle avec transport parmi les infortunés qui sont pour la plupart ses sujets. Éclairée par les feux du camp, la reine a reconnu Mainfroy, ce fidèle général pris devant Cologne qu'il défendoit; elle s'approche de lui, et d'une voix basse, elle lui dit: Mainfroy, reconnois une mère à ma démarche audacieuse, je suis Aboflède, et je cherche mon fils prisonnier d'Attila; rends-moi mon fils! je veux mon fils! Mainfroy admire la mère, et tombe respectueusement aux genoux de la reine; mais ce ne sont point des hommages, du respect qu'elle attend de lui, c'est un fils qu'il faut lui rendre; le général l'assure vainement qu'il n'en sait aucune nouvelle, et qu'il n'a pas été fait prisonnier; il le jure à la reine désolée, et lui ravit ainsi sa dernière espérance; mais elle doute encore et interroge plusieurs Francs; leur réponse est la même, et elle perd l'espoir qui soutenoit sa vie. Aboflède alors s'arrête immobile en s'appuyant sur Mainfroy, ses larmes ne coulent point, un froid mortel la saisit, une sueur glacée découle de son front, un silence effrayant répond assez aux discours terribles qu'elle vient d'entendre. Mainfroy, n'ose lui offrir du secours, il craint d'exposer son sexe et son rang; retenu par ses chaînes, il ne sait ce qu'il doit faire. Aboflède penche sa belle tête, son casque se détache, elle tombe dans les bras de ses sujets enchaînés à ses genoux. Que feront-ils? à qui confier ces jours sacrés, ce dépôt si cher à la France? le barbare Attila respectera-t-il l'épouse auguste de son ennemi? Tandis qu'ils délibèrent, incertains, ils sont tout-à-coup enveloppés, leurs gardes saisis jettent d'horribles cris auxquels tous les Huns répondent promptement; mais plus promptement encore, une troupe nombreuse et hardie pénètre jusqu'à eux, brise leurs chaînes en s'écriant: A nous, Francs! Aboflède est enlevée des bras de Mainfroy et placée sur un char; la troupe se rallie, mêlée aux prisonniers, et tous reprennent le chemin du camp de Mérovée avec tant de précipitation, que les Huns, trompés d'ailleurs par les ténèbres, n'ont pu porter aucun secours à leurs gardes, ni défendre leurs prisonniers. Attila, furieux d'une attaque qu'il regarde comme une trahison, attend impatiemment que le jour éclaire sa vengeance; et Mérovée, que l'amour a entraîné et qui prévoit sa rage impétueuse, se prépare au combat avec autant de courage et plus de prudence. Après la fuite d'Aboflède, le roi n'avoit pas tardé à s'apercevoir de son absence: trop sûr du chemin qu'elle avoit pris, tremblant sur les dangers qui alloient l'entourer, il l'avoit suivie avec l'élite de son armée; et certain que l'espoir de retrouver Childéric l'auroit décidée à pénétrer jusqu'aux prisonniers, parmi lesquels elle le croyoit toujours, Mérovée s'étoit décidé à les délivrer tous, afin de sauver la reine de la captivité, de la mort, et de tous les excès terribles qui la menaçoient. Revenue dans son camp et privée de tout avenir, muette et la vue égarée, à peine elle a reconnu son époux. Après un long silence, elle a fixé sur lui ses yeux éteints, et d'une voix mourante, elle a prononcé ces mots: Il n'est donc plus! Retombant dans sa morne tristesse, elle a cessé d'écouter, de répondre. Déjà l'étoile du matin, avant-coureur de l'aurore, avertit les guerriers de se tenir prêts: ils sont déjà sous les armes, brillans de jeunesse, de santé, de valeur, ceux-là qui ne verront pas se coucher le soleil qui commence à les éclairer. O mort! ô toi à qui on ne peut échapper! toi qui dévores toutes les générations, avois-tu donc besoin pour assurer ton terrible empire, du secours de la guerre!

