Tasuta

Childéric, Roi des Francs, (tome premier)

Tekst
Autor:
iOSAndroidWindows Phone
Kuhu peaksime rakenduse lingi saatma?
Ärge sulgege akent, kuni olete sisestanud mobiilseadmesse saadetud koodi
Proovi uuestiLink saadetud

Autoriõiguse omaniku taotlusel ei saa seda raamatut failina alla laadida.

Sellegipoolest saate seda raamatut lugeda meie mobiilirakendusest (isegi ilma internetiühenduseta) ja LitResi veebielehel.

Märgi loetuks
Šrift:Väiksem АаSuurem Aa
HONNEUR AUX MANES DE GELIMER

La nuit le surprit encore occupé à graver cette inscription simple, et au point du jour, armés de flèches, sur-tout de ce javelot qui n'est, hélas! que trop cher à son triste possesseur, ils vont quitter des lieux devenus si funestes; mais ce ne fut pas sans adresser à la tombe les plus tendres adieux. Childéric salua les chênes et les hamadryades, remonta sa petite colline, jeta sur chaque arbrisseau, sur chaque fleur un regard attendri, redescendit lentement ce petit sentier tortueux et bordé de gazon. Ces lieux qui l'avoient vu grandir, penser, aimer, lui retraçoient à-la-fois tous les premiers mouvemens de son ame. Il alla encore sur la tombe de Talaïs porter des regrets et des fleurs, et ne quitta sa retraite qu'après avoir payé à tous ces objets, qui la lui rendirent si chère, le tribut d'une juste douleur.

FIN DU LIVRE SEPTIÈME

CHILDÉRIC.
LIVRE HUITIÈME

SOMMAIRE DU LIVRE HUITIÈME

Mérovée, trompé par Draguta, pleure et son fils et son ami; tant de maux l'entraînent vers la tombe; il est mourant, et l'armée qu'excite Egidius, demande un chef. Elle le choisit, c'est Egidius; il doit recevoir le commandement de Mérovée même; le jour est choisi pour son triomphe, et l'armée s'assemble au champ de Mars. Déjà Egidius va recevoir la lance et le bouclier. Ulric aperçoit dans le lointain voler la poussière, et distingue deux hommes à cheval; il croit les reconnoître, il s'écrie. Childéric s'élance dans les bras de son père, et Viomade presse les genoux de son roi. L'armée en tumulte partage la joie de son maître; on entoure, on écoute, on admire Childéric. Egidius est oublié, et va cacher sa fureur. Mérovée rentre dans la ville suivi de son fils, de son ami, et de toute son armée. Il ordonne un pompeux sacrifice, et Diticas, après la cérémonie, annonce au peuple la fête du Guy, et ordonne de la part des dieux de choisir le jour pour élever Childéric sur le pavois; l'armée y consent avec transport, et des prières solennelles terminent le sacrifice.

LIVRE HUITIÈME

Tandis que Mérovée, plein de confiance dans les paroles de l'oracle et dans les soins d'un ami, attend avec une impatience mêlée d'espoir, et compte les momens, Egidius qui a obtenu des secours de Rome, et à qui Odoacre, roi des Saxons, en promet de nouveaux encore, augmente chaque jour son parti. Il accuse déjà de lenteur le traître Draguta; mais il est de retour, et se présente aux yeux du roi, qui le voyant seul et accablé d'une feinte douleur, se sent frappé, prêt à mourir. Le Hun, les regards baissés, le front abattu, restoit en silence. Oh! parle, parle, malheureux! dit le roi, quoique je ne t'entende déjà que trop. O père infortuné! dit Draguta; écoutez ce triste récit… Nous arrivâmes sans accident jusqu'à l'habitation de ma nombreuse famille; je retrouvai encore mon père plein de force et de santé, je lui avouai le motif de mon voyage; je l'instruisis que je devois la vie à mon compagnon: mais mon père en un moment détruisit mes espérances… il m'apprit… ô ciel!.. il m'apprit qu'Attila, furieux de sa dernière défaite, avoit fait massacrer tous les prisonniers, sans en excepter votre fils. Mon père m'assura l'avoir vu périr!.. Je résolus de n'apprendre cette affreuse nouvelle à Viomade que lentement et avec précaution; mais son zèle impatient hâta mon aveu. Ah! comment vous peindre sa douleur? jugez-en par les effets. Son sang déjà échauffé par la fatigue d'une aussi longue route, s'enflamma; une fièvre ardente le dévoroit: il tomba dans un affreux délire, nous lui prodiguâmes inutilement nos soins; tout-à-coup la raison lui revint, et il me fit appeler. Pars, Draguta, me dit-il, va porter au roi, mon maître, ces tristes détails; dis-lui que Viomade est mort de douleur, porte-lui mes flèches, et donne-moi mes tablettes, je veux y tracer un dernier adieu. Mais tandis que je les lui présente… il expire en nommant son roi… Voici ses tablettes et ses flèches… Depuis long-tems Mérovée n'écoutoit plus, et Draguta auroit pu parler long-tems encore, sans être interrompu. Le roi immobile et glacé, l'œil fixe et l'ame suspendue, cessoit de le voir et même de l'entendre; sa douleur trop vive avoit comme anéanti tout son être, il ne la sentoit plus. Ceux qui l'entouroient en furent effrayés, sa blessure se r'ouvrit, il tomba baigné dans son sang, on craignit pour sa raison et pour sa vie; plus malheureux il vécut, et se rappella tous ses revers. Draguta, satisfait du succès de sa trahison, courut en recevoir le prix. Egidius lui remit la somme qu'il lui avoit promise, et le nomma au grade dont il l'avoit flatté; mais sachant que l'homme qui s'est déjà vendu au crime est toujours prêt à se vendre de nouveau, et à trahir celui qu'il a servi, il le fit empoisonner dans un festin. Récompense digne d'un traître.