 

Attila, fier de venger une injure, et d'avoir, pour la première fois, un juste motif de prendre les armes, fut cependant encore surpris par l'active sagesse de son ennemi. La victoire ne fut pas longue à se décider, et Mérovée offrit la paix qui fut acceptée; il renvoya à Attila tous les prisonniers, en mémoire de la délivrance d'Aboflède, y joignit de riches présens; mais sa clémence n'adoucit point la haine de son ennemi, et ne calma point sa honte; il en conserva même une si vive douleur, qu'à peine de retour dans ses bois, on le trouva mort dans son lit à côté de son épouse. Ainsi finit ce guerrier qui coûta tant de sang à sa patrie et à ses ennemis. Mérovée, couvert d'une gloire nouvelle, rentra dans Tournay aux acclamations du peuple, et ramenant la malheureuse Aboflède, qui, de retour dans son palais, reprit sa vie solitaire et silencieuse. Plongée dans une tristesse destructive, ses traits en reçoivent la douloureuse empreinte, et cette tête si belle se penche déjà flétrie comme le lis superbe détaché de la tige qui le nourrit. L'aspect du malheur, si puissant sur l'ame tendre de la reine, ne l'émeut plus; la bienfaisance a perdu pour elle tous ses charmes. Aboflède n'est plus belle, n'est plus reine, n'est plus épouse, n'est plus amante; elle n'est plus, hélas! qu'une mère en deuil, descendant au tombeau par la route lente et pénible de la douleur. En vain tout s'empresse encore autour d'elle; préoccupée et isolée au milieu de tous, elle ne s'aperçoit d'aucun soin; le désespoir de son époux, jadis si aimé, ne pénètre plus jusqu'à son cœur fermé à jamais. L'amour de son peuple, l'amitié, tout a perdu son empire sur cette ame tendre. Puissance de la douleur, que vous avez de force sur le cœur d'une mère! Chaque jour semble l'entraîner vers la tombe, son unique désir. C'est là, c'est près du trône de Teutatès qu'elle espère retrouver son fils, pour ne plus le quitter jamais. C'est dans ces célestes demeures, où la mort est sans puissance, dans ces champs toujours verds, au pied de l'éternel, et dans un bonheur ineffable et constant, qu'Aboflède, dégagée des liens terrestres, demande aux dieux de la recevoir promptement. Et tandis que le roi et son peuple surchargent les autels de victimes et demandent aux dieux de prolonger ses jours, elle seule, formant des vœux contraires, élève au ciel ses mains pures et le conjure de terminer sa vie. Ils vont être exaucés ces cruels vœux du désespoir; Aboflède sent les approches de la mort, comme on entrevoit le moment de sa délivrance; son ame s'exhale comme la fumée de l'encens s'élève vers les cieux. Le roi, qui devoit prévoir depuis long-tems ce nouveau malheur, n'en est pas moins frappé comme d'un coup inattendu; le deuil est général; Viomade a l'emploi triste et flatteur de recevoir les plaintes, de partager la douleur de son maître; s'il ne le console pas, du moins il pleure avec lui.

Les obsèques de la reine furent ordonnées. Ce dernier hommage du regret, qui tient du sentiment et de la religion, s'il ne soulage point le cœur, adoucit son désespoir. Ce fut aux bords de l'Escaut que les restes glacés de la reine furent conduits. On creusa d'abord une fosse ronde, où l'on plaça, selon l'usage, tout ce qui pouvoit être utile à la vie. Etrange superstition de ces tems, qui alloit même jusqu'à immoler des esclaves, afin que les morts fussent servis par eux dans un autre monde! Mais Aboflède, prête à mourir, avoit exigé que l'on ne suivit point cette barbare coutume, et Mérovée voulut qu'elle fût obéie. La fosse creusée, on amena une charrue dont le soc étoit d'airain; elle étoit attelée de deux bœufs blancs; on traça d'un sillon le tour de la tombe, et à mesure que la charrue ouvroit la terre, on remplissoit de fleurs le sillon qu'elle avoit formé; on eut soin de la relever à l'entrée de la tombe, sans en continuer la trace. Après cette cérémonie, on plaça le corps dans la fosse, et revêtu de ses plus riches ornemens; chaque assistant eut soin de jeter sur ces restes sacrés une poignée de la terre natale de la reine; on la recouvrit de fleurs, de gazons, puis de terre, et enfin d'une grande table de plomb sur laquelle on grava ces mots:

PLEUREZ LA REINE ABOFLEDE,
AMOUR ET EXEMPLE
DU MONDE

Les Druides assistèrent à cette lugubre fête couverts de longues tuniques de lin; ils versèrent sur la tombe l'eau lustrale du guy de chêne, invoquant les dieux pour qu'ils accordassent sans délai l'entrée céleste à la victime de l'amour et du malheur. Mérovée n'assista point à ces funérailles, le deuil étoit trop avant dans son cœur; il n'eût pu soutenir ce terrible spectacle. Privé d'une épouse et d'un fils, le voilà seul sur le trône déjà isolé; il va marcher sans compagne dans les routes épineuses de la vie, et quand l'ange de la mort développera sur lui ses ailes glacées, il ne laissera pas, aux mains d'un fils adoré, le sceptre des rois qu'il a illustré, et son glorieux héritage; il ne revivra pas dans une nombreuse postérité. Ah! s'il gémit de la mort d'Aboflède, c'est sur lui seul qu'il répand des larmes; il sent trop que le seul malheureux est celui qui survit à ce qu'il aime.

FIN DU LIVRE SECOND

CHILDÉRIC.
LIVRE TROISIÈME

SOMMAIRE DU TROISIÈME LIVRE

Mérovée s'abandonne à sa douleur. Ses blessures se r'ouvrent. On craint pour sa vie. Egidius, qui aspire au trône, en conçoit une espérance nouvelle; il craint Viomade, et cherche à l'écarter. Draguta sert ses projets, et trompe ce brave par un faux rapport, qui décide Viomade à suivre le traître jusque dans le camp des Huns. Le roi, à la nouvelle qu'il reçoit du départ prochain de son ami, et de l'espoir qui le détermine, éprouve autant de joie que d'inquiétude. Viomade lui conseille de se montrer à l'armée. Mérovée se rend à cet avis. Il harangue les troupes, et ordonne un sacrifice. Description du sacrifice. L'oracle est favorable, il promet le retour de Childéric. Un festin termine cette journée.