Egidius, délivré de ceux qu'il redoutoit le plus, apprit avec une extrême joie, que la santé de Mérovée laissoit peu d'espoir de le conserver long-tems. La paix étoit loin de disposer les Francs à se nommer un chef qui pût remplacer le roi mourant, et les conduire aux combats; mais Egidius annonçoit toujours les Saxons, et le seul espoir des batailles suffisoit pour enflammer ces Francs valeureux. Ce bruit d'ailleurs n'étoit pas sans fondement: Odoacre menaçoit Angers; dans ce moment, attaqué lui-même par les Visigoths, il ne songeoit qu'à se défendre; mais il étoit facile de déterminer les troupes à ne pas attendre l'ennemi, elles furent assemblées tumultueusement et sans connoître elles-mêmes la main qui les faisoit agir. Bientôt l'air retentit de leurs murmures; elles osèrent accuser le roi d'inaction, d'oisiveté, et enfin demander à haute voix un chef et la guerre. Mérovée mourant, ignoroit ces clameurs séditieuses, mais il fallut l'instruire du vœu de ce peuple barbare et insensé. Egidius avoit été nommé au champ de Mars; il devoit commander les armées sous les ordres du monarque; de là au trône il n'étoit qu'un pas; ce pas Egidius comptoit le faire bientôt. L'armée, cruelle jusques dans ses respects, voulut que l'ambitieux romain reçût le commandement des mains du roi: on choisit le jour le plus prochain, et les plus hardis parmi les mutins se chargèrent de porter au monarque le vœu du peuple. Ce vœu pourtant n'étoit pas général; les guerriers qui avoient marché contre les Romains, se voyoient avec honte sous les ordres d'un ennemi vaincu par eux. Mérovée ne put, sans surprise, apprendre un choix si humiliant pour les Français. Quoi, leur dit-il, c'est le stipendiaire des Romains qui va conduire mes guerriers! c'est celui à qui j'ai enlevé la moitié des Gaules, qui va commander les mêmes troupes qui l'ont renfermé dans Soissons! N'est-il donc parmi vous aucun soldat courageux, aucun général vainqueur? Prêt à descendre vers la tombe, accablé de douleur, aurois-je celle de prévoir l'instant où mon peuple, libre du joug romain, dont il fut délivré par les Mérovingiens, ira de lui-même s'offrir à ses ennemis? Ce discours jeta le désespoir dans le cœur des braves qui l'entendirent; mais il ne toucha point les rebelles, qui se retirèrent, en suppliant respectueusement le roi de consentir à paroître au champ de Mars. Cette démarche révoltoit sa noble fierté, affligeoit son ame; cependant le conseil l'engagea à conserver par là l'apparence du commandement, et quoique avec une profonde tristesse, il s'y décida.

Mérovée cependant ne tenoit plus à sa grandeur; il n'avoit plus de fils à qui la transmettre; il ne tenoit pas plus à la vie, il n'avoit plus d'épouse, plus d'ami pour l'embellir;… mais il chérissoit son peuple, et aimoit sa gloire.

Il parut ce jour que hâtoient les vœux d'Egidius. On étoit dans le plus beau mois de l'année, et le soleil fier d'éclairer le monde, planoit du haut des airs, brillant et couronné de ses rayons; les troupes déjà revêtues de leurs armes qui étinceloient frappées des feux du dieu du jour, se rendoient au champ de Mars, et se livroient à cette joie immodérée que cause toujours au peuple un spectacle, quel qu'en soit l'effet ou la cause. Mérovée parut entouré de ses braves, qui pouvoient à peine contenir leur indignation; il étoit sur un char traîné par des taureaux superbes, revêtu de ses habits royaux; la majesté de son visage n'étoit point éteinte par la douleur dont il conservoit la trace; son aspect noble et touchant émut tous les cœurs; on voyoit tomber des yeux des plus grands guerriers, ces pleurs qui honorent le courage. Les cris de vive le roi! ces cris si chers aux Français, se firent entendre, et Mérovée, malgré les maux sans nombre dont il étoit dévoré, ne les entendit pas sans émotion; il sentit qu'il étoit aimé, ce mouvement fut doux pour son ame. Un trône élevé attend le roi; Egidius, palpitant d'impatience et de joie, comptoit les instans; agité d'une secrète inquiétude, il voudroit encore presser son triomphe qui s'apprête. L'armée se range en bataille, chacun reprend son rang. Le roi monte sur son trône; déjà on lui présente la lance et l'épée dont il doit armer Egidius, déjà le perfide romain enlève fièrement son casque, va le remettre à Valérius, et pour la dernière fois se prosterne devant le roi, qu'il se propose de renverser; les braves détournent les yeux d'un spectacle qui les désespère, l'armée attentive observe un profond silence. Ulric porte au loin ses regards… un objet l'a frappé, son cœur en est ému;… il fixe encore ses yeux sur l'objet qui s'approche, il ne s'est pas trompé!.. S'élançant tout-à-coup, repoussant Egidius, et paroissant au milieu de l'armée… Soldats! arrêtez, arrêtez! s'écria-t-il; voici Childéric; voici Viomade, voici le fils du roi! et tombant aux genoux de Mérovée: O roi! digne d'un si grand bienfait, voilà votre fils… En croira-t-il ce discours? ah! s'il en doute, ce doute fera bientôt place à la plus délicieuse certitude. Mérovée, à peine descendu de son trône, voit sauter de cheval, légèrement à terre, le plus beau des hommes, et sent dans ses bras le plus tendre des fils; Viomade se présente à son tour; Mérovée le presse contre son cœur, l'armée partage l'attendrissement et la joie de son maitre. La beauté, dont l'empire est si prompt et si assuré, leur parle déjà en faveur de Childéric; on le presse, on l'entoure; Egidius est oublié, il le voit, il le sent, pâlit de fureur, et frémit de rage… O traître Draguta! osoit-il dire: c'est à présent qu'il regrette que la tombe où il l'a précipité, le dérobe à sa vengeance. Childéric se rend aux vœux du peuple, impatient de le voir; il se mêle à l'armée. Le tems qui a développé ses traits ne les a point changés, mais son vêtement sauvage donne à ce visage doux et riant, une grace inconnue qui entraîne. Les Francs admirent surtout sa belle chevelure blonde et bouclée, ornemens des rois… Lui-même reconnoît une foule de guerriers, il les nomme, se rappelle leurs exploits, revoit grands et hardis ceux qu'il a laissés enfans comme lui; enfin il aperçoit le jeune et charmant Eginard, le fils du brave Ulric, celui qu'il aima dès le berceau; Eginard attendoit un souvenir de son maître, il reçut les caresses de son ami; Childéric parut transporté de joie en le voyant; tant de marques de sensibilité ravirent les cœurs. La mémoire est sans doute le présent le plus magique que le ciel puisse faire aux grands de la terre, celui qui leur attire le plus d'amour. Quand un regard est une faveur, un mot une distinction, combien un souvenir honore! combien cette marque de bienveillance flatte le sujet qu'elle énorgueillit! O rois, qu'il vous est facile d'être aimés, et d'être aimés avec idolâtrie! O vous! qui entourés de la majesté du trône, de ces rayons presque divins, paroissez déjà à nos yeux si imposans et si fiers, quand vous adoucissez pour nous cette effrayante splendeur, que nous passons rapidement du respect à l'amour! mais, hélas! pourquoi ne suffit-il pas que vous soyez sensibles pour nous rendre heureux? pourquoi les rois bons, ne furent-ils jamais les bons rois? pourquoi, enfant mutin et indiscipliné, l'homme abuse-t-il de tout, et a-t-il besoin d'un frein sévère?