LIVRE TROISIÈME

Le tems ne consoloit point Mérovée. De tous les biens dont l'amour l'a fait jouir, le souvenir seul lui reste, il le conserve comme le dernier trésor de son cœur; le regret, qui le suit par-tout, charme douloureusement sa solitude, et quand il a perdu tout ce qu'il aime, les tendres images d'Aboflède, de Childéric, ne s'effacent point de sa pensée; il chérit sa mélancolie, et refuseroit de se consoler: il n'a plus que sa douleur, il craindroit de la perdre et même de l'affoiblir; mais il cherche et soulage les malheureux, il a besoin du bonheur des autres quand il n'en existe plus pour lui; l'accent de la joie, celui de la reconnoissance, jettent encore un son doux au fond de son ame. Blessé dans plusieurs batailles, le roi ne s'étoit que foiblement occupé de ses souffrances légères; mais les chagrins, les fatigues, les années, avoient enflammé son sang; une cicatrice mal fermée s'étoit r'ouverte, et le peu de soin apporté à un mal d'abord sans danger, avoit envenimé la blessure au point que sa vie étoit menacée; les remèdes pourront la prolonger, mais ils laissent craindre une mort prochaine ou des souffrances habituelles; le monarque s'affoiblit de jour en jour; Viomade en est troublé, tandis que l'ambitieux Egidius jouit en secret et s'abandonne à une grande espérance. Egidius, général de la milice romaine, et gouverneur pour les Romains dans la Gaule, commandoit à Soissons, et avoit la faveur de l'armée; brave et adroit, il s'étoit fait une reputation guerrière, et passoit également pour réunir toutes les vertus: il savoit se montrer aux hommes sous l'aspect le plus favorable à ses projets, et cachoit avec art son vrai caractère et ses desseins. Depuis la perte du jeune prince, il s'étoit toujours flatté de succéder à Mérovée; c'étoit dans cette pensée qu'il avoit répandu le bruit de la mort de Childéric, passant dans une barque ennemie; un roi sans héritier, et mourant lui-même, n'étoit plus qu'un foible obstacle à son ambition; il se plaît à répandre dans l'armée de secrètes inquiétudes sur la santé chancelante du souverain, sur l'inaction dans laquelle il va tenir ses troupes si accoutumées à combattre et à vaincre, sur la nécessité d'élire un chef pour le remplacer pendant les combats; mais son parti n'est pas assez fort: il craint l'horreur qu'inspire le nom romain, l'amour du peuple pour son roi, les Druides dont il ne suit pas la religion, et dont il redoute l'empire; mais ce qu'il craint bien plus encore que la haine ou l'amour léger d'un peuple inconstant, extrême, facile à émouvoir, à contenir, à exciter, qui n'ayant pas de volonté qui lui soit propre, cède à tout ce qui le maîtrise, et semblable à cette même onde qui s'irrite, se soulève, déborde au gré du vent qui l'agite, se calme et s'écoule lentement, sans que sa fureur ni sa tranquillité viennent d'elle-même; ce qu'il craint enfin plus que les Druides, le roi et toute l'armée, c'est Viomade, ce brave toujours occupé de son maître, déjouant les projets, et le surveillant avec autant de zèle que d'activité et d'intelligence, aimé du monarque comme de la France entière. Egidius n'a pas de plus forte barrière entre lui et le trône; la renverser paroît impossible, la force du moins seroit impuissante; Egidius aura recours à la ruse, arme du lâche, et l'ingrat Draguta va servir ses odieux projets. Draguta, né parmi les Huns, avoit poursuivi Viomade avec audace et témérité devant Cologne; blessé dangereusement, il étoit tombé parmi les morts, on l'avoit trouvé pendant la cérémonie funèbre qui suit les sanglans exploits, il respiroit encore, il fut transporté parmi les blessés par ordre de Viomade, il fut traité avec soin et générosité. Sa blessure étoit si dangereuse, qu'il fut plus d'une année sans se rétablir entièrement; par reconnoissance il témoigna le désir de rester encore près de son bienfaiteur. Egidius l'ayant souvent aperçu, crut démêler dans ses regards l'ame d'un traître, et l'ayant fait sonder adroitement, il vit qu'il ne s'étoit point abusé, et que Draguta joignoit aux connoissances qu'il avoit su acquérir depuis son arrivée en France, et pendant un séjour de plusieurs années, la férocité de sa patrie, et la haine du nom des Francs, que des secours et tant de bienfaits n'avoient pu éteindre.

Instruit des volontés d'Egidius, flatté des récompenses énormes qui lui sont promises, heureux surtout de satisfaire sa fureur et d'assouvir sa vengeance, Draguta se présente à son bienfaiteur; il s'efforce de donner à ses traits plus de douceur, à son sourire moins de perfidie; mais il n'a rien à redouter du cœur franc et sans défiance du plus vertueux des braves, qui, incapable de feindre, l'est aussi de soupçonner. Je vous dois, lui dit le fourbe, le bonheur et la vie, m'acquitter est un devoir et un besoin; je viens satisfaire mon cœur, en rendant au vôtre et la joie et l'espoir. Viomade l'écoute, et lui tendant la main avec cette franchise d'une grande ame: Parle, ami, lui répond-il, mais crois qu'en te conservant le jour, j'ai déjà reçu ma récompense.