 

Le retour de Viomade n'est pas moins cher à l'armée; ce brave qui a combattu tant de fois au milieu de ces rangs, et dont on déploroit la mort, lui est rendu. Les soldats veulent connoître par quels miraculeux événemens le prince a disparu, comment Viomade l'a retrouvé; chacun l'interroge, il répond: ce qu'il dit vole de bouche en bouche; le jour se passe tout entier dans ce désordre heureux. Childéric s'est rapproché plusieurs fois de son père, de ce tendre père, qui le contemple avec cette joie paternelle que son cœur ne peut contenir; il croit, lorsqu'il sourit, revoir Aboflède, il croit l'entendre, c'est sa voix douce et persuasive. Egidius, qui n'a pu détourner l'attention du peuple des objets qui le captivent, va cacher sa honte auprès d'Egésippe qu'il adore; et le roi, accompagné de son fils, reprend le chemin de Tournay. Viomade, entouré des braves, suit le char royal, et le roi rentre dans son palais, aux acclamations générales. En revoyant sa famille, chacun raconta ce dont il avoit été témoin, ce qu'il avoit entendu. Childéric, si visiblement protégé par les dieux, échappé miraculeusement aux barbares, après avoir vécu dans les forêts; Childéric, si sensible à l'amitié, si beau sous ces vêtemens de peau d'ours, armé de ses flèches légères, et porteur du javelot; Childéric enfin étoit l'objet de tous les discours; déjà on l'aimoit, déjà on l'élevoit en pensée sur le pavois; le peuple se précipite en foule par-tout où il porte ses pas; plus il se montre, plus on est impatient de le voir encore. Amiens, cette première capitale de la France, supplia Mérovée de revenir dans ses murs; il y consentit, et fier de son bonheur, il accompagna Childéric dans les différentes villes où il se fit voir aux peuples, charmés de sa présence. Childéric avoit déjà quitté les vêtemens qu'il portoit dans les bois, et revêtu ceux d'un guerrier français; tous deux le parent également, et cette main qui lançoit adroitement la flèche de Bélénus, brandit avec grace la lance de Mars. Le casque brille sur ce front rempli de candeur, ses yeux si beaux en paroissent plus fiers, et les boucles blondes, qui voltigent autour du casque, mêlent leurs ondulations à l'éclat guerrier des armes; c'est ainsi que le jeune prince paroît formé pour la gloire et pour l'amour.

Mérovée, impatient de connoître à quels événemens il devoit le retour inespéré d'un fils et d'un ami, n'avoit pas attendu si long-tems pour s'en instruire; dès le soir même de leur arrivée, il avoit interrogé Viomade et son fils. Mérovée admiroit moins les circonstances extraordinaires du récit de Childéric, que la vivacité, l'éloquence de ses discours. Ce n'étoit point le farouche élève de la nature, le sauvage enfant du désert qui s'exprimoit, mais un prince noble et rempli de grace, qui développoit à ses yeux une ame pure, des sentimens délicats, des pensées sublimes. Malgré tous les maux que lui a causés Gelimer, le roi sent combien il doit révérer la mémoire de l'homme vertueux, qui a semé dans le cœur du prince de si précieux principes, et il adresse à son ombre un pieux hommage. Ce n'est point assez encore, Mérovée ordonne un pompeux sacrifice pour remercier les dieux protecteurs de son fils; mais il ordonne aussi qu'il soit célébré en l'honneur de Gelimer. Les Bardes consacrèrent dans leurs vers sa vie sublime et sa mort généreuse: c'est ainsi que son histoire, transmise d'âge en âge, nous est parvenue.

Le jour fixé pour le sacrifice, Diticas le célébra selon l'usage accoutumé. Après la cérémonie, il monta sur une élévation triangulaire, dont chaque côté portoit un des noms des trois plus puissans dieux des Druides, Teutatès, Taranis, Esus: de cette élévation, il félicita le roi, loua Viomade, et versa sur le prince l'eau lustrale. Mais alors, prenant une voix terrible, et que l'armée crut être celle des dieux mêmes, il reprocha aux Francs d'avoir douté du retour de Childéric, quoique lui-même, inspiré du divin esprit, le leur eût annoncé; il leur reprocha d'avoir cru les perfides paroles d'un traître, de préférence à celles des oracles, dont lui-même avoit été l'interprète; il les menaça du courroux céleste, lança l'imprécation contre ceux qui vouloient confier le commandement à Egidius; annonça les ténèbres éternelles, fit trembler les soldats, par-tout ailleurs intrépides, et qui, prosternés devant le ministre d'un dieu terrible, se croyoient déjà précipités dans les abîmes du monde. Diticas voyant la consternation générale, s'arrêta, puis d'une voix plus douce, conjura les dieux de s'apaiser, et s'adressant encore au peuple muet et effrayé, il lui promit de ne pas quitter le pied des autels sans avoir obtenu leur pardon. Je vous annonce, ajouta-t-il, que je célébrerai, la sixième lune du solstice d'hiver, la fête du Guy de chêne, cette fête si chère à vos cœurs, et qui est toujours suivie d'une heureuse année; que ce jour soit beau pour tous les Francs, que ce jour soit consacré par tout ce qui peut le rendre auguste, qu'il répare vos fautes et assure votre bonheur, qu'il soit enfin le jour choisi pour donner à Mérovée un successeur, et la récompense de son courage et de ses vertus; enfin, qu'en sortant de la cérémonie qui vous réconciliera tous avec vos dieux outragés, nous volions au champ de Mars élever Childéric sur le pavois: puisse-t-il, sous l'exemple du meilleur des rois, apprendre long-tems encore à gouverner!.. Est-ce là votre volonté, reprit Diticas, Francs, acceptez-vous ce que je vous propose? Depuis son arrivée, Childéric étoit l'amour de tout le peuple; l'offre de Diticas étoit déjà le vœu de l'armée, le consentement fut général. Diticas promit qu'à ce prix les dieux seroient satisfaits, et congédia l'armée; le roi quitta aussi le bois sacré, et se retira rempli de reconnoissance envers les dieux, leur demandant encore de prolonger sa vie, jusqu'à l'instant où il auroit vu élever sur le pavois ce fils qu'il aimoit, chaque jour, avec plus d'ardeur. L'heureux Viomade jouissoit du bonheur de son roi, du fruit de ses travaux, de la reconnoissance du jeune prince, et de l'estime de toute la France, récompense méritée, mais la seule digne de ce cœur généreux.

FIN DU LIVRE HUITIÈME

CHILDÉRIC.
LIVRE NEUVIÈME

SOMMAIRE DU LIVRE NEUVIÈME

Egidius espère encore. Mérovée, ranimé par le bonheur, retrouve des forces momentanées, et instruit son fils des devoirs des rois. La fête du Guy est célébrée, et après la cérémonie, le grand prêtre, suivi du roi, du prince, des braves et de l'armée, se rend au champ de Mars. Fureur d'Egésippe. Elle vole au champ de Mars. Trouble de Childéric à la vue de la belle romaine. Premiers mouvemens d'un amour extrême. Egésippe voit son triomphe et se promet une grande vengeance. Viomade lit dans le cœur du jeune prince, et s'afflige; il essaie en vain de l'éclairer. La fête est achevée; Childéric n'a vu qu'Egésippe, et ne songe qu'à elle. Mérovée s'affoiblit et expire dans les bras de son fils. Il est regretté de tous les Francs; son corps est réuni à celui de la reine Aboflède. La douleur de Childéric est vive et constante. Il paroît même oublier Egésippe. La gloire l'entraîne encore loin d'elle; il combat Odoacre, il est vainqueur; et prêt à rentrer dans Tournay, il est reçu par Egésippe, qui, entourée des épouses des guerriers, porte comme elles des couronnes aux vainqueurs. Une fête superbe attend le roi. Egésippe y développe autant d'art que de charmes; la nuit se passe dans les jeux, et Childéric, entièrement livré à l'amour, ne quitte Egésippe qu'avec effort et plein du désir de la revoir. Il évite tout entretien avec Viomade. Le brave désespéré se tait; le sommeil fuit l'un et l'autre.

LIVRE NEUVIÈME

La fête du Guy étoit la plus agréable aux Francs; l'année où l'on pouvoit le découvrir étoit ordinairement abondante; le peuple, loin de voir dans cette fertilité une suite naturelle des combinaisons du tems et des saisons, la croyoit au contraire un effet particulier attaché à la religieuse cérémonie. Egidius espéroit en vain s'opposer à cette journée redoutable; il lui reste des partisans, de l'or, une armée; le prince est jeune et sans défiance, son cœur s'ouvre facilement à l'amitié, il est ardent et sensible; Egidius compte sur ses ressources, se flatte encore, et va cacher dans Soissons son inquiétude et ses espérances, après avoir dispersé et instruit de nouveau tous ceux dont il connoît l'adresse, l'intrigue, la fidélité et les moyens.