Draguta, loin d'être attendri par ces paroles et l'air plein de douceur dont elles furent accompagnées, s'applaudit au contraire d'avoir à tromper un si facile ennemi, et reprenant son discours, il dit: Vous pleurez Childéric depuis cinq années; mon amour pour Attila, mes sermens de fidélité, mon devoir, m'ont défendu de vous instruire de sa destinée; mais mon roi n'est plus, et ce que je vous dois m'ordonne aujourd'hui de vous révéler ce que j'ai dû vous taire: Childéric est prisonnier. Clodebaud l'ayant aperçu pendant la terrible bataille qui coûta tant de sang à ma malheureuse patrie, nous ordonna de nous emparer du jeune prince, et je fus du nombre de ceux qui l'enlevèrent; je le remis à Clodebaud, qui fier et heureux d'une si belle proie, jura d'épargner ses jours, mais de le vouer à un éternel esclavage.

 

Après avoir ainsi obéi à mon général, je revins au combat, où je vous attaquai avec une rage dont je fus puni; vos soins généreux ouvrirent mon ame au repentir, et souvent en voyant les douleurs que vous causoit l'absence du prince, je fus sur le point de vous tout avouer; retenu par mon attachement pour Attila, je résistai au mouvement qui m'entraînoit; j'ignorois d'ailleurs si Clodebaud avoit réellement laissé la vie au prince; mais depuis qu'Attila n'est plus, j'ai su par ceux qui sont venus apporter la nouvelle de sa mort, que Childéric étoit vivant, et réduit à la plus honteuse servitude; que Clodebaud, qui conserve le commandement d'une partie des troupes, insulte sans cesse à son malheur, et qu'il n'est pas impossible de le délivrer, si vous voulez suivre mes avis et accompagner mes pas. Je le veux! s'écria Viomade en se levant et avec une noble vivacité; ô Draguta! je le veux, sois mon guide, mon interprète, mon bienfaiteur; ma reconnoissance sera sans bornes comme tes bienfaits, compte sur celle d'un grand roi, d'un père à qui tu rendras le bonheur. Eh bien! reprit Draguta, partons promptement et sans suite, car nous serions arrêtés, et le nombre ne nous sauveroit pas; je vous promets le secours de mes frères, tous jeunes, vaillans et hardis; je vous conduirai par de secrètes routes, qui nous éviteront des rencontres fâcheuses. Au reste, je répondrai de vous, et vous n'aurez rien à craindre. Je ne crains rien non plus, lui dit Viomade, ma vie est à mon roi; vivre et mourir pour lui, voilà ma noble destinée; mais retire-toi, Draguta, je vais porter à mon auguste maître l'espérance que tu as répandue dans mon cœur; reçois cette bourse d'or, non comme une récompense; ah! Draguta, qui jamais pourra te récompenser! Le brave à ces mots embrasse avec attendrissement le perfide qui, sans repentir et sans trouble, approche de ce cœur d'où s'émanent tant de vertus.

Viomade, l'ame ouverte à la plus vive joie, s'empresse de verser dans le sein paternel l'espoir dont lui-même est enivré, et vole rejoindre son maître; sa physionomie exprime tant de bonheur, que Mérovée en est frappé, et sourit à la félicité d'un ami. Quelle fut son émotion au récit animé et consolateur de Viomade! Childéric esclave et malheureux! quelle pensée pour un père et pour un roi! Mais Childéric vivant! et rendu à son amour! Hélas! pourquoi ce bonheur ne peut-il plus être partagé par Aboflède? A cette triste pensée, le front de Mérovée s'obscurcit, et la douce joie dont il rayonnoit s'est éteinte. Ah! sans le douloureux mélange de regrets et d'espoir, le bonheur inespéré du roi seroit trop vif, il auroit peine à le supporter. Viomade ne trouble point les méditations de son maître, il lit dans son ame, il voit se succéder les sentimens tristes et doux, et attend que le calme y renaisse pour lui parler avec cette franchise qui le distingue. Mérovée, reprenant bientôt un noble empire sur lui-même, lève sur son ami des regards paisibles, et Viomade lui parle ainsi:

Je n'ai pas besoin de dire au plus aimé des rois que je suis prêt à partir; mais je dois l'instruire qu'Egidius agite l'armée turbulente, et que la paix dont nous jouissons, après tant de combats et de victoires, est déjà le sujet d'audacieux murmures. Cet ambitieux romain, que nous avons tant de fois vaincu et repoussé, s'est fait de ses défaites même un titre à la gloire; son adresse égare les troupes, et vous dépeint, accablé par les chagrins et les souffrances, incapable de combattre, anéanti sous le poids des maux; il annonce que les Saxons sont prêts à vous attaquer; un mot de vous peut détruire ses orgueilleuses espérances; le danger s'accroît: ô mon roi! épargnez aux Francs l'ingratitude et le repentir; daignez assembler votre armée, et vous montrer à elle plein d'espérance. Annoncez le retour du descendant de Pharamond; le peuple aime l'aspect du roi, et vos malheurs ont trop long-tems privé les Francs de votre auguste présence.

Mérovée, à ce discours, reconnoît la prudence et l'amitié de Viomade; il donne à l'instant ses ordres pour que l'armée soit assemblée le lendemain au champ de Mars, et pour qu'un grand sacrifice soit préparé: il veut, et remercier les dieux du bonheur qu'il éprouve, et attirer leur toute puissante protection sur le voyage que médite son généreux ami, et sur ce fils qui semble déjà lui être rendu. L'armée apprend avec joie qu'elle reverra le héros sous lequel elle a si souvent triomphé, et le grand Diticas prépare la fête solennelle qui doit suivre la cérémonie guerrière.

Déjà l'armée est assemblée, et attend impatiemment le roi: il paroît, son front auguste ne porte point l'empreinte de l'abattement et de la tristesse, il se montre fier et animé comme aux jours du combat. L'armée pousse des cris de joie, et frappe à grands coups les boucliers retentissans; Mérovée, ému par ces témoignages d'affection, promène ses regards bienveillans sur cette troupe valeureuse, et que l'amour anime.

Soldats! leur dit-il, braves amis, chers compagnons de mes victoires, cessez de gémir sur les malheurs qui m'ont accablé, et partagez en ce grand jour la joie dont mon cœur est rempli. Ce fils que je regrette depuis plus de cinq années, ce Childéric, mon espérance et la vôtre, qui, encore enfant, osa se mêler parmi vous, que j'ai cru mort, et dont l'absence a coûté la vie à votre reine, ô mes amis! il existe, il vit pour combattre au milieu de vous, pour vous aimer et vous défendre. Mon fidèle Viomade va partir pour la contrée lointaine où les hasards de la guerre l'ont conduit; dans peu ils seront de retour, dans peu nous reverrons ce descendant du grand Pharamond; et si Odoacre, envieux de notre puissance, ose attaquer nos armées victorieuses, nous irons l'en faire repentir; mon fils apprendra de moi comment on guide les Francs valeureux et dévoués; comment on défend sa patrie!.. De nouveaux cris de joie interrompent le monarque, son nom, réuni à celui de Childéric, retentit dans les airs. Qu'il est doux de régner sur ces cœurs enthousiastes et pleins d'amour! Pourquoi, également barbares, passent-ils si facilement de cette ardente fidélité à la révolte cruelle?