Mérovée, pour qui le bonheur est une nouvelle source de vie, a retrouvé ses forces épuisées; il sent que ce nouvel effort du flambeau prêt à s'éteindre, ne fera qu'en hâter la fin, et il profite de ses derniers instans pour instruire son fils de ses devoirs si pénibles et si grands; de l'état de son royaume, de ses ressources, et des imperfections du gouvernement. Childéric s'étonne que l'autorité royale ait tant de bornes. Ce n'est pas ainsi que commande l'empereur à Pékin, il s'en indigne; cette dépendance du trône, qui s'oppose à la force du gouvernant en la divisant, à sa paix intérieure en multipliant les pouvoirs et les volontés, irrite son génie et son ame. Mérovée essaie en vain de lui faire sentir que ces lois, suite d'un établissement encore peu assuré, ont été nécessaires; Childéric a peine à y soumettre sa raison, encore moins son cœur. Gardez-vous, disoit Mérovée, de tenir vos peuples dans une longue paix, ils tourneroient leur activité contre vous et contre eux. Vos troupes, par-tout triomphantes, remplissent de terreur leurs ennemis. Profitez de l'instant que vous ménage la victoire. Le meurtre d'Aëtius, la mort de Valentinien, celle de Maximus, les ravages de Genseric, la division des chefs de l'empire, l'ignorance de leurs généraux, l'expérience et les victoires des vôtres, les revers qui ont découragé vos ennemis; tout enfin vous dit de combattre. Tournez d'abord vos armes contre Odoacre; réduisez-le à une retraite prompte; attaquez-le avant qu'il ne soit reposé de ses combats; chassez-le des îles de la Loire; repoussez les Allemands qui se préparent à envahir les Gaules; chassez les Romains loin de vous, et étendez votre royaume sur l'Oise et la Seine: ensuite soyez législateur; car les sages lois font plus pour le bonheur des peuples que les grandes conquêtes.

Ainsi parloit Mérovée, et Childéric, impatient de se distinguer aussi, attendoit la saison guerrière pour marcher contre les Saxons; mais l'hiver commençoit à peine, et il falloit qu'il s'écoulât tout entier. La fête du Guy devoit se célébrer, et Childéric devoit être élevé sur le pavois. Ce jour mémorable que redoute Egidius, paroît enfin, et déjà l'entrée du bois est remplie d'un peuple immense; toutes les prêtresses avoient le droit d'assister à ces fêtes; mais les vierges s'y distinguoient par leur voile et les apprêts de la cérémonie, qui n'étoient confiés qu'à elles. Le grand prêtre, revêtu de ses plus magnifiques habits d'un lin éclatant et parsemé d'or, couronné de feuilles de chênes, parut au milieu des vierges qu'entouroient les prêtresses et les Druides; la foule sainte marche pompeusement jusqu'à l'arbre possesseur du Guy sacré. Diticas, soutenu par ses Druides, monte sur l'arbre, grave sur son tronc et sur deux de ses plus belles branches, le nom des dieux; alors, recevant des mains d'une des vierges, la serpe d'or destinée à couper le Guy, il chante plusieurs fois ces paroles que répètent les vierges, les prêtresses, les Druides, et toute l'armée:

 
AU GUY L'AN NEUF

Ensuite il coupe le Guy, que les vierges reçoivent dans le sagum blanc qu'elles tiennent étendu. Le grand prêtre redescendu, plonge le Guy dans l'amula rempli d'eau, et prenant l'aspersoir des mains virginales qui le lui présentent, il répand au loin l'eau lustrale. Le peuple croyoit alors être délivré de tous maux, et surtout des sortiléges qu'il redoutoit beaucoup.

Cette cérémonie eut lieu l'an 458, la sixième lune du solstice. A peine fut-elle terminée, que Diticas promit aux Francs les bienfaits du ciel, et marcha vers le champ de Mars, suivi des Druides et de toute l'armée. Mérovée, toujours languissant, fut transporté sur un brancard formé de lances croisées et de drapeaux conquis. Ce moment étoit le plus beau de sa vie; il remercioit les dieux de l'en avoir rendu témoin, et jetoit un regard satisfait sur le sceptre qu'il alloit déposer dans de si chères mains.

La renommée, toujours prompte à parler des rois, a déjà porté le désespoir et la fureur dans l'ame d'Egésippe. L'altière romaine, venue dans les Gaules pour retrouver Egidius qu'elle aime, et à qui sa main est promise, avoit espéré le trône, et ne peut voir sans une secrète rage le jour qui doit le lui ravir. Elle habitoit un château près de Tournay, et c'étoit pour servir son amant qu'elle ne l'avoit pas rejoint. A une rare et majestueuse beauté, Egésippe joignoit un esprit adroit, un caractère violent, mais dissimulé. Eloquente, elle séduisoit par ses discours ceux qui échappoient à ses charmes; habile à lire dans les cœurs, prompte à changer de formes, elle empruntoit jusqu'au caractère même de ceux qu'elle vouloit subjuguer, sûre de les vaincre. Egidius ne devoit ses partisans qu'aux graces ou à l'adresse de son amante; elle seule avoit entraîné les volontés en charmant les cœurs. Le retour de Childéric avoit déjà détruit une partie des espérances de l'ambitieuse; le jour qui va le couronner les anéantit; elle voue une éternelle haine à cet ennemi, qu'elle ne connoît pas encore. Tout-à-coup, un vague espoir de vengeance la ranime; elle ordonne que son char soit attelé, elle-même conduira ses coursiers dociles et impatiens; elle sera témoin de cette fête, dont la seule pensée l'enflamme de courroux; elle monte sur le char léger, qu'entraînent rapidement deux chevaux superbes; debout, elle tient les rênes, et s'élance vers le champ de Mars. Telle étoit Diane avant qu'Endimion eût touché son ame, et avant que l'amour eût adouci son sourire.