Le roi, après avoir donné à l'armée le tems d'exhaler ses transports, lui annonce le sacrifice préparé sous les chênes sacrés, et le long et joyeux festin qui terminera cette journée. Il retourne à son palais, suivi d'un peuple immense, et aux acclamations répétées. A l'heure fixée pour le sacrifice, le roi revêtu d'habits royaux, la couronne sur la tête et tenant son sceptre, entouré de ses braves, suivi de l'armée, se rendit au lieu choisi pour cette solennité. C'étoit dans un bois sombre, épais et mystérieux, que la cérémonie sanglante et religieuse étoit préparée. Le célèbre Diticas, grand prêtre des Druides, parut d'abord; ses cheveux blancs étoient couronnés de feuilles de chêne, arbre des dieux; sa tunique blanche étoit serrée d'une ceinture d'or, le plus pur des métaux. De jeunes et belles vierges, les cheveux épars et le front couvert d'un voile léger, suivent le grand prêtre, et s'occupent des apprêts du sacrifice. Trois d'entre elles, les yeux baissés, belles de jeunesse et de pudeur, portent un autel; sa forme est celle d'un trépied, soutenu sur trois consoles, dont le bas a la figure d'un pied de lion, le milieu celle d'un poisson qui étend ses nageoires, et le haut une tête de serpent qui se recourbe. Le dessus de l'autel est un bassin rond, propre à recevoir le sang des victimes; derrière les vierges qui soutiennent l'autel, marchent celles qui doivent présenter au grand prêtre la cuiller d'argent à manche pointu, dont il se servira pour prendre l'encens et les autres parfums, l'acarra, ou coffret rond, orné de deux anneaux d'or, enclavés l'un dans l'autre pour le lever et l'ouvrir, et qui renferme l'encens et le succin jaune; la péréficule à anse qui contient le vin et autres liqueurs que l'on versoit sur les victimes; enfin la patère et l'amula, vases d'airain qui servoient à renfermer l'eau lustrale, et à cuire les victimes après le sacrifice. Les chastes prêtresses, ayant placé au pied d'un chêne choisi pour l'auguste fête, les divers instrumens destinés à la cérémonie, se retirent dans leur temple, et laissent aux seuls Druides consommer le sacrifice. Ils approchent alors de l'autel; dans la main d'un des plus renommés, brille le superbe sespiéta ou coutelas, qui sert à égorger les victimes. A la suite d'une invocation, après avoir brûlé l'encens, Diticas invite le roi à s'approcher. Le monarque s'abaissant devant les dieux, auxquels cède toute puissance mortelle, se dépouillant des augustes marques de la royauté, place au pied de l'autel sa couronne, son manteau, son sceptre et sa redoutable épée: recevant alors des mains de ses braves deux jeunes taureaux blancs qui n'ont pas encore subi le joug, il les présente respectueusement au grand prêtre, qui les immole en les frappant à la jugulaire. Les Druides entourent l'autel, reçoivent le sang dans un bassin, interrogent leurs entrailles, invoquent et consultent les dieux; un silence profond règne dans le reste de l'assemblée; on craindroit d'interrompre ou de profaner d'aussi augustes mystères. Les Druides se séparent en deux files éloignées l'une de l'autre: Diticas paroît au milieu; à son regard élevé et prophétique, à ses traits animés, au désordre de ses pas, on pressent que l'esprit divin l'agite, et qu'organe des dieux, il va annoncer aux hommes les oracles qui fixeront leur destinée. Le cœur palpitant et rempli d'une religieuse terreur, l'armée se courbe vers la terre; le roi, le front baissé, imite sa respectueuse attitude. Diticas parle enfin. Les dieux sont satisfaits; ils promettent à Viomade le succès de son entreprise, au roi un fils, aux Francs un roi; et après avoir répandu sur tous l'eau lustrale, il rend à Mérovée sa couronne et ses armes, en lui disant: Souvenez-vous que vous les tenez des dieux. Le roi les reçoit avec respect, et plein de confiance dans les paroles favorables de l'oracle, il rend grace au ciel de tant de bienfaits, et sort du bois sacré, mais en se reculant et sans perdre de vue l'autel, les Druides et les victimes; ce ne fut que dans la plaine et loin de l'enceinte consacrée, qu'il marcha la tête ornée de sa couronne, et suivi du peuple. Les festins l'attendoient: assises autour de cent tables dressées devant les portes du palais et des chefs, les troupes animées par la gaieté et le vin d'Italie qu'elles aimoient passionnément, s'abandonnoient à la joie; tous chantoient l'amour et la gloire, et une heureuse ivresse termina une journée qui sembloit fatale à l'ambitieux Egidius, mais qui ne détruisit point ses espérances.