L'auguste cérémonie étoit commencée, et Childéric élevé sur le pavois; une brillante couronne ornoit sa tête, le manteau royal étoit attaché sur ses épaules, un riche baudrier ceignoit sa taille élégante; il tenoit en main le javelot, sceptre de Pharamond, et que l'amitié sanctifia si cruellement. La joie prêtoit à ses traits nobles et réguliers, un nouvel éclat; la reconnoissance, plus de douceur: il promenoit sur toute l'armée ses regards attendris; on voyoit dans ses yeux tout ce qui se passoit dans son cœur; il étoit beau de ses traits, de sa jeunesse et de son ame… Egésippe le voit, s'étonne, et le hait encore davantage; plus elle le trouve supérieur à son amant, plus sa jalouse envie s'en accroît; elle fait le tour de l'enceinte, y pénètre, et vient se placer en face du pavois. Le murmure qu'excite son audace, se change en admiration; Childéric l'aperçoit et rougit, il la regarde, il pâlit et chancelle. Egésippe jouit de son triomphe, un léger sourire l'embellit. Ce n'est pas une ame pure et neuve encore, qui pourroit échapper à sa beauté; sur son front, d'une éclatante blancheur, sont tressés des cheveux d'ébène que réunissent des liens de pourpre et d'or; ses yeux fiers et indifférens commandent l'amour; cette bouche fraîche et vermeille laisse entrevoir les plus belles dents, et ce col d'albâtre, qui porte avec grace cette tête magnifique, s'entoure de ces riches parures qui n'ont jamais frappé les regards du jeune prince, accoutumé aux sauvages couronnes de Talaïs; une légère tunique blanche, serrée d'une riche ceinture, couvre des charmes qu'elle laisse deviner; un manteau de pourpre, et qu'agite les vents, flotte avec grace autour de sa taille majestueuse. Jamais une semblable divinité ne parut aux yeux du jeune monarque; il ne peut les en détacher, oublie le pavois, le trône et sa grandeur. Viomade, qui près de son maître et heureux comme lui, suit tous les mouvemens du jeune roi, a vu le trouble qu'excitoient en lui les charmes d'Egésippe; il a senti avec effroi tout ce que sa fatale beauté prenoit d'empire sur un cœur ardent et tourmenté du besoin d'aimer. Viomade sait que l'on ne s'oppose qu'en vain à l'amour, qu'il s'irrite même des obstacles, qu'enfant léger des désirs, il meurt avec lui trop souvent, dès qu'ils sont satisfaits, mais qu'il s'enflamme par la résistance. Cependant le caractère et l'ambition d'Egésippe, effraient Viomade; il n'ose inquiéter le roi de ses tristes réflexions, et les renferme dans son cœur. La cérémonie s'est achevée, Childéric est descendu de dessus le pavois; rappelé à lui-même par le mouvement qui se fait autour de lui: Soldats, dit-il, je jure de vivre pour vous aimer, et de mourir, s'il le faut, pour vous défendre. Volant alors vers le roi, se jetant à ses genoux, ôtant promptement la couronne de dessus sa tête, et la plaçant sur celle de son père: Grand roi, dit-il, portez la long-tems pour le bonheur des Francs et pour le mien. Détachant de même son manteau et toutes les marques extérieures de la royauté, il se revêtit de l'armure d'un simple soldat, et prenant des mains d'un d'entre eux le brancard qu'il portoit à l'aide de plusieurs autres, le jeune roi marcha chargé d'un fardeau glorieux et cher, de son auguste père. Le peuple versa des larmes, Viomade adoroit son jeune maître, Ulric ne pouvoit retenir son admiration, tous les braves vouloient mourir pour lui. O sensibilité! premier et précieux don que Dieu fit à l'homme dans un jour tout de bienveillance, source des douces larmes et des plaisirs parfaits! ô bien de l'ame et charme de la vie! pourquoi le méchant peut-il abuser de votre abandon, emprunter vos traits et déchirer le cœur que vous lui ouvrez?

De retour au palais, où s'apprête un somptueux festin, Childéric paroît distrait et rêveur; ses regards inquiets s'égarent sans espoir: Viomade sait ce qu'ils cherchent vaguement; il croit qu'en ôtant l'espérance au prince, il arrêtera ce sentiment dès sa naissance; il ne connoît pas encore le cœur brûlant de Childéric, il ne sait pas que l'amour espère, malgré l'amour même. Enfin s'étant approché du jeune roi, il le félicita sur les événemens du jour, et celui-ci lui répondit avec grace, que c'étoit lui surtout qu'il falloit en féliciter, puisque ce jour étoit son ouvrage. Avez-vous pu remarquer, continua Viomade, votre superbe ennemie, l'ambitieuse Egésippe, l'amante et bientôt l'épouse d'Egidius? son adresse vous eût enlevé le trône sans votre retour. Que de haine remplissoit ses yeux à votre aspect! que de courroux éclatoit dans ses regards!.. Childéric rougit, et se tut; la haine, il ne l'a jamais conçue, et cependant il sent qu'il peut haïr Egidius. Le prince, agité de ce qu'il apprend comme de ce qu'il éprouve, tombe dans une profonde rêverie; Viomade seul en connoît la cause, et cherche à l'en distraire par son entretien, par le chant des Bardes, et en lui présentant tour-à-tour les braves dont il reçoit l'hommage. Childéric se rappelant Eginard, s'approche avec respect du roi, et lui demande de vouloir bien admettre ce jeune soldat au rang des braves. Mérovée y consent avec joie; c'étoit récompenser Ulric dans ce qui lui étoit le plus cher; il avoit encore d'autres fils plus jeunes qu'Eginard, qui touchoit à sa vingtième année, et qui joignoit au courage d'un Français, la gaieté, les graces, la franchise et la légèreté de sa nation. Eginard avoit des yeux spirituels, un sourire fin, la fraîcheur de son âge, une taille élégante, dansoit, chantoit, montoit bien à cheval, se battoit encore mieux, aimoit, plaisoit surtout, et paroissoit s'attacher plus sérieusement à la tendre Grislidis, fille de Mainfroy. Ulric apprit de Mérovée l'honneur qu'alloit recevoir son fils; il s'empressa de le chercher, de le présenter lui-même à Childéric, qui le conduisant aux pieds du roi, remit au monarque la lance et le bouclier dont il devoit armer Eginard. En vain Mérovée se défendit-il de recevoir les hommages, en vain pressa-t-il Childéric d'armer lui-même son ami. – Non, non, répondit le jeune prince, ce n'est pas à ce bras sans gloire qu'appartient un tel avantage; faites plus, ô mon père! dit-il en se jetant à genoux, acceptez mes services, que je sois du nombre de vos plus dévoués sujets; si je n'ai pas encore, comme eux, l'honneur d'avoir vaincu sous vos ordres, je vous porte un cœur aussi fidèle que le leur… Mérovée, attendri de ces marques de respect et d'amour, ne put refuser à son fils une demande si modeste; il le reçut avec les cérémonies accoutumées, ainsi qu'Eginard, et tous deux se tenant par la main, allèrent embrasser les compagnons d'armes, parmi lesquels ils venoient d'être admis. Depuis ce jour, Childéric ne parut à la cour du roi que comme les autres braves, n'accepta aucune distinction, refusa tout autre hommage, et fut le plus empressé comme le plus respectueux de tous. Ces soins cependant ne pouvoient distraire entièrement sa pensée de la superbe romaine; l'ambition qui l'a séduite n'étonne pas le prince, elle est faite pour le trône, se disoit-il. Ah! qui n'obéiroit à ses lois?.. Mais cette couronne qu'elle envie, ne puis-je pas la lui promettre, la lui donner?.. Elle aime, hélas! elle aime l'heureux Egidius! Et qu'importe un trône, quand on aime? Childéric, depuis l'instant où Viomade lui a parlé d'Egésippe, craint tout entretien avec lui; il redoute d'entendre encore nommer Egidius, il craint d'entendre redire ce qu'il s'efforce d'oublier. Eginard, plus jeune, sera sans doute moins sévère; mais Eginard est l'ennemi du nom romain, il connoît les séductions de l'ambitieuse, il aime trop son maître pour ne pas haïr Egésippe, et Childéric voyant tant de cœurs irrités contre ce qu'il aime, sent l'amour l'enflammer davantage encore; il croit se devoir à lui-même de venger au fond de son ame l'objet de son délire; il cherche en vain à la voir: renfermée dans son château, elle médite en secret et espère encore, rien ne la désarme, et ce jeune roi, dont on lui redit les actions modestes et généreuses, ce prince, paré de tant de vertus, n'est pour elle qu'une victime qu'elle veut immoler à son ambition et à son amant.